Citations de Marguerite Yourcenar (2082)
En décembre 1948, je reçus de Suisse, où je l'avaisent reposée pendant la guerre, une malle pleine de papiers de famille et de lettres vieilles de dix ans. Je m'assis auprès du feu pour venir à bout de cette espèce d'horrible inventaire après décès ; je passai seule ainsi plusieurs soirs. Je défaisais des liasses de lettres ; je parcourais, avant de le détruire, cet amas de correspon-dance avec des gens oubliés et qui m'avaient oubliée,les uns vivants, d'autres morts. Quelques-uns de ces feuillets dataient de la génération d'avant la mienne ; les noms même ne me disaient rien. Je jetais mécaniquement au feu cet échange de pensées mortes avec des Maries, des François, des Pauls disparus. Je dépliai quatre ou cinq feuilles dactylographiées ; le papier en avait jauni. Je lus la suscription : « Mon cher Marc… » Marc… De quel ami, de quel amant, de quel parent éloigné s'agissait-il ? Je ne me rappelais pas ce nom-là. Il fallut quelques instants pour que je me souvinsse que Marc était mis là pour Marc Aurèle et que j'avais sous les yeux un fragment du manuscrit perdu. Depuis ce moment, il ne fut plus question que de récrire ce livre coûte que coûte.
645 - [Folio n° 921, p. 327-328]
Enfoncement dans le désespoir d'un écrivain qui n'écrit pas.
644 - [Folio n° 921,p. 324]
"La vie est passée est une feuille sèche, craquelée, sans sève ni chlorophylle, criblée de trous, éraillée de déchirures, qui, mise à contre-jour, offre tout au plus le réseau squelettique de ses nervures minces et cassantes."
Les hommes ne disent pas tout, mais lorsqu’on a, comme moi, dû prendre l’habitude de certaines réticences, on s’aperçoit très vite qu’elles sont universelles. J’avais acquis une aptitude singulière à deviner les vices ou les faiblesses cachés.
Toute image simplifiée risque toujours d’être grossière.
Il y a quelque chose de pathétique dans la gêne des vieilles familles, où l’on semble ne continuer à vivre que par fidélité.
Écrire est un choix perpétuel entre mille expressions, dont aucune ne me satisfait, dont aucune surtout ne me satisfait sans les autres.
Dieu règne omnipotent dans le monde des esprits, mais nous sommes ici dans le monde des corps. Et sur cette terre où Il a marché, comment L’avons-nous vu, si ce n’est comme un innocent sur la paille, tout pareil aux nourrissons gisant sur la neige dans nos villages de la Campine dévastés par les troupes du Roi, comme un vagabond n’ayant pas une pierre où reposer sa tête, comme un supplicié pendu à un carrefour et se demandant lui aussi pourquoi Dieu l’a abandonné ?
Chacun de nous est bien faible, mais c’est une consolation de penser qu’Il est plus impuissant et plus découragé encore, et que c’est à nous de L’engendrer et de Le sauver dans les créatures…
remplacer sans trop s'en apercevoir la vision directe
par une ratiocination intellectuelle ou par un développement
littéraire. Le danger de passer le point est énorme.
dès qu'il y a "sympathie", ce mot si beau qui veut dire
: sentir avec ... commencent à la
à midi, ma soeur Marthe portait des cruchons de bière
aux ouvriers de la ferme.
moi, j'allais vers eux les mains vides ;
ils lapaient mon sourire ;
leurs regards me palpaient comme un fruit presque mûr
dont la saveur ne dépend plus que d'un peu de soleil.
......
on dit : fou de joie.
on devrait dire :
SAGE DE DOULEUR
p 40 RIEN A CRAINDRE
j'ai touché le fond.
Je ne puis tomber plus bas que ton coeur.
OU ME SAUVER ?
tu emplis le monde.
Je ne peux fuir qu'en Toi. p 57
j'ai relu Proust 7 ou 8 fois : c'est un génie. p 251
de nombreux correspondants m'écrivent
que Mémoires d'Hadrien les ont aidés à vivre. p 232
un écrivain que je considère comme très grand :
Selma Lagerlof p 14
il y a des traductions, par ex. le Genghi traduit par Waley,
qui sont admirables. p 115
Construire, c'est collaborer avec la terre : c'est mettre une marque humaine sur un paysage qui en sera modifié à jamais ; c'est contribuer aussi à ce lent changement qui est la vie des villes.
Petite âme, âme tendre et flottante, compagne de mon corps, qui fut ton hôte, tu vas descendre dans ces lieux pâles, durs et nus, où tu devras renoncer aux jeux d'autrefois. Un instant encore, regardons ensemble les rives familières, les objets que sans doute nous ne reverrons plus... Tâchons d'entrer dans la mort les yeux ouverts...