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Critiques de Jonathan Coe (1815)
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Le Royaume désuni

Jonathan Coe est incontestablement l’auteur qui sait le mieux diagnostiquer l’état de la nation britannique. Une nouvelle fois, il examine l’histoire du Royaume-Uni à travers les yeux d’une famille banale de la middle class, comme un besoin obsessionnel de proposer de nouvelles perspectives sur le passé et son rôle dans le façonnage du présent, de rappeler les mythes fondateurs à la fois personnels et nationaux, à l’intersection du public et du privé.



Nous suivons donc la famille Lamb – et ses nombreuses ramifications – de 1945 à 2021, autour de sept événements marquants qui font communion et donnent le sentiment d’appartenir à une nation commune : des discours mythiques ( de Churchill, du roi Georges V pour célébrer la victoire majuscule du 8 mai 1945 ), des épisodes liés à la famille royale ( couronnement d’Elisabeth II en 1953, mariage de Charles et Diana en 1981, mort de cette dernière en 1997 ) ou sportif ( sacre de l’équipe anglaise à la coupe du monde de 1966 ).



On sent bien les coutures du récit, mais le talent de conteur est là pour faire traverser le temps aux personnages. Même si c’est parfois frustrant de les voir vieillir en accéléré, l’auteur orchestre parfaitement son archipel de personnages pour radiographier une société anglaise qui s’effrite au fil des années. Le casting est impeccable, concentré identitaire large spectre, avec la dynamique Mary comme cœur central : son mari taiseux qui se révèle xénophobe, leurs fils si différents, de Jack le nationaliste tory pro-Brexit à Martin libéral europhile convaincu ou Peter, le musicien qui découvre son homosexualité sur le tard, entre autres parmi la trentaine de personnages qui peuplent ce roman. Quatre générations dont les succès, les mésaventures et les divisions reflètent les changements post Deuxième guerre mondiale.



Le sens de la comédie de Jonathan Coe est également bien présent avec notamment un portrait croquignolet de « Boris » que l’on découvre avant sa nomination comme Premier ministre lorsqu’il était journaliste dans plusieurs grands quotidiens et brillait par ses articles corrosifs sur l’Union européenne. Les passages les plus drôles du roman sont justement liés à la question européenne avec en son cœur la Guerre du chocolat qui durant une trentaine d’années a opposé les lobbystes britanniques à la Commission européenne qui interdit l’importation de chocolat britannique ( Cadbury en tête ) en provenance du Royaume-Uni jusqu’en 2003, refusant de le considérer comme du chocolat à cause de son adjonction de matières grasses végétales. Les joutes de la commission européenne autour de la question de l’étiquetage donnent lieu à un compte-rendu aussi savoureux que cocasse.



Si l’ensemble manque un peu de mordant et d’intensité - peut-être un peu longuet aussi - on prend un grand plaisir à revisiter l’histoire anglaise à travers le portrait tendre de la famille de Mary. Sur la fin du roman, époque post Brexit, on sent la colère de l’auteur, mais une colère feutrée qui laisse entrevoir lassitude et tristesse. Les passages consacrés à Mary octogénaire confinée, privée de la visite de ses enfants et petits-enfants sont assez bouleversants. Notamment le chapitre intitulée « le sommet du crâne de ma mère » où le regard de son fils Peter s’attarde sur cette partie du corps – la webcaméra de sa mère étant mal orientée – qui révèle toute la décrépitude d’un corps vieillissant.



Le roman gagne alors en en profondeur et invite le lecteur dans une réflexion quasi proustienne sur le temps qui passe qu’il faut essayer de se réapproprier. Ce qui bouge, ce sont les choses les plus superficielles mais qui dans le temps présent sont prégnantes ( qui gouverne, qui trône, qui a gagné la coupe du monde de football ). Mais ce qui reste stable et constant, ce sont les petits moments d’intimité chargés de sentiments profonds, ancrés à jamais par la puissance des souvenirs capables d’arrêter le temps, le suspendre et de le retrouver.



Sans doute pas le meilleur Coe mais Royaume désuni est un roman plein de charme qu’on lit comme dans une bulle ouatée, avec beaucoup de plaisir.





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Mr Wilder et moi

Micheline, tu peux rajouter un cinq étoiles dans ton guide !

Je ne sais pas si c’est le manque de restaurants, mais j’étoile plus qu’un astronome insomniaque en ce moment, prêt à éclipser Hubert Reeves.

Je n’ai pas eu besoin de sept ans de réflexions pour me lancer dans la lecture du dernier roman de Jonathan Coe dès sa sortie du four. Certains l’aiment chaud.

Après avoir comparé le Brexit à un gouffre aux chimères dans « Le Cœur de L’Angleterre », l’auteur a retiré sa veste de témoin à charge pour nous offrir une merveille de faux biopic pas très bio du réalisateur mythique Billy Wilder.

En avanti pour un voyage nostalgique ! En 2013, Calista, une quinqua d’origine grecque qui voit ses deux enfants quitter le nid et le succès de ses musiques de films emprunter le boulevard du crépuscule, se remémore sa rencontre fortuite avec l’immense réalisateur aux Etats Unis dans les années 70. Sa candeur séduit le maître qui l’embauche comme assistante sur le tournage de son dernier grand film, « Fedora », qu’il tourne en Europe et dans une île grecque.

Ce roman est un chef d’œuvre d’humour et d’élégance. Jonathan Coe s’est rabiboché avec la comédie et il ne cache pas son immense admiration pour ce réalisateur. L’histoire met en lumière également Diamond, scénariste légendaire et taciturne de Billy Wilder. Les dialogues sont dignes de ses films.

Deux scènes qui se déroulent dans des restaurants (et oui, mon incipit n’était pas totalement innocent) à Los Angeles et à Munich servent de pivots à l’histoire et constituent pour moi deux grands moments de littérature. Le premier repas aux States offre des joutes raffinées irrésistibles sur la fin de l’âge d’or Hollywoodien et sur ces nouveaux réalisateurs barbus des années 70 dont les requins aux dents longues dévorent le cinéma de papa. En Allemagne, échaudé par un jeune homme doutant de l’ampleur de l’Holocauste, Billy Wilder se met à table et raconte ses heures à visionnées en Angleterre toutes les images insoutenables des camps de concentration à la fin de la guerre à la recherche de sa mère, disparue et déportée. Pas d’assurance sur la mort. Racontée sous la forme d’un scénario, la description de cet épisode est prodigieuse. Un grand moment de lecture.

