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Citations de Marcel Proust (3661)


Marcel Proust
On n'aime que ce qu'on ne possède pas tout entier .
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Marcel Proust
dans l’Éducation Sentimentale, la révolution est accomplie ; ce qui jusqu’à Flaubert était action devient impression. Les choses ont autant de vie que les hommes 
(À propos du “style” de Flaubert, 1920).
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Marcel Proust
il n’est pas possible à quiconque est un jour monté sur ce grand Trottoir roulant que sont les pages de Flaubert, au défilement continu, monotone, morne, indéfini, de méconnaître qu’elles sont sans précédent dans la littérature 
(À propos du “style” de Flaubert, 1920)
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Tout au plus notais-je accessoirement que la différence qu’il y a entre chacune des impressions réelles — différences qui expliquent qu’une peinture uniforme de la vie ne puisse être ressemblante — tenait probablement à cette cause : que la moindre parole que nous avons dite à une époque de notre vie, le geste le plus insignifiant que nous avons fait était entouré, portait sur lui le reflet, des choses qui logiquement ne tenaient pas à lui, en ont été séparées par l’intelligence qui n’avait rien à faire d’elles pour les besoins du raisonnement, mais au milieu desquelles — ici reflet rose du soir sur le mur fleuri d’un restaurant champêtre, sensation de faim, désir des femmes, plaisir du luxe — là volutes bleues de la mer matinale enveloppant des phrases musicales qui en émergent partiellement comme les épaules des ondines — le geste, l’acte le plus simple reste enfermé comme dans mille vases clos dont chacun serait rempli de choses d’une couleur, d’une odeur, d’une température absolument différentes ; sans compter que ces vases disposés sur toute la hauteur de nos années pendant lesquelles nous n’avons cessé de changer, fût-ce seulement de rêve et de pensée, sont situés à des altitudes bien diverses, et nous donnent la sensation d’atmosphères singulièrement variées. Il est vrai que, ces changements nous les avons accomplis insensiblement ; mais entre le souvenir qui nous revient brusquement et notre état actuel, de même qu’entre deux souvenirs d’années, de lieux, d’heures différentes, la distance est telle que cela suffirait, en dehors même d’une originalité spécifique, à les rendre incomparables les uns aux autres. Oui, si le souvenir grâce à l’oubli, n’a pu contracter aucun lien, jeter aucun chaînon entre lui et la minute présente, s’il est resté à sa place, à sa date, s’il a gardé ses distances, son isolement dans le creux d’une vallée, où à la pointe d’un sommet, il nous fait tout à coup respirer un air nouveau, précisément parce que c’est un air qu’on a respiré autrefois, cet air plus pur que les poètes ont vainement essayé de faire régner dans le Paradis et qui ne pourrait donner cette sensation profonde de renouvellement que s’il avait été respiré déjà, car les vrais paradis sont les paradis qu’on a perdus.
