Citations de Kéthévane Davrichewy (244)
Nous parlons géorgien entre nous. C’est la langue de la famille. Celle des vacances. À l’école, on doit parler le russe. C’est la règle. Le géorgien est une langue de chien, dit notre maître. Toute tentative de braver l’interdit est sévèrement punie.
Le chien est resté en Géorgie. avec ses grands parents. Elle ne les a jamais revus. Aucun des trois. Elle ignore la date exacte de leurs morts.
J'ai entendu parler de ta famille. Vous seriez en Turquie, prêts à partir pour la France. Cette soudaine réalité me perturbe. Je me suis habituée à l'idée de ne pas te revoir. Tu n'es plus qu'une silhouette sur le port de Batoumi. Et une présence intangible, tenace et réconfortante, dans mon imaginaire. Je ne suis pas certaine de vouloir croiser ton chemin. Je ne suis pas sûre que tu me plaises. Encore moins sûre de te plaire. J'ai sans doute changé. J'ai les allures d'une élégante étudiante parisienne. Mais je ne fais pas illusion longtemps, il suffit de me parler pour que le masque tombe. Nous menons, néanmoins, des vies de Parisiens, nous sommes restés très proches de mes cousins, ma sœur et moi. Je me demande souvent comment sera la vie en Géorgie quand nous repartirons. Les frontières ne devraient pas rester indéfiniment fermées, ça ne s'est jamais vu. On ne peut pas couper des millions de gens du reste du monde pendant des années. J'espère notre retour avant qu'il ne soit trop tard pour mes grands-parents. Babou et Bébia sont vieux, nous avons tout le temps. Pas eux.
Les deux enfants font à nouveau la même taille, Sosso le repousse en riant, son rire frappe Joseph comme une insulte. Aussi, pour ne plus être la proie de ses moqueries, il se laisse balancer plusieurs fois dans le trou et, à force, finit par apprendre à nager. Sosso prendra la relève de Guivi, poussant les plus jeunes du haut du bassin, et Joseph l'y aidera parfois, éprouvant une certaine jubilation à voir les petits s'agiter comme des chiots apeurés. Guivi, comme son père, deviendra général dans l'armée tsariste et sera reçu à la cour du tsar à Saint-Pétersbourg.
En deux minutes il rase la tête de Joseph.
- Les cheveux ne sont pas une preuve d'intelligence, crois-moi. Sinon, il ne pousserait pas où je pense, lui dit-il.
D'après les biographes de Staline, cette exécution publique marquera Sosso qui en parlera à ses proches des années plus tard.
– Mais toi ? Tu ne ressens rien quand il te caresse ?
– Il ne me caresse pas. Pas comme tu dis.
– Alors ce n’est pas toi le problème.
– Peut-être que je n’ai pas envie qu’il me touche.
– Tu finiras par rencontrer quelqu’un avec qui ce sera évident. En attendant, tu n’as qu’à faire ça seule.
– Ne dis pas des choses pareilles.
Cécile arracha un brin d’herbe qu’elle se mit à mâchouiller.
– Tu sais, dit Alice, j’embrasse beaucoup de garçons, mais finalement être attirée par quelqu’un, c’est rare. Je pensais que lorsqu’on aimait, on avait forcément envie de toucher l’autre et que c’était réciproque. Mais je n’y crois plus. Dans la réalité, les choses ne se passent pas comme ça. Tu vois, ce n’est pas simple. J’ai trop idéalisé l’amour. Comme toi. On se rompe, l’une et l’autre.
– Heureusement que tu existes, dit Cécile.
– Oui, répondit Alice, heureusement que nous sommes là.
Il m'a vue et m'a souri avant que j'aie pu me détourner.Je lui ai rendu son sourire et je l'ai rejoint sans hésitation.J'étais devenue légère.
Mo, histoire ressemblait à mon image.Désespérément banale.J'avais cru la transformer en traversant l'océan.Comment avais-je pu imaginer que je deviendrais quelqu'un d'autre.
Sont-ils des héros ou des bandits ? p.207
Il est évident que la destinée de son camarade d'enfance à forcément pesé sur toute sa vie". A t-il vécu dans sa crainte?
Une jeunesse liée à celle de Staline, l'homme le plus craint, le plus haï et le plus aimé du monde.
Il n'y a plus personne pour répondre à mes questions, je ne peux qu'inventer les réponses et faire de sa vie un roman.
Serait-il entré dans les services secrets français sans la terreur que lui inspirait Sosso devenu Staline? Aurait-il fini ses jours loin de son pays natal s'il avait pu y revenir, sans être immédiatement sollicité par son ancien camarade de jeux, roi du Kremlin?
Joseph a été pilleur de banques, bandit, révolutionnaire dans le Caucase, puis pionnier de l'aviation, engagé pour la France en 1914, agent secret, ami ou amant de Marthe Richard.
C'est la première fois où Joseph a vu les yeux de son père embués de larmes. Damiane ne l'a pas embrassé, ni serré contre lui comme sa mère, sa grand mère et sa sœur. Il s'est contenté d'une accolade, Joseph a retenu sa tirade, mot pour mot, comme une consolation aux baisers jamais reçus.
Pour aimer sa patrie, il faut connaître son passé. Un homme qui ignore l'histoire de son pays est comme un arbre sans racines.
On ne laisse pas une jeunesse se faire, on fait la jeunesse, récite Lev, la voix tremblante.
Quand elles se croisaient réellement, ce n’était pas ce qu’Alice avait imaginé. Elles échangeaient quelques mots embarrassés ou fielleux.
Le plus souvent, elle s’efforçait de ne pas penser à Cécile. Ou, au contraire, elle s’y obligeait, car l’oubli était indigne. Peut-être était-il tout simplement impossible. Leurs vies avaient été trop intimement liées pour que son inconscient la libère.
P71 : Elle est heureuse de ce déjeuner improvisé avec ses enfants, il faudrait le leur dire. Elle sait djà qu'elle n'en fera rien.
P77 : Ne t'inquiète pas, rien n'est perdu, on est partis pour pouvoir continuer à se battre, pour notre pays. Pour la liberté. On va continuer et on reviendra plus forts.
P104 : Je ne dis pas que j'ai à rougir de nos origines, mais j'ai peur de la différence. Je la sens, dans leurs yeux, quand nos mères marmonnent des phrase incompréhensibles pour eux, quand je dois camoufler un trou dans mes vêtements, quand je porte des chaussures trop petites, quand on n'arrive pas à prononcer mon nom. Cette barrière à franchir me laisse sans force.