AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Laurent Sagalovitsch (57)


Restant des heures dans ce grenier à la lumière griffée par les carreaux ridés de la meurtrière, à toucher ces lettres du bout des doigts, à les serrer entre mes mains comme si c'était toi que je caressais ainsi, à les porter au visage, à les embrasser, à m'imprégner de leur odeur en essayant de me persuader que tu y avais déposé tes propres empreintes, ta propre odeur, une partie de toi, jusqu'à ce que je finisse par ouvrir l'une d'entre elles e me mettre à la lire à haute voix, à te la lire, imaginant que tu te tenais dans un coin du grenier, assise sur un carton, concentrée, ta poupée posée contre ton cœur, ton pouce dans ta bouche, tes yeux grands ouverts, écoutant ce que ta maman avait à te raconter.
Commenter  J’apprécie          70
Plusieurs fois, j'essayai de prier mais c'était, je m'en rendis compte bien vite, impossible. Pourquoi prier ? Les oraisons à peine entamées mouraient dans ma bouche. Les mots n'avaient plus de sens, les versets censés les consoler ressemblaient à des chants funèbres adressés au Dieu d'Israël qui me dégoûtait. Comment avait-Il pu supporter de voir Son peuple traité de la sorte, et si Son silence était une forme d'assentiment, une punition infligée aux fils d'Abraham et de Moïse pour L'avoir trahi ou pour Lui avoir manqué de respect, alors ce Dieu-là ne m'intéressait plus, alors ce Dieu-là, je Le laissais à d'autres, alors ce Dieu-là était un monstre, un fou, un tortionnaire.
Commenter  J’apprécie          60
Alors descend en toi, au beau milieu de cet océan de furies, une sorte de paix intérieure, ton âme déchiquetée se laisse doucement flotter, portée par cette certitude triomphale que bientôt toute cette agitation grotesque aura pris fin, que d'une manière ou une autre tu t'en iras rejoindre la grande nuit scintillante de l'éternité, que tu redeviendras enfin ce petit enfant retrouvant consolation et réconfort dans le ventre de la terre, là où tu pourras célébrer la joie infinie de n'être plus rien, juste un vague ramassis d'os servant à redonner à la terre une vigueur nouvelle.
Commenter  J’apprécie          60
Et cette passivité me rendait folle.
Et cette soumission, je ne l'admettais pas.
Et devant ce spectacle, j'écumais de rage.
Commenter  J’apprécie          60
Sur le chemin du retour, Samuel, mon fils aîné alors âgé de onze ans, m'a demandé si ce qu'avait fait Vera était mal. J'ai réfléchi et j'ai fini par lui répondre que je ne savais pas. Aujourd'hui encore, je ne sais pas.
Commenter  J’apprécie          60
Oui, et je le dis avec toute la gravité dont je puis être capable, conscient du tragique presque insupportable de mes dires mais restant assez lucide pour ignorer ce qu'aurait pu être ma conduite confrontée à ce dilemme infernal, car qui ici, dans cette salle, dans cette ville, dans ce pays où se sera tenue la plus effroyable des tragédies, qui donc peut se lever et dire avec la certitude la plus implacable, en tout conscience, moi, je sais qu'entre une vie déchue et une mort louable, j'aurais opté pour la mort, qui?
Commenter  J’apprécie          60
Personne, je vous le dis en face, personne, absolument personne, tant il est vrai que c'est seulement une fois que nous nous retrouvons confrontés de plain-pied à une situation à laquelle nous n'avons jamais été préparés que nous pouvons juger de la qualité de notre nature profonde, oui, c'est seulement à cet instant où le sang rouge et noir de l'Histoire charrie son fleuve putride et pestilentiel que nous avons enfin qui nous sommes vraiment, un lâche ou un héros, un oisillon ou un aigle, un traite ou un homme de bien, mais puisque c'est ma charge et mon devoir de dire en cette enceinte où se situe le bien et où se loge le mal, je ne peux que répéter qu'il est du devoir sacré de l'homme par-delà toute éternité de s'effacer de la surface de la terre quand sa propre survie passe par le massacre collectif de malheureux innocents.
Commenter  J’apprécie          60
J’établirai dans quelques lignes comment Simon, bien malgré lui, à son corps défendant, fut obligé de quitter Vancouver en coup de vent, sans prendre congé de personne, pas même de Monika, sa sublime troubadour hollandaise au corps de sirène et à la bouche vorace, pour rentrer en toute hâte à Paris afin de venir au secours de Judith sa sœur tant aimée qui une nouvelle fois, par pure distraction ou par simple désœuvrement, avait tenté de mettre fin à ses jours ; comment se présentant au guichet de l’aéroport international de Vancouver, la mine défaite et les yeux humides, il s’aperçut que son passeport était périmé, terminé, achevé ; comment, volontaire et déterminé, il s’engouffra alors dans le premier taxi venu qui poireautait dans la file d’attente à l’ombre des touristes en fleurs direction le consulat de France où après avoir plaidé sa cause auprès du conseiller culturel, ce brave M. Boitillon, compagnon de beuverie et partenaire de chagrin, il repartit avec le précieux sésame en poche, toujours dans le même taxi qui poireautait cette fois à l’ombre du pacifique océan, direction l’aéroport ; comment une fois passé la douane, la milice, la police, les experts du contre-espionnage et des Jack Daniel’s qu’il vida d’un seul trait à l’ombre du calme douillet d’une cabine de toilettes venant tout juste d’être récurée par une employée philippine ; comment il se réveilla le lendemain matin, hagard et sombre, désorienté et perdu, en entendant la voix lasse du commandant de bord lui souhaiter un bon séjour à Paris.
Commenter  J’apprécie          60