Ce livre très documenté est aussi l’occasion de décrire des anecdotes savoureuses de tournages, l’échec de certains de ses films comme la vie privée de Sherlock Holmes, l’exigence tatillonne du réalisateur, ses amours passés et sa lucidité sur le point de bascule entre célébrité et postérité.

Le personnage de Calista peut paraître un peu fade au fil du récit. Douce comme Irma et souvent un trop naïve, pas du genre à dire au garçon qui lui plait : Embrasse-moi idiot ! Ce n’est pas la Scandaleuse de Berlin et sa robe de cocktail ne se soulèvera pas au-dessus d’une bouche bée d’aération du métro mais je pense que ce rôle un peu effacé est une volonté de l’auteur. Dans ce récit, la narratrice a comme le lecteur un rôle de spectatrice.

Ce roman est une garçonnière pleine d’esprit, de répliques cultes, délices pour mes papilles acidulées. Ni un, ni deux, ni trois, je relirai ce roman un paquet de fois. C'est Coe mique.

Il ne me reste plus qu’à revoir ou découvrir Fédora, Sabrina et la dizaine de films de Billy Wilder dont j’ai glissé les titres dans ce petit billet.





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Testament à l'anglaise



Et bien dites donc , il y a des testaments bien agréable à découvrir, si vous en doutez, prenez celui de Jonathan Coe. Le natif de Birmingham nous donne une nouvelle fois une sacrée leçon de littérature. Une vieille dame Miss Winshaw contacte Michael Owen pour mettre sur papier l’histoire de sa famille. Et c’est pas du joli. Oh que non !!! C’est parti pour 672 pages de plaisir. Tout ce que j’aime chez Coe et en général chez les auteurs anglais y est réunit, un jeu des familles, ou de quilles au choix, ou chaque membre rivalise pour être plus pourri que son voisin. Le talent narratif de Coe fait merveille, épaisseur des personnages, intrigues et rebondissements savamment dosées, final génial, cette satire des années Thatcher est jouissif au possible, les pages défilent avec une facilité déconcertante. Thatcher la dame de fer, Coe un auteur en or. Prix Fémina 1995.

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Le coeur de l'Angleterre

Si vous n'avez pas vraiment suivi comment la Grande Bretagne est finalement arrivée au Brexit ou si, comme moi, vous l'avez suivi un peu superficiellement, alors une solution s'impose, pas un effort titanesque, non, ni une lecture ennuyeuse ou pédagogique, pas du tout. Il suffit de se plonger dans le coeur de l'Angleterre de Jonathan Coe pour savoir comment on est arrivé là, car c'est la question qui est posée tout au long de ce roman.

Celui-ci débute en avril 2010 avec les obsèques de la femme de Colin, Sheila, avec qui il a vécu 55 ans. Celui-ci, 82 ans, conservateur depuis 1950, repart, la réception terminée, avec son fils Benjamin plutôt indécis vis-à-vis des élections qui ont lieu dans une semaine, déclarant même qu'il ne voterait peut-être pas. La soeur de Ben, Loïs accompagnée de sa fille Sophie les rejoint chez ce dernier. L'autre frère, Paul, est reparti sur Tokyo car il est fâché. Doug, l'ami journaliste de Ben est présent aussi. Les principaux personnages nous sont donc présentés dès ce premier chapitre et au fil du roman, s'en ajouteront bien d'autres tout aussi intéressants. Ainsi, au moyen d'une fiction, par le biais d'une famille agrandie aux amis et connaissances, Jonathan Coe réussit de façon magistrale à nous faire vivre ce qu'ont été ces années plus que difficiles qui ont précédé ce fameux 24 juin 2016 où a été annoncé que les britanniques s'étaient prononcés contre le maintien de leur pays dans l'Union européenne et où David Cameron avait démissionné de son poste de Premier ministre. J'avais craint, n'ayant pas lu les deux précédents, Bienvenue au club et Cercle fermé d'avoir quelques problèmes de compréhension, mais il n'en a rien été, le coeur de l'Angleterre peut se lire séparément sans aucun problème. Ce roman couvre quasiment une décennie, d'avril 2010 à septembre 2018. Il retrace la vie politique économique et sociale de toutes ces années en jalonnant son récit de certains évènements marquants comme les violentes manifestations de 2011, la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques du 27 juillet 2012 ou encore l'attentat contre la députée Jo Cox en juin 2016. le lecteur n'est jamais perdu car la plupart des chapitres sont précédés d'une date. Il est intéressant et instructif de voir que chacun est impacté par la politique, de façon différente selon sa sensibilité mais que nul n'y échappe.

L'auteur montre très bien comment, progressivement, et notamment avec le chômage de plus en plus important, s'est creusé l'écart entre les classes populaires et les élites, comment sont nés la peur du lendemain, le repli sur soi, la méfiance vis-à-vis de l'étranger et des migrants, le tout finissant par engendrer la révolte.

C'est une triste réalité que nous dépeint Jonathan Coe avec cette satire sociale. Par bonheur, les différents liens d'amour, les relations familiales ou amicales tissés entre les personnages leur permettent de traverser cette vie pas toujours simple à appréhender. Se dégagent de ce roman une mélancolie et un sentiment de nostalgie sur le temps qui passe qui m'ont beaucoup touchée.

C'est un ouvrage que j'ai trouvé particulièrement plaisant à lire et que je recommande chaleureusement. Il peut se lire sans problème, indépendamment des deux premiers.

Bien mieux que toutes les analyses politiques, le coeur de L'Angleterre est le livre à lire pour comprendre l'époque dans laquelle on vit et ce fameux Brexit qui n'a pas encore révélé toutes ses conséquences.

Je conseillerais donc vivement ce triptyque : Bienvenue au club, le cercle fermé et le coeur de l'Angleterre à tous ceux qui voudraient avoir une vue politique d'ensemble des années 1970 à 2019, de l'Angleterre, bien sûr, mais de notre vie à tous. Une manière très agréable et très enrichissante de faire le point !

À noter la très belle et très explicite jaquette !

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Testament à l'anglaise

Bienvenue au royaume d'Angleterre. Madame Thatcher gouverne le pays d'une main de fer. Souvenez vous des années quatre vingt quatre vingt dix, c'était hier.

Quand à la famille Winshaw ce ne sont pas les scrupules qui les étouffent, ils sont partout, la politique, l'économie….

Gare à celles et ceux qui se trouvent sur leurs chemins.

