Citations de Lianke Yan (181)
Elle jetait sur l'herbe les vêtements qu'elle retirait ou les accrochait aux branches où ils flottaient comme autant de drapeaux colorés.
De même manière que lorsqu'elle s'était, un peu plus tôt, déshabillée pour Mingguang, elle fut bientôt complètement nue. À l'instant où elle dégrafa son soutien-gorge, la montagne trembla. Quand la secousse qui agitait les arbres se calma, elle enleva la dernière pièce : son petit slip triangulaire en voile transparent, et la forêt et la montagne se remirent à vaciller, à tanguer sans plus vouloir s'arrêter. Sur ce fond de tressaillements et d'oscillations, une larme au coin de l'œil, elle lui sourit. Et les arbres morts à nouveau se couvrirent de fleurs, jaunes ou écarlates. Et dans la forêt les herbes pour une raison ou l'autre fanées ressuscitèrent, un parfum végétal épais comme un printemps s'abattit comme une pluie de tempête. Des branches là-haut les oiseaux s'envolèrent en criant. L'automne redevint été, l'été redevint printemps, et quand il en fut là, le temps s'immobilisa. Jusqu'à ce qu'elle ouvre la bouche et que les saisons reprennent leur cours.
Le regard posé sur son visage juvénile et enthousiaste, elle le vit hocher la tête puis, ne sachant que faire pour célébrer l'événement, resta clouée là hésitante et ravie, telle une poupée de chiffon. À tout hasard, Mingliang lui balança sa nomination devant les yeux. Retrouvant un peu de vitalité, gaiement elle retira sa veste en duvet de canard, entreprit de déboutonner son lainage et de se défaire de ses sous-vêtements long. Elle en avait presque terminé lorsque soudain elle se remit à l'observer d'un air apathique, à nouveau joyeuse poupée de chiffon. Encore une fois il balança le document devant elle, et donnant l'impression de s'éveiller elle finit de se déshabiller. Puis, sans plus un fil sur le dos, à la manière d'une poche d'eau laissa choir sur le canapé un corps d'une blancheur si clair qu'on aurait cru la pièce transparente, à ciel ouvert sous le soleil.
Le chef de bourg en resta stupide comme un poulet de bois.
De sérieuse, la situation devenait absurde. L'absurdité de la situation dépasse l'imagination du lecteur comme elle dépassait l'imagination de Wu Dawang, mais à cet instant, ni Liu lian ni lui-même ne percevaient l'absurdité de leur conduite. Peut-être, dans les situations exceptionnelles, n'y a-t-il que l'absurde qui permette de vérifier certaines réalités. Peut-être aussi, dans le domaine des sentiments humains, l'absurde est-il l'aboutissement de toutes les situations. Ce qui n'est pas absurde peut, au contraire, produire l'illusion. Peut-être faut-il un dénouement absurde pour mesurer la valeur du processus qui a conduit à ce dénouement.
Ils continuèrent à grimper jusqu'à ce que le champ apparaisse devant leurs yeux. Alors le chien cessa d'aboyer. Il partit comme une flèche vers la cabane, manque de tomber dans le ravin. Au rythme de sa course, la lumière semblait se fissurer sur la terre durcie, on aurait cru entendre le bruit clair d'une bouteille de verre explosant sous la chaleur. Ondulant derrière la bête, les cris aigus et violents se répercutaient.
Un instant, l'aïeul resta interdit.
Il se tenait au pied du champ d'où il percevait, à travers la lézarde des aboiements, une bruine dense de couinements. Portant son regard vers la cabane, il vit que le sac accroché au pilier était vide, les grains tous éparpillés, répandus sur le sol dur. Il y avait une foule de rats gris et noirs, peut-être trois cents, ou bien cinq cents, ou presque mille. Ils étaient là, au pied de la cabane, à se battre pour le grain, détalant dans un sens puis dans l'autre. Les grains de maïs roulaient sous leurs pattes, gouttaient de leurs babines, craquaient sous leurs dents et les bruits de mastication mêlés à leurs cris d'allégresse déferlaient comme une pluie torrentielle sur ce versant de montagne.
Cette année-là, la sécheresse semblait ne jamais devoir finir, le temps lui-même paraissait avoir été réduit en cendres et le charbon des jours se consumait dans nos mains. Le soleil brillait en grappes infinies au-dessus de nos têtes.
Les somnambules sont comme des vagabonds sans toit, des moutons sans berger. Il leur suffit d'un berger, d'un endroit où manger, dormir et s'enrichir, et ils vous suivent.
Un grillon chantait. Là, parmi la végétation en bordure de route, il ne cessait de chanter. Sur le jujubier, une sauterelle chantait . Sur le jujubier qui avait poussé à flanc de falaise, elle ne cessait de chanter. Dans la nuit, le monde était devenu d'un silence mortel.
Les hommes des villages environnants s'étaient rassemblés en grand nombre, l'heure était venue pour eux de se déverser dans le bourg. Ils affluaient comme par une vanne ouverte, submergeant les digues. Comme une armée prête à tuer.
- Papa, si je deviens somnambule, à ton avis qu'est ce que je ferai ?
- Tu feras ce à quoi tu penses à ce moment là.
- Je pense à lire.
- Alors tu liras en rêvant.
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Tout était très calme - un calme de mort.
Un calme de mort - un très grand calme.
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Presque dans chaque famille, s'il n'y a pas eu de mort, il y a eu des blessés. Pas un foyer n'a échappé au vol et à la violence. Chaque famille a eu ses somnambules et ses fauteurs de trouble.
D'un côté comme de l'autre, personne ne parlait du présent. Personne n'en voulait. C'était une guerre entre des gens qui ne voulaient que le passé ou l'avenir. Une guerre entre un avenir livresque et un passé historique.
Depuis hier soir 21h30 environ, à cause de la chaleur et de la fatigue entraînée par le changement de saison, un phénomène auquel nous n'avions pas assisté depuis cent ans est réapparu : une épidémie de somnambulisme.
Je n'ai qu'une parole pour quiconque ne respecte pas nos lois, nous calomnie et en disant que l'empire n'est pas prospère, et que le peuple ne vit pas en paix - qu'il soit décapité !
Les écrivains peuvent donc aussi devenir somnambules. Eux aussi peuvent être contaminés.
Il se passe cette nuit quelque chose de très grave dans notre bourg. La mort vient à notre rencontre. Il faut tenir cette nuit et ça ira. Aux premières lueurs de l'aube, dès que le jour poindra, tout le monde se réveillera.
Surtout ne vous endormez pas, car une fois somnambule, on peut se suicider sans même s'en rendre compte.
Ses romans sont toujours longs, plein de mots. Qu'on les assemble et cela ressemble à une terre désolée. Un monticule, un tertre funéraire rudimentaire.
C'était donc cela le somnambulisme. Un oiseau sauvage qui pénètre l'esprit d'un homme et le met en désordre.
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Il est plus célèbre que notre chef de bourg, plus célèbre que notre chef de district. Sa renommée est si grande que l'on pourrait le comparer à une pastèque dans un champ de sésame, à un chameau mené paître au milieu des moutons.
Quant à moi, je suis aussi méconnu qu'un grain de poussière dans un champ de sésame.
Ma vie ressemble à celle des poux et des lentes sur le dos des bœufs et des chameaux.
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