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Citations de Lianke Yan (185)


L’aïeul interrogea le chien. Il dit, l’aveugle, quand tu étais jeune, combien de chiennes as-tu connues ?
Le chien le regardait sans comprendre.
Il dit, dis la vérité, l’aveugle, il n’y a personne d’autre que toi et moi ici, tout est tranquille.
Le chien continuait à le regarder sans comprendre.
Tu ne veux pas parler, tant pis. L’homme poussa un soupir. Un peu déprimé, il alluma sa pipe. Face à l’obscurité, il dit, comme c’est bon d’être jeune, d’avoir un corps fort et une femme la nuit. Si la femme est intelligente, au retour du champ, elle t’apporte de l’eau, et si ton visage est en sueur, elle te passe un éventail. Les jours de neige, elle te chauffe le lit. Si durant la nuit vous vous êtes retrouvés, et que tu te lèves tôt le matin pour aller au champ, elle te dit de te reposer encore un moment. Vivre de cette façon, il inspira énergiquement une bouffée de sa pipe, puis expira longuement, caressa le chien et poursuivit, vivre de cette façon, c’est vivre comme les immortels.
Il demanda, tu as eu ce genre de vie toi, l’aveugle ?
Le chien demeura silencieux.
Il dit, qu’en dis-tu, l’aveugle, est-ce que ce n’est pas pour ce genre de vie que les hommes viennent au monde ?
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L’aïeul allait uriner.
A la suite de l’homme, le chien se soulagea lui aussi.
Depuis quinze jours, c’était la première chose qu’ils faisaient après s’être réveillés, ils allaient uriner sur ce champ en pente, à quelque quatre kilomètres du village. Sur ce versant ensoleillé, il y avait un pied de maïs que l’aïeul avait planté. Uniquement ce pied, pâlissant au fur et à mesure des jours de sécheresse, uniquement ce pied qui dispensait un peu d’humidité alentour, dans l’air en combustion. L’urine, c’était de l’engrais. Il y a de l’eau dans l’urine. L’eau dont le maïs manquait se trouvait là, dans l’urine qu’ils avaient accumulée, lui et son chien, au cours de la nuit. L’aïeul pensait que probablement, durant la nuit, dans un bruissement, la plante avait encore poussé d’un index, qu’une cinquième feuille était apparue. Une timide sensation veloutée gagna son cœur, puis prit de l’ampleur pour envahir toute sa poitrine ; son visage rosissait. Les feuilles de maïs ne poussent qu’une par une, pensait-il, alors que celles des ormes, des sophoras, des cèdres, poussent deux par deux, pourquoi ?
Qu’en dis-tu, l’aveugle ? Il se tourna vers le chien pour lui poser la question. Pourquoi les arbres et les cultures sur pied ne poussent-ils pas de la même façon ?
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Cette année-là, la sécheresse semblait ne jamais devoir finir, le temps lui-même paraissait avoir été réduit en cendres et le charbon des jours se consumait dans nos mains. Le soleil brillait en grappes infinies au-dessus de nos têtes. Dès le matin, et jusqu’au soir, l’aïeul respirait l’odeur de ses cheveux roussis. Quelquefois, il tendait la main dans le vide. Il pouvait alors sentir l’odeur de ses ongles cramoisis. Journée de merde ! Il jurait ainsi tout le temps, quittant le village dépeuplé, foulant un abîme de silence, les yeux mi-clos, un regard jeté de biais vers le soleil, il disait, viens l’aveugle, partons. Le chien suivait, guidé par le bruit du pas alourdi par les ans, et deux ombres quittaient le village.
L’aïeul grimpait vers l’arête de la montagne, les rayons de lumière tremblaient sous ses pieds. Un faisceau oblique provenant de l’est lui fouetta soudain la face, les mains, la pointe des pieds, cinglant comme une canne de bambou. Il sentit la chaleur d’une gifle sur le visage. A la commissure des paupières, du côté exposé au soleil, la brûlure semblait dissimuler au creux des rides un chapelet d’innombrables gouttes bouillantes.