Michael Owen, écrivain en mal d'inspiration, personnage peu loquace, bourré de complexe se voit confier par Tabitha Winshaw la doyenne d'écrire une chronique sur sa famille.

Jonathan Coe nous raconte dans son roman "Testament à l'anglaise" un pan de l'histoire britannique.

Quel talent !!! ce roman est un puzzle, chaque pièce est à sa place, comme les personnages, les situations, tous s'imbriquent et nous lecteur nous suivons Michael dans ce labyrinthe, ce nid de serpent, pour finir par un Cluedo grandeur nature.

Jonathan Coe a un style caustique acerbe, pas tendre avec " l'establishment".

Pour mon premier roman de cet auteur j'ai été gâté, écrivain à suivre…..
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Le Royaume désuni

God save the chocolate !

Quoi de mieux qu’un roman politique pour s’échauffer avant un réveillon de Noel et préparer les débats de haut niveau qui s’annoncent entre le tonton facho, la belle sœur qui veut sauver le chapon non genré et l’ado à la pensée twitterisée. Autant d’idéologies portées après quelques bulles avec la délicatesse d’un goal argentin.

Jonathan &Coe nous avait déjà fait le coup avec brio dans « le Cœur de l’Angleterre », Brexit désoblige. L’auteur reprend un peu la même construction de son Légo historique. Il découpe son récit à partir de plusieurs évènements, du jour de la Victoire le 8 mai 45, en passant par le couronnement de la reine, avant un crochet par la finale de la coupe du Monde en 66, puis un détour par le mariage arrangé de Charles, pour faire le pont jusqu’aux funérailles de Lady Diana et finir masqué à l’aube de la pandémie.

Spécialiste des petites histoires dans la grande, l’auteur commente ces moments à priori fédérateurs à travers les destins de trois générations d’une famille aussi dysfonctionnelle que le pays, d’où le titre un peu lourdingue mais évocateur du roman. Chacun a ses idées, conservatrices, progressistes, je m’enfoutistes ou opportunistes, et aborde ces moments d’union nationale gonflé de ses convictions. Les liens du sang ne transfusent pas les mêmes idées.

En VO, le roman s’intitule Bournville, du nom d’une bourgade proche de Birmingham, racine de l’arbre généalogique de la family et siège d’une chocolaterie dont la renommée ne tient pas à sa teneur en cacao.

Jonathan Coe excelle toujours dans les dialogues qui sonnent justes, les non-dits assourdissants, les cessez-le-feu fragiles et les sarcasmes entre gens bien élevés.

A travers des personnages très bien construits qui grandissent, s’aiment, meurent mais ne changent pas trop d’avis, il glisse des blessures personnelles comme la perte de sa mère, privée du soutien de ses enfants à cause du Covid dans ses derniers instants ou de souvenirs d’enfance avec l’arrivée de la télévision dans les foyers. Il en profite aussi pour aborder l’ascension de Boris Johnson, l’épouvantail à euros.

Ce récit est une belle tranche d’histoire à hauteur d’homme et à quelques mois près, il n’aurait pas manqué d’ajouter un chapitre pour aborder le retentissement du décès de la Queen « Stabylo ».

Avec son ironie, il n’est pas étonnant que Jonathan Coe soit un des écrivains actuels anglais préféré des français. En tout cas, c’est le mien.

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Le coeur de l'Angleterre

Deux ans après la crise financière qui a secoué le monde et engendré une ligne de fracture abyssale partout en Europe, les Britanniques sont profondément divisés par un fossé culturel et social. Le racisme et la xénophobie sont de plus en plus virulents, les riches sont de plus en plus riches, les pauvres de plus en plus pauvres, la classe moyenne se sent victime et a le sentiment qu'on ne l'écoute pas. Quant aux antagonismes de partis, la plupart des Anglais n'en veulent plus, et certains sont tentés par le nationalisme que défendent les populistes.



Sans aucun doute Jonathan Coe essaie de comprendre son pays. Ainsi, alors qu'en ce moment les pour et les contre Brexit s'y affrontent, sous l'angle de Benjamin, Doug, Sophie et les autres, il nous invite à découvrir dans la dernière décennie les racines de la dérive britannique (qui est aussi celle d'autres pays européens). Éclairante et un brin mélancolique, une analyse pertinente, drôle et pleine de recul de la crise anglaise que seul un Britannique lucide et ouvert au monde, tel Jonathan Coe, pouvait offrir à ceux qui s'interrogent sur celle que des Français du XVIIe siècle ont nommé la Perfide Albion...
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Le coeur de l'Angleterre

Plonger au cœur de l’Angleterre des années 2010 est une aventure très instructive, prenante, émouvante et riche en rappels précis de la vie politique de ce pays.



Dans Le cœur de l’Angleterre, Jonathan Coe redonne vie à des personnages créés dans ses précédents romans, Bienvenue au club et Cercle fermé. Je ne les ai pas lus, hélas, et cela m’a gêné un peu au début pour situer chacune et chacun car on gravite au sein d’une même famille, la famille Trotter, qui est de Birmingham, dans ces Midlands qui subissent les fermetures d’usines, le chômage et où un ressentiment, pour ne pas dire plus, envers les étrangers, va grandissant.

Colin a quatre-vingt-deux ans. Il vote conservateur depuis 1950. Parmi ses enfants, Benjamin a cinquante ans et vit seul. Lois, sa sœur, est la mère de Sophie qui se fait flasher en excès de vitesse. Plutôt que de perdre des points sur son permis, elle choisit de suivre un stage et tombe amoureuse de Ian, le formateur.

Doug est un autre personnage important du livre. Il a fait ses études avec Benjamin et il est devenu un chroniqueur politique réputé. Grâce à un sous-directeur à l’information du gouvernement, il connaît tous les dessous de la vie politique de son pays qui, après le succès des conservateurs (tories) aux législatives, fait face à des émeutes dans les plus grandes villes, en 2011. Certains, comme Ian, y voient un conflit racial.

Pendant ce temps, Benjamin se décide à montrer à Philip, un ami, son projet littéraire. Après un élagage sérieux, il est édité sous le titre Une rose sans épine, et finit par créer la surprise…

Ainsi, je me suis peu à peu passionné pour la vie de ces gens, leurs rencontres, leurs amours, leurs succès, leurs échecs et j’avoue que tout cela est bien mené, varié, avec beaucoup de maîtrise. L’auteur ne cache pas son amour pour la France, situant une belle séquence à Marseille et dans les îles du Frioul, plus une scène finale qu’il ne faut pas divulgâcher.

