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Critiques de Louis-Ferdinand Céline (1036)
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Voyage au bout de la nuit

LE CAS CÉLINE : cela fait un bout de temps que je médite d'écrire un petit billet qui risque fort d'être extrêmement controversé, mal vu ou mal interprété. Mais, comme il n'est pas interdit ni exclu d'être parfois courageuse en ce bas monde, je prends sur moi d'assumer toute la hargne ou le mépris qu'il pourrait susciter.



J'ai déjà presque failli me brouiller avec l'un de mes meilleurs amis à ce propos, un soir de réveillon de Noël, plombant durablement l'ambiance et avec lequel il m'a fallu plusieurs longs mois pour reparler littérature. Sachant que depuis, nous évitons l'un l'autre, soigneusement et tacitement de nous approcher de près ou de loin du cas Céline.



Question : Peut-on être considéré comme le plus grand écrivain français du XXème siècle quand on a, non seulement tenu des propos, mais aussi et surtout, publié des propos fortement injurieux, racistes, xénophobes, homophobes et très accablants d'antisémitisme ?



Cette question n'est pas encore tranchée et nul ne sait aujourd'hui si elle le sera un jour de façon consensuelle. le malaise du ministère de la culture au moment du cinquantenaire de la mort de Céline est là pour l'attester.



(Même si l'état français via la BNF a quand même lâché pas moins de 12 millions en 2001 pour racheter le manuscrit. Je doute qu'il se montrerait aussi large pour sauver de l'oubli les premières culottes de Françoise Sagan ou les chaussettes à D'Ormesson, donc en soi, ça veut quand même dire un peu quelque chose.)



Il nous faut donc nous replier sur des solutions individuelles, locales, idiosyncrasiques et donc fortement teintées de subjectivité pour tâcher, bien modestement, d'y trouver notre propre réponse.



Puisque nous parlons ici du Voyage Au Bout de la Nuit, faut-il boycotter cette oeuvre en raison de ce que l'on sait de son auteur ou lire cette oeuvre comme une émanation indépendante d'une personne certes méprisable mais dont, dans un moment de génie, la plume a su sortir une forme de quintessence littéraire ?



En ce qui me concerne, ni l'un ni l'autre. Une oeuvre n'est jamais complètement indépendante de la main qui lui a donné le jour, mais dans le même temps, on peut saluer la réalisation sans adhérer à d'autres réalisations du même bonhomme.



Je vais risquer un parallèle hasardeux. A-t-on le droit de considérer Napoléon comme le plus grand chef d'état français de tous les temps en dépit de son triste palmarès de boucher en chef et de ré instigateur de l'esclavage ?



En ce qui me concerne, sans problème. Napoléon a fait plus et mieux que n'importe quel roi ou chef d'état en poste avant ou après lui en ce qui concerne la modernisation du pays et l'émancipation du droit ou des citoyens d'humble extraction.



Mais dans le même temps, je lui décerne également le prix du plus grand bourreau de l'histoire de France et je l'affuble du plus abject bonnet de calculateur et de bafoueur des droits de l'homme de son temps.



Considérer l'homme, c'est le considérer dans son entier, dans ses lumières et dans ses côtés sombres. Il n'est ni un dieu, ni un chien. Il est probablement quelque part entre les deux, ayant été capable de monter très haut dans certains domaines et de descendre très bas, bien plus bas que le commun des mortels, dans d'autres. Nul n'est monolithique et les grands hommes moins que d'autres.



Revenons à l'ouvrage qui nous occupe. Pour ma part, je considère qu'il serait dommage (voire dommageable) de ne pas le lire sous le seul prétexte qu'il a été écrit par Céline. Un restant d'épicurisme me pousse à prendre les bonnes choses là où elles sont. Mais dans le même temps, je considère qu'il serait tout aussi dommage et dommageable de faire « comme si » Céline n'avait jamais été ce qu'il a été et je vais argumenter ce dernier point.



D'où provient l'antisémitisme flagrant de Céline ? de plusieurs raisons qu'il serait long et fastidieux d'égrener ici, mais d'une plus particulièrement : son refus de la guerre. On lit très clairement et très distinctement dans le Voyage que Céline a été écoeuré, bouffé, brisé à jamais par les horreurs qu'il a vécues pendant la guerre de 1914. C'est strictement dit dans ce livre et je pense qu'il ne fait pas tellement débat que Céline se place clairement du côté des pacifistes acharnés.



Replaçons-nous dans le contexte historique, social et politique où Céline a écrit son premier pamphlet antisémite. La Révolution russe et le spectre bolchevik où des Juifs (notamment Trotski) ont joué un grand rôle et continuent de croire fermement à l'internationale communiste. Plus proche de nous, Hitler est monté au pouvoir en Allemagne, il a commencé à s'en prendre aux Juifs. Que se passe-t-il en France pendant ce temps et dont Céline est le témoin ?



Les restes de la crise de 1929, celle qui a mis à genoux le monde, toujours pas complètement épongés, avec le lourd fardeau de soupçons sur certains banquiers juifs américains. En France, Léon Blum au pouvoir, un afflux massif de réfugiés juifs fuyant le nazisme, bref, un terreau idéal pour ressortir les bonnes vieilles théories racistes et antisémites — un grand classique dans l'histoire de l'Europe —, qu'on revoit éclore à chaque épidémie de peste ou à chaque période de crise profonde et qui ont le vent en poupe à ce moment-là.



Sans oublier les bruits, réels ou supposés, relatifs aux pressions exercées par des lobbys juifs français pour pousser Paris à entrer en guerre contre Berlin. le but recherché par les lobbys juifs serait, d'après ceux qui pensent comme Céline, évident : virer Hitler et ainsi redonner un peu de souffle à une communauté fortement lynchée outre-Rhin.



(Michel Dreyfus montre assez bien, je trouve, l'opposition, la ligne de fracture qui existait à l'époque entre les antifascistes d'une part, et les pacifistes d'autre part. Les premiers n'excluant pas le recours à la force pour faire plier le fascisme. Voir son article intitulé " le pacifisme, vecteur de l'antisémitisme à gauche dans les années 1930 ", accessible sur le lien suivant :

http://www.cairn.info/zen.php?ID_ARTICLE=AJ_431_0054)



Dans la tête de Céline, en revanche, le spectre de telles manoeuvres souterraines " des Juifs " (appellation vague et générique, commode car fourre-tout, qui mouille tout le monde au nom de quelques-uns) visant à l'entrée en guerre de la France vont concourir pour lui à la pire chose qui soit : LA GUERRE. Toutes ses images de 14-18 lui remontent au cerveau et du coup, son ennemi intime devient LE peuple juif, dans son entier, sans une ombre de nuance. C'est son interprétation de la situation et elle est méprisable.



Donc le pro-pacifisme affiché de Céline dans le Voyage et qui souvent ne rebute personne me semble pourtant une cause essentielle, et peut-être même première, de ses prises de position ultérieures et que tout le monde dénonce.



Alors oui, Céline a écrit certaines des plus abjectes saloperies qui aient jamais été écrites en français sur les Juifs, mais oui également, il a écrit l'un des plus fantastiques bouquins de tous les temps. Céline est tout ça. Ni seulement antisémite, xénophobe et homophobe répugnant, ni seulement écrivain génial, juste un homme, tout simplement, avec ses qualités et ses travers, avec son bon sens, par moments, et ses interprétations inacceptables à d'autres, avec sa plume luminescente, comme ici, et avec ses écrits insoutenables et intolérables, les pamphlets des années 1930, qu'il n'a jamais renié jusqu'à sa mort. Je pense même que c'est par opportunisme et parce que le vent avait tourné qu'il n'a pas produit d'autres de ses torchons infâmes après guerre.



J'en terminerai seulement en affirmant que, oui, cet homme était complexe et très choquant, dangereux, méprisant, provocant, haineux, fielleux, méprisant, imbu de lui-même, abject et grossier par moments, mais oui il était aussi très sensible, ultra lucide, incroyablement raffiné, intelligent, perspicace à d'autres et c'est justement cette complexité et ce tutoiement constant de la limite (parfois en dedans, parfois largement au-delà du supportable) qui rendent son oeuvre, malgré tout, si intéressante.



Au passage, je rappelle aux quelques matheux qui nous entourent qu'on utilise tous les jours le coefficient de Pearson ou les droites de régression (rien que le nom en dit long !), tous ces outils mathématiques et statistiques ayant été mis au point par des notoires antisémites pour " justifier " l'infériorité et la dégénérescence supposée de la " race " juive. Cela n'empêche nullement de considérer ces outils comme de bons outils mathématiques même si les motivations de leurs auteurs ou l'emploi premier qui en fut fait a depuis longtemps été dénoncé et mis au placard.



Et le livre là-dedans ?



Fantastique ! Au creux des cimes, au sommet des abysses, il y a toujours dans mes rêves littéraires quelque chose en moi qui me pousse à quêter, à fouiner, à déterrer pour retrouver une ombre, une parcelle, un pastiche, quoi que ce soit d'approchant, de faiblement comparable à ce verbe, à cette vigueur, à cette écorchure, à cette pourriture, à cette brillance-là.



Je n'ai pas relu "Le voyage" récemment et je puis donc témoigner en toute subjectivité sur le lent travail de ver dans le fruit qu'a accompli cette oeuvre dans mon cerveau, sur ce souvenir impérissable et qui croît au cours du temps. Je ne me rappelle pas avoir jamais relu depuis un quelconque ouvrage (même les autres bouquins de Céline) qui m'ait autant laissé une impression de puissance littéraire et "d'éclatement à la gueule".



Quand bien même vous ne goûteriez rien du scénario, vous détesteriez l'homme et sa réputation hideuse, sulfureuse, vous seriez presque à coup sûr fasciné par l'incomparable style de l'auteur. Ou en fait, non ; tous comptes faits, non. C'est tellement typé que ça ne peut nécessairement pas plaire à tout le monde : seuls les écrits consensuels (et plutôt insipides) conviennent au plus grand nombre. La Vache Qui Rit, presque tout le monde peut en manger, par contre un vieux fromage féroce qui coule, ça n'est pas forcément du goût de tous… et il n'y a pas à s'en étonner.



Céline est grinçant, cinglant, cynique, cruel, déprimant, rebutant mais c'est surtout un faramineux faiseur de phrases, capable de dégager une puissance incalculable des mots.

Comment expliquer Céline ? À la fois mélange de prose violente et de lyrisme morbide, à la fois désabusé et lucide, à la fois horrible et magnifique.