pp. 12-13
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Quant au changement qui avait affecté les plaisirs de M. de Charlus, il resta intermittent. Entretenant une nombreuse correspondance avec « le front » il ne manquait pas de permissionnaires assez mûrs. En somme, d’une manière générale, Mme Verdurin continua à recevoir et M. de Charlus à aller à ses plaisirs comme si rien n’avait changé. Et pourtant depuis deux ans l’immense être humain appelé France et dont, même au point de vue purement matériel, on ne ressent la beauté colossale que si on aperçoit la cohésion des millions d’individus qui comme des cellules aux formes variées le remplissent, comme autant de petits polygones intérieurs, jusqu’au bord extrême de son périmètre, et si on le voit à l’échelle où un infusoire, une cellule, verrait un corps humain, c’est-à-dire grand comme le Mont Blanc, s’était affronté en une gigantesque querelle collective avec cet autre immense conglomérat d’individus qu’est l’Allemagne. Au temps où je croyais ce qu’on disait, j’aurais été tenté, en entendant l’Allemagne, puis la Bulgarie, puis la Grèce protester de leurs intentions pacifiques, d’y ajouter foi. Mais depuis que la vie avec Albertine et avec Françoise m’avait habitué à soupçonner chez elles des pensées, des projets qu’elles n’exprimaient pas, je ne laissais aucune parole juste en apparence de Guillaume II, de Ferdinand de Bulgarie, de Constantin de Grèce, tromper mon instinct qui devinait ce que machinait chacun d’eux. Et sans doute mes querelles avec Françoise, avec Albertine, n’avaient été que des querelles particulières, n’intéressant que la vie de cette petite cellule spirituelle qu’est un être. Mais de même qu’il est des corps d’animaux, des corps humains, c’est-à-dire des assemblages de cellules dont chacun par rapport à une seule est grand comme une montagne, de même il existe d’énormes entassements organisés d’individus qu’on appelle nations ; leur vie ne fait que répéter en les amplifiant la vie des cellules composantes ; et qui n’est pas capable de comprendre le mystère, les réactions, les lois de celles-ci, ne prononcera que des mots vides quand il parlera des luttes entre nations. Mais s’il est maître de la psychologie des individus, alors ces masses colossales d’individus conglomérés s’affrontant l’une l’autre prendront à ses yeux une beauté plus puissante que la lutte naissant seulement du conflit de deux caractères ; et il les verra à l’échelle où verraient le corps d’un homme de haute taille des infusoires dont il faudrait plus de dix mille pour remplir un cube d’un millimètre de côté. Telles depuis quelque temps, la grande figure France remplie jusqu’à son périmètre de millions de petits polygones aux formes variées, et la figure remplie d’encore plus de polygones Allemagne, avaient entre elles deux une de ces querelles, comme en ont, dans une certaine mesure, des individus.
pp. 104-106
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Les articles [de Charlie Morel] eux-mêmes étaient plus fins que ces titres ridicules. Leur style dérivait de Bergotte mais d’une façon à laquelle seul peut-être j’étais sensible, et voici pourquoi. Les écrits de Bergotte n’avaient nullement influé sur Morel. La fécondation s’était faite d’une façon toute particulière et si rare que c’est à cause de cela seulement que je la rapporte ici. J’ai indiqué en son temps la manière si spéciale que Bergotte avait, quand il parlait, de choisir ses mots, de les prononcer. Morel, qui l’avait longtemps rencontré, avait fait de lui alors des « imitations », où il contrefaisait parfaitement sa voix, usant des mêmes mots qu’il eût pris. Or maintenant, Morel pour écrire transcrivait des conversations à la Bergotte, mais sans leur faire subir cette transposition qui en eût fait du Bergotte écrit. Peu de personnes ayant causé avec Bergotte, on ne reconnaissait pas le ton, qui différait du style. Cette fécondation orale est si rare que j’ai voulu la citer ici. Elle ne produit, d’ailleurs, que des fleurs stériles.
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[lettre d'Aimé] "La petite blanchisseuse m'a avoué qu'elle aimait beaucoup à s'amuser avec ses petites amies, et que voyant Mlle Albertine qui se frottait toujours contre elle dans son peignoir, elle le lui avait fait enlever et lui fait des caresses avec sa langue le long du cou et des bras, même sur la plante des pieds que Mlle Albertine lui tendait.