Enfin, l’essentiel, c’est ce fameux Brexit dont l’auteur permet de comprendre la préparation avec campagne médiatique jouant sur les ressorts du patriotisme et la force du monde des affaires. David Cameron a commis une lourde faute en lançant ce référendum qui l’a contraint à la démission du poste de Premier Ministre mais, rassurez-vous, tout va bien pour lui puisqu’il s’est mis ensuite à rédiger ses mémoires et à donner des conférences à 120 000 dollars l’heure.

Au fil de ma lecture, je n’ai pas pu m’empêcher de sourire en lisant que le gouvernement de Theresa May avait fixé la date butoir pour le retrait de la Grande-Bretagne de l’Union européenne au 29 mars 2019.



Lors de son intervention aux Correspondances de Manosque, Jonathan Coe rappelait que le Premier Ministre actuel, Boris Johnson, journaliste auparavant, avait pendant vingt ans, écrit des articles satiriques, moqueurs contre l’Europe. Comme un autre personnage, il animait un show télévisé et passait pour un homme sympa, drôle. Suivant son modèle d’outre-Atlantique, il joue les durs, maintenant.

Le cœur de l’Angleterre, au travers de destinées professionnelles et familiales, allant jusqu’à une intimité émouvante, montre bien la fracture générationnelle en cours dans ce pays où les plus de soixante-cinq ans ont fait basculer le référendum alors que la majorité des jeunes voulaient rester dans l’Europe. Cela n’empêche pas l’humour comme lors de la séance de golf car l’auteur qui ne jouait pas mais dont le frère était professionnel, n’a pas oublié ces séances interminables durant lesquelles il devait porter les clubs de tout le monde…



Très Anglais et très Européen, Jonathan Coe est très triste devant ce qui se passe et son livre m’a éclairé sur bien des points ressortant régulièrement dans l’actualité. Le cœur de l’Angleterre est un livre important à lire pour comprendre notre époque.
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Le cercle fermé

Lecture faite de Bienvenue au club, je n'avais qu'une hâte, lire la suite pour savoir ce qu'étaient devenus les jeunes héros. le cercle fermé me les a donc fait retrouver une vingtaine d'années après, à l'approche du nouveau millénaire.

J'ai donc pu rencontrer à nouveau avec plaisir Benjamin Trotter, toujours un peu décalé, son frère Paul élu maintenant député travailliste, leur soeur, Loïs, incomplètement remise de la mort de Malcolm, Doug devenu journaliste, Philip également, mais divorcé De Claire qui elle revient d'Italie et a toujours du mal à accepter la disparition de Miriam, sa soeur, disparue 20 ans plus tôt. J'ai retrouvé également Culpepper, Steve Richards, Hardings et d'autres encore. À cette liste de quadras s'ajoutent leurs conjoints ou conjointes, leurs enfants, bref un beau panel de personnages. C'est à travers l'histoire de tous ces personnages et en nous racontant leur vie avec leurs succès ou leurs désillusions que Jonathan Coe va réussir à nous faire participer à la vie durant ces années et à accéder à la grande Histoire. C'est ainsi que, le roman débutant en décembre 1999, nous revivons avec Benjamin cette crainte des dernières heures du millénaire où tous les systèmes informatiques du monde avaient le risque d'être anéantis.

Si l'auteur a dénoncé les années Thatcher dans Bienvenue au club, il n'y va pas non plus de main morte avec Tony Blair. La mondialisation s'impose, la plus grande manifestation depuis les années 70 a lieu avec la fermeture annoncée de Rover, filiale de BMW. L'invasion de l'Irak est source de division et on assiste à un regain de popularité pour l'extrême-droite.

Difficile donc pour nos héros souvent en prise avec les fantômes du passé, de se faire une place et de réussir leur vie privée et leur vie professionnelle.

Beaucoup de mélancolie et de tendresse dans ce livre mais aussi, comme souvent avec l'auteur, beaucoup d'humour. En effet, comment ne pas céder au rire lorsque Doug explique à Benjamin, la règle mise en place entre lui et sa femme Frankie et qu'il appelle la règle du sexe : "Un jour sans sexe pour chaque gros mot ordinaire. Deux jours pour P..., et trois jours pour e...".

Avec ces deux romans, Jonathan Coe livre une fresque aboutie de notre époque et nous oblige à la revisiter consciencieusement pour en distinguer toute la cruauté et tout ce qui va pouvoir en découler.


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Testament à l'anglaise

Dans ce roman jubilatoire Jonathan Coe vous propose entre deux « cups of tea » « a cup of poison ». Ce poison là est distillé tout le long du récit par les abjects membres d’une illustre famille d’aristocrates : les Winshaw sur lesquels Michael Owen un écrivain méconnu sera chargé d’enquêter afin de rédiger une biographie. Michael est une sorte d’anti-héros dépressif et solitaire, obsédé depuis l’enfance par un film étrange. C’est Tabitha Winshaw la vieille tante démente qui le charge d’écrire sur son « épouvantable famille » car elle est persuadée que le décès de son frère Godfrey, pilote de guerre abattu en vol par l’armée allemande, est l’œuvre de son frère aîné Lawrence qu’elle exècre et soupçonne de trahison. J.Coe porte à travers eux un regard acerbe sur l’establishment et sur la société britannique Tatchérienne. Mêlant satire socio-politique et roman policier le récit alterne habilement entre des chapitres consacrés à chacun des membres de la famille et le récit plus intimiste du loser Michael Owen. Il nous emmène dans leur sombre manoir familial au cœur de la lande brumeuse rencontrer cette dynastie d’arrivistes à l’arbre généalogique gangrené par la cupidité et dont le blason pourrait être un rapace. Il faut dire que ses membres repèrent l’odeur de l’argent à des kilomètres à la ronde et en bons opportunistes tournent sournoisement avant de fondre sans pitié sur leurs proies. On y croise un galeriste manipulateur, un politicien véreux, un banquier corrompu, une journaliste sans scrupules, un trafiquant d’armes, une cheffe d’entreprise d’élevage intensif menant son petit monde à la cravache, un agent double…Une lignée bien ancrée dans la vie économique, médiatique et politique du pays, une lignée bien pourrie. On les suit des années 40 au début des années 90. Hypocrites, menteurs, hautains, sans foi ni loi, les traits sont outranciers et permettent ainsi à l’auteur de flirter volontairement avec la caricature. S’ajoutent à ce cocktail acide des situations rocambolesques à souhait et cet humour décalé « so british ». C’est un roman foisonnant et labyrinthique qui mélange adroitement les styles narratifs et utilise magistralement la mise en abyme.Une place de choix est faite aussi aux personnages secondaires comme le vieux détective Findlay, formé aux méthodes de Sherlock Holmes et d’Hercule Poirot qui connaît les Winshaw et vient prêter main forte à Michael où encore à la femme qui le sortira de sa torpeur.