Son style peut être imitable, mais sûrement pas égalable. Il me semble d'ailleurs fort amusant, comme un singulier pied de nez de l'histoire, que le seul auteur francophone contemporain qui puisse être tant soit peu de la carrure de l'antisémite Céline quant au style soit le juif archétypal, le plus juif d'entre tous, le luminescent Albert Cohen.



Louis-Ferdinand Destouches, alias Céline était toujours très discret sur ses influences littéraires, (Crime et Châtiment, Henri Barbusse, quelques chroniques historiques…) mais, au détour d'une ou deux remarques laissées ici ou là, il avoue à demis mots qu'il se situe dans la lignée de Zola, — aussi étonnant que cela puisse paraître quant aux convictions de l'un et de l'autre — probablement pas n'importe quel Zola, celui de la fin de L'Assommoir, dont le style est si particulier, même pour du Zola.



Le style, (peut-être aurait-il mis une majuscule au mot style, tellement il le tenait en haute estime, dans la lignée très franco-française matérialisée fort tôt par Bossuet dans ses sermons, par La Bruyère et ses Caractères ou Buffon dans son célèbre Discours Sur le Style, laquelle lignée qui depuis les germes semés par Rabelais fleurira les Voltaire, les Laclos, les Balzac, les Stendhal, les Hugo, les Dumas, les Flaubert, les Baudelaire, les Zola, les Rostand, et que sais-je encore ?, les Gide, les Proust , les Camus, les Butor, les Gracq ou les Gary) semble être le véritable fil conducteur des romans de Céline.



Le voyage plus que la destination, comme aurait dit Kerouac, et en ce sens, je pense qu'il en est et demeure le plus grand orfèvre français, voire mondial (mais les armes pour juger d'une telle assertion, sont délicates à maîtriser car il faudrait lire toute la littérature en V.O., or j'ai un peu de mal avec le finnois, l'albanais, le japonais et même un peu le swahili !).



En une phrase, le héros Bardamu fait son voyage initiatique "en négatif", celui qui l'amènera dans un trou perdu à exercer la médecine parmi la populace, après avoir essuyé les ricochets de la guerre, la sueur des colonies d'Afrique, les boulons des usines américaines aux cadences infernales, l'amour avorté, bref, la définition même du "voyage au bout de la nuit".



Mais c'est très mauvais, n'est-ce pas, ça ne donne pas vraiment idée de la chose. Alors, le mieux, c'est sûrement de laisser monsieur Céline lui même vous parler de ce qu'il en est. (C'est un extrait de sa lettre d'accompagnement du manuscrit à Gallimard, lequel Gallimard qui, ayant le nez creux, l'a refusé puis s'en est mordu les olives juste aussitôt.)



« En fait ce Voyage au bout de la nuit est un récit romancé, dans une forme assez singulière et dont je ne vois pas beaucoup d'exemples dans la littérature en général. Je ne l'ai pas voulu ainsi. C'est ainsi. Il s'agit d'une manière de symphonie littéraire, émotive plutôt que d'un véritable roman. L'écueil du genre c'est l'ennui. Je ne crois pas que mon machin soit ennuyeux. Au point de vue émotif ce récit est assez voisin de ce qu'on obtient ou devrait obtenir avec de la musique. Cela se tient sans cesse aux confins des émotions et des mots, des représentations pieuses, sauf aux moments d'accents, eux impitoyablement précis.

D'où quantité de diversions qui entrent peu à peu dans le thème et le font chanter finalement comme en composition musicale. Tout cela demeure fort prétentieux et mieux que ridicule si le travail est raté. À vous d'en juger. Pour moi c'est réussi. C'est ainsi que je sens les gens et les choses. Tant pis pour eux.

L'intrigue est à la fois complexe et simplette. Elle appartient aussi au genre Opéra. (Ce n'est pas une référence !) C'est de la grande fresque du populisme lyrique, du communisme avec une âme, coquin donc, vivant.

Le récit commence Place Clichy, au début de la guerre, et finit quinze ans plus tard à la fête de Clichy. 700 pages de voyages à travers le monde, les hommes et la nuit, et l'amour, l'amour surtout que je traque, abîme, et qui ressort de là, pénible, dégonflé, vaincu... du crime, du délire, du dostoïevskysme, il y a de tout dans mon machin, pour s'instruire et pour s'amuser.

Les faits.

Robinson mon ami, vaguement ouvrier, part à la guerre, (je pense la guerre à sa place) il se défile des batailles on ne sait trop comment... Il passe en Afrique Tropicale... puis en Amérique... descriptions... descriptions... sensations... Partout, toujours il n'est pas à son aise (romantisme, mal du XXIè siècle ) Il revient en France, vaseux... Il en a marre de voyager, d'être exploité partout et de crever d'inhibitions et de faim. C'est un prolétaire moderne. Il va se décider à estourbir une vieille dame pour une fois pour toutes posséder un petit capital, c'est-à-dire un début de liberté. Il la rate la vieille dame une première fois. Il se blesse. Il s'aveugle temporairement. Comme la famille de la vieille dame était de mèche, on les envoie ensemble dans le midi pour éteindre l'affaire. C'est même la vieille qui le soigne à présent. Ils font dans le midi ensemble un drôle de commerce. Ils montrent des momies dans une cave (Ça rapporte). Robinson recommence à voir clair. Il se fiance aussi avec une jeune fille de Toulouse. Il va tomber dans la vie régulière. Pour que la vie soye tout à fait régulière il faut encore un petit capital. Alors cette fois encore l'idée lui revient de buter la vieille dame. Et cette fois il ne la rate pas. Elle est bien morte. Ils vont donc hériter lui et sa future femme. C'est le bonheur bourgeois qui s'annonce. Mais quelque chose le retient de s'installer dans le bonheur bourgeois, dans l'amour et la sécurité matérielle. Quelque chose ! Ah ! Ah ! C'est tout le roman ce quelque chose ! Attention ! Il fuit sa fiancée et le bonheur. Elle le relance. Elle lui fait des scènes, scènes sur scènes. Des scènes de jalousie. Elle est la femme de toujours devant un homme nouveau... Elle le tue... »



Il me reste encore à vous donner un extrait de l'oeuvre elle-même qui, selon moi, en est très représentatif et que voici :



« J'avais beau me retourner et me retourner encore sur le petit plumard je ne pouvais accrocher le plus petit bout de sommeil. Même à se masturber dans ces cas-là on n'éprouve ni réconfort, ni distraction. Alors c'est le vrai désespoir.

Ce qui est pire c'est qu'on se demande comment le lendemain on trouvera assez de forces pour continuer à faire ce qu'on a fait la veille et depuis déjà tellement trop longtemps, où on trouvera la force pour ces démarches imbéciles, ces mille projets qui n'aboutissent à rien, ces tentatives pour sortir de l'accablante nécessité, tentatives qui toujours avortent, et toutes pour aller se convaincre que le destin est insurmontable, qu'il faut retomber au bas de la muraille, chaque soir, sous l'angoisse du lendemain, toujours plus précaire, plus sordide.

C'est l'âge aussi qui vient peut-être, le traître, et nous menace du pire. On n'a plus beaucoup de musique en soi pour faire danser la vie, voilà. Toute la jeunesse est allée mourir déjà au bout du monde dans le silence de vérité. Et où aller dehors, je vous le demande, dès qu'on n'a plus en soi la somme suffisante de délire ? La vérité, c'est une agonie qui n'en finit pas. La vérité de ce monde c'est la mort. Il faut choisir, mourir ou mentir. Je n'ai jamais pu me tuer moi. »



Ce coup-là, tout est dit, je crois. Aussi lisez, savourez, délectez-vous de notre plus grand roman français du XXème, malgré ou en raison de toutes les noirceurs de son auteur, de tout ce qu'on en a dit ou médit, (je pense d'ailleurs que rien de ce qui entache vraiment Céline ne transparaît directement dans ce livre).



En somme, d'après moi, il ne faut surtout pas jeter le bébé avec l'eau du bain : il y a bien un Céline putride, absolument suffocant et insoutenable ; on le trouve dans ses pamphlets des années 1930. Mais il existe aussi cet autre Céline, et il serait dommage de tout mettre à la poubelle dans le même sac, sans l'ombre d'une nuance, notamment ses écrits romanesques antérieurs, qui sont d'un tout autre niveau et d'un tout autre intérêt.



Et plutôt que de dire : « C'est un facho ! C'est de la merde ! Je ne me salirai jamais les doigts avec ses livres ! etc. » comme je l'entends très souvent, (On accuse même parfois ouvertement ceux qui apprécient Voyage au bout de la Nuit d'être des sympathisants d'extrême droite.) ne serait-il possible de présenter Céline pour ce qu'il est, c'est-à-dire une sorte de Janus moderne, un genre de Dr Jekyll ayant vraiment exercé la médecine et dont les pamphlets seraient sa face Mr Hyde ?



Mais bien évidemment, aujourd'hui plus que jamais, vous aurez compris que ce que j'exprime ici n'est que mon avis, un tout petit avis noyé sous la foule des centaines d'autres, une goutte d'eau dans l'océan, autant dire, pas grand-chose.



P.S. : je n'ai mentionné que l'une des raisons de l'antisémitisme profond et installé de longue date chez Céline, car il me semble que c'est cette raison qui l'a poussé à écrire ses fameux pamphlets "Bagatelles pour un massacre" et "L'école des cadavres".



Mais rien n'est jamais aussi simple, il semble également que depuis sa plus tendre enfance, dans le foyer familial, on cultivait l'antisémitisme et aussi, surtout devrais-je dire, la brûlure, la blessure à ses yeux que fut la réception de Mort À Crédit, par le monde littéraire, de la critique et de l'édition, où des personnalités éminentes juives prenaient une large part a contribué décisivement à forger le contentieux de Céline avec LE peuple juif.



Sa conception de la "dégénérescence orchestré
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Voyage au bout de la nuit

Ouvrez-le à n'importe quelle page, et lisez-en un passage à haute voix...

Céline ne mâche pas ses mots, il les mastique jusqu'à en extraire le suc.

Ca claque, ça grouille, ça pète, ça chie, ça pleure, car "l'existence, ça vous tord et ça vous écrase la face"



Il y a un avant et un après avoir lu ce livre.
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Voyage au bout de la nuit

La grande fatigue de l'existence n'est peut-être en somme que cet énorme mal qu'on se donne pour demeurer vingt ans, quarante ans, davantage, raisonnable, pour ne pas être simplement, profondément soi-même, c'est-à-dire immonde, atroce, absurde. Cauchemar d'avoir à présenter toujours comme un petit idéal universel, sur-homme du matin au soir, le sous-homme claudicant qu'on nous a donné.

p418



Je me dois de trouver une place sur mon île déserte

Aujourd'hui, c'est vendredi....