p. 149
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Ce que je tenais en main, ce n’est pas un certain exemplaire du journal, c’est l’un quelconque des dix mille ; ce n’est pas seulement ce qui a été écrit pour moi, c’est ce qui a été écrit pour moi et pour tous. Pour apprécier exactement le phénomène qui se produit en ce moment dans les autres maisons, il faut que je lise cet article non en auteur, mais comme un des autres lecteurs du journal. Car ce que je tenais en main n’était pas seulement ce que j’avais écrit, mais était le symbole de l’incarnation dans tant d’esprits. Aussi pour le lire, fallait-il que je cessasse un moment d’en être l’auteur, que je fusse l’un quelconque des lecteurs du Figaro. Mais d’abord une première inquiétude. Le lecteur non prévenu verrait-il cet article ? Je déplie distraitement le journal comme ferait ce lecteur non prévenu, ayant même sur ma figure l’air d’ignorer ce qu’il y a ce matin dans mon journal et d’avoir hâte de regarder les nouvelles mondaines et la politique. Mais mon article est si long que mon regard, qui l’évite (pour rester dans la vérité et ne pas mettre la chance de mon côté, comme quelqu’un qui attend compte trop lentement exprès), en accroche un morceau au passage. Mais beaucoup de ceux qui aperçoivent le premier article et même qui le lisent ne regardent pas la signature ; moi-même je serais bien incapable de dire de qui était le premier article de la veille. Et je me promets maintenant de les lire toujours et le nom de leur auteur, mais comme un amant jaloux qui ne trompe pas sa maîtresse pour croire à sa fidélité, je songe tristement que mon attention future ne forcera pas en retour celle des autres. Et puis il y a ceux qui vont partir pour la chasse, ceux qui sont sortis brusquement de chez eux. Enfin, quelques-uns tout de même le liront. Je fais comme ceux-là, je commence. J’ai beau savoir que bien des gens qui liront cet article le trouveront détestable, au moment où je lis ce que je vois dans chaque mot me semble être sur le papier, je ne peux pas croire que chaque personne en ouvrant les yeux ne verra pas directement les images que je vois, croyant que la pensée de l’auteur est directement perçue par le lecteur, tandis que c’est une autre pensée qui se fabrique dans son esprit, avec la même naïveté que ceux qui croient que c’est la parole même qu’on a prononcée qui chemine telle quelle le long des fils du téléphone ; au moment même où je veux être un lecteur, mon esprit refait en auteur le travail de ceux qui liront mon article. Si M. de Guermantes ne comprenait pas telle phrase que Bloch aimerait, en revanche il pourrait s’amuser de telle réflexion que Bloch dédaignerait. Ainsi pour chaque partie que le lecteur précédent semblait délaisser, un nouvel amateur se présentant, l’ensemble de l’article se trouvait élevé aux nues par une foule et s’imposait ainsi à ma propre défiance de moi-même qui n’avais plus besoin de le détruire. C’est qu’en réalité, il en est de la valeur d’un article, si remarquable qu’il puisse être, comme de ces phrases des comptes rendus de la Chambre où les mots « Nous verrons bien », prononcés par le ministre, ne prennent toute leur importance qu’encadrés ainsi : Le Président du Conseil, Ministre de l’Intérieur et des Cultes : « Nous verrons bien. » (Vives exclamations à l’extrême-gauche. Très bien ! sur quelques bancs à gauche et au centre ) — la plus grande partie de leur beauté réside dans l’esprit des lecteurs. Et c’est la tare originelle de ce genre de littérature, dont ne sont pas exceptés les célèbres Lundis, que leur valeur réside dans l’impression qu’elle produit sur les lecteurs. C’est une Vénus collective, dont on n’a qu’un membre mutilé si l’on s’en tient à la pensée de l’auteur, car elle ne se réalise complète que dans l’esprit de ses lecteurs. En eux elle s’achève. Et comme une foule, fût-elle une élite, n’est pas artiste, ce cachet dernier qu’elle lui donne garde toujours quelque chose d’un peu commun. Ainsi Sainte-Beuve, le lundi, pouvait se représenter Mme de Boigne dans son lit à huit colonnes lisant son article du Constitutionnel, appréciant telle jolie pensée dans laquelle il s’était longtemps complu et qui ne serait peut-être jamais sortie de lui s’il n’avait jugé à propos d’en bourrer son feuilleton pour que le coup en portât plus loin. Sans doute le chancelier, le lisant de son côté, en parlerait à sa vieille amie dans la visite qu’il lui ferait un peu plus tard. Et en l’emmenant ce soir dans sa voiture, le duc de Noailles en pantalon gris lui dirait ce qu’on en avait pensé dans la société, si un mot de Mme d’Herbouville ne le lui avait déjà appris.

