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Critiques de Kôbô Abe (101)
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La Femme des sables

La femme des sables fait partie de ces romans qui me laissent l'impression curieuse de ne vraiment les lire qu'à la seconde ou troisième lecture. de la première, je garde le souvenir d'avoir éprouvé une certaine résistance malgré sa force méditative et sa qualité littéraire. Ou peut-être à cause d'elles.

L'âge aidant, aujourd'hui j'ai pris plaisir à relire ce texte d'une incroyable densité qui voit un homme se débattre avec le sable qui le retient prisonnier dans un village singulier.

J'aime ce genre de littérature qui nous plonge dans un monde romanesque dont l'intense étrangeté vous saisit sans que vous y preniez garde. Kôbô Abe sait naviguer aux frontières du surréalisme avec un personnage profondément cartésien qui se retrouve coincé dans un monde en apparence irrationnel.

On a ainsi affaire à un narrateur entomologiste qui, à travers une observation minutieuse et un incessant flux mental, tente opiniâtrement de trouver un sens à un environnement hostile et absurde. Les réflexions bondissent, se ramollissent, puis repartent puiser dans le cerveau la force de combattre la condition de prisonnier de ce «mur de sable souverainement dressé» qui corrode tout, les usages de la vie ordinaire n'ayant plus court. Rien ne semble interrompre le monologue intérieur de cet homme réfléchi, si ce n'est les révélations fortuites lâchées au cours des rares dialogues avec la femme qui l'héberge.

Le récit est donc celui d'un homme qui consacre toute son énergie à élaborer un plan d'évasion... et si la libération était d'abord intérieure ?

Avec un texte qui se concentre sur une description minutieuse du processus psychologique et réflexif du héros, on est facilement tenté d'y déceler de multiples interprétations symboliques de la condition humaine. Et c'est tout l'intérêt de ce roman inclassable dont l'écriture baroque est néanmoins susceptible d'en décourager quelques uns.

Roman passionnant.
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La Femme des sables

La Femme des sables (1962) est un livre saisissant et marquant, qui attire et repousse tout autant. Il a reçu le prix Akutagawa.

Kobo Abe emprunte la forme d'un récit d'aventures pour tracer le portrait d'un individu pris dans le piège de la société et de son sentiment d'impuissance quand il cherche à l'affronter.



Un professeur, passionné d'entomologie, est parti à la recherche d'un coléoptère rare qui vit dans le sable. Il arrive un soir dans un petit village enfoui au fond des dunes. le sable s'infiltre partout, envahit tout et il faut sans cesse le rejeter. Il descend dans le trou où est tapie une maisonnette qui abrite une femme. Les villageois retirent l'échelle qui lui a permis de descendre. le voilà condamné à pelleter le sable jour après jour…

A chaque étape, le lecteur est amené à se poser des questions. le début prend la forme rassurante d'une enquête policière. Mais à mesure que le texte avance, on est de plus en plus désorienté. le sens nous échappe.

Le parcours du protagoniste a donné lieu à des interprétations variées :

Des critiques ont souligné que cette histoire tragique met en lumière le sort des Burakumins, une tribu appartenant à la caste inférieure, historiquement discriminée au Japon en raison des emplois pénibles occupés (bourreaux, tanneurs..). Comme les Burakumins, les villageois du livre survivent à peine en vendant du sable pour la construction. le sable salé est vendu à très bas prix. Les villageois peuvent avoir choisi de punir ce citadin en le maintenant en esclavage.

Plus largement, la société japonaise est fondée sur le sacrifice de l'individu pour le bien commun. Après la guerre, il faut reconstruire le pays. Les Japonais sont-ils condamnés à pelleter, génération après génération ?

D'autres ont fait de ce livre une allégorie de la condition humaine dévorée par le Temps. L'homme se débat en pure perte, conscient de son impuissance mais continue jour après jour.

On pense beaucoup au mythe de Sisyphe, à Kafka ou à Dostoïevski. Ce qui est le plus marquant, c'est l'évolution des rapports entre la femme et l'homme à l'intérieur de la tanière. On se retrouve à les observer et à étudier leur comportement comme s'il s'agissait d' insectes, à chercher des lois qui nous permettraient de les comprendre et de les épingler une bonne fois pour toute.

Et en même temps on a la gorge nouée et on pleure.
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La Femme des sables

Je ne savais pas à quoi m’attendre en débutant ce roman. Quand j’ai vu cet homme, collectionneur d’insectes, partir à la recherche d’une cicindèle-de-jardin dont le nom scientifique est Cicindela japonica Motschulsky, j’ai pensé que l’histoire allait être basée sur cette quête du miniature, une version « dunes de sable-movie » où le héros part et se perd dans le sable ; un être infiniment petit par rapport à la force et à l’immensité du sable.



Mais finalement, l’homme, un monsieur tout-le-monde porté disparu depuis, ne se perd pas mais découvre une cabane isolée, et une femme à l’intérieur. Il ne sait pas encore que cette rencontre fortuite va le perdre à tout jamais, qu’il ne pourra plus ressortir de cette cabane. Car là-bas, commence un étrange manège, un éternel travail qui consiste à enlever tout le sable qui s’amoncelle sur et autour de cette cabane…



Derrière cet étrange labeur se cache un sujet essentiel, le temps : ce temps qui file et qui défile, et face au temps, l’homme qui n’est qu’un minuscule grain de sable perdu dans l’éternité. Face au temps qui défile, l’homme n’a plus aucun recours si ce n’est le travail, le travail et le recommencement de ce travail jusqu’à l’abrutissement total. Le travail est là uniquement pour faire passer le temps et pour ne pas voir que l’homme est enchaîné malgré lui à sa vie. Quoi qu’il tente de faire, au final, il ne restera que le travail dans un perpétuel recommencement…