J'ai l'honneur et la joie d'accueillir cette découverte

Robinson, et Ferdinand Bardamu , le Voyage au bout de la nuit...

Certes, beaucoup de divagations ou propos du psychisme

Mais avec nostalgie, ce livre quitte ma liste "pas lu", je rajouterai étiquette "paludisme"....

Cette petite musique de nuit retentira longtemps encore dans ma nuit,

Aussi bien illusoire de vouloir critiquer ce chef d'oeuvre de Monsieur Céline

Une seule tentative de POLEMIQUE et c'est MOTS ARTS qu'on assassine.....
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Voyage au bout de la nuit

Immense coup de coeur ! On a tellement dit du mal de Céline que j'ai longtemps renâclé à le lire, et puis j'ai voulu me faire moi-même ma propre idée. Haineux, Céline ? Certes, mais pas dans "Voyage au bout de la nuit", où il démonte au contraire un par un les mécanismes qui conduisent à la haine, et ce avec une lucidité impitoyable. (Le problème du personnage, c'est qu'à force de faire de la provocation, et une provocation odieuse j'en conviens, il a fini par tomber dans les travers qu'il dénonce). Pas d'illusions sur la nature humaine, pas de fioritures, pas de complaisances sur une pseudo-fraternité, mais des tentatives pour prendre du recul face à ce qui détruit l'être humain et tenter d'apprendre à vivre malgré cela ou plutôt avec. Il y a chez cet écorché vif un mélange contradictoire entre désespoir et désir de vivre envers et contre tout que je trouve magnifique et qui pourrait aider la plupart d'entre nous. Car ce n'est pas de se voiler les yeux qui fait avancer, mais de regarder les choses en face et d'en rire si on le peut. Ainsi que le disait Pascal, l'homme est plus grand que ce qui l'écrase parce qu'il est doué de conscience. Je pense que le regard de Céline sur la vie m'accompagnera longtemps, comme celui d'un ami qui aura eu le courage de dire tout haut ce que je pensais tout bas, sauf en ce qui concerne son racisme évidemment et ses prises de position en faveur du nazisme. Oui "Voyage au bout de la nuit" est un très grand livre.

Et tant pis pour le "politiquement correct" ! C'est la vérité qui nous aide, pas le mensonge.
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Mort à crédit

Aujourd'hui, attention, danger ! Je m'en viens vous recauser du CAS CÉLINE et ça ne va jamais tout seul. Pour Céline, il y a les pro, farouchement pro, et les anti, farouchement anti. Au milieu, un maigre contingent de personnes qui se regardent en se grattant les tempes et en ne comprenant pas pourquoi au juste tout ce vacarme autour d'un homme, d'un écrivain, qui n'était pas fait pour les laisser indifférents et qui pourtant les laisse sans opinion.



J'ai exprimé dans une critique combien j'étais fan du Voyage au bout de la nuit. J'ai exprimé dans une autre critique sur l'un de ses pamphlets combien je ne souhaitais pas me tromper de cible, ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain mais dire tout de même combien me révulsait ce que ce livre avait de révulsant à mes yeux.



Or, de tout ça finalement, je me rends compte que le débat sur l'homme prend très souvent le pas sur les débats sur le littéraire. Alors pour tâcher de trancher là-dedans, je m'en viens brandir Marcel Proust, qui, en sa qualité de " juif, pédéraste et mondain " était l'exacte image, le vivant portrait de tout ce qu'exécrait le plus Louis-Ferdinand Céline. Que dit Marcel Proust dans sa critique de Sainte-Beuve ?



« L'oeuvre de Sainte-Beuve n'est pas une oeuvre profonde. La fameuse méthode, qui en fait, selon Taine, selon Paul Bourget et tant d'autres, le maître inégalable de la critique du XIXe, cette méthode, qui consiste à ne pas séparer l'homme et l'oeuvre, à considérer qu'il n'est pas indifférent pour juger l'auteur d'un livre, si ce livre n'est pas " un traité de géométrie pure ", d'avoir d'abord répondu aux questions qui paraissent les plus étrangères à son oeuvre (comment se comportait-il, etc.), à s'entourer de tous les renseignements possibles sur un écrivain, à collationner ses correspondances, à interroger les hommes qui l'ont connu, en causant avec eux s'ils vivent encore, en lisant ce qu'ils ont pu écrire sur lui s'ils sont morts, cette méthode méconnaît ce qu'une fréquentation un peu profonde avec nous-mêmes nous apprend : qu'un livre est le produit d'un autre moi que celui que nous manifestons dans nos habitudes, dans la société, dans nos vices. Ce moi-là, si nous voulons essayer de le comprendre, c'est au fond de nous-mêmes, en essayant de le recréer en nous, que nous pouvons y parvenir. Rien ne peut nous dispenser de cet effort de notre coeur. Cette vérité, il nous faut la faire de toutes pièces et il est trop facile de croire qu'elle nous arrivera, un beau matin, dans notre courrier, sous forme d'une lettre inédite, qu'un bibliothécaire de nos amis nous communiquera, ou que nous la recueillerons de la bouche de quelqu'un, qui a beaucoup connu l'auteur. »



Je partage entièrement et j'applaudis chaleureusement l'analyse de M. Marcel Proust. Je suis de celles qui considèrent que si l'on a des choses à reprocher à la littérature de M. Louis-Ferdinand Céline — j'entends par là ses romans bien sûr et non ses pamphlets — si l'on a des choses à reprocher à la littérature de Céline, donc, il faut les lui reprocher sur le plan littéraire et non sur un quelconque autre plan. (Les pamphlets c'est tout à fait autre chose car ça se prétend développer quelque chose dans les idées et là, bien sûr, on peut et l'on doit cracher sur les idées quand elles ne nous conviennent pas.)



Je suis de celles qui admirent presque jusqu'à la sacralisation le Voyage au bout de la nuit, pourtant, j'ose prétendre que littérairement, Céline s'est trompé à de nombreuses reprises. Et c'est là-dessus qu'il convient de l'attaquer sur sa littérature si l'on souhaite l'attaquer, plutôt que sur tout autre aspect de sa personnalité.



Oui, Céline s'est trompé. Il a pensé qu'il suffisait d'un style pour faire un grand roman. Or non. le style est un ingrédient principal de la recette, essentiel même — comme la farine pour le pain — mais c'est loin d'être le seul en cause. Combien de baguettes ratées s'appuyant sur une farine d'exception ? Et même à supposer que tous les ingrédients soient parfaits, que la recette et la boulange soient admirables, il reste la cuisson, et, à elle seule, elle a le pouvoir de tout gâcher ou de tout magnifier.



Face au succès du Voyage, animé par un style il est vrai tout à fait nouveau pour l'époque et ô combien époustouflant, Céline a cru que cela suffisait or, les chiffres parlent d'eux-mêmes. Aujourd'hui, 5 janvier 2018, sur Babelio : Voyage au bout de la nuit = 13871 lecteurs, Mort à crédit = 2648 (soit moins de 20 % du précédent), D'un Château l'autre = 710 (soit 5 % du Voyage), Casse-Pipe = 490 (soit 3,5 % du Voyage). Je m'arrête ici et je ne compte que les 4 romans les plus lus de l'auteur. Constat accablant : le style est toujours là mais pas le succès. Pourquoi ?



J'ai essayé d'analyser ce que j'aimais vraiment dans le Voyage. Les trois premiers " épisodes " sont pour moi et resteront un must. (Et je pense pour des siècles.) Ce que j'entends par les " trois premiers épisodes ", ce sont premièrement les réalités concrètes du front lors du début de la guerre de 1914. le deuxième concerne une colonie imaginaire et composite d'Afrique sub-saharienne. Enfin le troisième touche à, ce que j'appelle de façon simpliste, l'Amérique.



Entre ces trois épisodes on trouve des transitions plus ou moins longues, l'une d'elle, assez longue correspondant à la vie sur l'arrière pendant la Première guerre mondiale. Mais dès le retour d'Amérique et jusqu'à la fin, excepté un bref intermède à Toulouse, tout le reste n'est qu'un seul et même épisode couvrant plus de la moitié du roman, ayant lieu en proche banlieue parisienne et s'étalant sur une dizaine d'années (un peu plus, un peu moins, on ne sait pas trop).



Or, quand je parle un peu autour de moi, je m'aperçois que tous ou presque, parmi ceux qui ont apprécié le roman, gardent un souvenir ému des trois fameux premiers épisodes et que peu me parlent de la suite. (L'explosion du clapier à lapin, le meurtre de la vieille, les affaires de coeur de Robinson, etc.) Peut-être est-ce justement dû au fait que l'auteur a fait un effort de concision, de symbolisation plus marqué pour ces épisodes qui correspondaient à une réalité vécue par lui depuis plus longtemps.



Tandis que l'autre, la banlieue, il la vivait encore lors de l'écriture et ça se sent, ça se vit, ça s'éprouve… On sent le marasme, le gris, la noirceur, la suffocation du quotidien, plein la figure à longueur de pages. Peut-être a-t-il moins condensé cette partie, peut-être aurait-il dû, qui sait ? Peut-être Gaston Gallimard avait-il raison lorsqu'il a refusé le manuscrit prétextant qu'il fallait faire des coupes ?



Je ne suis pas capable de répondre, je ne fais que constater les effets de l'oeuvre sur ma propre jouissance de lecture et je constate qu'elle est superbe et maximale pour les trois épisodes en question et qu'elle a décliné par la suite, notamment dans le dernier quart du roman. C'est tout, rien de plus.



Toutefois, j'ai pu interpréter un peu mieux mon ressenti en lisant l'essai (assez ardu à lire, j'en conviens mais très intéressant) de Mikhaïl Bakhtine qui s'intitule Esthétique de la création verbale. Dans cet essai, le critique analyse le rapport de l'auteur à son héros et cela m'a permis de comprendre ce qui me plaisait moins dans la fin de roman et qui me semble différent dans les fameux trois épisodes.



Le personnage de Robinson, qui devient prépondérant justement dans cette fin de roman m'apparaît être une béquille maladroite. Il n'a aucune épaisseur, ce n'est qu'un dédoublement de Bardamu ayant pour unique fonction de permettre à Bardamu de continuer d'exprimer son jugement. Je dirais même que tout est un dédoublement de Bardamu dans la longue partie parisienne.