Je voyais ainsi à cette même heure, pour tant de gens, ma pensée, ou même à défaut de ma pensée pour ceux qui ne pouvaient la comprendre, la répétition de mon nom et comme une évocation embellie de ma personne, briller sur eux, en une aurore qui me remplissait de plus de force et de joie triomphante que l’aurore innombrable qui en même temps se montrait rose à toutes les fenêtres.
pp. 207-210
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Et comme le désir vient toujours d'un prestige préalable, comme il était advenu pour Gilberte, pour la duchesse de Guermantes, ce furent, dans ces quartiers quartiers où avait autrefois vécu Albertine, les femmes de son milieu que je recherchai et dont seules j'eusse pu désirer la présence. Même sans rien pouvoir en apprendre, c'étaient les seules femmes vers lesquelles je me sentais attiré, étant celles qu'Albertine avait connues ou qu'elle aurait pu connaître, femmes de son milieu ou des milieux où elle se plaisait, en un mot celles qui avaient pour moi le prestige de lui ressembler ou d'être celles qui lui eussent plu.
p. 183-184
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Un homme a presque toujours la même manière de s'enrhumer, de tomber malade, c'est-à-dire qu'il lui faut pour cela un certain concours de circonstances; il est naturel que quand il devient amoureux ce soit à propos d'un certain genre de femmes, genre d'ailleurs très étendu.
p. 119
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J’essayais parfois de prendre les journaux. Mais la lecture des journaux m’en était odieuse, et de plus elle n’était pas inoffensive. En effet, en nous de chaque idée, comme d’un carrefour dans une forêt, partent tant de routes différentes, qu’au moment où je m’y attendais le moins je me trouvais devant un nouveau souvenir. Le titre de la mélodie de Fauré, le Secret, m’avait mené au « secret du Roi » du duc de Broglie, le nom de Broglie à celui de Chaumont, ou bien le mot de Vendredi-Saint m’avait fait penser au Golgotha, le Golgotha à l’étymologie de ce mot qui paraît l’équivalent de Calvus mons, Chaumont. Mais, par quelque chemin que je fusse arrivé à Chaumont, à ce moment j’étais frappé d’un choc si cruel que dès lors je ne pensais plus qu’à me garer contre la douleur. Quelques instants après le choc, l’intelligence qui, comme le bruit du tonnerre, ne voyage pas aussi vite m’en apportait la raison. Chaumont m’avait fait penser aux Buttes-Chaumont où Mme Bontemps m’avait dit qu’Andrée allait souvent avec Albertine, tandis qu’Albertine m’avait dit n’avoir jamais vu les Buttes-Chaumont. À partir d’un certain âge nos souvenirs sont tellement entre-croisés les uns avec les autres que la chose à laquelle on pense, le livre qu’on lit n’a presque plus d’importance. On a mis de soi-même partout, tout est fécond, tout est dangereux, et on peut faire d’aussi précieuses découvertes que dans les Pensées de Pascal dans une réclame pour un savon.