L’homme me fait penser à ce grain de sable qu’on enferme dans un sablier. Une fois que le sable est tombé, on retourne le sablier, et le sable continue à nouveau de retomber. L’homme, une fois son travail terminé, n’a d’autres choix que de recommencer à travailler…



Autre point : la relation qui petit à petit s’instaure entre l’homme et la femme. Avec une sensibilité toute japonaise, les deux êtres enfermés dans une même cabane (que l’on pourrait assimiler à une prison) gardent leur distance, se méfient et s’épient. Je sens le rapprochement venir, je le souhaite même, mais l’homme a encore des velléités de départ, une fuite de ce qu’il considère une injustice et ne comprend pas que la femme continue à travailler inexorablement pour rien et pour un éternel recommencement. Mais homme et femme éprouvent des sentiments indéniables, c’est dans la nature et face à une promiscuité aussi rapprochée…



Le rapprochement entre ces deux êtres est formidablement décrit, et l’humanité qui s’y dégage apporte un sentiment de plus en plus uni et une mobilisation plus efficace dans l’effort pour combattre ces terrifiants grains de sable…



Pour conclure, je ne m’attendais pas du tout à ce genre de scénario, mais le cauchemar est là (non, je ne suis pas un numéro, je suis un homme libre !), et le roman devient effectivement un indispensable de la littérature japonaise. « La femme des sables » est incontestablement l’un des plus grands romans de la littérature japonaise contemporaine, couronné au Japon par le prix Akutagawa (1962) et, en France, par le prix du Meilleur Livre Étranger (1967). Ce roman a été classé par l’Unesco parmi les « Œuvres représentatives » du patrimoine littéraire universel.



[...]
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La Femme des sables

Abé Kôbô, né en 1924, est un romancier japonais d'exceptionnelle vocation puisqu'on lui doit le prix Akutagawa (1951), équivalent du Goncourt de découverte, pour « Kabé » (Le Mur) et le prix de Littérature de l'Après-Guerre, équivalent du Goncourt des Jeunes, pour « Akaï Mayu » (Le Cocon rouge). D'autres romans suivront et consacreront sa réputation d'écrivain puissant, en pleine ascension : « Baberu no Tô no Tanuki » (Le blaireau dans la Tour de Babel), « Noa no Hako-Bune » (L'Arche de Noé), « Suichû-Toshi » (La Ville au milieu des Eaux), « Dorei-Gari » (La Chasse aux esclaves) puis « Kemono-tachi wa Kokyô wo mezasu » (Les Bêtes tournent les Yeux vers le Lieu où elles sont nées). En 1962, dès sa sortie, « Suna no Onna » (La Femme des sables) reçoit le prix du Yomiuri, équivalent du Goncourt de consécration, pour ce roman qui s'impose comme le chef d’œuvre d'Abé Kôbô. Classé par l'UNESCO parmi les œuvres représentatives du patrimoine littéraire universel, traduit dans le monde entier, « Suna no Onna » a été couronné en France par le prix du Meilleur Livre étranger (1967).



« Suna no Onna » nous conte l'histoire étonnante d'un petit professeur, entomologiste à ses heures, et qui, parti à la recherche d'une cicendèle-de-jardin, insecte des sables assez rare et vivant en bordure des côtes, échoue dans un petit village perdu au fond des dunes – petit village dont il ne pourra plus sortir. Comme les autres habitants, notre professeur va en effet se retrouver prisonnier du sable : hébergé par une paysanne dans une cabane de bois située à vingt mètres sous la ligne de crête des dunes – une cabane qui pourrit lentement, envahie par le sable humide qui s'infiltre dans la moindre fissure - il doit se résigner à vivre comme un animal, tapis dans un trou, et à rejeter ce sable, aidé par cette femme, jour après jour, mois après mois, par seaux entiers et indéfiniment. Cet esclavage est la condition de leur survie : pas de travail, alors pas d'eau et pas de nourriture. Lassé, accablé, désespéré, notre professeur tentera de s'évader. En vain. Et quand la liberté sera à portée de main, il la refusera, préférant retourner à sa vie, en vase clos, dans ce trou qui lui est devenu étrangement familier.



Dans cet ouvrage qui passe pour l’un des plus grands romans de la littérature japonaise contemporaine, l'homme est surprenant de fragilité : il est impuissant face au sable qui, bien que plus petit que lui, bouge et ne cesse pas de bouger, balayant tout devant lui et résistant au temps ; il est impuissant face au travail qui revient irrémédiablement et qui, au-delà des souffrances endurées, devient une vraie nécessité pour lutter contre l'ensevelissement programmé – jusqu'à l'abrutissement total - ; il est impuissant face au regard des autres, un regard qu'il ne comprend pas bien et dont il ne perçoit plus l'humanité ; il est impuissant devant sa propre dépersonnalisation, lui qui se prend à être tantôt le maitre, tantôt l'esclave de la femme, parfois désirable, qui l'héberge ; il est impuissant à raisonner - si ce n'est déraisonnablement – puisqu'il se surprendra à tenter d'évoluer et de se dépasser, abandonnant tout espoir de libération alors que la liberté lui tendait les bras. Cauchemar ! L'angoisse est très présente dans ce livre absurde, lent, complexe, ambigu, déroutant, constellé de longs monologues, déprimant et pas toujours évident à lire compte tenu de son écriture raffinée, fouillée et détaillée, soulevant le moindre grain de sable de nos interrogations existentielles. Très original, assez prenant (le livre ne fait que 271 pages), construit autour de deux personnages principaux, « Suna no Onna » est un livre qui suscite des critiques de toute nature, mais généralement assez tranchées : bref, on aime ou on n'aime pas. Posant plus de questions qu'il n'apporte de réponses, l'ouvrage se prête en effet à une multitude d'interprétations. Que souhaitait nous montrer Abé Kôbô ? Que le monde réel n'est qu'une illusion ou un cauchemar qui ne peut être vécu que grâce à l'évasion que procure le rêve ? Que la liberté n'est qu'une illusion puisque nous sommes « enfermés » sur cette Terre et dans une condition (vaguement) humaine (bien qu'un tantinet animale) ? Que nous sommes fragiles (devant le sable, devant nos instincts sexuels, devant la brutalité dont les autres peuvent faire preuve, devant la douleur de cette femme qui a perdu sa fille et son mari, ensevelis lors du dernier typhon), inconstants (nous hésitons entre la fierté de notre identité et le refuge douillet de l'anonymat, entre nos bonnes vieilles habitudes et la satisfaction que peut procurer toute découverte, entre individualisme et collectivisme), plein de contradictions (pressé de s'évader, notre professeur se sent coupable d'abandonner sa compagne) ?