(Incipit)
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Le jeune maïs poussait de plus en plus. La nuit venue, ses feuilles bruissaient très légèrement, cela ressemblait à la respiration d’un bébé profondément endormi.
Ce soir-là, l’aïeul et son chien s’étaient assis près de la plante, se reposant après une journée de labeur. A écouter sa respiration, ils sentaient leurs articulations et leurs os mollir et se détendre. La lune apparut, avec sa face féminine, suspendue au sommet de la voûte céleste, de claires étoiles autour d’elle. On aurait dit les boutons d’un vêtement de fête, cousus sur une étoffe de soie bleue, incomparablement vaste.
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Je sais que, sur cette terre vaste, pleine de chaos et de vitalité, je suis un homme superflu. Je comprends que, sur cette terre vaste, pleine de chaos et de vitalité, je suis un écrivain superflu. Mais je persiste à croire que, sur cette terre vaste, mon écriture et moi aurons un sens un tant soit peu irremplaçable. Car, là-bas – la vie, le sort et le Ciel ont décidé que, depuis ma naissance, je serais celui qui ne peut et ne sait que percevoir l'obscurité –, sous le soleil, je découvre toujours l'ombre d'un grand arbre, comme l'enfant qui a vu l'empereur nu ; sur la scène où se déroulent les hymnes de joie, je me tiens derrière le rideau. Quand tout le monde se dit réchauffé, je ressens le froid ; quand tout le monde évoque la lumière, je vois l'obscurité. Quand tous dansent et chantent de bonheur, je découvre que quelqu'un noue des cordes à leurs pieds pour les faire trébucher et les ligoter. J'ai vu une laideur inimaginable dans l'âme humaine ; j'ai vu les efforts des intellectuels pour garder l'échine droite et penser par eux-mêmes, ainsi que les humiliations qu'ils ont subies ; j'ai vu la vie spirituelle des Chinois être vidée par le pouvoir et se désintégrer.
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Mesdames et messieurs, chers invités, honorables membres du jury,

D'une certaine façon, l'écrivain vit pour la mémoire et les perceptions du genre humain. C'est pourquoi la mémoire et les perceptions nous font aimer l'écriture.
C'est pourquoi aussi, me tenant ici, je me souviens des années 1960 à 1962 : il y a plus d'un demi-siècle, dans la Chine qui cherchait à réaliser le communisme, ont eu lieu trois années dites de « désastres naturels », faisant environ 30 millions de morts. Un soir, après cette catastrophe d'origine humaine qui a ébranlé le monde, le soleil couchant brillait et le vent d'automne soufflait sur mon village pauvre et isolé de la Chine centrale, entouré de murs fortifiés de terre érigés pendant la guerre. Âgé seulement de quelques années, j'accompagnais ma mère près des murailles pour vider les ordures. Me tenant par la main, elle me montra de l'argile blanche en pétales et de l'argile jaune en boulettes :
  « Souviens-toi, l'argile blanche et l'écorce d'orme peuvent être mangés quand un homme est tourmenté par la faim au point d'en mourir. L'argile jaune et l'écorce d'autres arbres le feront mourir plus vite. »

Puis elle rentra préparer le repas. Sa silhouette qui s'éloignait ressemblait à une feuille séchée ballottée par le vent. Et moi, devant cette argile comestible, face au soleil couchant qui baignait le village et les champs de sa lumière, je vis une immense obscurité s'abaisser comme un rideau.
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Pour parler en termes de relations dépassant les individus et les cultures, il n’y a pas dans toute la Chine de sentiments plus complexes envers les Japonais que dans ce village. Si l’on considère la haine et le ressentiment accumulés au cours du siècle écoulé, il y a là une vieille mère de quelque 70 ans qui se rappelle aussitôt l’année 1945 quand elle voit des émissions à la télévision ou entend des conversations évoquant la haine et les tueries qui abondent dans l’histoire sino-japonaise : cette année-là, au moment de la retraite de l’armée japonaise, un soldat japonais blessé appuyé sur des béquilles, dans un uniforme en haillons, s’était arrêté pour sortir de sa poche un bonbon et le lui donner. Cette vieille femme ajoutait que c’était la première fois de sa vie qu’elle mangeait un bonbon, qu’elle découvrait qu’il existait dans le monde quelque chose du nom de bonbon, et que c’était aussi bon. Aussi de sa vie n’avait-elle pu oublier ni le goût du bonbon ni le visage ensanglanté du soldat japonais, et toute sa vie avait-elle souhaité pouvoir lui offrir quelque chose en retour. En 2014, je me suis rendu au Japon en me chargeant du vœu de cette vieille femme du village. Par la suite, beaucoup de lecteurs et de personnes âgées ont souhaité venir voir le village et ses habitants.