On voit Bardamu, on entend Bardamu, on parle Bardamu, on perçoit Bardamu et à propos de quoi ? de Robinson, qui n'est autre qu'une image affadie de Bardamu dans un miroir. Bardamu devient le castelet dans lequel les pantins jouent leurs scènes, or de pantins il n'y en a qu'un, et c'est Robinson. D'où mon manque d'intérêt dans cette partie et que j'ai revécu ici dans Mort à crédit même si Bardamu ne s'appelle plus Bardamu mais simplement Ferdinand.



Dans les trois épisodes sus-mentionnés, c'est Bardamu le pantin qui s'agite dans un décor donné et là c'est intéressant, captivant, même. Car au fond, le style de Céline fait des merveilles quand il veut dynamiter un système, c'est-à-dire quand il tient un propos résolument anarchiste. Par la suite, quand il essaie de devenir petit bourgeois (car qu'est-ce d'autre qu'un médecin dans la société d'alors ?), il y a dissonance selon moi.



C'est là qu'il s'est trompé, tel que je le comprends, sur ce qui faisait son succès. Il pensait que c'était son style or c'était une combinaison entre style et propos. Quand le propos change, qu'il cesse d'être anarchiste pour devenir un peu geignard, pour dire que tout est mal et que tout va mal et bien je m'ennuie. Ici, dans Mort à crédit, l'auteur a poussé son style jusqu'à l'outrance, dans le but de taper encore plus fort, de marquer encore plus les esprits mais, hormis les vrais aficionados de Céline, ça fait globalement flop ! car un roman c'est plus que ça, beaucoup plus que ça.



Alors quand ici, l'auteur essaie de nous intéresser à ses jeunes années, il n'y a pas vraiment de propos particulier, si ce n'est : « écoutez-moi vous parler de moi-même quand j'étais petit, comment je suis devenu l'extraordinaire moi-même, sordide parmi les sordides, tous plus sordides les uns que les autres dans mon petit théâtre sordide. » Les scènes pléthoriques de premières expériences professionno-sexuelles dans Paris, le voyage linguistique à Folkestone, les parents, le long passage avec le pseudo-journaliste pseudo-inventeur Courtial des Pereires (alias Henry de Graffigny dans la réalité), le chanoine, les patates en Picardie etc., etc., etc., etc. Quel ennui malgré le style : je n'en retire rien. Pas même franchement un plaisir à la lecture, malgré le style je le répète. C'était donc bien l'anarchisme du Voyage que j'aimais, pas le nihilisme glauque exubérant, ventripotent développé dans Mort à crédit.



Car ici, quant au style, y a rien à dire sur le style, rien à reprocher au style, c'est du Céline meilleur cru, c'est toujours aussi féroce, toujours aussi puissant, mais c'est sur l'organisation et les fins du roman que je m'interroge surtout. Ce n'est finalement rien beaucoup plus qu'une succession d'anecdotes creuses, plus ou moins réelles, plus ou moins retouchées, beaucoup retouchées même, dans le but d'être encore un peu plus glauques, encore un peu plus outrées, car Céline met toute la gomme, il pense que c'est là que réside son succès alors il en rajoute, il en fait des tonnes, devient baroque : ça lui suffit pas, il en remet un petit coup jusqu'à patauger franchement dans le rococo, la turgescence… et, pour moi, l'overdose.



Car voilà, ces successions d'anecdotes vraiment pas sensationnelles en soi, présentées à peu près de façon chronologique, en ayant délayé au maximum là où il aurait peut-être mieux valu faire réduire le potage pour n'en garder que la quinte essence, eh bien oui, malgré tout le respect que j'éprouve pour ses talents de maniement de la langue, je ne trouve pas ça très captivant, dès qu'on sort de l'examen du style, et encore.



Est-ce qu'un roman n'est qu'un exercice de style ? Les gens qui admirent l'Oulipo vous répondront peut-être que oui, mais moi en tout état de cause, je vous dis non. Et ma conclusion de tout ça, tout bien pesé, c'est que l'ami Céline fut sans doute sans le savoir le premier, tout premier représentant de l'Oulipo, sans le savoir, sans le vouloir, il aurait crié que non, surtout pas, mais en fait si.



Dans les trois épisodes du Voyage qui m'ont tant plu, il y avait une condensation, une synthèse, une digestion de l'information. Il ne s'étalait pas sur des pages et des pages d'une logorrhée basse densité. Tout était percussion, tout était impact et tout faisait mouche mais en fait, je crois que c'est un peu par hasard, parce qu'il voulait dire ça en passant avant d'arriver à sa conclusion. Or sa conclusion nous est égale et c'est le " en passant " qui nous captive. Dès qu'il ne fait plus du " en passant " (c'est-à-dire en synthétisant sa perception sur un phénomène plus vaste que lui-même), je m'y ennuie et ce malgré le style, malgré les fulgurances.



Bien entendu, ce n'est là qu'un avis, un simple petit avis, plus critiquable plus insignifiant peut-être que jamais. Pas grand-chose, soyez-en certains.
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Voyage au bout de la nuit

170 critiques et je viens de lire celle de Nastasia-B...j'aurais pas dû...c'est mort, plié, foutu...je n'ai plus rien dans le citron...ratatiné mon cortex, vitrifié, mon cogito, effondré, mon ergo sum!



Et pourtant Céline c'est toute une histoire, pour moi, une saga, que l'épopée de Gilgamesh à côté, c'est la comtesse de Ségur!



ça a commencé comme ça... c'est Frasva qui m'en a parlé d'abord, Frasva, un pote, un carabin, pas comme moi, un dentiste - un de ces arracheurs de dents qui t'enlèvent les molaires en te parlant de leurs voyages au bout du monde...



Tiens justement, c'est du Voyage qu'on a parlé, Frasva et moi, du Voyage au bout de la nuit, - c'était à tenter, à entreprendre, fallait plus attendre, je serais bientôt atteinte par la limite d'âge, qu'il disait le Frasva, toujours galant homme, tu vas pas attendre la ménopause, Michfred, t'auras le ciboulot tout ramolli, tu pourras rien capter, tes circuits seront niqués, y aura un truc qui fera masse...



Moi, je renâclais sérieux : pas envie du tout de le lire, ton facho, que je lui disais, c'est du dégueulis, de la nausée pire que celle du Jean-Sol Partre, ton Céline, je le sais, il a cassé du juif au pire moment: quand on les envoyait au four, tu crois pas que c'est d'une vraie ordure, ça? d'un gros salopard? d'un foutu crevard?



Il a suivi Pétain et Laval à Sigmaringen, avec Le Vigan: encore une preuve de son innocence, ça, Sigmaringen, ses eaux, ses hôtels, ses montagnes, sa bande de nazillons en goguette...Tu me dis qu'il y avait aussi sa femme Lucette, la contorsionniste, et le chat Bébert... belle troupe d'égarés...ça ne vous rachète pas une moralité pour autant... tu dis qu'il était médecin des pauvres? que c'était un humaniste, ton Mengele de banlieue? Foutaises, moi, des gars comme ça, c'est douze balles, plus une, et le peloton, sans barguigner! Oui, j'suis contre la peine de mort, mais pas pour lui, bordel, 3 pamphlets antisémites, c'est plus du hasard, c'est de la nécessité, du voulu, du concentré... va pas me raconter des histoires!



Bon, d'accord, je vais l'écouter ton Céline, si c'est toi qui m'offres le disque...pas mal, son accordéon, on dirait du Bruant, du Vian, en plus vachard, mais y a de l'idée...Et maintenant Michel Simon qui lit une page : "ça a commencé comme ça..." tiens, j'ai déjà entendu ça quelque part...



Trop tard, j'ai tout écouté, tout, et puis j'ai lu, tout, une fois, deux fois, trois fois...subjuguée par le verbe, la Michfred, complètement emberlificotée dans ses contradictions, engluée dans ses principes et conquise par les mots de l'autre, là, qui parlait si bien de la guerre, de la colonisation, de la misère qu'on n'aurait jamais cru que c'était le même qui déblatérait si vilainement sur les Juifs dans les autres torchons....la porte du club des céliniens s'était refermée sur moi...on était faits, comme des rats!
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Guerre

Blessure de guerre.

L’annonce de la publication imminente de plusieurs inédits de Celine m’a excité comme la veille d’un premier rendez-vous ou comme ce jour inoubliable, les larmes perlent mes yeux à la surface de ce souvenir, où j’avais trouvé par hasard un vieux Bounty comestible dans ma boîte à gants. On peut être romantique et goinfre.

J’ai donc entamé la lecture de Guerre dans le métro, à la sortie de ma librairie. Je ne vais pas blâmer la curiosité de mes voisins de rame qui ramaient pour deviner le titre du roman que je lisais. Je fais pareil. Dis-moi ce que tu lis, je te dirai qui tu es. Quelle horreur. En revanche, devant certaines mines déconfites et moues hostiles, formules toutes faites pour désigner des gens qui font la gueule, j’ai pu me rendre compte que Celine, même mort depuis un demi-siècle, ne laissait pas indifférent.

Comme j’assume mes mauvaises fréquentations, j’ai poursuivi ma lecture et j’ai même réussi à glisser assez fort à la personne qui m’accompagnait que j’avais adoré le dernier film de Polanski pour aggraver mon cas auprès de mes congénères.

Je ne vais pas descendre à la station des lieux communs pour dire qu’il faut distinguer les pamphlets antisémites impardonnables des romans vertigineux ou qu’il y a eu un avant et un après Céline en matière de littérature. Ah, je l’ai fait, bon tant pis. Mentions sanitaires.

Autant le dire tout de suite, ce roman est un premier jet qui n’est pas du niveau de Voyage au bout de la nuit ou de Mort à Crédit.

Céline n’est pas un génie imaginatif. Il fictionne sa vie et frictionne la langue pour la rapprocher le plus possible de l’oralité, avec tout ce qu’elle contient de répétitions, d’imperfections et parfois de vulgarités. Il a le don des expressions qui claquent dans une « mauvaise » langue populaire.

En 1914, le soldat Destouches est blessé gravement au bras droit à Poelkapelle, dans les Flandres, ce qui lui vaudra la croix de guerre. La même mésaventure arrive au soldat du roman qui va être hospitalisé et il va être pris en main dans tous les sens du terme par l’infirmière l’Espinasse. Sur place, il va se lier à un autre blessé, Cascade, à la fois petit ami et souteneur d’une Angèle bien mal prénommée. Ils vont faire le mur et l’amour, comme ils ont fait la guerre. Cette dernière en prend pour son galon.