Pour Abé Kôbô, l'existence (page 255) est un incompréhensible rébus, une absurdité (page 72) qui présente bien des degrés, un tissu de contradictions (refuser de s'alimenter – page 74 – certes, mais la faim abolit toute volonté), un théâtre de marionnettes, d'ombres et de lumières (page 107), un ruban de Möbius (page 120) sans envers ni endroit. Dans cette existence où l'ordre est forcément liberticide (page 166), travailler c'est dépasser sa propre condition, c'est lutter contre la fuite du temps (page 184). Alors, faut-il sortir de cette geôle humaine (page 188) ou y rester ? Et si l'on choisit de rester, (page 249) quelles sont les vraies raisons d'exister ? La vie serait-elle une punition ou une joie ? Les dunes de sables offre la perspective d'un univers monochrome, monolithique, détaché, déshumanisé, désintégré, aliénant, où l'identité de l'être humain a disparu. La réalité que nous offre Abé Kôbô est celle d'un monde polychrome, plein de reflets, où l'homme qui n'est pas qu'un simple insecte est capable d'éprouver de la compassion pour autrui, de faire preuve de générosité, de mettre en œuvre une morale et de chercher à s'élever, à atteindre un idéal. A une pensée occidentale, rationnelle, très horizontale, Abé Kôbô oppose une pensée japonaise, symbolique, toute en creux et en bosses. Il brouille nos repères, nous déroute et nous incite, comme dans un caléidoscope, à identifier d'autres mondes possibles. Ainsi, ce trou dans le sable n'est pas une chose mais … toutes les choses : il nous reste à prendre un peu de notre temps pour le découvrir !



Un livre singulier, à relire ou à découvrir.
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La Femme des sables

Fabuleux tour de force d'Abé Kôbô, on est soi-même pris au piège dans ce sable mouvant, on angoisse, on a du mal à respirer, on cherche l'issue, l'échelle pour remonter, on sent l'absurdité de la situation. Mais petit à petit on est fasciné on s'intéresse...on aime... une femme étrange, résignée, érotique et attirante... l'espoir renait ?

Admirablement écrit ce roman ne cesse de m'interroger et a un gout entêtant !
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La Femme des sables

Nous sommes en plein mois d'août, un professeur prend trois jours de congé pour aller à la chasse aux insectes ; il espère trouver des Cicindèles-de-Jardin, nom scientifique Cicindela-japonica-Motchulsky mais son rêve d'entomologiste est de découvrir une espèce inconnue à laquelle il pourrait donner son nom. Après être descendu du train, il se dirige vers les dunes, en direction de la mer, où il a décidé de concentrer ses recherches. Il a fait grand mystère sur sa destination et sur le but de son escapade auprès de ses collègues qui, dès lors, penseront à une fugue sans que cela ne les inquiète lorsque la police les interrogera sur la disparition de celui-ci. Notre professeur en totale ignorance de ce qui l'attend, le soir venu accepte avec bonheur l'hébergement qui lui est offert auprès d'une jeune veuve du village enfoui dans le sable. Le lendemain il découvre avec horreur la vie qui sera la sienne, tous les jours il lui faut avec la femme, désensabler la maison. Kôbô Abé, d'une très belle écriture, au fil des jours, révèle les pensées profondes du professeur. Kôbô Abé a obtenu pour La femme des sables le prix Akutagawa en 1962 au Japon et le prix du Meilleur Livre Étranger en 1967.



Challenge Atout Prix 2015-2016
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La Femme des sables

Un maître d'école japonais, entomologiste amateur se rend pendant ses loisirs dans une petite ville côtière d'une province reculée, à la recherche d'une variété non répertoriée de cicindèle, qu'il a autrefois entrevue.



Les habitants du cru semblent bien étranges et arriérés. Le soir arrive et aucune solution de logement temporaire n'est possible. Il insiste pourtant auprès de locaux. Ce sera le début de son enfermement dans une sorte de maison délabrée, habitée par une jeune veuve en contrebas d'un trou dans une dune. Il descend grâce à une échelle de corde mais ne pourra plus remonter, à l'image de certains insectes qui creusent des entonnoirs de sable pour y attirer leurs victimes...



Il y a indéniablement un arrière-plan fantastique dans ce roman qui évoque le glissement incessant et étouffant du sable. Je le classerai néanmoins plutôt dans les romans philosophiques. Paru en 1962 au Japon (et en 1967 en France) ses thèmes sont plus proches de ceux de l'Existentialisme, voire d'un certain théâtre de l'absurde, que de l'imagination pure et horrifique.



Ce n'était pas de mon point de vue une lecture toujours très plaisante. Impossible toutefois de ne pas être fasciné par ce texte unique en son genre.



