Citations de Marguerite Yourcenar (2087)
“L’alcool dégrise. Après quelques gorgées de cognac, je ne pense plus à toi.”
Aimer les gens parce qu’ils sont noirs , c'est encore une manière de montrer qu'on n'a pas complètement éliminé le problème racial.
“Les adieux s’étaient prolongés en silence. Il avait dû, très doucement, dénouer les bras tièdes qui se serraient contre sa nuque. Sa bouche gardait encore la saveur âcre des larmes”
... dans tout combat entre le fanatisme et le sens commun, ce dernier a rarement le dessus.
Je n'aimais pas moins ; j'aimais plus. Mais le poids de l'amour, comme celui d'un bras tendrement posé au travers d'une poitrine, devenait peu à peu lourd à porter.
Mon cher Marc,
Je suis descendu ce matin chez mon médecin Hermogène, qui vient de rentrer à la Villa après un assez long voyage en Asie. L'examen devait se faire à jeun : nous avions pris rendez-vous pour les premières heures de la matinée. Je me suis couché sur un lit après m'être dépouillé de mon manteau et de ma tunique. Je t'épargne des détails qui te seraient aussi désagréables qu'à moi-même, et la description du corps d'un homme qui avance en âge et s'apprête à mourir d'une hydropisie du cœur.
(Incipit)
Ce matin l'idée m'est venue pour la première fois que mon corps, ce fidèle compagnon, cet ami plus sûr, mieux connu de moi que mon âme, n'est qu'un monstre sournois qui finira par dévorer son maître. Paix... J'aime mon corps; il m'a bien servi.
Trahit sua quemque voluptas. A chacun sa pente: à chacun aussi son but, son ambition si l'on veut, son goût le plus secret et son plus clair idéal.
Achille me semble parfois le plus grand des hommes par le courage, la force d'âme, les connaissances de l'esprit unies à l'agilité du corps, et de son ardent amour pour son jeune compagnon. Et rien en lui ne me parait plus grand que le désespoir qui lui fit mépriser la vie et désirer la mort quand il eut perdu le bien-aimé.
Peu d'hommes aiment longtemps le voyage, ce bris perpétuel de toutes les habitudes, cette secousse sans cesse donnée à tous les préjugés. Mais je travaillais à n'avoir nul préjugé et peu d'habitudes. J'appréciais la profondeur délicieuse des lits, mais aussi le contact et l'odeur de la terre nue, les inégalités de chaque segment de la circonférence du monde.
Soyons subversifs. Révoltons-nous contre l'ignorance, l'indifférence, la cruauté, qui d'ailleurs ne s'exercent si souvent contre l'homme que parce qu'elles se sont fait la main sur les bêtes. Rappelons-nous, s'il faut toujours tout ramener à nous-mêmes, qu'il y aurait moins d'enfants martyrs s'il y avait moins d'animaux torturés, moins de wagons plombés amenant à la mort les victimes des quelconques dictatures, si nous n'avions pris l'habitude des fourgons où des bêtes agonisent sans nourriture et sans eau en attendant l'abattoir.
[...] L'une des meilleures manières de recréer la pensée d'un homme : reconstituer sa bibliothèque. [...]
(Extrait de Carnets de notes de Mémoires d'Hadrien p. 524).
Ceux qui mettent le roman historique dans une catégorie à part oublient que le romancier ne fait jamais qu’interpréter, à l'aide de procédés de son temps, un certain nombre de faits passés, de souvenirs conscients ou non, personnels ou non, tissus de la même matière que l'histoire. Tout autant que La Guerre et la Paix, l'oeuvre de Proust est la reconstitution d'un passé perdu. [...]
(Extrait de Carnets de notes de Mémoires d'Hadrien p. 527).
Il était arrivé à ce moment de la vie, variable pour tout homme, où l'être humain s'abandonne à son démon ou à son génie, suit une loi mystérieuse qui lui ordonne de se détruire ou de se dépasser.
Comme tout le monde, je n'ai à mon service que trois moyens d'évaluer l'existence humaine : l'étude de soi, la plus difficile et la plus dangereuse, mais aussi la plus féconde des méthodes ; l'observation des hommes, qui s'arrangent le plus souvent pour nous cacher leurs secrets ou pour nous faire croire qu'ils en ont ; les livres, avec les erreurs particulières de perspective qui naissent entre leurs lignes.
Je ne savais pas que la douleur contient d'étranges labyrinthes, où je n'avais pas fini de marcher.
La lettre écrite m’a enseigné à écouter la voix humaine, tout comme les grandes attitudes immobiles des statues m’ont appris à apprécier les gestes. Par contre, et dans la suite, la vie m’a éclairci les livres. Mais ceux-ci mentent, et même les plus sincères. Les moins habiles, faute de mots et de phrases où ils la pourraient enfermer, retiennent de la vie une image plate et pauvre ; tels l’alourdissement et l’encombrement d’une solennité qu’elle n’a pas. D’autres, au contraire, l’allègent, font d’elle une balle bondissante et creuse, facile à recevoir et à lancer dans un univers sans poids. Les poètes nous transportent dans un monde plus vaste ou plus beau, plus ardent ou plus doux que celui qui nous est donné, différent par là même, et en pratique presque inhabitable. Les philosophes font subir à la réalité, pour pouvoir l’étudier pure, à peu près les mêmes transformations que le feu ou le pilon font subir au corps : rien d’un être ou d’un fait, tels que nous l’avons connu, ne paraît subsister dans ces cristaux ou dans cette cendre. Les historiens nous proposent du passé des systèmes trop complets, des séries de causes et d’effets trop exacts et trop clairs pour avoir jamais été entièrement vrais. Je m’accommoderais fort mal d’un monde sans livres, mais la réalité n’est pas là, parce qu’elle n’y tient pas tout entière
"Je ne méprise pas les hommes. Si je le faisais, je n'aurais aucun droit, ni aucune raison, d'essayer de les gouverner. Je les sais vains, ignorants, avides, inquiets, capables de presque tout pour réussir, pour se faire valoir, même à leurs propres yeux, ou tout simplement pour éviter de souffrir. Je le sais : je suis comme eux, du moins par moment, ou j'aurais pu l'être. Entre autrui et moi, les différences que j'aperçois sont trop négligeables pour compter dans l'addition finale. Je m'efforce donc que mon attitude soit aussi éloignée de la froide supériorité du philosophe que l'arrogance du César."
Mémoires d'Hadrien (1951)
chaque homme a éternellement à choisir, au cours de sa vie brève, entre l'espoir infatiguable et la sage absence d'espérance, entre les délices du chaos et celle de la stabilité...
Les plus opaques des hommes ne sont pas sans lueurs (...) Et il y en a peu auxquels on ne puisse pas apprendre convenablement quelque chose. Notre grande erreur est d'essayer d'obtenir de chacun en particulier les vertus qu'il n'a pas, et de négliger de cultiver celles qu'il possède. (...) J'ai rencontré chez la plupart des hommes peu de consistance dans le bien, mais pas davantage dans le mal.
(p.51).