J’ai particulièrement aimé la dernière partie, impossible à lâcher, alors que le testament va être lu et qu’ils sont tous réunis dans le vieux manoir une nuit d’orage dans une atmosphère rappelant celle de « dix petits nègres » d’Agatha Cristie où se jouera une grande partie de Cluedo (jeu que le narrateur affectionne). La nuit sera riche en frayeur, meurtres sordides et rebondissements jusqu’aux révélations finales et la dernière scène aussi délirante que prenante est totalement jouissive. What do you expect to read it? Go for it!
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Bienvenue au club

Avec ce premier volume, Bienvenue au club, qui aura une suite, Jonathan Coe nous fait vivre dans l'Angleterre des années soixante-dix. le roman débute néanmoins en 2003 au restaurant situé au sommet de la tour de télévision qui surplombe l'Alexander-platz, à Berlin, avec deux jeunes gens, Sophie et Patrick, qui s'apprêtent à dîner. La mère de Sophie et le père de Patrick s'étaient connus il y a bien longtemps. Heureux de se croiser, ils souhaitent se retrouver seuls et laissent leurs enfants faire connaissance. Ceux-ci, un peu intimidés mais ayant en commun le passé de leurs parents, décident. d'en parler et Sophie propose même :" On va remonter le temps. Jusqu'au tout début. Jusqu'à un pays qu'on serait sûrement incapables de reconnaître. l'Angleterre de 1973."

Dans son roman, l'auteur va nous faire suivre, à Birmingham, la vie d'une série de jeunes gens durant leurs années de lycée à l'institution King William ainsi que celle de leurs parents. Ils ont tous une forte personnalité et représentent bien ce que la société peut avoir de bien et de moins bien. C'est un livre où l'on rit beaucoup, notamment aux frasques de certains étudiants et les joies de la libération sexuelle sont bien évoquées. Pourtant la situation est souvent sombre avec la montée du thatchérisme, le nationalisme anglais, la montée de l'extrême-droite, la terreur semée par l'IRA, les conflits sociaux de plus en plus fréquents avec la récession en ligne de mire et les syndicats qui commencent à perdre de l'influence. C'est également la naissance de la société de consommation.

Jonathan Coe, dans cette plongée dans les années 1970 britanniques nous livre le magnifique tableau d'un pays en pleine mutation, une fresque un peu nostalgique peut-être, où la petite histoire est intimement mêlée à la grande. Ce roman m'a parfois fait penser à celui de Thomas B. Reverdy, L'hiver du mécontentement, également très pertinent.

Un beau moment de lecture très instructif.


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Le coeur de l'Angleterre

Le cru 2019 de Jonathan Coe s’inscrit dans l’actualité encore brûlante puisque le brexit ne cesse de faire couler l’encre, jour après jour, pour savoir comment extirper cette balle dans le pied que les anglais se sont tirée presque malgré eux.



Bien entendu, il s’agit d’un roman et l’on retrouve des personnages déjà croisés dans Bienvenue au club, il y a quelques années. Et c’est un vrai plaisir de les voir débattre, nouer des alliances, se séparer pour mieux se retrouver au fil d’un quotidien ordinaire. Ils sont assez nombreux, autour de Benjamin, l’ermite au bord de la rivière, sa famille, ses amis, ses relations sociales. Et tout se joue autour de l’écriture de son roman, oeuvre entamée des années plus tôt et alimentée sans tri sélectif au point de se retrouver avec un pavé illisible. Ce qu’en fera son éditeur est à mourir de rire.



Grand moment aussi que l’ouverture des Jeux Olympiques, Il n’y a que Jonathan Coe pour retranscrire cette ambiance particulière, où pour quelques minutes tous les anglais se sont retrouvés soudés devant le même spectacle.



Pas de prise de position pour les Leave ou les Remain, mais une savante analyse de la situation et de sa complexité. Les politiques ne sont pas épargnés : un peu d’ironie n’a jamais tué personne.



L’humour est en effet là, parfois amer, jamais méchant, mais imprégné de ce qui fait le charme de cette spécialité britannique.





Grand plaisir donc de parcourir ces pages, et le roman ne dénote pas parmi les autres. Les fans apprécieront et les nouveaux venus auront un aperçu fidèle du talent de l’auteur.
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La pluie, avant qu'elle tombe

Gill apprend brutalement la mort de sa tante Rosamond. Elle décide de se rendre seule dans le Shropshire afin d'organiser les obsèques, son mari Stephen ne pouvant se libérer. C'est le médecin traitant de la vieille dame qui l'a retrouvée raide morte dans son fauteuil. C'est en compagnie de sa famille, son mari, son frère David, son papa Thomas et ses deux filles Catharine et Elizabeth qu'elle assiste à l'enterrement. A la fin de la cérémonie, Gill est surprise d'entendre le médecin lui dire que l'électrophone, branché sur un magnétophone, était encore en marche lorsqu'elle est entrée dans la maison. Toute la petite famille rentre alors dans l'Oxfordshire. Pour l'occasion, les deux filles décident de passer le week-end chez leurs parents. Ils discutent alors de la clause du testament: Rosamond, n'ayant jamais eu d'enfant et sa compagne Ruth étant décédée depuis quelques années, elle a partagé ses biens en trois parts égales: 1/3 respectivement pour Gill, David et Imogen. Cette dernière, une cousine très éloignée, n'a pourtant laissé que très peu de souvenirs à Gill puisqu'elle ne l'a vue qu'une seule fois, lors des 50 ans de sa tante. Elle ne comprend pas son geste, la petite fille, aveugle, n'avait que 7 ou 8 ans. Aussitôt, aidée de ses filles, elle se met en tête de retrouver la petite fille et décide de retourner chez sa tante pour trier ses affaires. Arrivée dans cette maison si froide, elle découvre quatre cassettes enregistrées que Rosamond a laissées à l'intention d'Imogen mais elle ne peut pas les écouter tant qu'elle n'a pas retrouvé cette dernière. Malgré des recherches et des annonces passées dans les journaux, aucune trace d'Imogen. Aussi quelques mois plus tard, alors qu'elle se rend à Londres chez ses filles, elles décident d'écouter les bandes. de sa voix fébrile et fantomatique, Rosamond fait dérouler le fil de sa vie. Pour ce faire, elle a choisi de décrire 20 photos pour expliquer à Imogen sa vie et, de ce fait, la sienne...