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Mort anonyme

Dans ce recueil de dix nouvelles publiées entre 1949 et 1966, Kôbô Abe déploie ses thèmes de prédilections favoris. Dans une ambiance de fond flirtant souvent avec le fantastique, nuancée tantôt d'une froide mécanique, tantôt de poésie, tantôt d'humour, tantôt d'une douce-amertume, l'auteur joue avec la perte des repères spatiaux, temporels, et d'identité de l'individu. Ses héros ne savent plus qui ils sont, leur humanité devient incertaine, des transformations en fantôme, en plante, en animal se font jour…mais peut-être s'agit-il de rêves ? Ici règne une immense solitude et un vide intérieur qui saisit ces anti-héros angoissés, en plein processus de dénaturation, de désincarnation. Dans ce théâtre du non-sens et de l'absurde, l'être se sent persécuté par l'autre, et l'amour est toujours un problème, notamment face à l'angoisse de la perte et de l'impuissance.



Dans le récit qui donne son titre au recueil, "Mort anonyme", on est entré chez le narrateur pour y déposer un cadavre, dont il ne connaît pas l'identité. Comment faire pour ne pas être pris pour le coupable d'un meurtre ? Dans l'affairement maladroit, la description clinique du corps inanimé, de ses postures, et l'existence d'un voisinage, l'angoisse monte, et des questions affleurent tant chez le lecteur que chez le narrateur lui-même sur sa propre culpabilité.



Dans "L'envoyé spécial", un professeur a du mal à passionner ses étudiants dans ses exposés. Un jour un fou ou un extra-terrestre très humanoïde débarque. L'étrangeté instille une ambiance de malaise, mais notre professeur, contre toute attente, opportuniste, saura tirer parti de ces circonstances pour trouver la solution à son problème.



Dans "Le rêve du soldat", nous naviguons comme en rêve, entre désertion militaire, fantôme, et l'on se demande de quel côté se trouve vraiment le courage et la poltronnerie. "La transformation" traite encore d'une histoire de militaires fantômes durant la guerre russo-japonaise. Atteints de choléra, ils sont froidement abattus par des officiers pour ne pas contaminer la troupe. Mais leur âme prend aussitôt vie, et l'âme d'un général s'incarnera bientôt dans la détresse d'un enfant. Une nouvelle où l'auteur, militant communiste, dénonce l'absurdité et l'atrocité de la guerre. Il se penchera également avec tendresse sur le sort des pauvres dans "La vie d'un poète", un conte tendre et rêveur, qui sonne comme une bulle, un cocon de pur bonheur, où la condition des pauvres, la rigueur du climat hivernal et les flocons de neige tombent à point en période de Noël.



"Les envahisseurs" est un bijou, quand une famille entière d'inconnus s'invite chez vous et vous réduit peu à peu en esclavage, puis au néant, sans issue possible. Sadisme et acceptation docile, abandon de soi et de la vie, l'enfer, c'est les autres ! Ce texte perd néanmoins de son effet de surprise lorsqu'on a lu sa pièce de théâtre « Les amis », que cette nouvelle reprend. Pour moi, la pièce, par la causticité, le non-sens et la répartie inhérente à la mécanique des dialogues est plus efficace, un vrai chef d'oeuvre.



"Le beau parleur" est un jeu de dupes entre deux hommes aux allures de Laurel et Hardy (et deux femmes inquiètes prises au milieu) où le soi-disant chassé fait montre d'une remarquable aisance verbale manipulatrice pour manoeuvrer et arriver à ses fins. de la tension, du suspense, et une chute surprenante et très réussie !



"Dendrocacalia" est une inquiétante histoire de persécution…où le destin du narrateur est scellé très tôt…Il sera transformé en plante. L'autre maléfique est comme sorti de la mythologie. Un excellent moment, qui par le caractère de puissance implacable qui conduit à l'anéantissement rappelle les envahisseurs, et par l'habileté de « l'ennemi », le beau parleur.



"Le pari" flirte avec le fantastique, mâtiné de science-fiction. le narrateur est un architecte qui doit travailler à des aménagements sur un bâtiment existant. Invité par le directeur des affaires administratives à visiter le bâtiment, il y découvrira une architecture complètement déroutante, au service du projet fou du Président de cette société de communication. Etrange et inquiétant, ce texte m'est clairement apparu comme une critique de la société de consommation de masse, où l'on nous prend pour des moutons, société déjà largement à l'oeuvre dès ces années 1950-60.



"Au-delà du tournant" clôt superbement ce recueil, dans une ambiance douce-amère toujours aussi étrange. le narrateur a un trou de mémoire abyssal, à ne plus se rappeler son identité. le sel vient du jeu d'une femme, de la séduction et de la jalousie supposée, dans des réflexions et dialogues mystérieux qui dessinent un labyrinthe inextricable. La réalité est faussée, peut-être dans des brèches spatio-temporelles, comme une allégorie des difficultés de communication entre les êtres ? Très complexe, mais un très beau texte.



Une nouvelle fois, j'ai été globalement convaincu par ces textes, où se dessinent d'agréables variations autour de thèmes récurrents que sont le fantastique, le caractère incertain et instable de l'humanité, le problème d'inadaptation à l'autre et à la vie sociale, le tout dans un style inimitable, assez avant-gardiste, entre rêve, poésie et humour incisif.

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Les amis

On pourrait sous-titrer cette pièce Les Amis de Kôbô Abe, "L'enfer, c'est les autres", à la manière d'un Jean-Paul Sartre. La pièce s'ouvre sur un homme d'une trentaine d'années, apparemment sain d'esprit, qu'on surprend au téléphone avec sa fiancée. Soudain, on frappe à sa porte...Il va recevoir la visite imprévue et très envahissante dans son appartement d'une famille entière, parents et enfants, soit neuf personnes...Problème : il ne les connaît pas, et pourtant ils font comme chez eux, s'installent. Leur prétexte : le sauver de sa solitude. Entre leur comédie, leur cynisme, le côté magicien pique-pocket du fils aîné, l'incompréhension ou la complicité de son entourage avec ces étrangers inquiétants, celui qu'on appelle l'Homme passe de l'incrédulité à la nervosité, puis à la colère...mais comme rien n'y fait devant l'aplomb de ses hôtes indésirables, qui amadouent un policier, la concierge et sa fiancée, et ne cessent de se chamailler entre eux pour des broutilles de langage et d'argent, il va en rabattre peu à peu et sombrer, épuisé de lutter, dans l'abandon et même dans la soumission, jusqu'à renoncer à sa liberté...La progression du mal est implacable, c'est comme une machination infernale qui s'abat à l'improviste et balaye cet homme en deux actes et quatre-vingts pages, jusqu'à le réduire au néant.