La souffrance humaine m'était familière, je l'avais déjà expérimentée sous toutes ses formes quand j'officiais comme rabbin. J'avais vu l'injustice frapper au moment où l'on s'y attendait le moins, jeter dans le désespoir un homme atteint de cécité ou une femme impuissante à procréer. J'avais vu les effets de la maladie, quand le corps supplicié n'en peut plus de mourir et met des semaines à s'en aller. J'avais assisté à des veillées funéraires parmi les sanglots de proches consumés de tristesse. J'avais embrassé des fronts à l'heure du dernier voyage. J'avais contemplé, impuissant, les ravages de la pauvreté, de la misère, de la faim quand des familles entières frappées par le chômage, les fermetures d'usines, se retrouvaient démunies, presque à la rue. J'avais rendu visite à des parents dont l'un des enfants, atteint d'un mal incurable, agonisait dans son berceau. J'avais senti l'odeur de la mort dans des appartements fétides où, dans la plus grande des solitudes, des vieillards expiraient. Par dizaines, j'avais signé des actes de décès, refermé des cercueils, jeté une dernière pelletée de terre sur des tombes à peine creusées, et depuis mon incorporation, depuis ce jour où j'avais posé un pied en Normandie, j'avais eu à composer, jour après jour, avec l'effroi de la guerre. Rien ne m'avait été épargné, ni la mort de civils innocents surpris dans l'effondrement de leurs immeubles, ni celle absurde, rencontrée au détour d'un platane au retour d'une mission, ni la désolation de jeunes soldats fauchés par des éclats d'obus, terrassés par des balles, broyés dans le réceptacle même de leurs chars, mais jamais, non jamais, durant tous ces mois, je n'avais eu à me confronter à un tel spectacle. C'était toujours la mort, la même mort à l'œuvre, mais je ne la reconnaissais plus, comme si la mort était morte à elle-même, remplacée par autre chose de bien plus atroce, plus tranquille, une simple routine.
Sûrement est-ce à tout cela que j'ai pensé quand j'ai suivi, tel un automate, les pas du capitaine, pas qui ont fini par nous mener au Petit Camp, ce camp dans le camp, cette horreur dans l'horreur.
Commenter  J’apprécie          50
Devant nous, alors que la forêt avait en partie disparu, remplacée par des bosquets clairsemés et chétifs, surgirent dans le ciel d'épaisses traînées de fumée, de longues et lourdes colonnes de cendres d'une noirceur effrayante, tourbillonnant sur elles-mêmes en spirales ascendantes avant de s'éparpiller, balayées par le vent au gré de son humeur changeante. Je savais maintenant ce qu'elles signifiaient − on devait être occupé à brûler des corps − et je les regardais s'élever dans le ciel avec un mélange de dégoût et de fascination. Comment en était-on arrivé à de pareilles extrémités ? me demandais-je. À quel moment l'humanité s'était-elle fourvoyée au point de s'autoriser des pratiques qui la déshonoraient tout entière et la renvoyaient aux pires périodes de son passé, quand l'obscurantisme étranglait le cœur des hommes ?
Elle n'avait donc rien appris, rien compris, toujours entêtée à perpétuer le règne de son antique et immémoriale violence ? Avions-nous parcouru tout ce chemin pour en arriver là, à ce ciel matinal saturé de fumées nées de la décomposition du corps d'hommes et de femmes dont le seul tort était d'exister, d'appartenir à un peuple coupable du seul crime d'être au monde ?
Je fermai les yeux.
Commenter  J’apprécie          50
Ce que j'ai eu à vivre, je le dis sans grandiloquence, sans amertume, sans prétention aucune, nul ne pourra jamais le restituer sans le trahir. Cela se situe au-delà de toute pensée humaine, en quelque région impossible à atteindre, dans les limbes d'une complexité telle qu'elle restera à jamais inaccessible au cœur des hommes.
Commenter  J’apprécie          40
Eprouver de la compassion pour soi-même, n'est ce pas, après tout, l'apanage de la vieillesse, son seul réconfort quand vous vous retrouvez à crever de solitude depuis des décennies et que cette solitude vous est devenue au fil des jours impossible à admettre et pourtant admise. Et pourtant admise.
Commenter  J’apprécie          30
Pourquoi ne vient-IL pas nous aider, Rabbi? Ne voit-IL pas que son peuple est en train de crever, de disparaître, d'être exterminé jusqu'au dernier? Qu'attend t-IL pour les sauver, vous pouvez me le dire? Qu'il n'en reste plus un, plus un seul? N'avait-IL pas juré à Moïse de nous protéger et de nous aimer sur mille générations? Ne sommes nous pas SON peuple élu, celui sur lequel IL a passé une alliance censée en jamais finir? N'est-IL pas intervenu ce grand escogriffe chaque fois que nous nous sommes retrouvés en grand danger, au bord du précipice? La Mer ROuge elle-même ne s'est-elle pas ouverte quand les Égyptiens nous pourchassaient pour mieux nous tuer?  
Commenter  J’apprécie          30
Se pouvait-il que tous ces gens calfeutrés à l'intérieur de leurs maisons, ne se soient doutés de rien? Se pouvait-il qu'ils aient continué à vivre à l'ombre de ce camp en ignorant tout de la tragédie à l'œuvre, sourds aux clameurs des déportés, aveugles aux mouvements des troupes, insensibles à cette odeur qui montait à la tête et rendait fou?
N'avaient vraiment rien vu, rien entendu, rien senti, comme ils l'avaient prétendu aux soldats venus les interroger cet après-midi?
Commenter  J’apprécie          30
Les destins extraordinaires sont le fait d'époques extraordinaires. Si celui de ma grand-mèrre l'a été, c'est qu'elle a vécu à une époque extraordinaire. Elle n'a pas agi comme elle l'entendait, mais comme l'époque réclamait qu'elle agisse. Née à une autre époque, à une tout autre époque, son existence se serait écoulée dans la banalité d'une vie normale - mais elle est née à Berlin en 1922.

