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Citations de Luc Bronner (21)


L'hiver, les sols se couvrent de givre. Cette neige ne tombe pas du ciel, elle pousse comme de l'herbe lorsque les nuits sont froides, le ciel dégagé, l'air suffisamment humide. La vapeur d'eau se condense directement sous forme solide. Des pointes blanches tournées vers le ciel, comme le feraient des stalagmites. Des forêts minuscules de cristaux d'une extrême fragilité, dans les fonds de vallon, près des ruisseaux, des torrents. Miracle magnifique de la glaciation nocturne dans les vallons alpins. Souvent quelques millimètres, parfois plusieurs centimètres d'épaisseur. J'aime le bruit de cette neige qui crisse lorsque les chaussures l'écrasent − les habitants devaient détester parce que le givre était le signe du grand froid et de la neige qui demeureraient trop longtemps.
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Sur les crêtes, quand hurle le vent du Nord qu'on appelle la bise, exaspérante, épuisante, vent qui porte si mal son nom, l'homme peut perde courage comme on perd patience.
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Le cimetière. C'est là, mieux qu'ailleurs, que se comprennent les sociétés. Leurs fractures. Leurs plaies. Leurs secrets.
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La société est ouvertement inégale. Dans le registre du conseil municipal, je trouve cette délibération qui résume la hiérarchie sociale, sexuelle et familiale de l'époque :

M. le Maire de Chaudun expose à son conseil que les chemins communaux ou d'exploitation ne sont pas praticables. Les membres présents reconnaissent que lesdits chemins ont besoin d'être réparés, ils prennent les décisions suivantes :
ARTICLE PREMIER
Tous les chemins seront rétablis dans leur état primitif et chaque propriétaire y coopérera pour égale part.
ARTICLE DEUX
Les journées sont évaluées comme suit
1 : journée d'homme trois francs
2 : journée de femme un franc cinquante centimes
3 : journée d'enfant un franc cinquante centimes.
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Son écriture est magnifique, sûre d'elle, affirmative, décisive. Toute l'autorité de l'administration des Eaux et Forêts transpire dans ses arrondis, ses déliés, les mots soulignés, les virgules qui rythment les phrases, les points qui les ferment quand il le faut, et les points-virgules, oui les points-virgules, surtout les points-virgules, qui proclament la maîtrise de la langue et qui distinguent ceux qui savent de tous les autres.
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Il faut se méfier des religieux en colère. De leur plume nourrie dans l'amour de Dieu et de la dureté du monde dans lequel ils assument leur mission.
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Au détour des rapports que produit l'Administration à cette époque pour se féliciter de ses bons résultats, je tombe sur cette précision, note de bas de page de la société française en cette fin de XIXe siècle : « Un seul décès accidentel a eu lieu à La Roche-sous-Briançon dans les circonstances que voici : la nourrice avait laissé l'enfant seul devant sa maison. Pendant son absence, un porc sort de la fange et mange les deux mains et un bras du nourrisson. Une plainte est portée contre cette nourrice imprudente, elle est condamnée par le tribunal de Briançon à deux jours de prison. L'enfant appartenait à l'Assistance publique des Bouches-du-Rhône. »
Deux jours de prison.
L'enfant appartenait à l'Assistance publique...
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On ne peut comprendre la montagne sans penser à la sueur de ceux qui l’ont occupée, exploitée, vécue. Les Alpes sont des cimetières de hameaux abandonnés par l’homme. Nul autre territoire, en France, n’est composé d’autant de vestiges délaissés, sentiers et canaux, caves et étables, digues et ponts, qu’il faut apprendre à lire, telle une grammaire vivante de la montagne.
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Dans la pièce du rez-de-chaussée, efficaces, précises, les voisines sont venues préparer le corps, le laver, enfiler les habits de fête. Le travail des vieilles, celles qui ont tout vu, tout vécu, tout subi. Les hémorragies des mères qui se vident après les accouchements et qu'on voyait d'abord se débattre avec la douleur, puis sombrer, les yeux mi-clos, emportées par la fatigue et le découragement. Les pères ne voyaient rien, on venait leur dire, après des heures, parfois un jour ou deux, rarement plus, que c'était fini, qu'il faudrait continuer seuls à nourrir les enfants et la grand-mère ou le grand-père, bouches inutiles qui s'accrochaient à la vie. Cela les incitait à trouver très vite une autre épouse, systématiquement plus jeune, pour faire d'autres enfants, avec les mêmes risques. Les femmes, elles, on venait les prévenir lorsque leurs maris, leurs frères ou leurs fils avaient été blessés pendant la chasse, pendant la coupe, sur un sentier, dans une rivière − la montagne offre tant de lieux pour mourir. Une hache qui dérape et fait couler le sang. Un arbre qui ne tombe pas là où il devrait et fracasse l'imprudent. Un malheureux qui chute, déséquilibré, d'une vire et qui finit déchiqueté sur les roches éternelles.
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Au photographe, à l'instant où il a pu poser son sac, étirer ses membres, souffler fort comme le font les hommes qui marchent en montagne, on a sans doute donnée de l'eau fraîche, avant d'offrir un verre de rouge des Alpes, râpeux, presque irritant, comme l'étaient les vins du pauvre et de la messe.
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J'adore les brèves des vieux journaux, je les parcours pour savoir ce qui faisait la banalité et le quotidien, loin des grandes affaires du monde. Le hasard magnifique des lectures me conduit chez Martin Jean, ses émotions, son poulailler et son porte-monnaie. Je lis :
"Dans la nuit, des malfaiteurs demeurés inconnus ont pénétré dans le poulailler de M. Martin Jean, charpentier, route de Grenoble, et ont fait main basse sur douze gallinacées, qui, après avoir été étranglées, ont été emportées dans un sac volé à M. Brisset, meunier, demeurant non loin de là. Dans la même nuit, un lapin a été également soustrait à M. Cointe demeurant au même quartier. D'importantes recherches sont effectuées dans le but de retrouver ces audacieux cambrioleurs."
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Par pur plaisir, je retrouve des exercices. Le brevet élémentaire, par exemple, réservé aux meilleurs des meilleurs. J'écoute la voix de celui qui dicte les consignes, les visages des enfants, le silence si particulier des épreuves scolaires, le regard des élèves qui réfléchissent et ceux qui savent qu'ils ne savent pas, le temps douloureux des exercices trop difficiles, l'esprit qui s'évade, le regard du maître, le temps qui finit de s'écouler, et les cahiers quadrillés de lignes bleues ramassées dans le bruit des chaises qui raclent le sol.