Un excellent texte, étrange et diabolique, qui évidemment prendrait sa pleine saveur en étant joué sur une scène théâtrale, ce qui a eu lieu en France au début des années 1980. A lire d'une traite pour ne rien perdre de la progression implacable de cette apparente absurdité non dénuée de sens !
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L'homme-boîte

Un bien étrange roman que L'homme-boîte », où Kôbô Abe explore des thèmes qu'il reprendra souvent dans son oeuvre.

Le héros a décidé d'enfiler une boîte en carton sur sa tête et son cou. Il y a placé ses objets de première nécessité, a fait les ouvertures indispensables pour voir, respirer et parler, et hop, il se met à déambuler en nous racontant son expérience, laquelle va le conduire à tomber amoureux d'une infirmière, et à côtoyer son propre double, médecin qui a séduit la jeune femme, et qu'il qualifie de faux homme-boîte.

La vie de ces pantins, qui ne sont pas les seuls (il est fait mention de temps en temps d'autres hommes-boîtes croisés dans la rue) apparaît absurde, bien morne. C'est un roman qui pointe probablement le manque de sens de la vie japonaise moderne, la solitude et l'anonymat urbain, les laissés pour compte (qui vivent souvent dans des abris de fortune faits de carton avec leur petit matériel du quotidien), la pauvreté de la vie sexuelle, autant de maux d'une société nipponne qui broie l'individu, dont l'identité se floute peu à peu.



L'auteur a ici l'obsession de la dichotomie regarder / être regardé, où souvent le dégoût s'impose, dans une forme bien pessimiste. La nudité est l'une des situations qui revient le plus souvent, mais les érections sont peu durables ! L'amour et la mort se mélangent dans le discours, dans une sarabande un peu décousue et mystérieuse…Comprenne qui pourra, personnellement je n'aurais pas la prétention d'avoir véritablement capté le propos sous-jacent.



Dans une pirouette finale, le lecteur se demande si tout cela n'était pas qu'une farce de théâtre. Mais pour moi, le principal point fort de ce roman du non-sens réside, comme souvent chez Kôbô Abe, dans des fulgurances romantiques d'une rare beauté, où il rivalise avec les plus grands comme Mishima ou Kawabata. Rien que pour cela et pour l'originalité du sujet, ce roman mérite d'être lu, même si personnellement j'avais préféré Cahier Kangourou, au rythme nettement plus virevoltant et où l'humour était plus apparent.

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La Femme des sables

Il est fin ce sable pour se glisser entre les pages de ce livre (un huitième de millimètre le grain). Omniprésent et au cœur du récit, il s'incruste dans tous les objets de la cabane et l'on ressent sa présence mouvante.

L'entomologiste se débat avec lui comme Sisyphe avec son rocher. Il réalisera que le salut n'est pas dans la fuite mais dans le fait de se donner un but social.

On ressent longtemps, collant au corps et jusque dans la bouche, le goût du sable...



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Le plan déchiqueté

Détective pour une agence tokyoïte, le narrateur doit retrouver la trace de Nemuro Hirochi, un homme d'une trentaine d'années qui s'est purement et simplement volatilisé à quelques pas de son domicile. Dès le départ, la situation est brumeuse. L'homme a disparu depuis 6 mois déjà, les premières investigations ont été menées par le frère de sa femme, un personnage louche et insaisissable. Interrogée, Haru, l'épouse mystérieuse laisse échapper peu d'informations, si ce n'est une boîte d'allumettes retrouvée dans la poche de l'imperméable de son mari. Ce maigre indice conduit le détective dans un bar mal famé où se réunissent des chauffeurs de taxi clandestins. Perdu dans une ville en pleine expansion, s'égarant dans le monde des affaires louches, des magouilles et des voyous, le détective traque sa proie, s'identifie au disparu au point de se perdre lui-même.



Etrange écriture que celle de Kôbô Abé, distanciée, froide, tortueuse, parfaitement adaptée à ce roman qui débute comme un polar pour glisser vers un récit surréaliste où le temps et l'espace se diluent dans une confusion totale. Le détective-narrateur déambule dans une ville tentaculaire qui ne cesse de s'étendre; une expansion propice aux spéculations immobilières et financières, aux magouilles, aux pressions. Monde de la nuit, territoire des yakuzas, économie clandestine sont autant de lieux qu'il touche du doigt, qui se dérobent à lui pour mieux le rejeter à la périphérie de cette ville qui ne veut pas de lui et de ses questions. Il en perdra la mémoire, le sens de l'orientation, la raison...

Une lecture difficile, peuplée de personnages mystérieux, à l'intrigue embrouillée, un polar hors-normes qui déboussole mais peut séduire.
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La Femme des sables

Être au fond du trou, dans tous les sens du terme, c’est le résumé ancienne version de Twitter de ce roman curieusement nommé, puisque la femme du titre est loin d’en être le personnage principal.



En effet, le roman fait la part belle au héros, entomologiste amateur, qui vient sur une plage du Japon chercher la forme de cicindèle-des-jardins qui lui vaudra de laisser son nom à la postérité. Victime de son manque d’anticipation, en fin de journée il sera invité par un local à passer la nuit dans une maison du village des alentours ; proposition qui se révèlera être un piège puisque, s’il est bien hébergé par une veuve dont le logement est au fond d’une vallée sablonneuse, il lui sera désormais impossible d’en partir… et forcé de s’adapter à une vie de labeur absurde, qui consiste à désensabler les abords de la maison, pour éviter que le sable ne la détruise sous son poids.



