Citations de Julian Barnes (575)
Un anglais a dit que le mariage est un long repas terne, où le dessert est servi en premier.
Mais n'oublie jamais master Paul : chacun a son histoire d'amour ; chacun et chacune. Elle a pu être un fisco, elle a pu tourner court, elle a même pu ne jamais commencer, elle a pu être entièrement dans la tête, ça ne la rend pas moins réelle. Parfois, ça la rend plus réelle. Parfois, on voit un couple, et chacun semble assommer profondément l'autre, et on ne peut imaginer qu'ils aient quelque chose en commun, ou pourquoi ils vivent encore ensemble. Mais ce n'est pas seulement l'habitude, ou la complaisance envers soi-même, ou les conventions, ni rien de tel. C'est parce qu'ils ont eu, à un moment, leur propre histoire d'amour. Comme tout un chacun. C'est la seule histoire.
Récemment, le Pouvoir l’avait humilié, lui avait retiré son gagne-pain, ordonné de se repentir. Le Pouvoir lui avait dit comment il voulait qu’il travaille, comment il voulait qu’il vive. A présent, il insinuait que, à la réflexion, il ne voulait peut-être plus qu’il vive. P 55
Et ces gens, peut-être conscients que la célébrité mène souvent à la vanité et à la fatuité, pouvaient être d'accord, en ouvrant leur Pravda, avec l'idée que des compositeurs pouvaient aisément s'éloigner de la tâche d'écrire le genre de musique que le public voulait entendre; et aussi, puisque tous les compositeurs étaient employés par l'Etat, que c'était le devoir de l'Etat, s'ils choquaient, d'intervenir et de les ramener sur la voie d'une plus grande harmonie avec leur public. Cela semblait parfaitement raisonnable, non?
Autrefois, un enfant pouvait payer pour les péchés de son père, ou de sa mère. A présent [en 1936], dans la société la plus avancée sur terre [l'Union soviétique], les parents pouvaient payer pour les péchés de l'enfant, avec les oncles, tantes, cousins, la belle-famille, les collègues, les amis, et même l'homme qui vous souriait distraitement en sortant de l'ascenseur à 3 heures du matin. Le système punitif était très amélioré, et tellement plus complet qu'il ne l'avait été.
"Ils grandissent si vite, n'est-ce pas ?", quand ce qu'on veut dire en réalité, c'est : " le temps s'écoule plus rapidement pour moi à présent ".
Je me considère comme un homme heureux. Si je suis un peu prêcheur parfois, c'est en raison d'un modeste sentiment de plénitude, et non par orgueil. Je me demande pourquoi le bonheur est méprisé de nos jours : on le confond dédaigneusement avec le confort ou le consentement de soi, on voit en lui un ennemi du progrès social et même technologique. Les gens refusent souvent d'y croire quand ils en ont des manifestations sous les yeux, ou parlent à son sujet de pure chance, de phénomène purement génétique : quelques gouttes de ceci, une petite dose de cela, deux ou trois synapses reconnectées. Pas un accomplissement.
–Non, je n’ai pas peur de mourir. Mon seul regret serait de ne pas savoir ce qui arrivera après.
–Tu veux dire, dans l’au-delà ?
–Oh, je ne crois pas à ça, dit-elle fermement. Ça causerait bien trop de problèmes. Tous ces gens qui ont passé leur vie à se fuir, et tout à coup les voilà de nouveaux ensemble, comme un affreux congrès de joueurs de bridge...
Quand on est jeune, on s'invente différents avenirs; quand on est vieux, on invente aux autres différents passés.
Non, répondit son esprit, rien ne commence juste comme ça, à une certaine date et en un certain lieu. Tout a commencé en plus d’un lieu, et à plus d’un moment, parfois même avant ta naissance, dans des contrées étrangères et, dans l’esprit d’autres gens. P 21
Une citation dans son carnet, qui avait survécu à plusieurs relectures : "En amour, tout est vrai, tout est faux ; et c'est la seule chose sur laquelle on ne puisse pas dire une absurdité" (Chamfort). Il avait aimé cette remarque depuis qu'il l'avait découverte. Parce que, pour lui, elle ouvrait sur une pensée plus large : celle que l'amour lui-même n'est jamais absurde, ni aucun des participants. Toutes les sévères orthodoxies de sentiments et de comportements qu'une société peut chercher à imposer, l'amour les esquive.