L'on suit avec passion et grand intérêt le destin de trois générations de femmes, des années 1930 aux années 1980. Trois femmes dans la tourmente, trois femmes emplies de rage mais aussi d'envie de vivre plus que tout, engoncées dans leur rôle de mère. Jonathan Coe traite ici d'un thème particulièrement original, à savoir notre destin serait-il relié aux générations précédentes ? Ne sommes-nous pas finalement liés entre nous et notre vie serait-elle orientée ? L'auteur, présentant ainsi 20 photos, réussit à merveille à décrire le destin de chacune, la trame pouvant être assez risquée. Mais l'on tourne les pages de cet album de photos avec délectation. D'une écriture fine, intime et mélancolique, il nous livre un mélodrame empli de poésie, poignant et tout en délicatesse.

Et que dire de ce titre aussi lyrique et touchant...



La pluie, avant qu'elle tombe, caresse le soleil...
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La vie très privée de Mr Sim

Privée… de tout, mais privée quand même, la vie très privée de Mr Sim mise en scène par Jonathan Coe livre une singulière métaphore de cette « Ultra Moderne Solitude » évoquée déjà, en chanson, à la fin des années quatre-vingt (mais si... tu sais, un barde hexagonal avec plein de cheveux... ça va te revenir).



Avec pour seuls compagnons de route une dépression rampante et un GPS à la voix féminine troublante, Maxwell Sim entreprend un impossible périple automobile à travers l'Angleterre, prétexte pour J. Coe à une satire sociale sarcastique autour des fêlures et naufrages de son anti-héros en perte de repères. Comme une politesse du désespoir, son humour tout en retenue pousse la réflexion jusqu'à l'ironie, y compris dans l'ultime page du roman qui s'achève sur un double épilogue original et pour le moins déroutant.



Pas précisément comique, quoi qu'en aient pensé certains lecteurs, mais habile et touchant, très certainement.




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Le coeur de l'Angleterre

Par ici la sortie !

Ce roman, c’est le Mappy du Brexit, la carte Michelin de la transhumance de l’indécise Albion vers elle-même.

Les battements du cœur de l’Angleterre sont aussi anarchiques que ceux des personnages qui poursuivent Jonathan Coe depuis Bienvenue au Club et Le Cercle Fermé. Après avoir fait trotter la famille Trotter dans les années Thatcher et Blair, il leur fait traverser la période Cameron, celui qui eut la lumineuse idée, tous phares éteints, d’organiser le référendum qui aboutira au Brexit.

A défaut de prescrire un médicament efficace à son pays, l’auteur fait défiler la chronologie de ces dernières années et décrit les symptômes à cette crise à travers trois générations, toutes traversées par des fractures amoureuses, sociales et historiques.

Côté troisième âge… de pierre, Colin, récent veuf, qui ne comprend plus grand-chose au monde qui l’entoure, se replie dans ses souvenirs et Héléna, une belle mère possessive et acariâtre qui rejette tous ceux qui ne sont pas made in England.

Côté quinquas blasés et usés, il y a Benjamin, l’alter ego de l’auteur, écrivain mélancolique et désengagé qui suit le mouvement comme le spectateur d’un match entre deux équipes dont il n’est pas supporter. Sa sœur, Lois, est aussi restée bloquée dans l’ascenseur du passé et elle choisit la fuite pour retrouver un petit gout à la vie.

Le personnage le plus passionnant du roman est Sophie, jeune universitaire qui s’amourache d’un instructeur d’auto-école, Ian. Ils n’appartiennent pas au même monde : son compagnon lui reproche sa vision progressiste, elle craint sa dérive populiste.

Si vous rajoutez un clown désabusé, des jeunes idéalistes, un conseiller politique hors sol et un chroniqueur engagé, vous obtenez une jolie galerie de portraits d’un peuple qui parle la même langue mais qui ne se comprend plus. Des anglais qui ressemblent à des français. D’un côté, des intellectuels dopés aux grands principes, de l’autre, des sujets de sa gracieuse majesté qui ont l’impression que la Manche n’est plus assez étanche.

Jonathan Coe réussit à orchestrer ce chœur qui ne chante pas à l’unisson en articulant son récit autour des événements qui ont marqué son pays depuis 10 ans. Ils sont superbement abordés à travers le regard subjectif des différents personnages. Il décrit ainsi avec la même subtilité et la même émotion la communion de tous les Britanniques lors de l’ouverture de JO de 2012, les attentats de Londres, le choc causé par le meurtre en 2016 de Jo Cox, députée travailliste et le référendum.

Jonathan Coe est un romancier, pas un journaliste. Il ne s’agit pas d’une simple chronique politique dont les personnages ne seraient qu’un prétexte à défendre une opinion.

L’auteur ne cache pas son hostilité au Brexit mais il ne juge pas ses personnages. Il n’accable ni n’épargne personne. Il semble surtout intéressé par le temps qui passe et l’impact de ces bouleversements politiques sur la vie de ses personnages. Est-il possible de s’aimer quand on ne partage plus la même vision du monde ?

Tout cela serait vraiment trop sérieux si l’auteur n’était pas Jonathan Coe, romancier mélomane qui glisse une bonne dose d’humour et d’ironie dans des scènes improbables. Les échanges entre le journaliste Doug et sa taupe, conseiller politique de David Cameron atteignent des sommets dans le burlesque. Il parvient même à rendre une scène de panne sexuelle orgasmique.

C’est le roman du Brexit et du cœur blessé de l’Angleterre. J’ai adoré.



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Testament à l'anglaise

Prix du Meilleur Livre Étranger 1996, ce livre est un petit bijou. C'est le deuxième livre que je lis de Jonathan Coe, le premier étant "Billy Wilder et moi" que je vous recommande également.

"Testament à l'anglaise" est un roman tellement fou que je ne sais comment vous le résumer. Il fait partie de ces livres où les récits se mêlent les uns aux autres sans que cela paraissent brouillons ; Bien au contraire, tout s'imbriquent avec l'exactitude d'une horloge suisse.