p. 173
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Nous nous arrêtâmes dans une grande pâtisserie située presque en dehors de la ville, et qui jouissait à ce moment-là d'une certaine vogue. Une dame allait sortir, qui demanda ses affaires à la pâtissière. Et une fois que cette dame fut partie, Albertine regarda à plusieurs reprises la pâtissière comme si elle voulait attirer son attention, pendant que celle-ci rangeait des tasses, des assiettes des petits fours, car il était déjà tard. Elle s'approchait de moi seulement si je demandais quelque chose. Et il arrivait alors que, comme la pâtissière, d'ailleurs extrêmement grande, était debout pour nous servir et Albertine assise à côté de moi, chaque fois, Albertine, pour tâcher d'attirer son attention, levait verticalement vers elle un regard blond qui était obligé de faire monter d'autant plus haut la prunelle que, la pâtissière étant juste contre nous, Albertine n'avait pas la ressource d'adoucir la pente par l'obliquité du regard. Elle était obligée, sans trop lever la tête, de faire monter ses regards jusqu'à cette hauteur démesurée où étaient les yeux de la pâtissière. Par gentillesse pour moi, Albertine rabaissait vivement ses regards et, la pâtissière n'ayant fait aucune attention à elle, recommençait. Cela faisait une série de vaines élévations implorantes vers une inaccessible divinité. Puis la pâtissières n'eut plus qu'à ranger à une grande table voisine. Là le regard d'Albertine n'avait qu'à être latéral. Mais pas une fois celui de la pâtissière ne se posa sur mon amie. Cela ne m'étonnait pas, car je savais que cette femme, que je connaissais un petit peu, avait des amants, quoique mariée, mais cachait parfaitement ses intrigues, ce qui m'étonnait énormément à cause de sa prodigieuse stupidité. Je regardai cette femme pendant que nous finissions de goûter. Plongée dans ses rangements, elle était presque impolie pour Albertine à force de n'avoir pas un regard pour elle, dont l'attitude n'avait d'ailleurs rien d'inconvenant. L'autre rangeait, rangeait sans fin, sans une distraction. La remise en place des petites cuillers, des couteaux à fruits, eût été confiée, non à cette grande belle femme, mais, par économie de travail humain, à une simple machine, qu'on n'eût pas pu voir isolément aussi complet de l'attention d'Albertine, et pourtant elle ne baissait pas les yeux, ne s'absorbait pas, laissait briller ses yeux, ses charmes, en une attention à son seul travail. Il est vrai que, si cette pâtissière n'eût pas été une femme particulièrement sotte (non seulement c'était sa réputation, mais je le savais par expérience), ce détachement eût pu être un comble d'habileté. Et je sais bien que l'être le plus sot, si son désir ou son intérêt est en jeu, peut, dans ce cas unique, au milieu de la nullité de sa vie stupide, s'adapter immédiatement aux rouages de l'engrenage le plus compliqué ; malgré tout c'eût été une supposition trop subtile pour une femme aussi niaise que la pâtissière. Cette niaiserie prenait même un tour invraisemblable d'impolitesse ! Pas une seule fois elle ne regarda Albertine que, pourtant, elle ne pouvait pas ne pas voir. C'était peu aimable pour mon amie, mais, dans le fond, je fus enchanté qu'Albertine reçût cette petite leçon et vît que souvent les femmes ne faisaient pas attention à elle.
pp. 273-275
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Son rire n’était pas, comme celui de M. Verdurin, l’étouffement d’un fumeur. Ski prenait d’abord un air fin, puis laissait échapper comme malgré lui un seul son de rire, comme un premier appel de cloches, suivi d’un silence où le regard fin semblait examiner à bon escient la drôlerie de ce qu’on disait, puis une seconde cloche de rire s’ébranlait, et c’était bientôt un hilare angelus.
p. 115
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« Venez tout de même », me dit le baron, dont l’excitation mondaine commençait à tomber, mais qui éprouvait ce besoin de prolonger, de faire durer les entretiens, que j’avais déjà remarqué chez la duchesse de Guermantes aussi bien que chez lui, et qui, tout en étant particulier à cette famille, s’étend, plus généralement, à tous ceux qui, n’offrant à leur intelligence d’autre réalisation que la conversation, c’est-à-dire une réalisation imparfaite, restent inassouvis même après des heures passées ensemble et se suspendent de plus en plus avidement à l’interlocuteur épuisé, dont ils réclament, par erreur, une satiété que les plaisirs sociaux sont impuissants à donner.
p. 112
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(...) c'est l'infortune d'un amant épris de ne pas se rendre compte que, tandis qu'il voit une figure belle devant lui, sa maîtresse voit sa figure à lui, qui n'est pas rendue belle, au contraire, quand la déforme le plaisir qu'y fait naître la vue de la beauté. Et l'amour n'épuise même pas toute la généralité de ce cas; nous ne voyons pas notre corps, que les autres voient, et nous "suivons" notre pensée, l'objet invisible aux autres, qui est devant nous.