L’amour peut tout résoudre.
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En 1978, j’avais vingt ans ; je me suis enrôlé dans l’armée et j’ai quitté ce village. Dans les vingt-six années suivantes de ma carrière militaire, je suis revenu chaque année rendre visite à ma famille et chaque fois le frère aîné de mon père est venu discuter longuement avec moi ; s’ouvrant à moi de ses préoccupations dans la plus grande sincérité, il me demandait : « Lianke, tu crois qu’on va vraiment pouvoir libérer Taiwan ? Si la Chine entre en guerre avec les Etats-Unis, tu crois qu’on va pouvoir les vaincre ? » Mon oncle est mort en 2006, et tout au long de ces vingt-huit années il n’a cessé de me poser ces mêmes questions. Après sa mort, j’ai pensé qu’il n’y aurait plus personne pour se préoccuper de ces problèmes. Or, il y a deux ans, quand je suis à nouveau retourné au village, un voisin qui m’appelle « frère » est venu à la maison et s’est éternisé là sans ouvrir la bouche ; il a attendu que tout le monde soit parti et que la maison soit retombée dans le calme pour me demander sérieusement, à voix basse : « Dis-moi, frère, si on largue une bombe atomique, est-ce que ça peut vraiment rayer un pays de la carte ? » J’ai opiné de la tête et lui ai donné quelques explications, sur quoi, l’air perplexe, il m’a demandé en haussant la voix : « Mais alors, si la bombe atomique est aussi terrible, pourquoi la Chine ne prend-elle pas tout le monde par surprise en lâchant des bombes sur tous les pays ? Comme ça, il ne resterait plus dans le monde entier d’autre pays que notre Chine. »