Je sais que les phrases de Céline rebutent beaucoup de monde mais je fais partie de ceux que cette langue parlée, volontairement outrancière, fascine. Je trouve que les mots de Céline sont carnés, les scènes de bataille incarnées, les vies décharnées, le sexe acharné et j'arrête car je n'ai plus d'idées : écharné.

J’ai terminé cette lecture il y a près d’un mois et je sais que je n’oublierai pas certains passages malgré une structure inaboutie.

Je ne m'excuserai pas de lire le prochain.

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L'Église

L'Église (quel étrange titre au vu de la pièce !) est une sorte de premier jet, de premier façonnage de la matière première qui deviendra, six ans plus tard, l'inénarrable Voyage au bout de la nuit.



C'est une sorte d'argile brute quant au fond. D'ailleurs, j'ai déjà eu l'occasion d'écrire que ce n'est peut-être guère différent, même pour le mémorable Voyage au bout de la nuit, car, quand j'écoute les interviews de Céline, quand j'écoute ce que les lecteurs conquis par l'oeuvre m'en disent, je ne peux m'empêcher d'y percevoir une espèce de dissonance, le sentiment général d'un grand « Je t'aime/Moi non plus », presque comme si le sens profond, la substance véritable semblait échapper tant à son auteur qu'à ses lecteurs. Très bizarre, pour moi, cette impression…



Ce que l'auteur, d'après moi et je peux évidemment me tromper, semble avoir eu à coeur d'écrire dans Voyage au bout de la nuit (finalement que tout dans la vie est incroyablement déprimant partout et quoi qu'on fasse) ne me semble pas être, toujours d'après moi, dans ses grandes lignes et en moyenne avec le biais subjectif que cela suppose, ce que les lecteurs me disent apprécier le plus dans ce roman (les propos anarchiste antimilitariste, anticolonialiste et anticapitaliste, par exemple).



À ce titre, Voyage au bout de la nuit constitue peut-être un bel exemple de malentendu réciproque dans la littérature française, entre un auteur et ses lecteurs, mais ce serait encore à démontrer, à quantifier, à théoriser, et vous vous doutez bien que je n'ai ni la carrure ni les moyens d'investigation pour creuser cela bien davantage. J'avais déjà abondamment développé cet aspect étonnant et paradoxal (selon moi, j'insiste encore une fois) de la relation auteur/lecteurs à propos de Mort à crédit et vous y renvoie si la question vous intéresse moindrement.



Pour faire très, très bref, Louis-Ferdinand Céline considérait qu'en littérature, comme en peinture, ça n'était pas le motif ou le sujet qui était important, mais le traitement. En peinture, je suis entièrement d'accord avec lui : si je considère, par exemple, l'église d'Auvers-sur-Oise à laquelle j'ai rendu visite il y a quelques années, force est de constater qu'elle n'a rien, mais alors rien de chez rien d'intéressant. Ce qui est intéressant, c'est le traitement pictural particulier qu'en fit Vincent van Gogh dans son tableau fameux.



Mais qu'en est-il du roman ? Est-ce que le style seul suffit à faire une grande oeuvre ? Selon moi, absolument pas : le style doit être une sorte d'exhausteur de goût, d'amplificateur, de bronchodilatateur, si l'on veut, mais il ne saurait, en aucun cas, se substituer au fond. Je dirais même que le style doit RÉSONNER avec le fond, en générer des harmoniques, mais jamais, jamais il ne doit chanter seul sa propre partition indépendamment du fond, sous peine de cacophonie ou de dissonance, voire, de vacuité. Et le fond d'un roman, qu'on le veuille ou non, c'est l'émotion, la décharge brute d'émotion qu'on subit, nous lecteurs, au contact des personnages et de leur trajectoire particulière. Et donc, s'il n'y a pas de fond, c'est-à-dire si le destin propre des personnages nous indiffère, il n'y aura pas non plus d'émotion, quel que soit le style mis en oeuvre. Mais bon, nul besoin de s'enliser plus avant dans ces considérations, car le roman c'est un autre débat et qui n'a que peu de rapport avec la pièce de théâtre qui nous occupe ici.



L'auteur, hormis le fait d'intituler mystérieusement sa pièce, nous précise qu'il s'agit d'une comédie en cinq actes. Je défie quiconque de se payer une franche partie de rigolade à la lecture ou à la représentation de L'Église. S'il s'agit bien d'une farce douce-amère — ce qui n'est pas sûr du tout — m'accordera-t-on qu'elle est plus amère que douce ?



Chaque acte est un épisode distinct sans grand rapport avec les autres. On y retrouve, comme dans Voyage au bout de la nuit un certain docteur Bardamu qui évolue : 1) dans une colonie africaine, 2) aux États-Unis et 3) en banlieue parisienne. Mais, différences notoires avec le Voyage, on a ici droit à un épisode au siège de la Société des Nations (SDN) à Genève et l'on est privé d'épisode en rapport avec la Grande Guerre, ceux-là mêmes qui semblent au coeur de l'ouvrage d'outre-tombe fraîchement sorti chez Gallimard.



Les liens avec la biographie effective de Louis-Ferdinand Céline sont encore plus évidents que dans Voyage au bout de la nuit. Les références à Elisabeth Craig (à qui était dédié le Voyage) sont beaucoup plus marquées. En fait, c'est un peu comme une suite de désillusions, dans les colonies, dans le monde de la danse, dans les hautes sphères de la SDN, dans les sphères plus intimes de l'amour et enfin, désillusion jusque dans l'aide qu'on espère apporter au peuple prolétaire, qui, décidément, ne mérite pas toute la peine qu'on se donne pour lui…



On y retrouve quantité de situations qui seront plus tard reprises, développées et enrichies dans le grand roman ultérieur. On sent bien que Céline n'est pas tout à fait à l'aise avec l'art théâtral : il patauge un peu, et nous avec, malgré, il serait malhonnête de le nier, quelques fulgurances intéressantes qui annoncent, certes timidement mais qui annoncent tout de même, la dynamite que sera Voyage au bout de la nuit.



Bref, c'est un tableau franchement plus déprimant que comique : c'est la panade partout et avec tous. Mais, au-delà de cela, je ne vois pas vraiment ce que l'auteur a souhaité nous dire de plus. L'église ? Est-ce à entendre comme le lieu où l'on vient chercher des soupçons d'espoirs quand il n'en reste plus beaucoup ? L'église ? Est-ce à entendre comme un regroupement de gens liés par une même foi illusoire ? L'église ? Est-ce à entendre comme le déroulé de la passion, c'est-à-dire une suite d'embûches et de calvaires qui se succèdent dans nos vies ? L'église ? Est-ce le surnom ironico-caustique que Louis-Ferdinand Céline attribue au gros machin, à l'institution SDN avec laquelle il s'est colleté ?…



Je vous avoue que même après une lecture que je crois attentive, je n'en sais absolument rien et vous laisse donc méditer là-dessus, si vous en avez le coeur ou l'envie. Pour le reste, ceci n'est que mon avis, effroyablement subjectif, comme à chaque fois, autrement dit, pas beaucoup plus qu'une chiure de mouche nichée pile au confluent d'une nef et d'un transept, autant dire, pas grand-chose.
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Guerre

Embarras au magasin : comment demander où se trouve le "nouveau" livre de Céline ? Ou plutôt son "dernier" ? Son "deuxième" ? "L'inédit", voilà !

C'est avec un bonheur inouï que j'ai ouvert ce roman, écrit en 1934, jamais publié et disparu pendant près de 80 ans. Et même s'il s'agit d'un premier jet non finalisé, je me suis sentie heureuse d'être en vie pour pouvoir le lire.



Ca débute comme ça. Par un boucan assourdissant qui n'en finit pas de résonner dans les oreilles, la tête et le corps de Ferdinand, troufion de 20 ans fiché dans la boue et le sang d'une plaine flamande. S'ensuit alors le récit de son hospitalisation et de sa convalescence à Peurdu-sur-la-Lys, entre un médecin zinzin, une infirmière lubrique, et des blessés roublards.



Une fois encore, Céline s'inspire de sa propre expérience (sa blessure, en Octobre 1914, et son séjour à l'hôpital d'Hazebrouck), en distordant et exagérant les faits avec sa morgue habituelle et son humour ravageur, et en ne reculant devant aucune vacherie : "Jamais j'ai vu ou entendu quelque chose d'aussi dégueulasse que mon père et ma mère."

Ce faisant, il dénonce une nouvelle fois l'immense stupidité de la guerre, et de tous ceux qui la provoquent, l'entretiennent, l'encouragent, ou la relativisent. J'ai adoré cette plongée au coeur de la folie des hommes, sans cesse rythmée par le bruit des canons et des troupes, ce manège dément tournoyant autour de Ferdinand qui, seul contre tous, isolé par sa semi-surdité et ses acouphènes, vomit sur la médiocrité et la mesquinerie de ce qui l'entoure -tout en n'hésitant pas à se montrer chafouin à son tour.

Et donc, je ne peux qu'admirer ce côté punk désinvolte ("Je devais plus rien à l'humanité"), bien entretenu cependant par une langue française savamment torturée et ponctuée de gros mots de sale gosse. De la puissance à l'état pur, mais traversée de brefs et bouleversants accès de tendresse à l'encontre de cette même humanité. C'est tout le paradoxe de Céline, et c'est ce qui fait que je l'aime tant.



Vivement la sortie des autres inédits !
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Londres

Dis-moi, Céline, les années ont passé… Et tu fais toujours autant parler.

Oui je sais, associer la bluette d'Hugues Aufray à l'argot qui effraie du sieur Destouches, il y a de quoi la faire rougir, sa Céline.

Mais, Non, non, non, ne rougis pas, non, ne rougis pas, même si certains passages pourraient rebuter un acteur porno confirmé.

Pour ceux qui ont lu « Guerre » il y a quelques mois ou quelques heures, et pour ceux qui ne l'ont pas encore effeuillé, le héros, Ferdinand, a quitté la France pour échapper à un retour dans les tranchées après sa convalescence mouvementée. Il est parti retrouver Angèle, qui se fait entretenir par le major Purcell.

Ferdinand va donc s'installer chez les Macs. Non, il n'est pas parti visiter l'Ecosse en kilt pour se rafraichir les roubignolles. Il arrive à Londres et rejoint la communauté de maquereaux français qui ont traversé la Manche en frétillant au bras de petites sirènes pour échapper à l'uniforme. Les déserteurs ont su se délocaliser.