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Non, cette midinette inconnue et qui passait là, il me semblait aussi indispensable, si je voulais continuer à croire à sa réalité, d’essayer ses résistances — en y adaptant mes directions, en allant au-devant d’un affront, en revenant à la charge, en obtenant un rendez-vous, en l’attendant à la sortie des ateliers, en connaissant, épisode par épisode, ce qui composait la vie de cette petite, en traversant ce dont s’enveloppait pour elle le plaisir que je cherchais et la distance que ses habitudes différentes et sa vie spéciale mettaient entre moi et l’attention, la faveur que je voulais atteindre et capter — que de faire un long trajet en chemin de fer si je voulais croire à la réalité de la Venise que je verrais et qui ne serait pas qu’un spectacle d’exposition universelle. Mais ces similitudes mêmes du désir et du voyage firent que je me promis de serrer un jour d’un peu plus près la nature de cette force invisible mais aussi puissante que les croyances, ou, dans le monde physique, que la pression atmosphérique, qui portait si haut les cités, les femmes, tant que je ne les connaissais pas, et qui se dérobait sous elles dès que je les avais approchées, les faisait tomber aussitôt à plat sur le terre à terre de la plus triviale réalité.
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Avant qu'Albertine n'eût obéi et m'eût laissé enlever ses souliers, j'entr'ouvrais sa chemise. Les deux petits seins hauts remontés étaient si ronds qu'ils avaient moins l'air de faire partie intégrante de son corps que d'y avoir muri comme deux fruits; et son ventre (dissimulant la place qui chez l'homme s'enlaidit comme du crampon resté fiché dans une statue descellée) se refermait à la jonction des cuisses, par deux valves d'une courbe aussi assoupie, aussi reposante, aussi claustrale que celle de l'horizon quand le soleil a disparu. Elle ôtait ses souliers, se couchait près de moi.
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Dès qu'elle retrouvait la parole elle disait: "Mon" ou " Mon chéri" suivis de l'un ou l'autre de nom nom de baptême, ce qui en donnant au narrateur le même nom qu'à l'auteur de ce livre, eût fait: "Mon Marcel", "Mon chérie Marcel". Je ne permettais plus dès lors qu'en famille nos parents, en m'appelant aussi "chéri", ôtassent leur prix d'êtres uniques aux mots délicieux que me disait Albertine. Tout en me les disant elle faisait une petite moue qu'elle changeait d'elle-même en baiser.
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On raisonne, c’est-à-dire on vagabonde, chaque fois qu’on n’a pas la force de s’astreindre à faire passer une impression par tous les états successifs qui aboutiront à sa fixation, à l’expression de sa réalité.
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Et c’est là, en effet, un des grands et merveilleux caractères des beaux livres (et qui nous fera comprendre le rôle à la fois essentiel et limité que la lecture peut jouer dans notre vie spirituelle) que pour l’auteur ils pourraient s’appeler « Conclusions » et pour le lecteur « Incitations ». Nous sentons très bien que notre sagesse commence où celle de l’auteur finit, et nous voudrions qu’il nous donnât des réponses, quand tout ce qu’il peut faire est de nous donner des désirs. Et ces désirs, il ne peut les éveiller en nous qu’en nous faisant contempler la beauté suprême à laquelle le dernier effort de son art lui a permis d’atteindre.
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