Cette réflexion de mon voisin m’a laissé effrayé et stupéfait.
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Parce que je suis intimement persuadé que la grande littérature n’a pas besoin d’invention : elle n’autorise même pas les hypothèses. En effet, tout ce que l’on prend pour de la fiction chez un grand écrivain n’est autre qu’une part de la vie réelle que personne n’a remarquée jusque-là. Il s’agit de voir ce que les autres n’ont pas su voir, de découvrir par soi-même ce que les autres n’ont pas été capables de découvrir. Cependant, quand vous racontez ces découvertes de la manière et dans la langue qui vous sont propres, c’est considéré comme de la fiction ; et pourtant, pour vous, c’est cent pour cent la réalité, la réalité vraie, palpable. Dans mes écrits, je n’invente rien, je ne fais que révéler avec autant de force que possible les aspects ignorés de la vie que je découvre. C’est ainsi qu’il m’est apparu que ce petit village de mon pays natal était effectivement le centre de la plaine centrale chinoise, cette plaine centrale étant elle-même le centre du « pays du milieu » et celui-ci le centre du monde – en un mot donc, ce petit village n’est pas seulement le centre de la Chine, mais bien aussi le centre du monde. Ainsi toute ma vie et mon œuvre entière n’ont-elles été que la révélation et la réalisation plus ou moins consciente de ce point particulier, puis inlassablement son authentification. Mon seul désir a été de prouver et de prouver encore aux lecteurs du monde entier que ce village est le centre de toute la Chine, et donc que la Chine tout entière est contenue dans ce village.
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L'aïeul dit, ça ne vaut pas la peine de pleurer. Il dit, une fois mort, je me réincarnerai en animal et je serai toi, et toi tu te réincarneras en homme et tu seras mon enfant, alors nous dépendrons l'un de l'autre comme avant.
Le chien cessa de pleurer. Il tenta de se lever, fit un gros effort pour se dresser, mais ses pattes de devant étaient trop faibles, il s'affaissa.
L'aïeul dit, va donc boire le demi-bol d'eau avec les gouttes d'huile.
Le chien secoua la tête.
L'aïeul dit, je vais lancer la pièce maintenant, profitons de ce que nous avons encore un peu d'énergie pour nous enterrer l'un ou l'autre.
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Finalement, le maïs avait repris vie. L'aïeul avait passé trois jours successifs à laver la plante. Le quatrième jour au petit matin, il vit le sommet tout vert. La couleur avait irisé chaque feuille, imprégnant d'abord son revers avant de s'étendre, absorbée entièrement par le buvard végétal. Les taches de sécheresse s'étaient lentement amenuisées. Quelques jours plus tard, on pouvait voir de loin la tendre verdure de la plante solitaire remuant doucement, fièrement, ses feuilles sous le soleil.
Mais la situation était la suivante : l'aïeul et le chien avaient consommé toutes leurs provisions.
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Il arracha deux poignées d'herbe tendre pour les éparpiller à la surface des deux seaux d'eau, puis commença à avancer lentement vers la sortie du ravin. Sous le poids des seaux, la palanche s'arquait, mais l'aïeul avançait prudemment, l'eau ne giclait pas, l'herbe disposée en surface l'en empêchait.
Le grincement rauque des seaux courbant la palanche se heurtait aux parois rocheuses et retentissait de loin en loin, tout au long du ravin. L'aïeul pensa, je suis vraiment vieux, je dois y aller doucement, si j'atteins le chemin de l'arête avant la tombée de la nuit, je n'aurai rien à craindre, les rayons lunaires me raccompagneront jusqu'au champ. Alors j'aspergerai d'eau le pied de maïs et les taches de sécheresse ne pourront plus s'étendre.
L'aïeul prenait son temps, il n'avait pas pensé qu'une meute de loups lui barrerait la route.
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Le chien continuait à le regarder sans comprendre.
Tu ne veux pas parler, tant pis. L'homme poussa un soupir. Un peu déprimé, il alluma sa pipe. Face à l'obscurité, il dit, comme c'est bon d'être jeune, d'avoir un corps fort et une femme la nuit. Si la femme est intelligente, au retour du champ, elle t'apporte de l'eau, et si ton visage est en sueur, elle te passe un éventail. Les jours de neige, elle te chauffe le lit. Si durant la nuit vous vous êtes retrouvés, et que tu te lèves tôt le matin pour aller au champ, elle te dit de te reposer encore un moment. Vivre de cette façon, il inspira énergiquement une bouffée de sa pipe, puis expira longuement, caressa le chien et poursuivit, vivre de cette façon, c'est vivre comme les immortels.
Il demanda, tu as eu ce genre de vie toi, l'aveugle?
Le chien demeura silencieux.
Il dit, qu'en dis-tu, l'aveugle, est-ce que ce n'est pas pour ce genre de vie que les hommes viennent au monde? Il ne laissa guère au chien le loisir de rétorquer, se répondit immédiatement à lui-même, certainement, je dis que oui. Puis il dit encore, mais quand on est vieux c'est différent, quand on est vieux on vit seulement pour un arbre, un brin d'herbe, des petits enfants.
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Cette année-là, la sécheresse semblait ne jamais devoir finir, le temps lui-même paraissait avoir été réduit en cendres et le charbon des jours se consumait dans nos mains. Le soleil brillait en grappes infinies au-dessus de nos têtes. Dès le matin, et jusqu'au soir, l'aïeul respirait l'odeur de ses cheveux roussis. Quelquefois, il tendait la main dans le vide. Il pouvait alors sentir l'odeur de ses ongles cramoisis. Journée de merde! Il jurait ainsi tout le temps, quittant le village dépeuplé, foulant un abîme de silence, les yeux mi-clos, un regard jeté de biais vers le soleil, il disait, viens l'aveugle, partons. Le chien suivait, guidé par le bruit du pas alourdi par les ans, et deux ombres quittaient le village.
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Le village était désormais désert. La maladie avait explosé. Ceux qui devaient mourir étaient morts. Les survivants avaient quitté le village. La canicule avait vidé le village comme le vent emporte les feuilles mortes, comme le vent éteint les lanternes.
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Wang Baoshan avait vendu son sang afin d'avoir l'argent nécessaire pour l'épouser. Elle avait donné l'argent qu'il lui avait offert en cadeau à son frère cadet pour qu'il puisse se marier. Ensuite, elle s'était mise à vendre son sang avec Wang Baoshan pour lui rembourser son cadeau de mariage. Dix ans plus tard, celui-ci était toujours en bonne santé, alors qu'elle était malade. Quand la fièvre s'était déclarée, elle restait toute la journée assise devant sa porte, à frapper le sol du pied en répétant :
- Ce n'est pas juste ! Ce n'est pas juste !
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Or, un jour, mon père se rendit à la ville et revint avec un sac d'aiguilles, des tubes, du coton hydrophile et des flacons. Il posa tout l'attirail sur le lit et alla chercher une planche dans l'enclos à cochons sur laquelle il peignit : « poste de collecte de sang de la famille des Ding ». Il alla ensuite se placer sous le sophora au centre du village et frappa le gong en criant de toute la force de ses poumons :
- Que tous ceux qui veulent vendre leur sang viennent me trouver ! Les autres donnent quatre-vingts yuans par flacon. Moi, je donne quatre-vingt cinq yuans !
A peine eut-il fini son annonce que les gens affluèrent chez nous. Le poste de collecte de sang de la famille Ding était né.
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14. Le sage règle sa conduite d’après la condition dans laquelle il se trouve ; il ne désire rien en dehors de sa condition. Dans les richesses et les honneurs, il agit comme il convient à un homme riche et honoré. Dans la pauvreté et l’abjection, il agit comme il convient à un homme pauvre et méprisé. Au milieu des barbares de l’occident ou du septentrion, il agit comme il convient au milieu de ces barbares. Dans le malheur et la souffrance, il agit comme il convient dans le malheur et la souffrance. Partout et toujours le sage a ce qui lui suffit (à savoir, la vertu).