Notre héros, Michael Owen, est un écrivain au tempérament dépressif et agoraphobe. Après avoir écrit deux livres, l'inspiration n'y est plu et il reste enfermé chez lui à visionner toujours le même film qu'il avait vu la première fois à l'âge de neuf ans mais n'avait pas vu la fin. Le genre de film qui l'obsède.

Un jour il reçoit de son éditeur une commande pour écrire une chronique sur la famille Winshaw. C'est une illustre famille, une dynastie je devrais dire, qui est célèbre dans les domaines de la vie publique en Angleterre dans les années 80. Elle brille par ses coups bas, ses profits sans vergogne et ses ambitions dévorantes.

C'est l'aînée de cette famille, Tabitha Winshaw, qui fait cette commande et qui soupçonne que ces tragédies familiales ont été déguisées en meurtres.

Chaque chapitre est consacré à un membre de la famille Winshaw et un arbre généalogique y est imprimé pour mieux s'y retrouver.

A la fois un roman historique pendant les années Thatcher et pendant le conflit irakien de Saddam Hussein mais aussi à la fois roman policier. Le dernier chapitre est délicieux et fait penser aux romans d'Agatha Christie. Les scènes se passent dans un immense château en pleine nuit avec l'orage qui gronde...Voilà pour l'ambiance de la fin de ce roman.

Une bien belle découverte que je vous recommande.
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La Maison du sommeil

Je viens de relire ce roman, mais peut-on réellement parler d’une relecture quand on n’a finalement aucun souvenir du livre en lui-même ?

Depuis quelque temps, je m’aperçois que les livres lus et aimés il y a 20 ans ne sont finalement plus que de vagues souvenirs, comme une brume au dessus d’un étang. Je n’ai pourtant aucune maladie qui détruit ma mémoire, je ne suis pas particulièrement stressée ou fatiguée, je n’ai pas 88 ans (seulement la moitié)…peut-être que je lis trop…en tout cas, ça signifie que je me prépare des années de belles lectures, je n’ai qu’à ressortir des étagères tous les romans lus pendant ma jeunesse pour me régaler à nouveau !

Autant le prendre avec le sourire…

La maison du sommeil fait donc partie de ces livres dont je ne gardais absolument aucun souvenir concret, pas une scène, pas un prénom, pas une répartie, pas une image…alors que ces jours-ci, je l’ai dévoré avec avidité.

En vrac, on y trouve une bâtisse impressionnante qui sert de clinique pour les troubles du sommeil, mais ayant été une résidence d’étudiants des années plus tôt.

Divers personnages vont venir se présenter à nous, que ce soit des étudiants résidant à Ashdow, la résidence sur la falaise, ou des patients et membres du personnel de la clinique spécialisée.

On a l’impression d’assister à un chassé-croisé un peu hypnotique, les gens ne changeant finalement pas tant que ça au fil du temps.

Il sera question de sommeil, de tout ce qui le suscite ou l’empêche, de rêves aussi, ceux qu’on fait lorsqu’on dort et ceux qui nous permettent de nous projeter dans l’avenir.

J’ai adoré cette histoire, l’écriture, la construction ingénieuse et la fin qui m’a éblouie.

Bref, un très gros coup de cœur.

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La vie très privée de Mr Sim



Gros coup de coeur pour le dernier roman de Jonathan Coe, un auteur dont les précédents livres, en dépit du succès remporté, ne m'avaient pas encore conquis ("Testament à l'anglaise" m'avait beaucoup déçu)

Son héros est un anti-héros. Maxwell Sim, la quarantaine bien entamée, a perdu son boulot, sa femme, sa fille et sa mère (en ce qui concerne sa mère, la perte est définitive puisqu'elle est morte). Il n'a plus guère de contact avec son père parti vivre en Australie où s'ouvre - avant de se clore - le roman.

Entretemps, Maxwell Sim reviendra en Grande-Bretagne et profitera d'un long périple à travers l'île pour revisiter les lieux de sa vie, draguer sans succès une jeunette rencontére dans l'avion, renouer avec son ex-femme, élucider quelques questions irrésolues ... et tomber amoureux de la voix de son GPS.



Comme dans les précédents livres de Jonathan Coe, on retrouve l'humour pince-sans-rire de cet auteur typiquement britannique, dans la veine des meilleurs Lodge, Boyd ou McEwan.

Mais cet humour est mobilisé au service d'une analyse psychologique d'une grande subtilité.

La métaphore qu'illustre le livre est celle des 1001 collisions automobiles qui, à chaque instant, sont évitées. Pourquoi, nous dit le héros, les voitures qui se croisent sur la route ne se percutent-elles pas ? pourquoi, faut-il lire au premier degré, le monde n'est-il pas plus chaotique qu'il ne l'est ? pourquoi, faut-il comprendre au second degré, rate-t-on de quelques minutes, de quelques centimètres, les rencontres qu'on aurait pu faire.

Milan Kundera au début de "L'insoutenable légèreté de l'être" insistait sur la masse des hasards qui avaient conduit Tomas à rencontrer Teresa. Jonathan Coe renverse cette situation : le père de Maxwell Sim ratera par deux fois, à 40 ans d'intervalle, le rendez-vous qui aurait pu/dû changer le sens de sa vie.

Notre vie est-elle condamnée à être ballotée par le hasard ? Avons-nous un destin que tôt ou tard nous finirons par rencontrer ? Tomas et Teresa chez Kundera incarnaient ces deux facettes : Tomas rencontrait Teresa par hasard alors que Teresa rencontrait Tomas parce c'était écrit. Maxwell Sim incarne, à lui seul, ces deux facettes ... jusqu'à ce que, par une ultime pirouette, Jonathan Coe, ne nous rappelle le pouvoir démiurgique du romancier ...
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Le Royaume désuni

Comment le Royaume Uni, la nation qui a résistée à la Blitzkrieg, a contribuée massivement à l'effort de guerre et à la victoire alliée en 1945, fut le foyer du Rock européen, des Beatles aux Sex Pistols en passant par les Kinks, fut la patrie d'un football et d'un rugby virils, fair-play et flamboyants qui rayonna sur le monde, a donné Sean Connery au cinéma, s'est-elle retrouvée coincée dans les errements d'une basse stratégie qui a conduit sa classe politique a proposer et sa population à voter la sortie de l'Union Européenne ?