Dans la première partie du roman, dont la longueur rime parfois avec langueur et dont la répétition de certaines séquences trahit l'architecture inaboutie du texte, Céline nous fait une visite guidée des quartiers mal fréquentés de la City. Pas une ligne sur le Palais de Buckingham et Westminster. Pour les visites culturelles, merci de choisir une autre agence de voyage. Pas de tamis sur la Tamise.

Cette flânerie dans les bas-fonds m'a laissé le temps de me réadapter à la langue de bistrot de l'auteur. J'ai toujours du mal à formater mon cerveau à sa prose et il m'a fallu quelques dizaines de pages pour retrouver son oralité, m'échauffer le mauvais esprit et me laisser adopter par le récit. Pour lire Céline, il faut de l'oreille et parfois du cérumen aussi pour ne pas entendre certaines horreurs.

La galerie de portraits ne ressemble pas un album Panini du Mondial climatisé ou à une photo de classe d'élèves trop bien peignés. Une belle brochette de marlous et de belles de nuit, qui se torgnolent, qui s'emboitent, qui se clandestinent, qui s'imbibent et se fauchéisent. Merci d'excuser ces errements grammaticaux mais Céline mérite bien qu'on invente quelques verbes pour l'hommager, comme il aurait pu l'écrire.

La seconde moitié du roman est beaucoup plus rythmée, une course de mauvais coups et la plume coupante de l'auteur fait merveille. Il va tellement vite que les noms des personnages changent au fil des pages, nouvelle preuve qu'il manque les finitions. Mais le gros oeuvre est solide. Il laisse ici filtrer sa passion pour la médecine, son nihilisme, son allergie à la séduction et nous épargne ses idées nauséabondes. Le personnage le plus aimable du roman est un médecin juif qui traficote un peu les certificats de décès mais rafistolent les bras cassés.

Au final, c'est très cru, saignant, parfois vulgaire mais c'est un style avant tout. Le fracas des mots pour décrire le fracas d'un monde en guerre. Fuir cette folie. C'est l'obsession des canailles de ce roman.

Je vous conseille la lecture du bien nommé appendice. Il décrit la passion de Céline pour Londres et les liens toujours étroits entre la fiction et sa propre vie. Reflet des eaux usées.

Ebauche de la débauche.

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Mort à crédit

L.F.Céline était il :

Un écrivain de génie ?

Un antisémite pathologique ?

Un anarchiste pacifiste ?

Un salaud geignard ?

Un humaniste amer ?

Vaste débat, jamais terminé.

A mon humble avis, il était un complexe mélange de tout cela.

Ce qui se ressent dans ses écrits.

"Mort à crédit", est mon roman préféré de Céline. On y trouve une sorte de synthèse du fameux style si particulier.

Dans ce roman, l'auteur raconte son enfance, sa prime jeunesse.

Cela donne lieu à quelques morceaux d'anthologie.

Et met en scène une galerie de personnages inoubliables, des parents de Céline, petits bourgeois besogneux toujours paniqués par l'avenir, à l'extravagant Henri de Graffigny, inventeur, éditeur, culturiste.

Tout ce monde, sous la plume exceptionnelle de Céline, s'agite contre vents et marées, dans une sorte de combat perdu d'avance.

J'ai la chance, de posséder l'édition illustrée par Tardi, publiée conjointement par Gallimard et Futuropolis en 1991, et vous savez quoi, si je ne devais conserver qu'un seul livre (choix déchirant !), je crois bien que ce serait celui là !

Ps :L.F Céline, a écrit sept versions de "Mort à crédit "avant de choisir la définitive, ses plus féroces détracteurs ne peuvent lui enlever ça :il n'était pas feignant.
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L'École des Cadavres

Non, non, ne tournez pas la tête, ne baissez pas les yeux. Regardez bien en face le visage de la haine raciale et religieuse, regardez bien cette pourriture à l'oeuvre, dans toute sa dimension et son atrocité. Je ne suis pas partisane du déni. Je suis sérieusement remontée, scandalisée et honteuse.



Oui, tout cela à la fois, car j'habite Strasbourg, siège d'une des plus grandes communautés juives de France. Les Juifs sont implantés en Alsace sans interruption depuis l'époque romaine, c'est-à-dire bien avant les Français ou les Allemands ou qui que ce soit d'autre. Ils sont donc constitutifs de l'identité de la région.



Mes voisins de palier sont des Juifs avec lesquels nous vivons, nous autres athées en parfaite amitié et intelligence depuis des années. Je savais que depuis quelques mois, ils envisageaient de s'installer aux États-Unis. J'imaginais, naïvement, qu'il s'agissait pour eux d'un choix de vie, d'un désir de découverte. Avant-hier, mon voisin m'a confirmé que c'est bel et bien la tendance actuelle qui le pousse à fuir la France tant qu'il est temps. Et il n'est pas un cas isolé, loin s'en faut.



Non, vous ne rêvez pas, nous sommes au XXIème siècle et des Juifs quittent la France parce qu'ils ne s'y sentent plus en sécurité. Dans la patrie de Voltaire et de Schoelcher, la haine raciale et religieuse est en train de gagner suffisamment de terrain pour faire peur à une communauté. Et malheureusement, cette scène-là a un air de déjà vu.



C'est une autre idée que j'ai de la France. Je suis athée et heureuse de pouvoir l'être et heureuse également de pouvoir compter parmi mes amis des Juifs, des Musulmans, des Chrétiens, des Bouddhistes ou des partisans d'Amma (Mata Amritanandamayi). Allons-nous rester les bras croisés, regarder ce qui se passe sous nos yeux sans rien faire ? Sans nous indigner ? Sans le faire savoir ? Allons-nous pouvoir longtemps nous regarder dans un miroir sans générer une sueur froide de honte ?



Alors je vous invite à consulter dans l'histoire du XXème siècle ce qui se fait de mieux en français en matière d'antisémitisme et de haine raciale. Il s'avère que c'est l'oeuvre d'un grand écrivain français dont j'ai eu l'occasion de vanter les talents de plume pour Voyage Au Bout de la Nuit. Je suis persuadée qu'il ne faut pas se tromper de cible en évinçant ce roman en tous points remarquable.



Mais il ne faut pas non plus passer sous silence les écrits insoutenables de ce même Céline. Je crois que c'est le moment de rappeler que la France a déjà connu sur son sol des monstres, des odieux et que malheureusement, elle en porte encore, et peut-être (assertion non vérifiée et non vérifiable) plus que jamais. Nous avons tous collectivement un devoir de mémoire, un devoir d'honneur et de positionnement.



Allons-nous donc toujours tourner la tête et regarder ailleurs ? Allons-nous faire honte à tous ceux, il y a deux ou trois générations qui se sont battus et qui ont parfois laissé leur peau pour que nous puissions, nous, vivre dans un pays de tolérance et d'accueil, exempt de guerre et de dictature ?



L'heure est venue de manifester, chacun à notre façon, chacun avec nos armes respectives que nous ne souhaitons pas vivre dans un pays où des fanatiques religieux instrumentalisés (ou pas), — qui font honte aux vrais tenants de leur propre religion — ou de simples racistes, peuvent par leurs actions violentes, par leur bêtise et par leur haine stigmatiser et faire fuir une communauté constitutive de ce qu'est la France, c'est-à-dire un patchwork ethnique et religieux généré par l'histoire et dont c'est justement la richesse. La France sans les Juifs n'est plus la France, la France sans les Musulmans n'est plus la France, etc.



Nous avons besoin de tous et de chacun, ensemble, en bonne intelligence, dans le respect mutuel. Il ne faut pas oublier l'histoire. Nous avons déjà été passifs une fois, allons-nous encore rester sans rien faire ? L'idée même m'est intolérable. Lisez. Lisez Céline, lisez Mein Kampf, lisez ce dont l'humain est capable, ouvrez les yeux et regardez ce qui est en train de se passer sur le territoire de la France. Honte à nous si nous laissons faire cela.



J'invite tous ceux qui partagent cette vision de la France à agir, même si c'est infinitésimal, même si on a le sentiment que ça ne sert à rien. Nous devons signifier notre indignation, c'est un devoir moral et civique. Ceci n'est évidemment que mon avis, un avis ridicule et dérisoire, tellement peu de chose, mais qui a au moins le mérite d'exister.



P. S. : J'ai trouvé le texte de ce livre sur Internet. Je n'ai pas pu lire le livre du début à la fin comme je le fais normalement (il est vrai que je suis habituée à lire des vrais livres et non sur un écran mais tout de même), je n'ai pu que survoler des passages et ça m'a donné la nausée et le blues, tellement c'est violent, tellement c'est creux et univoque sans une ombre de nuance. C'est un déferlement haineux (semi plagiaire, qui plus est, des passages entiers sont repompés de la somptueuse prose antisémite des journaux et brochures de l'époque), un torchon au sens le plus bas du terme, une logorrhée interminable, qui scande, qui rabâche, qui hurle, qui éructe que les Juifs sont les pires maux de la Terre, que tout ce qui va mal au monde est de leur faute, etc., etc. C'est une bouillie absolument imbuvable et inqualifiable.



Céline est d'autant plus coupable d'avoir commis ce texte qu'il ne l'a jamais renié. Je suis de celles qui défendent bec et ongles Voyage Au Bout de la Nuit, mais quand on tombe aussi bas qu'avec ce prurit vermineux, cette fange absolue, il y a effectivement des questions à se poser sur la santé mentale de son auteur, et je suis de celles-là.



P. S. 2 : Après une telle nausée et de telles vapeurs de haine, lire un petit autre chose s'impose et je vous conseille l'excellent Nathan le Sage de Lessing. Ça fait du bien et ça remet un peu de baume au coeur.
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Voyage au bout de la nuit

Ferdinand Bardamu déverse sa bile contre les hommes. Désabusé et cynique, il voue aux gémonies les soldats et leurs chefs, qu'ils tuent ou qu'ils meurent, prisonniers de la Grande Guerre, dégueulasse, absurde et révoltante. Les colons, petits blancs avides de pouvoir, brutaux et vénaux qui s'en vont suer, trafiquer, torturer, souffrir ou mourir en Afrique. L'Amérique où, isolé et pauvre dans une foule sans regard, son désespoir et son angoisse ne sont que plus grands, et son dégoût aussi d'une société consumériste qui salement déshumanise. Sans omettre les gens qui se vengent des services qui leur rend quand toujours fuyant de retour en France il consulte à l'oeil (Bardamu est devenu médecin comme Céline qui soignât les pauvres).