Dans un rang élevé, il ne vexe pas ses inférieurs ; dans un rang inférieur, il ne recherche pas la faveur des grands. Il se rend lui-même parfait, et ne demande rien à personne ; aussi ne se plaint il jamais. Il ne se plaint pas du Ciel, il n’accuse pas les hommes. Le sage ne quitte pas le chemin uni ; il attend tranquillement les dispositions de la Providence. Celui qui n’est pas vertueux court chercher fortune à travers les précipices. Confucius dit : « L’archer a un point de ressemblance avec le sage. Quand sa flèche n’atteint pas le milieu de la cible, il en cherche la cause en lui-même, (et n’accuse personne).

15. Le sage est comme le voyageur qui, pour aller loin, part du lieu le plus rapproché de lui ; comme un homme qui, voulant gravir une haute montagne, commence par le bas. Il est dit dans le Cheu king : « Votre femme et vos enfants s’accordent comme le luth et la lyre. Vos frères de tout âge vivent en bonne harmonie, et se réjouissent ensemble ; ils font régner le bon ordre dans votre famille, et comblent de joie votre femme et vos enfants. »

Confucius ajoute : « Que le père et la mère en éprouvent de contentement ! » Dans une famille, le père et la mère occupent le premier rang, ils vont au dessus et à distance des autres. La femme, les enfants, les frères de tout âge sont au second rang ; ils sont en bas, et tout près de nous. Commencer par mettre le bon accord entre la femme, les enfants et les frères, et par cette voie arriver à rendre heureux les parents, n’est ce pas aller loin en partant d’un lieu rapproché, gravir une haute montagne en partant du pied ?

16. Confucius dit : « Que l’action des esprits est puissante ! L’œil ne peut les voir, ni l’oreille les entendre. Ils sont en toutes choses, et ne peuvent en être séparés. Pour eux, dans tout l’univers, les hommes se purifient par l’abstinence, se revêtent d’habits magnifiques, et offrent des dons et des sacrifices. Ils sont partout en grand nombre ; ils se meuvent au dessus de nos têtes, à notre droite et à notre gauche. Il est dit dans le Cheu king : « L’arrivée des esprits ne peut être devinée ; beaucoup moins peut elle être comptée pour rien. Tant il est vrai que les esprits se manifestent sans se montrer aux regards, et que leur action ne peut être cachée ! »
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13. Confucius dit : « La règle des actions n’est pas loin de l’homme. Si quelqu’un faisait une règle qui fût loin de l’homme, elle ne pourrait être considérée comme règle. Il est dit dans le Cheu king : « Celui qui fait un manche de hache a un modèle tout près de lui (à savoir, le manche de la hache dont il se sert). Il prend un manche (une hache munie de son manche) pour faire un autre manche. (Bien que le modèle ne soit pas loin), l’ouvrier qui le considère en tournant les yeux obliquement juge qu’il est à distance du bois destiné à la confection d’un nouveau manche. (La règle de nos actions ou la loi naturelle est encore beaucoup plus près de nous ; elle est en nous) Le sage forme l’homme par l’homme (par le moyen de la loi naturelle qui est dans le cœur de l'homme) ; il se contente de le corriger de ses défauts. Il s’applique sérieusement à la pratique de la vertu, mesure les autres avec la même mesure que lui-même, et ne s’écarte guère de la voie de la perfection. Il évite de faire aux autres ce qu’il n’aime pas que les autres lui fassent à lui-même. « Le sage observe quatre lois principales ; moi, K’iou (Confucius), je n’ai pas encore pu en observer une seule. Je n’ai pas encore pu rendre à mon père les devoirs que j’exige de mon fils, ni à mon prince les devoirs que j’exigerais de mes sujets, ni à mon frère aîné les devoirs que j’exige de mon frère puîné ; je n’ai pas encore pu faire le premier à mon ami ce que j’exige de lui à mon égard. Celui-là n’est-il pas un sage vraiment parfait, qui, dans la pratique des vertus ordinaires et dans ses conversations de chaque jour, s’efforce d’éviter jusqu’aux moindres défauts, qui craint toujours de promettre plus qu’il ne peut tenir, et fait en sorte que ses paroles répondent à ses actions, et ses actions à ses paroles ?
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8. Confucius dit : « Houei était homme à trouver et à tenir l’invariable milieu en toute occurrence. Dès qu’il avait connu une vertu, il la pratiquait avec énergie, la faisait pénétrer au fond de son cœur, et ne la laissait plus échapper. » Houei, nommé Ien Iuen, était disciple de Confucius.
9. Confucius dit : « Un homme peut être assez sage pour gouverner l’empire et des principautés, assez désintéressé pour refuser des dignités avec leurs revenus, assez courageux pour marcher sur des épées nues, et n’être pas capable de se tenir dans l’invariable milieu. »

