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Savez-vous quel dramaturge, mort à seulement trente-sept ans, est au théâtre irlandais ce que Molière est au théâtre français ?
« le baladin du monde occidental » de John Millington Synge, c'est à lire en poche chez Babel.
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“PEGEEN Je pense que vous être un homme étrange, Christy Mahon. L’être vivant le plus étrange sur qui j’aie jamais posé les yeux jusqu’à cette heure aujourd’hui.
CHRISTY Que seraient-ils sinon étranges les hommes qui vivent solitaires en ce monde ?”
En cette île le continuel va-et-vient de la misère d'hier soir à la splendeur d'aujourd'hui semble créer une affinité entre les états d'âme de ces gens et ceux qui sont présents chez les artistes, tour à tour dans l'extase et l'abattement, ou dans certaines formes d'aliénation.
Sur ces rochers où ne se développe aucune vie végétale ni animale,toutes les saisons sont les mêmes et cette journée de juin est si pleine d'automne que je tends l'oreille inconsciemment au bruissement des feuilles mortes.
Ces gens ne font pas la distinction entre le naturel et le surnaturel.
Depuis vingt-quatre heures c'est la tempête, et comme je me suis promené sur les falaises j'ai les cheveux raidis par le sel. D'énormes masses d'embruns s'envolaient du abs des falaises et parfois, saisies par le vent qui les emportait en tourbillon, allaient tomber à quelque distance dans les terres. Quand l'une d'elles venait à tomber sur moi, je devais m'accroupir un moment, enveloppé et aveuglé que j'étais d'une blanche grêle d'écume.
Les vagues étaient si formidables que, lorsque j'en voyais une plus grosse que les autres venir sur moi, je me détournais d'instinct pour me cacher, comme on cligne des paupières quand on est frappé aux yeux.
Au bout de quelques heures, l'esprit est confondu par cette agitation et cette lutte sans fin de la mer, et l'exultation des premiers moments fait place à un accablement complet.
A l'angle sud-ouest de l'île, j'ai rencontré un groupe de gens en train de récolter le varech, qui forme une couche épaisse à présent sur les rochers. Les hommes le tiraient du ressac avec des râteaux, et puis une bande de jeunes filles le hissaient au sommet de la falaise.
En plus de leurs vêtements ordinaires, les filles portaient une peau de mouton brute sur les épaules pour absorber l'eau de mer qui suintait, et elles avaient l'air extrêmement sauvages et ressemblaient à des phoques avec le sel qui s'attachait à leurs lèvres et les guirlandes que le varech nouait dans leurs cheveux.
L'irlandais ne pourra jamais s'éteindre, et quand les gens commenceront à le voir tombé très bas, il ressuscitera de ses cendres, comme le phénix.
Je vous demande pardon, c'est pas vous l'homme qui a tué son père ?
Quand le soleil disparut, telle une pastille d'or flamboyant dans la mer, le froid devint intense. Alors les hommes se mirent à parler entre eux; et, perdant le fil, je restai, parti en songe, à regarder la mer d'huile pâle autour de nous et les falaises basses de l'île qui s'élevaient en pente passé le village, avec sa couronne de fumée vers la silhouette de Dun Conor.
Plus tard, j'eus un long entretien avec un jeune homme qui est curieux de la vie moderne, et je lui expliquai une manœuvre de Bourse compliquée pour accaparer une marchandise, stratagème dont j'avais entendu parler récemment. Lorsque je fus parvenu à lui faire comprendre, il se récria de plaisir et d'amusement.
"Eh bien, dit-il quand ils se fut apaisé, c'est-il pas grande merveille de penser que ces richards sont aussi brigands que nous ?"
C'est cette figure inversée du retour qui importe avant tout dans le cas de Synge : il écrit à partir du retour comme Joyce à partir de l'exil, mais ce retour est encore une expérience de la solitude et de la différence. Vivant dans les îles d'Aran, il se sait étranger, par sa langue maternelle qui est l'anglais et non le gaélique (qu'il a appris comme une langue étrangère) aussi bien que par ses origines bourgeoises, par son éducation, et par cette religion protestante, dont il a eu tant de peine à se défaire - et le fait d'être un homme sans religion le rend encore étranger aux hommes chez qui il a choisi de vivre.