Répondre à cette question est l'ambitieux projet du roman de Jonathan Coe. Un roman qui s'inscrit dans la suite logique de ses précédents romans Expo58, La pluie avant qu'elle tombe , Billy Wilder et moi, comme le précise l'auteur dans ses remerciements de fin d'ouvrage.

La démonstration est audacieuse mais séduisante. C'est au travers d'une saga familiale qu'il développe sur trois générations que Coe illustre son propos. Les histoires individuelles des différents personnages, leurs choix conditionnent et/ou sont conditionnés par les événements sociaux et politiques.

La monarchie qui sort renforcée de la deuxième guerre mondiale connait ses heures de gloire et renforce sa popularité tant chez les Tories que

chez les travaillistes avec le couronnement d'Elizabeth II en 1952.

La cérémonie retransmise en direct par la BBC coïncide avec le développement de la TV pour tous et l'un des moments forts du roman est ce chapitre dans lequel une famille reçoit 17 personnes dans son salon pour regarder le direct car elle est la seule du quartier à posséder un téléviseur.

"ça semblait merveilleux, miraculeux, de pouvoir regarder tout ça à la télévision, de se trouver là à Birmingham et d'assister à ces scènes à l'instant même où elles avaient lieu à l'abbaye de Westminster."

De la même façon, l'investiture de Charles, Prince de Galles en 1981 et l'enterrement de Diana en 1997 sont des moments forts d'unité sociale et politique pour le Royaume Uni.

Derrière ces images dont Coe nous montre qu'elles occultent la réalité et donnent une image fantasmée de l'état de la scoiété anglaise et de la place effective du Royaume Uni dans le Monde, le consensus britannique se fissure.

L'intégration difficile dans l'UE en 1973, les positions outrancières de Margaret Thatcher et son "I want my money back" en témoignent. Les Britanniques défendent seuls contre tous la position de leur pays objet d'attaques extérieures.

Telle la guerre du chocolat, suite à la directive européenne de 1973 qui prétendait imposer l'appellation "chocolat" aux seuls produits contenant un pourcentage élevé de cacao au grand dam des anglais et de leur firme Cadbury proposant des barres contenant des graisses végétales et un % important de lait.

Mais l'important n'est pas la qualité du produit mais le fait que "(...) les matières grasses non cacaotées aient été introduites dans le chocolat britannique, à cause du rationnement, pendant la guerre et (...) ce que les Britanniques aimaient dans leur chocolat, c'était qu'il avait le "goût de la guerre"

Sur toutes les thématiques, à partir d'exemples équivalents, Coe montre comment les symboles - la résilience remarquable des britanniques pendant la guerre, l'attachement à la royauté, la position dominante musicalement - l'ont emportés sur la réalité économique pour présenter aux électeurs et légitimer la stratégie de la citadelle libérale assiégée par les technocrates européens.

L'intérêt du roman est de démonter le mécanisme à partir des histoires individuelles des personnages et de montrer que si tous n'ont pas la même vision ceux qui doutent sont une minorité.

Le roman commence en mars 2020, à l'aube des confinements en Europe et après un détour par 1945 revient à 2020 durant la période de confinement effective.

Une génération chasse l'autre y compris en politique. Boris Johnson dont Coe trace un portrait quand il était reporter du Daily Telegraph à Bruxelles (voir ma citation) s'impose aux affaires, déjouant tous les pronistics.

Comme dit Jack un des personnages « C'est pour ça que les gens aiment bien Boris Johnson, au passage. Parce qu'il laisse les gens faire leur vie sans se mêler de leurs affaires. »

La boucle est bouclée. le sentiment national ne consiste plus à partager des valeurs communes mais à justifier la nécessité de laisser les « gens » gérer leurs affaires comme bons leur semble. Malheur aux faibles et aux déshérités en quelque sorte. Un credo libéral qui devient une norme de plus en plus fréquente en Europe.

Un livre qui donne à réfléchir sur le pouvoir et les conditions de son exercice par une classe politique qui en a de moins en moins et se réfugie dans une symbolique niant la réalité des relations sociales.

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Le Royaume désuni

Attention, attention, ce billet ne comporte sans doute pas toute l'objectivité que l'on peut attendre d'un retour. Jonathan Coe est un de mes écrivains britanniques préférés, et je lis ses livres avec un préjugé très favorable et un sens critique sans doute un peu affaibli ;-)



Il se livre ici à son exercice préféré, l'analyse de la société anglaise et de son évolution au cours des années, de l'euphorie et la fierté éprouvées à la sortie de la seconde guerre mondiale à cette sortie de l'Europe, à laquelle beaucoup ne croyait pas. Il nous conte ceci à travers l'histoire d'une famille, aux ramifications nombreuses, dont le personnage principal est Mary. Petite fille à l'heure de la victoire en 1945, elle achèvera sa vie pendant le Covid. Seule, les siens restant à la fenêtre. et cet épisode est d'autant plus émouvant qu'il est l'écho de la mort de la mère de l'auteur à cette même période et dans les mêmes conditions atroces.

L'histoire n'est pas linéaire, et c'est ce qui m'a conduit à supprimer une demie étoile, nous rencontrons cette famille à sept occasions, sept dates importantes dans l'histoire récente de la Grande Bretagne. Nous ne savons pas ce qui se passe entre ces moments, et j'ai parfois regretté ces ellipses.



A chacune de ces occasions, par l'intermédiaire de cette famille et de ceux qu’elle côtoie, Jonathan se livre avec son ironie habituelle à une tendre critique de la société anglaise. Je dis tendre, parce que malgré tous leurs défauts, Jonathan aime ses personnages et nous les rend proches. J'ai retrouvé avec plaisir son ton unique, plein d'humour et de tendresse, mêlé aussi parfois de tristesse.



L'endroit choisi pour cette histoire n'est pas anecdotique. Il s'agit de Bournville, près de Birmingham , siège de la marque Cadbury. Et l'histoire de cette chocolaterie et de ses démêlés avec l'union européenne est l'un des fils rouges du livre, et donnera lieu à quelques pages savoureuses (pas à cause du chocolat lui-même), mais de l’humour avec lequel sont relatés quelques épisodes de cette guerre du chocolat.



Beaucoup de sujets sont abordés dans cette fresque, de l'homosexualité à la xénophobie, de l'amour des anglais pour la royauté à leur dédain envers le reste du monde et leur mépris des Gallois. Tout cela à travers les membres de cette famille qui sont représentatifs des différents courants, modes de pensée existant dans le pays.



Un roman qui m'a séduite encore une fois.
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