Dès le départ, elle n'avait aucune chance pour que son histoire se termine bien.
Commenter  J’apprécie          30
Je comprenais que, quoi qu'il advienne, je resterais aux yeux des autres, de tous les autres, une pestiférée. J'étranglais de solitude. Je n'appartenais plus au reste de l'humanité. On m'en avait expulsée. Chassée.
Commenter  J’apprécie          30
Je n'ai jamais cherché à être aimée ou pardonnée. Je n'ai jamais minimisé le poids de mes fautes ni la gravité de mes actes. Je ne me suis jamais complu dans le déni. Si j'avais pu éviter de me comporter de la manière dont je me suis comportée, je l'aurai fait. Simplement, je n'ai pas eu le choix. Et j'ai eu raison.
Commenter  J’apprécie          30
Je me disais que si jamais un, un seul, arrivait à se sauver, alors leur victoire resterait incomplète. J'ai seulement voulu être celle-là. Et si ce fut là un crime, alors j'accepte d'être cette criminelle.
Commenter  J’apprécie          30
Ma vue se brouillait. Je confondais la rivière avec le ciel. Et malgré cet étourdissement, malgré cette sensation de m'enfoncer dans la terre, je comprenais qu'en se supprimant de la sorte, elle m'avait adressé le plus beau témoignage de son amour. Il fallait qu'elle meure. Il le fallait. Il n'y avait pas d'autre issue.
Commenter  J’apprécie          20
"Où étiez-vous, toi et ton dieu, quand j'étais occupé à mourir, lorsque j'étais devenu si maigre, si faible qu'une simple bourrasque aurait pu m'emporter ? Où étais-tu, toi avec tes prières, quand, au milieu de l'hiver, ils venaient nous asperger d'eau glacée avant de nous forcer à nettoyer avec nos langues le cuir de leurs bottes, pendant que s'abattait sur nos dos dénudés une pluie de coups qui nous cinglait si fort que le sang se mettait à former d'épaisses rigoles rouges ? Où étiez-vous, toi et tes prophètes de malheur, Moïse, David, Saül, le jour où ils sont venus chercher l'ombre de mon frère et, sous mes yeux, l'ont obligé à danser si longtemps que ses jambes se sont brisés net ? Où étais-tu, toi avec tes psaumes, tes chants, tes versets, quand je n'ai même plus eu la force de me lever, restant là des jours, des semaines, à macérer dans mes excréments, si longtemps que vers la fin je ne sentais même plus rien, tandis que ma femme, ma pauvre femme, elle agonisait en silence, le coeur si las et usé que quand elle venait se blottir tout contre moi, à la recherche d'un peu de chaleur, je n'entendais rien, rien sinon le silence du tombeau qu'elle était devenue, hein, dis-moi un peu où vous étiez alors, toi et ton amour de l’Éternel, toi et ta promesse que jamais Il ne nous abandonnerait, toi et ton dieu mille fois maudit que pourtant, imbécile que j'étais, je n'ai cessé de prier, encore et encore, avec la ferveur désespérée de celui qui a tout perdu sauf sa confiance en Lui [...]"
Commenter  J’apprécie          20



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Laurent Sagalovitsch (256)Voir plus

Quiz Voir plus

QUESTIONNAIRE LE CID

Qui aime secrètement Rodrigue?(Acte 1)

Chimène
L'infante
Elvire
Leonor

16 questions
577 lecteurs ont répondu
Thème : Le Cid de Pierre CorneilleCréer un quiz sur cet auteur

{* *}