Mais il n’était pas facile d’être un lâche. Etre un héros était bien plus facile qu’être un lâche. Pour être un héros, il suffisait d’être courageux un instant – quand vous dégainiez, lanciez la bombe, actionniez le détonateur, mettiez fin aux jours du tyran, et aux vôtres aussi. Mais être un lâche, c’était s’embarquer dans une carrière qui durait toute une vie. Vous ne pouviez jamais vous détendre. Vous deviez anticiper la prochaine fois qu’il vous faudrait vous trouver des excuses, tergiverser, courber l’échine, vous refamiliariser avec le goût des bottes et l’état de votre propre âme déchue et abjecte. Etre un lâche demandait de l’obstination, de la persistance, un refus de changer – qui en faisaient, dans un sens, une sorte de courage. Il sourit intérieurement et alluma une autre cigarette. Les plaisirs de l’ironie ne l’avaient pas encore abandonné
Lorsque vous lisez un bon livre, vous ne vous échappez pas de la vie, vous plongez au contraire davantage en elle.
Je songeais à Julien, et à la façon dont les siècles l’ont interprété et réinterprété, comme un homme traversant une scène poursuivi par des faisceaux diversement colorés de projecteurs. Oh, il était rouge, non, plutôt orange, non, il était indigo teinté de noir, non, il était tout noir. Il me semble que c’est, d’une manière certes moins théâtrale et extrême, ce qui se passe quand nous considérons la vie des autres : comment ils sont vus par leurs parents, amis, amants, ennemis, enfants ; par des inconnus croisés qui remarquent soudain une vérité sur eux, ou par de vieux amis qui ne les comprennent pas. Et puis ils nous regardent, d’une autre façon que nous nous regardons. Eh bien, l’erreur historique est une composante essentielle de ce qui fait une personne.
"Les ingénieurs de l'âme humaine."
Il y avait deux problèmes principaux. Le premier étant que beaucoup de gens ne veulent pas que leur âme soit façonnée, merci bien. Ils préfèrent qu'on la laisse comme elle était quand ils sont venus au monde ; et, quand on essaie de les guider, ils résistent. (...)
Le second problème avec le façonnage d'âmes humaines était plus fondamental. C'était celui-ci : qui façonne les façonneurs?
Préféreriez-vous aimer davantage, et souffrir davantage : ou aimer moins, et moins souffrir ? C’est, je pense, finalement, la seule vraie question.
La tyrannie, se disait-il, est devenue si experte en destruction, pourquoi ne détruirait-elle pas aussi l'amour, intentionnellement ou non ? La tyrannie exigeait que vous aimiez le Parti, l'Etat, le Grand Leader et Timonier, le Peuple. Mais l'amour individuel - bourgeois et exclusif - distrayait de ces "amours" aussi grandioses et nobles que dénués de sens et aveugles. Et dans ce genre d'époque, les gens étaient toujours en danger de devenir moins que pleinement eux-mêmes. Si vous les terrorisiez suffisamment, ils devenaient autre chose, quelque chose de réduit et de diminué : de simples méthodes de survie. Aussi ce n'était pas seulement une anxiété, mais, souvent, une peur brute qu'il éprouvait : la peur que les derniers jours de l'amour fussent arrivés.
(N.B. : Sous période Stalinienne)
Quant à l'amour - pas ses propres façons maladroites, trébuchantes, importunes et irritantes de l'exprimer, mais l'amour en général: il avait toujours cru que l'amour, en tant que force de la nature, était indestructible; et que, s'il était menacé, il pouvait être protégé, enveloppé, emmailloté d'ironie. Il n'en était plus si sûr. La tyrannie, se disait-il, est devenue si experte en destruction, pourquoi ne détruirait-elle pas aussi l'amour, intentionnellement ou non? La tyrannie exigeait que vous aimiez le Parti, l'Etat, le Grand Leader et Timonier, le Peuple. Mais l'amour individuel - bourgeois et exclusif - distrayait de ces "amours" aussi grandioses et nobles que dénuées de sens et aveugles. Et, dans ce genre d'époque, les gens étaient toujours en danger de devenir moins que pleinement eux-mêmes. Si vous les terrorisiez suffisamment, ils devenaient autre chose, quelque chose de réduit et de diminué: de simples méthodes de survie. Aussi ce n'était pas seulement une anxiété, mais, souvent, une peur brute qu'il éprouvait: la peur que les derniers jours de l'amour fussent arrivés.
Certaines découvertes devraient être gardées comme en réserve pour plus tard dans la vie, quand elles pourraient faire moins souffrir.
Plus récemment, on entendait dire que les gens les plus heureux sur terre étaient les Danois. Non en raison de leur hédonisme supposé, mais de la modestie de leurs espoirs exprimés. Plutôt que de vouloir atteindre la Lune et les étoiles, ils n'avaient pour ambition que d'arriver au prochain lampadaire, et, contents d'y parvenir, ils en étaient plus heureux.
Il se rappelait de nouveau cette femme, l'amie de quelqu'un, qui disait qu'elle avait réduit ses espérances parce que cela réduisait le risque d'être déçu.
Et rendait plus heureux? Etait-ce là le bonheur des Danois?