Ce roman d’Abé Kobo, publié pour la première fois au Japon en 1962 et traduit en France en 1967 où il a reçu le prix du meilleur livre étranger, a été d’emblée un immense succès mondial. Cela se comprend tant ce roman est profondément japonais, mais marqué par de profondes influences européennes modernes, qui se retrouvent dans la structure même de l’histoire : difficile de ne pas penser que la situation du héros, à laquelle il va se plier difficilement, est une métaphore de la condition humaine, souvent absurde et sans logique.



C’est d’ailleurs ce sentiment qui m’a poursuivie pendant toute la lecture de ce roman à l’ambiance énigmatique : le héros se rebelle face à sa nouvelle condition, mais sans vraiment se renseigner sur les contours de ce qui est désormais sa vie : dans quel but est-il coincé ici ? Pourquoi ces règles ? Puisqu’apparemment il s’agit d’un village, pourquoi ne s’intéresse-t’il pas aux habitants qui pourraient l’aider ? Question ambitieuse puisqu’il ne s’intéresse pas davantage à son hôtesse, autrement qu’en la jugeant de haut, et bien décidé à voir, de manière agaçante, dans toutes les gentillesses et bizarreries de cette dernière une invitation au rapprochement.



Tout est ainsi décrit depuis la perception égocentrique de l’homme. Il juge en fonction du monde d’où il vient, sans comprendre encore qu’il se trouve dans un monde où les règles sont différentes. Il est dans un monologue permanent, très verbeux, qui m’a rendu la lecture du roman pénible, parce qu’il ne s’agit pas d’un personnage tellement sympathique. Sa manière de traiter la femme des sables en fonction de son état mental (de la séduction à la paranoïa, quand il imagine qu’elle a fait exprès de le piéger pour avoir un nouveau mari) est assez difficile à lire. Les réactions de la femme, toujours dans une espèce de servilité résignée, est assez difficile à comprendre d’ailleurs, et m’a empêchée de me plonger pleinement dans le roman.



Le héros espère s’évader, et cherche d’ailleurs par tous les moyens à le faire, comme un insecte coincé dans une boîte (comparaison qu’Abé Kobo fera subtilement, en comparant à un moment son personnage à l’araignée, qui fait la morte en cas de danger). Mais le lecteur sait dès le début s’il réussira ou pas, ce qui jette une étrange tension sur le récit.

Il ne veut pas se rendre compte qu’il est piégé et qu’il ne pourra en sortir. Et quand il s’en rend compte, il rejette la faute sur la femme comme si c’était de sa faute. Comme si elle avait ourdi une machination pour avoir un nouveau compagnon suite à son veuvage.



« La femme des sables » a donc été une lecture à l’ambiance intrigante, de mauvais rêve, mais qui m’a laissée, pour toutes les raisons évoquées ci-dessus, à distance. Ce roman a la complexité certaine mériterait d’être lu plusieurs fois pour appréhender tous ses niveaux de lecture. Pas sûre cependant que je retente le coup.
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La Femme des sables

Je me suis longtemps demandé et me demande encore le sens de ce roman magistral. Sorte de "mythe de Sisyphe" réactualisé. Dans chaque alvéole d'un terrain sablonneux, des gardiens surveillent que chaque occupant de son trou en évacue correctement le sable pour maintenir en vie cette sorte de village alvéolaire. Bien malgré lui, le protagoniste va échoir dans un de ces trous déjà occupé par une femme qui ne peut plus, à elle seule, en évacuer le sable. Et notre homme s'aperçoit vite que le piège s'est refermé sur lui. Après l'échec d'une évasion, il comprendra que son avenir sera de rester avec cette femme à travailler à extraire le sable. le sable s'infiltre absolument partout. Peu à peu va naitre une relation plus attendrie au sein du couple, moins conflictuelle.

Je me souviens du magnifique film éponyme de Teshigahara sorti peu de temps après le roman. Une des première images est celle où l'on voit cet homme capturer des insectes et les enfermer dans un bocal. Peu de temps après, il tombera dans le trou, se transformant donc lui-même en l'un de ses insectes dans son bocal. Ce constat amène plusieurs réflexions. L'homme est aussi un animal pris dans son piège. Notre existence se limite-t-elle à celle de Sisyphe, sans cesse recommencer la même tâche ? Accepter consciemment que ce soit le sens de notre existence, comme le pense Camus ? A relier au sens de l'absurde, cher à Kobo. L'absurdité de notre vie.

Abe Kobo, avec ce livre pose une des conditions essentielles du sens de la vie. de plus l'écriture est magistrale. On sent littéralement le sable s'infiltrer par tous les interstices.

On oublie trop souvent Abe Kobo dans les romanciers japonais à retenir.
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Cahier kangourou

Décidément, Kôbô Abe était bien le fou génial de la littérature nippone ! Et dans son ultime roman, publié peu avant sa mort, il se livre à un véritable festival. Ce devait être un matin comme les autres, mais le narrateur, simple employé d'une société de fourniture de bureau, se découvre un étrange début de pousse végétale sur les mollets…Il vient de soumettre à son patron l'idée d'un « cahier kangourou »… « J'ai imaginé le plan de ce cahier informe à poches innombrables et je me suis mis à rêver. En général, un cahier est une chose qui entre dans la poche, vous savez. A ce cahier, on ajoute une poche et dans cette poche on met encore un cahier et ainsi de suite… », dit-il…