10. Tzeu lou (ou Tchoung Iou, disciple de Confucius) ayant demandé à Confucius en quoi consiste la force d’âme, le Philosophe répondit : « Parlez vous de celle des habitants du midi ou des habitants du nord, ou bien de celle que vous, vous devez acquérir (vous, disciple de la sagesse) ? Enseigner avec indulgence et douceur, ne pas se venger des injustices, c’est la force d’âme des habitants du midi. Le sage la pratique constamment. Prendre son repos tout armé, donner sa vie sans regret, c’est la force d’âme des habitants du nord. Les braves (les soldats et les autres) la pratiquent. Le sage est accommodant ; mais il ne s’abandonne pas au courant (des passions humaines). Que sa fermeté est courageuse ! Il se tient dans le juste milieu, sans incliner d’aucun côté. Que sa fermeté est courageuse ! Si le gouvernement est bien réglé, (il accepte une charge, mais) dans la vie publique il est le même que dans la vie privée. Que sa fermeté est courageuse ! Si le gouvernement est mal réglé, il reste toujours le même jusqu’à la mort. Que sa fermeté est courageuse ! »

11. Confucius dit : « Scruter les secrets les plus impénétrables, faire des choses extraordinaires, pour être loué dans les siècles à venir, c’est ce que je ne veux pas. (la lettre sôn, d'après les annales de Han, doit être remplacée par souô). Le sage marche dans la voie de la vertu. Rester à moitié chemin, c’est ce que je ne puis faire. Le sage s’attache à l’invariable milieu. Si, fuyant le monde, il demeure inconnu, il n’en éprouve aucun regret. Le sage est seul capable d’arriver à cette perfection. »

12. La règle des actions du sage est d’un usage très étendu (elle s'applique à tout), et cependant elle reste en partie cachée. Les personnes les plus ignorantes, hommes ou femmes, peuvent arriver à la connaître ; mais les plus grands sages eux mêmes ne la connaissent pas dans toute son étendue. Les personnes les moins courageuses, hommes ou femmes, peuvent entreprendre de la suivre ; mais les plus grands sages eux mêmes ne peuvent y conformer entièrement leur conduite. C’est ainsi que le ciel et la terre, malgré leur immensité, ne peuvent satisfaire pleinement les désirs des hommes, (qui se plaignent du froid, du chaud …). Quand le sage expose les grands principes de la loi naturelle, rien dans l’univers ne peut les contenir. Quand il en explique les principes particuliers, il n’est rien de plus subtil sous le ciel.

Il est dit dans le Cheu king : « L’épervier dans son vol s’élève jusqu’au ciel ; le poisson bondit au fond des abîmes. » Cela signifie que la loi naturelle se manifeste dans les régions les plus basses comme dans les plus élevées. La règle des actions du sage se trouve, quant à ses premiers principes, dans le cœur des personnes les plus vulgaires. Ses limites extrêmes atteignent celles du ciel et de la terre.

Dans ce douzième article, c’est Tzeu seu qui parle. Il y explique cette proposition du premier article, qu’« il n’est pas permis de s’écarter de la voie de la vertu ». Dans les huit articles qui vont suivre, il cite différentes paroles de Confucius à l’appui de cette doctrine.
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