Un Voyage au bout de la nuit éprouvant, qu'il faut entreprendre, parce qu'il est unique et que Louis Ferdinand Céline est un immense écrivain. Sans arrière-pensée, car son antisémitisme qui fait débat est hors sujet dans ce chef-d'oeuvre absolu où, magistral, Céline assène le tragique de la destinée humaine avec, nécessairement, l'humour comme seule échappatoire à la bêtise des hommes.



« Courage, Ferdinand, que je me répétais à moi-même, pour me soutenir, tu finiras sûrement par le trouver le truc qui leur fait si peur à eux tous, à tous ces salauds-là autant qu'ils sont et qui doit être au bout de la nuit. C'est pour ça qu'ils n'y vont pas eux au bout de la nuit ! »

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Voyage au bout de la nuit

"Voyage au bout de la nuit" est depuis quarante ans, LE livre dont on m'a le plus suggéré ou conseillé la lecture, je me souviens d'une collègue qui un jour me l'avait mis dans les mains d'autorité, je lui ai rendu un an plus tard sans l'avoir même ouvert...

De fait, je me rends compte que j'ai toujours eu une réticence inexplicable avec ce titre pourtant unanimement reconnu comme un chef d'œuvre, écrit par un auteur à la plume célébrée comme étant l'une des meilleures de la littérature française.

Je fais cette digression pour expliquer l'état d'esprit avec lequel j'ai abordé ce livre quand j'ai une fois de plus été "incité" à faire cette lecture, je me suis dit que finalement, lire un classique et savoir enfin de quoi on parle ne serait pas de l'énergie mal employée.

Je vais, une fois n'est pas coutume, avoir deux ressentis car j'ai eu l'impression de lire deux histoires distinctes, une première partie picaresque et décalée dans les situations et dialogues, puis une partie plus sérieuse, plus sombre et d'une certaine façon plus éclairante sur cette entrée dans la nuit.

Une première partie qui voit Ferdinand Bardamu découvrir la guerre et ses dangers, qui voit aussi Bardamu prendre conscience de sa lâcheté, ce qui le mènera à l'hôpital où il fera tout pour ne plus repartir au front, déjouant avec brio les suspicions de simulation qui l'auraient conduit au ... peloton d'exécution.

Il prendra ensuite un bateau pour l'Afrique et les colonies, la traversée dans une ambiance délétère sera mouvementée, je passe sur les péripéties dans les colonies avec leur lot de corruption, je passe également sur les circonstances rocambolesques qui amèneront Bardamu à New-York où il ne devra son salut qu'à sa compétence à trier et répertorier les puces des gens admis au centre de quarantaine où il échoue (allégorie ?). Bardamu vivra ensuite à New-York où sa vision du nouveau monde se voudra absurde et caricaturale au possible.

J'en profite pour parler de Robinson, l'autre personnage récurrent du roman que Bardamu croisera et retrouvera de façon fortuite à toutes les étapes du roman telle une ombre, un Robinson qui semble être un alter ego de Bardamu en mode dégradé...

Au vu de cette première partie, j'avoue ne pas avoir compris la passion que peut susciter ce roman, tout y est décalé et souvent foutraque, pas vraiment crédible non plus, une sorte d'hymne à la survie et à la débrouille qui ne m'a pas enchanté plus que cela.

La deuxième partie voit Bardamu revenu à Paris, il est devenu médecin et tente de vivre honorablement de son métier, la transposition entre les deux période est plutôt... inattendue.

J'ai beaucoup plus apprécié cette lecture à partir de là, j'ai aimé la peinture en gris sale d'un certain monde, celle du "petit peuple", la corruption et les magouilles ainsi que certaines compromissions dans lesquelles Bardamu va forcément tomber, puisque sa renommée ne lui donne accès qu'a une clientèle de pauvres, ce qui ne garantit pas le loyer.

Je vais passer sur les nombreuses aventures de Ferdinand Bardamu qui vous le savez vont l'emmener "au bout de la nuit", l'intérêt réside surtout dans l'exploration de sa psyché et dans l'extrême lucidité de ce qu'il est, sans déni aucun. La définition et l'explication d'un mal-être chronique et incurable nous seront données ainsi que la description d'un monde où tout semble corrompu tant dans les intentions que dans les esprits. Disons le, Bardamu n'est pas quelqu'un de "bien", ce n'est même pas un personnage attachant dans lequel on aimerait se reconnaître comme c'est souvent le cas avec les personnages de papier, il est foncièrement lâche et peu fiable, ce dont il est conscient.

Ce voyage au bout de la nuit correspond peut-être à une vision pessimiste de l'auteur sur le monde tel qu'il le voyait ou le ressentait, je ne sais pas et je n'aurais pas la prétention d'essayer de le deviner.

Pour ma part je pense que le siècle qui me sépare de cette époque fait que je n'ai jamais pu m'immerger dans l'histoire ou même comprendre ce monde tel que nous le décrit Céline, je suis donc passé à côté de l'essentiel je le crains, j'ai lu bien des livres qui décrivaient des descentes aux enfers qui me parlaient mieux, rencontré des personnages bien plus abimés ou pervers, histoire de génération probablement, mauvais timing...

Il me reste la satisfaction d'avoir enfin lu ce classique parmi les classiques, merci Judith d'être celle qui m'a fait franchir le pas, même si ce voyage au bout de la nuit ne m'a pas ébloui autant que toi.
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Voyage au bout de la nuit

À en juger par le nombre de textes qui témoignent de la qualité de la prose de Céline je pense qu’il est légitime ici de noter deux ou trois peccadilles , et même c’est un devoir et un droit .

Je tiens à attirer l’attention de ceux qui serait tentés de prendre des vessies pour des lanternes et qui seraient portés ingénument à faire directement ou indirectement l’apologie de Céline , ou bien seulement l'apologie ségmenté de céline .



Un auteur qui n’a malheureusement rien d’ambigu , car c’était le cas se serait plus compliqué , mais au contraire , c’est désespérément simple , à pâtir du moment où on considère le tout et où on ne segmente pas cette problématique selon une approche relativiste , qui de ce fait peut se manifester sans complexe comme apologétique , ouvrant indirectement la porte aux légitimations des idées les plus noires.



Je note que les textes où Céline manifeste ses penchants pour un racisme forcené ou pour l’apologie de l’Allemagne nazie , sont moins commentés . Pourquoi ?

Et quand il le sont , ils sont approchés le plus souvent selon un angle littéraire pour constater leur moindre qualité , comme si c’était anodin !



Je trouve très curieux que l’on puisse faire l’apologie de cet écrivain sans mentionner son caractère odieux et nocif . Surtout autour d’un roman qui introniserai potentiellement l’auteur comme un humaniste mâtiné d’une fascinante misanthropie et un pacifisme notoire reposant sur l’expérience .



A ceux qui prétendraient qu’il est déplacé ici , à ce voyage au bout de la nuit , de noter ce paradoxe , je les inviterais à un autre voyage , un du type : nuit et brouillard .....



C’est le droit plus strict , de tout démocrate de rappeler ici que Céline est une figure aussi noire que la nuit la plus sombre et que l’apologie inconditionnelle de son œuvre , sans bémols , résonne comme une inadmissible injure pour ceux qui furent les victimes de ses semblables et de ses pareils et pour les autres , morts par millions , dont les textes de Céline ont contribué à légitimer en leurs temps, l’assassinat .



Mais vous êtes bien certainement libre de relativiser cette trouble problématique et par suite d’introniser Céline comme génie de la condition humaine, lui , cet auteur qui fut parmi les plus racistes et les plus collaborationnistes qui furent jamais .



Lisez l’école des cadavres et vous constaterez que Céline était pacifiste d’une bien curieuse sorte alors qu’il s’en prenait aux juifs qui s’attiraient les foudres de Céline grand patriote , d'un Céline pourfendeur de ces ennemis de la paix , que sont les juifs de France avant-guerre et structurés en supposé lobby .

Les juifs qui voulaient , donc , utiliser la France comme un bélier contre l’Allemagne nazie , alors que les réfugiés affluaient en France et ailleurs et que l’Allemagne se lançait dans la conquête de l’Europe , que les frontières se fermaient radicalement devant ceux qui allaient mourir , dans l’indifférence des états et celle relative des peuples , et affublés de nom d’oiseaux dont Céline et sa prose est un véritable florilège ambulant .... !?



Dans L’école des cadavres par exemple , bréviaire francophone de la haine raciale , vous pourrez voir Céline faire l'apologie d'Hitler et de l’Allemagne nazie , ce qui est incontestablement la preuve d'une grande sensibilité humaine , d'un grand patriotisme , des qualités qui auront l'occasion d'ailleurs de briller avec faste , alors que la France sera occupée .



Pour conclure je laisse la parole L F Céline 1938 : " je me sent très amis d'Hitler , très proche de tous les allemands" .

Il fut un homme heureux parce que deux ans plus tard , Hitler en personne et la gestapo était à Paris pour faire le ménage dont-il rêvait ...

Quand ils partiront , il sera dans le train qui servira a évacuer le gouvernement fantoche de la france collaborationiste .



Son oeuvre doit servir bien à nous rappeler les heures les plus sombres et les plus abjectes de l’histoire contemporaine de notre pays ...

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D'un château l'autre

Louis-Ferdinand Céline, le « grand bazardeur de la patrie », le « fléau mauvaise foi cynique saboteur », le « mal embouché », le « désastreux pitre », le « bouc providentiel », le « traitre rêvé »…

Cet « animal des ténèbres », celui montré opportunément du doigt par les résistants de la vingt-cinquième heure pour cacher leurs propres turpitudes, leurs petites saloperies, leurs grandes lâchetés…

Ainsi se voyait Céline ! En victime expiatoire. Tout juste bon à être éviscéré, puis immolé par les « bonnes consciences » à la place de plein d’autres, bien plus fieffées ordures d’extrême mauvaise foi que lui.

Réfugié dans sa colline de Meudon, il se défend becs et ongles contre le monde entier si monstrueusement injuste envers lui. Il en oublierait presque « Bagatelles », le grand Ferdine. C’est quand même à cause de ce livre, de son antisémitisme viscéral, de ses fréquentations douteuses qu’il se retrouve en plein Bérézina…

Il combat avec son unique arme : les mots ! Il éructe. Il rugit. Il vocifère. Sa haine est incandescente. Un magma en fusion.