Et à partir de là, tout déraille ! A commencer par l'herbe comestible qui se répand de plus en plus sur ses jambes…de la luzerne ou alfalfa ! Dès lors, c'est le début d'une aventure où nous croiserons une charmante infirmière aux lunettes rondes, un chirurgien à tête de pomme d'arrosoir (à moins qu'il ne s'agisse du propre père du narrateur), le lit d'hôpital qui se meut tout seul et entraîne le patient sur des rails ou sur un canal souterrain (euh…les égouts de Tokyo)…Là, pourchassé par un bateau de pêche à la seiche, il échoue sur les berges de l'enfer, rencontre des démonets, dont deux soeurs de l'infirmière, il en est persuadé, qui donnent un spectacle de cirque à d'improbables touristes, se réfugie dans une boutique "Objets de désir", puis revoit l'infirmière, puis s'engueule avec sa mère dans un champ de choux, l'infirmière rapplique à nouveau...Il se réveille à plusieurs reprises dans un hôpital, replonge…se fait casser la mâchoire, mais le Jules de l'infirmière est kiné, ça tombe bien, la manipulation foire, retour à l'hôpital, il va rencontrer des malades dont un est mourant. Que faire ? Plaider pour lui l'euthanasie ?!



Dans cette folie, on ne s'ennuie jamais, même si l'on est perdu, souvent. On ne parvient jamais vraiment à savoir si le narrateur rêve ses aventures. Il est possible que devant le mystère de sa maladie, des psychotropes lui aient été administrés à l'hôpital. Chaque aventure le conduit à une autre, à un rythme effréné, à l'image précisément d'une poche qui s'ouvre sur une poche…Un univers gigogne...



Cette histoire apparemment délirante et décousue m'a beaucoup plu. Elle prend son sens dans le contexte de la vie de l'auteur, gravement malade, et qui devait mourir quelques mois plus tard. Dès lors, les drogues, les hallucinations, les souvenirs d'enfance personnels, culpabilité et fantasmes sexuels, l'enfer, l'euthanasie et la mort, tous ces thèmes qui traversent le roman hantaient certainement Kôbô Abe en permanence. Pourtant, loin d'être abattu, il donne encore le meilleur, et trouve le moyen de livrer un texte brillant et foisonnant. En effet, les dialogues sont d'une inventivité, d'une spontanéité assez époustouflante, la qualité est au rendez-vous, on se régale, on sourit voire même on rit. Dans la veine absurde, ce roman m'a fait penser à Gros-Câlin de Romain Gary, ce qui est un sacré compliment.



Décidément, Kôbô Abe qui avait été à la pointe de l'avant-garde littéraire dès les années 1950, avec ses textes flirtant avec la SF et le fantastique, avait encore de belles capacités à la fin de sa vie. On peut regretter qu'en France on réduise systématiquement son oeuvre à La Femme des sables. Je rejoins un de nos camarades utilisateur de babelio qui explique aussi son manque de notoriété dans notre pays par la dispersion de ses publications entre plusieurs éditeurs, publications du reste peu rééditées. Heureusement, il demeure bien présent dans mon réseau de médiathèques, ce dont j'entends profiter sans tarder !

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La Femme des sables

Attention chef-d'oeuvre !

Magique, envoûtant, ensorcelant, prenant, angoissant, enthousiasmant, haletant, exaltant, déprimant, obsédant, ce livre "inclassable" a la dimension littéraire des plus grands tels Kafka, Sartre, Buzzati, Murakami, Pons... pour ne citer que quelques-uns vers ceux auxquels la lecture de cette oeuvre m'a fortement ramené.

Un enseignant célibataire - il a(vait) une maîtresse -, qui vit dans un petit meublé, a une passion... l'entomologie. Il prend quelques jours de vacances pour partir à la recherche d'un insecte inconnu - qui ferait de lui un homme et un entomologiste re-connus -, à partir d'une hypothèse, d'une trouvaille, d'une découverte... conçue(s) par lui : cet insecte vivrait dans le désert au milieu du sable... !!!

Aux yeux de ses collègues de travail, il pare ces vacances d'un parfum de mystère... laisse à son amante une lettre sibylline et disparaît.

Au vu de ce comportement, la police ne trouvant nulle trace du disparu, pas même son cadavre... conclut à une fugue et classe l'affaire.

Le lecteur retrouve la trace de l'homme... dans le désert, à la recherche de son mystérieux insecte.

Pris par le temps et par le soir qui tombe, un vieil inconnu lui propose l'hospitalité dans son village... proche du désert.

Il accepte et le voici descendant une échelle de corde qui lui permet d'accéder à la vétuste maison de son hôtesse, une maison située dans un trou d'une vingtaine de mètres de profondeur et entourée de... sable.

Le lendemain, après une nuit "étrange" et agitée, il s'apprête à partir... quand il s'aperçoit que l'échelle a disparu...

Est-ce une plaisanterie ?

Non, le piège s'est refermé.

Le voilà prisonnier d'un trou, au milieu d'autres trous... c'est ainsi qu'est fait ce village, condamné pour survivre à déblayer le sable qui menace d'ensevelir la maison et le village... en compagnie de " la femme des sables "

L'homme, à travers cette descente aux enfers, va vivre, réfléchir, se révolter, accepter, transcender (?) sa toute nouvelle (?) condition d'esclave.

Cette histoire à la symbolique inépuisable est bien sûr à première lecture une réflexion ou tout au moins une proposition poético-métaphysico-philosophico-littéraire sur le tragique de la condition humaine.

Ce qui en fait sa dimension originale et universelle, c'est que chaque lecteur peut non seulement s'y retrouver, mais y voir le monde tel qu'il se le représente.

Les personnages, l'atmosphère, le décor et l'écriture frôlent le sublime.

Un incontournable !!!