ARITHMÉTIQUE. 1re question : Prouver que le mètre cube contient 1 000 décimètres cubes. 2e question : Un industriel a trois billets à payer : le 1er de 2 400 francs à 36 jours ; le 2e de 5 300 francs à 45 jours et le 3e de 8 400 francs à 90 jours. Il désirerait payer ce qu'il doit en une fois à 40 jours. Quel sera le montant du nouveau billet, le taux de l'escompte étant de 40/0 ?

COMPOSITION FRANÇAISE. Vous avez reçu quelque instruction : n'avez-vous pas ainsi contracté une dette ? De quelle importance ? De quelle nature ? Envers qui ? Et comment vous acquitterez-vous de cette dette ?
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Un cœur de chamois pèse entre 300 et 350 grammes chez l'adulte pour un poids compris entre 30 et 50 kilogrammes. Il envoie dans l'organisme un sang contenant de 12 à 13 millions de globules rouges par millilitre. L'homme, en comparaison, est un tout petit montagnard, y compris lorsque la vie en altitude l'a chargé en globules. Son cœur pèse en moyenne, chez l'adulte, entre 300 et 500 grammes, pour un poids de 70 kilos. Son sang ne compte que 4 ou 5 millions de globules rouges par millilitre. Conséquence pratique : un chamois, qui peut passer de 80 pulsations cardiaques par minutes à plus de 200, sait aisément courir droit dans les pentes les plus raides, là où l'homme crache ses poumons et ses espoirs.
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"Tout visiteur "étranger" (au quartier sic!) est immédiatement détronché par les jeunes du quartier sauf à être introduit par une connaissance" - Les logements sociaux sont construits pour des familles de 2 enfants; nous avons récupéré des familles qui ont 12 enfants..."
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Les Alpes sont des cimetières de hameaux abandonnés par l'homme. Nul autre territoire, en France, n'est composé d'autant de vestiges délaissés, sentiers et canaux, caves et étables, digues et ponts, qu'il faut apprendre à lire, telle une grammaire vivante de la montagne.
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même s'ils ont appris à le dissimuler, les montagnards qui courent la montagne sont des enfants cachés dans des corps d'hommes.
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La langue française a construit un vocabulaire rabelaisien pour dire les nez, leur variété et leur importance afin de pouvoir distinguer les individus entre eux. L'administration militaire, elle, a cédé face au pragmatisme des préposés aux registres, et, après examen de vingt années de listes, retenez que l'humanité se divise finalement en trois catégories. Il y a les nez gros. Il y a les nez moyens. Il y a les nez petits.
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À Chaudun, dans le carré où ont été enterrées et mélangées avec la terre des générations d’hommes et de femmes, les ronces ont conquis l’espace, il ne reste plus qu’une pierre tombale, ultime trace de vie et de mort, avec ces mots gravés que l’on distingue encore en écartant les plantes sauvages : « Félicie Marin, morte le 30 avril 1877, à l’âge de 17 ans »
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Mes silences préférés sont ceux de la neige quand elle vole. Lorsqu'on observe des flocons au microscope, ils apparaissent telles des fractales des montagnes, mathématique glacée, sérieuse et pondérée, équilibrée, cristalline, légère, miraculeuse. Les fractales qui voltigent, dans un ballet extraordinaire, portées par l'air qui tourbillonne, livrent un combat involontaire contre les ondes sonores, et elles l'emportent, absorbant les sons, dispersant les bruits à coups de millions de flocons perturbateurs. La neige, ce silence qui tombe, qui atténue, qui adoucit. La neige froide et fraîche reste accrochée sur des pentes verticales. Les six branches des étoiles ressemblent à des harpons, et en s'accrochant les unes aux autres, elles blanchissent les falaises, débordent même au-dessus du vide, construisant des corniches, des voûtes, des ponts. Mais la perfections de ces étoiles est un état temporaire. Le silence masque aussi une violence absolue. Dans l'air, les flocons volent dans un tohu-bohu invraisemblable, entrent en collision, et c'est un massacre de fractales : les branches des étoiles s'arrachent, s'écrasent, se tordent, s'entremêlent.
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L’abbé Robert a pris ses fonctions au nom de Dieu le 1er octobre 1887. Il est reparti deux ans plus tard. Son histoire personnelle lui permettait de savoir que, ailleurs, en Amérique, en France, les hommes commençaient à vivre mieux, que les lignes de chemin de fer poussaient un peu partout sur le territoire et même dans les vallées voisines, que l’industrie commençait à embaucher des paysans qui allaient devenir des ouvriers, que la disette n’était plus la norme dans le reste des campagnes française, que la publicité faisait son apparition dans la vie quotidienne et incitait à consommer au-delà de la seule survie.
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