Il ne veut épargner personne. Les pauvres qui se méfient de lui, médecin loqueteux. Et qui écrit en plus ! les éditeurs, ces vampires qui lui sucent jusqu’à la dernière goutte de son sang. Le monde littéraire nouvelle vague. Des bien plus pitres que lui. Tartre (JP Sartre) le grand clown ; Malraux l’idole des jeunes ; Mauriac le chichiteux bordelais…. Pas un qui n’échappe à sa rage embrasée. Ses trois petits points qui pétaradent comme une mitrailleuse, qui explosent comme de grands geysers de lave en fusion.

Son peu de tendresse, il la donne sans retenue à ses proches : Lili, la compagne des bons et des mauvais jours ; le Vigan, acteur halluciné comme on en fait plus de nos jours ; Bébert, le chat au tact tout en ondes ; toutes celles et ceux qui souffrent et qui ont besoin d’un médecin comme Madame Niçois, une bien vieille dame, une patiente fidèle, arrivée en bout de course.

C’est chez elle que Céline se chope une crise soudaine de paludisme. Le « frisson solennel » ! C’est dans la fièvre, les transes qu’il va se souvenir de Sigmaringen, et de son « Hohenzollern-château, fantastique biscornu trompe-l’œil ». Comme dans un mauvais rêve. Comme une simple déconnade.

Ses souvenirs, il va les vomir au milieu de ses sempiternelles jérémiades. C’est pour éviter de se faire lyncher qu’il accompagne le dernier carré d’hommes fidèles au maréchal Pétain. Toutes les épaves de l’Europe Nouvelle viennent s’échouer à Sigmaringen. Bouts d’armées étrillées ; haillonneux hagard ; rescapés effarés des grands bombardements. Pendant que le médecin Céline a les pieds et les mains dans la merde et le sang, les puissants font toujours comme si l’Europe Nouvelle avait un grand avenir. Théâtre d’ombres pathétique. Elle rétrécit pourtant comme peau de chagrin, l’Europe Nouvelle. Les américains poussent à l’ouest, les russes à l’est, et l’armée de Leclerc s’empare de Strasbourg. Mais on veut encore croire à la victoire finale, et on projette d’édifier une statue de Charlemagne, plus haute que celle de la liberté. Ultime bouffonnerie quand le triste Laval, en échange d’une fiole de cyanure, nomme Céline Gouverneur de Saint Pierre et Miquelon.

Avec le Céline de « D’un château l’autre », « Nord », « Rigodon », ça passe où ça casse. Me concernant, ça passe. Sa musique intérieure, cette écriture réinventée, ses vociférations torrentielles m’ont toujours transporté, fasciné, dérouté, ému, dégouté, perturbé. Par-dessus tout, j’aime quand Céline se fait matois, cabotin, qu’il rentre les griffes, et rit des autres et de lui-même sans méchanceté. Enfin presque !

J’ai mieux compris et davantage apprécié « D’un château l’autre » qu’il y a une trentaine d’années quand je l’ai lu pour la première fois. A cause peut-être des inévitables accidents de la vie, et de deux, trois rêves à jamais disparus… J’aurais préféré autrement.

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Voyage au bout de la nuit

Mes premiéres lectures des livres de Céline ont débuté durant les années 1990 . Jai lu ,en premier "Mort à Crédit " et le deuxiéme "Guignol s Band ". Ce n ' est que plus tard , dix ans à peu prés , que j 'ai lu le chef-d 'oeuvre de cet auteur :"Voyage au bout de la nuit ".

Céline , certes , est un écrivain contreversé . On a pratiqué l ' ostracisme envers lui . On l ' avait banni . On l avait considéré comme un pestiféré . Pour certains cercles connus où ses ennemis sont embusqués dans tous les rouages de la haute société , Céline sent "le soufre "!

Céline lui-même l ' affirme en disant : " C ' est pour le voyage qu ' on me cherche ! "

Les passions se sont déchainées dès la parution de la réedition du livre et continuent contre un livre , un homme antisémite , anticommuniste ,maiiiis et surtout antibourgeois et anti-"populo" ,anti-les autres et anti-lui même ! Céline apparaît comme un cas inclassable d ' insoumission à toute sorte d ' autorité ou de catéchisme .

Le roman se présente comme une sorte de saga s ' étalant sur trois continents ; l ' Europe , l ' Afrique et l ' Amérique . Chaque changement de lieu laisse espérer une vie meilleure mais le trajet n ' est qu ' une longue et inéluctable chute ,parce que les hommes sont tous des assassins .

La guerre , cet" abattoir " international en folie "suscite un héroïsme imbécile et d ' indécents discours patriotards , prononcés par des gens bien tranquillement embusqués à l ' arrière . Je voudrais ajouter une chose sur Céline , LUI il a exprimé ses idées , ses convictions et il est CONTRE LA GUERRE car il a remarqué , comme les autres gens , ce sont les modestes gens qui servent de chaire à CANON ! alors LISEZ LE LIVRE ET faites vous une idée personnelle .







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Voyage au bout de la nuit

Que dire, qu'écrire de ce livre et de son auteur qui n'ait été mille fois dit, écrit, débattu, contredit, ressassé ?

Pas grand chose à ajouter, c'est vrai, simplement un avis, un sentiment personnel, celui d'un modeste lecteur qui découvrit en autodidacte (c'est à dire sans guide académique à opinion prédigérée !) un roman monumental, révolutionnaire, bouleversant...

J'ai eu la chance, de me procurer l'édition grand format illustrée de main de maitre par Tardi, un plus inestimable...

Vous n'aimez pas Céline, ne le comprenez pas ?

Peut-être même qu'il vous dégoûte un peu ?

Tant mieux, laissez moi seul avec sa petite musique !
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La volonté du Roi Krogold



Garniture de Pléiade !

Troisième publication des manuscrits retrouvés mais pas perdus pour tout le monde de Céline avant l’édition sur papier bible, caractères Garamond pour mirettes de pilote de chasse, dos gratté à l’or fin, couverture cuir de moutons de Nouvelle Zélande et coup de massue en caisse. Il était temps que cela s’arrête : il ne manque plus que sa liste de course et ses cahiers de vacances pour compléter ce bourrage de papier.

Autant j’avais trouvé du sens et un vrai intérêt littéraire aux publications de Guerre et Londres, autant ces deux versions inabouties d’une légende qui aurait dû le rester relève presque de l’escroquerie éditoriale. Si vous enlevez les trois premiers chapitres qui permettent de retrouver la verve et la langue inimitable de Céline, avec un français d’autrefois sauce « Bardamu perdu dans le Seigneur des anneaux », autant le reste fait presque injure à l’auteur. C’est à croire que ce sont les innombrables détracteurs de l’infréquentable sieur Destouches qui sont à l’origine de cette parution.

Je suis d’autant plus déçu que la découverte d’un Céline médiéval dont la langue pouvait rappeler un Rabelais énervé par un régime aux brocolis avait titillé ma curiosité.

Amputée de ses premiers chapitres, la Volonté du roi Krogold est un moignon d’histoires décousues qui commence sur un champ de bataille avec l’agonie du prince Gwendor. Avec une lance dans le corps, brochette de chevalier, le bonhomme a du mal à digérer la séance d’acupuncture, son destin et l’imminence de son trépas. Il tente alors de négocier un délai avec la mort, plutôt dure en affaire. Pas possible de négocier une mort à crédit.

Le récit suit ensuite le fameux roi Krogold, victorieux mais privé du repos du guerrier dans des marais plus troublés par des spectres que par les moustiques. Un insomniaque qui voyage au bout de la nuit.

Vient après l’angoisse des habitants de Christianie, cité peu portée sur la repentance malgré son blason, qui avait parié sur le mauvais cheval avant la bataille et qui redoute la vengeance du roi. Nous avons droit aussi à un poète emprisonné depuis 12 ans, un peu têtu côté aveux et qui harcèle son bourreau à court d’idées en matière de torture. Il est vrai que le rap, le tofu et les guides de développement personnel n’existaient pas à l’époque pour faire avouer n’importe quoi.

Perdu au milieu de cette histoire sans queue ni tête, sans manche ni jus de gueule aurait pu écrire Céline, un long épisode opposant un trouvère, jongleur à l’accent oïl, à un nautonier, sorte de taxi à rames dont le métier n’a pas résisté à l’invention du pont.

Les Céliniens énamourés s’extasieront de ces quelques saynètes qui font voyager dans le temps la langue fourchue de son auteur. Ce dernier chercha peut-être avec cette légende à offrir une certaine transcendance à son œuvre et à sa trajectoire romanesque. Mais… Eût-il phallus qu’il troussasse sa légende médiévale jusqu’à son bout, haro sur la discordance des temps, pour que je puisse me contenter de ses quelques traits de génie. Il manque quelques touches à ce Destouches.

Je place Mort à crédit et Voyage au bout de la nuit dans le rayon des chefs d’œuvres mais j’ai lu ce récit comme un touriste qui occupe ses yeux devant un spectacle de danse folklorique.

Du remplissage d’annexes en petits caractères pour universitaires maniaques.

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Guerre

Céline raconte à travers le personnage de Ferdinand et de façon romancée, ses blessures lors de la grande guerre, son hospitalisation et son départ pour l’Angleterre.

Ce qui frappe dans ces quelques feuillets retrouvés de Céline, c’est la trivialité, la vulgarité du langage, le « parler de la rue ». Rien d’étonnant car il se veut un styliste avant d’être un conteur. Il est un coloriste. Il concentre tout son labeur d’écrivain sur la phrase, l’histoire n’étant que bien secondaire à ses yeux. Aussi rien d’étonnant à ce qu’il brise les conventions et tel un Picasso de la littérature française, il s’invente une facture.

Il profite de son expérience de soldat alors qu’il n’avait qu’une vingtaine d’années pour témoigner de toute l’horreur que lui inspire la guerre. Le traumatisme d’une telle expérience le poursuivra longtemps, aussi longtemps que les céphalées dont il sera victime jusqu’à la fin de ses jours.

Il retranscrit cette haine contre ces conflits par un vocabulaire de la rue, un français du caniveau, une construction grammaticale apocalyptique. Ce roman est un véritable charnier de la langue de Molière.

Tout son récit suinte la mort, les plaies putrides, les odeurs d’urine et de matières fécales. Ça sent les odeurs acres de transpiration, les écœurantes vapeurs de vomi, les relents de stupre et de fornication. La guerre, selon Céline, a un parfum qui pue, tant il la déteste. Elle distille les fragrances de sa propre image : les plus insupportables, les plus abominables.

La lecture de « Guerre » de Céline est une expérience peu commune dont l’originalité linguistique peut faire dresser le poil mais qui mérite amplement d’être tentée car elle ne laisse pas indifférent.

Editions Gallimard, collection blanche, 175 pages.

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