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La Femme des sables

Quel étrange et envoûtant roman que celui-ci, rappelant la philosophie de l'absurde selon Kafka, Sartre ou Camus. On y retrouve des similitudes avec « le mythe de Sisyphe », où Camus postule que l'acceptation de la défaite devant l'absurdité de la vie est en soi une révolte, et donc une victoire. Dans ce récit (砂の女, Suna no onna), Abé Kôbô explore les affres et tréfonds de la condition humaine, au travers d'une trame narrative aride comme le désert mais d'une généreuse profondeur introspective. Ce pourrait être une histoire déprimante si Abé Kôbô n'allait pas au-delà de l'acceptation de la défaite, et qu'il ne parvenait pas à insuffler, n'en déplaise à Camus, cette lueur d'espoir qui permet de croire au lendemain.



Un maître d'école, entomologiste amateur à ses heures, profite de quelques jours de congés pour aller sur la côte à la recherche de quelque rare insecte des sables à collectionner. Il trouve l'hospitalité dans un modeste village enchâssé dans les dunes, et plus précisément dans une petite maison délabrée habitée par une femme fruste mais serviable. Cette bicoque plantée au fond d'un trou, à l'aplomb de falaises où se déversent quotidiennement des flots de sable, va devenir sa prison. Voilà notre homme pris au piège, telle la proie que la larve du fourmilion attire au fond de son entonnoir de sable. Lui et cette femme, tout aussi bien maîtresse qu'esclave, doivent chaque jour collecter le sable que les villageois remontent ensuite. Quels choix existent-ils face à telle destinée ?



Bien que j'aie parfois éprouvé un peu d'ennui à cette lecture, du fait de certaines longueurs et circonvolutions d'esprit, je ressors avec la certitude que ce roman marquera durablement ma mémoire. Son pouvoir évocateur est particulièrement puissant. On ressent le sable omniprésent, ce sable crissant qui s'infiltre dans chaque interstice. Les dialogues d'une sèche familiarité contrastent avec une architecture syntaxique particulièrement riche et complexe. Les atermoiements et métamorphoses intérieures du personnage principal irritent tout autant qu'intriguent. Et une fois le livre refermé, les pensées restent aspirées dans la recherche des symboles…
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La Femme des sables

Obsédé par la capture d'insectes rares, un homme se fait lui-même attraper, quand la duplicité de ses semblables l'incite à descendre dans un trou sans issue. En ce lieu, l'écoulement du sable ressemble à un temps accéléré, qui pourrit le bois et la chair. Comme une larve d'insecte dans des sables mouvants, l'homme se tortille et se débat en vain. L'angoisse se déploie en monologues internes, parfois interrompus par des réminiscences d'un dialogue avec l'épouse du narrateur, qui avait percé à jour ses pathologies :



« Tu es un blennorragique mental, voilà tout »



Pour se protéger au fond de ce trou hautement symbolique, l'homme doit apprendre à compter sur une autre femme. Peu instruite, elle est entièrement dévouée au travail répétitif de désensablement de sa cabane. Sa faiblesse apparente donne à l'homme une impression de supériorité physique et mentale. Mais cela se retourne systématiquement contre lui. Comme un enfant turbulent dans un bac à sable, il se fait au bout du compte materner par la femme des sables : quand la faiblesse est en harmonie avec son environnement, elle se mue en une force conséquente, tel un grain de sable de 9 mm qui se fond parmi les autres en une avalanche.



On retrouve dans ce roman le style de Kôbô Abe, dont la précision scientifique confine au surréalisme. Ses descriptions s'avèrent aussi maniaques et, parfois, aussi dérangées que les pensées du héros. Les fluides corporels de l'homme déshydraté prennent ainsi d'étranges teintes jaunâtres, proches du sable. La métamorphose de ses pensées (comparable au stade biologique de la nymphe) est la partie consciente d'un processus physiologique qui les englobe discrètement, sans que l'on bascule jamais vraiment dans l'horreur corporelle.



Le désir d'évasion est sans cesse infléchi au fil de cette évolution, pleine de rechutes au fond du trou. En prêtant son corps aux tâches que la femme des sables requiert pudiquement de lui, l'homme accède au partage des fluides (telle l'eau reçue du village en échange de son travail), ce qui remet en question l'opposition initiale entre la « libre » circulation du sable et l'immobilité de l'homme captif.



Et cette mécanique des fluides permet une cristallisation pareille à une rose des sables. La physique s'allie ainsi à la métaphysique, pour libérer l'imago vers sa vie d'insecte.
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La Femme des sables

Je suis heureuse d'avoir lu ce roman mais également heureuse de le terminer car il y a quelque chose de désespérant à vivre au côté de cet homme, prisonnier dans les sables auprès d'une femme dont l'unique dessein est de repousser nuit après nuit le sable qui envahit inexorablement sa bicoque.

Je qualifierais ce roman écrit en 1962 de fable philosophique , même si le stress qui s'en degage peut parfois l'aparenter à un thriller. On pense au mythe de Sisyphe parce qu'il questionne profondément le sens de la vie,du devoir ,de l'absurdité de l'existence. Mais il questionne aussi la relation à l'Autre, la soumission,la notion de liberté. Doit on attendre de l'extérieur la liberté ? Reste t'on prisonnier si on accepte sa condition ?

C'est un ouvrage dense qui regorge de réflexions sur la condition humaine avec la description du lien homme/femme,ici troublant , dérangeant, parfois violent.

Je peux imaginer que la traduction d'un tel écrit relève de l'exploit pour parvenir à le rendre si riche et singulier. J'ai vu qu'un film a été tourné par Hiroshi Teshingahana en 1964,je serais curieuse de le voir...
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Le plan déchiqueté

J'essaie ... d'enquêter ... sur ce livre, ...

de me positionner ... par rapport à lui ...

mais tous les mots ... tous les signes ...

... se stratifient...

... se statufient ... se subsument ...

... en une méga-police ...

... de la megapolis...

Psychotiques, ... métonymiques, ...

ils glissent ... dans les interstices ... interlopes...

... Ils laissent ... tout en plan ...

... et disparaiss...
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