Citations de Marie-Claire Bancquart (202)
VILLE, ET TOI
En replantant des ellébores
je te parle
de nourrir le cosmos :
rien que cela
une cuillerée de terre
pour la racine encore visible
une cuillerée
pour achever d’emplir le pot
une
pour le globe tout entier
la dernière
pour sa verticale vers l’énigme.
p.63
Ce tremblé
va loin
sur la mer
effet de la lumière ?
troupe immense d'oiseaux en fuite ?
Contre le doute
on pose
tout près de soi
la potée de fleurs orange
l'ici et maintenant
arrête le regard.
p.16
VIVRE N'EST JAMAIS PAUVRE
Au ras du pont, dans un creux du macadam comblé par un peu
de terre, s'agite une touffe d'herbe.
Fin maussade d'été. Les arbres plient au vent le long de
la balustrade.
L'année se liquide précocement.
Déjà commence une espèce d'aurore des soirs, qui annonce
l'automne.
Mais l'herbe, sous le macadam fissuré, gardera ses racines.
p.79
Poète, il murmure les mots
comme un ancien petit garçon
suspicieux envers les adultes
qui saluent, raisonnent...
Leurs mots
il les prend doucement, comme des oeufs.
Ô livres !
René Daumal mettait en garde André Breton, qui risquait, disait-il, de figurer un jour dans les manuels d'histoire littéraire, et non dans la seule enviable histoire, celle des cataclysmes.
Mais à présent, les manuels sont cataclysmes et renaissance. Dans l'oubli général des littératures, ils rappellent, obsédants, des paroles de jour en jour plus mortelles.
Si je pouvais saisir
un morceau du rien
de toutes formes qui dansent
dans son étoffe
si je pouvais
mordre choses dans leur plein
je connaîtrais
dans tripes et boyaux
le goût du monde
Nous voici au milieu de leur mystère simple à vivre : une fable de jour brûlé doucement, comme une croûte de gâteau.
on voudrait pouvoir habiter ailleurs, dans une attache universelle
mais
de naissance, de chair,
cela nous fut
refusé
à nous tous.
Désespoir du peintre
Quand je peins, c'est toujours de l'autre côté de la vie.
Parfois, je touche un fruit, un sein. Je rêve qu'ils suffisent à remplir un tableau.
Le château de nos corps vit très retiré, sous un déchirement des perspectives.
J'allégorise une moisson en collerette d'épis, un gosier en gousse de pois.
J'étends une forêt sous la mer Morte.
J'invente. J'échange.
Je reste seul.
[...]Sur la palissade d'un
oui s'ennuie le désert d'une parole où
claque soudain un refus
que porte l'appel du
vivre[...]
Florence Pazzottu
...Mais parfois un homme qui rêve
...Mais parfois un homme qui rêve
ne possède rien sinon l'infini des choses.
En lui la circulation du sang continue
les poumons s'emplissent, se vident
les reins filtrent
et lui, seigneur de toutes formes inconnues,
respire fort, explorateur haletant
une minute peut-être
d'un au-delà.
Mot
Mot
c'est même origine
Que muet, que motus
mot-muet ?
Mot-mystère,
mot dans les mots au déroulement nébuleux
parlant proche du rien
cherchant passage imprévisible.
TESTAMENT
A ce que fut la vie on peut donner une maison
Toute meublée
Le soleil difficile
Le bois des tables comme un poing
Passé du côté d'hommes
Un nud dans le plancher
Un lit encore ouvert
Parlant
Du mélange de chair à l'arbre
Je laisse sur la face de la terre
L'apprentissage réussi
du seul
de l'humide
du sans sexe que je deviendrai
Aimer…
Aimer.
Ce sera un mot sans suite.
Mais il aura été écrit, dans un moment lui-même
ineffaçable
du grand calendrier que nous ne connaissons pas.
Un tremble
c'est le nom
du peuplier blanc, luisance furtive.
Éclairs des feuilles
leur vie scintille
instant après instant
elles chuchotent
que nous avons aussi des moments miroitants
minuscules, étincelantes traces de nous sur le monde.
Ce sont mes « Tristes »…
Ce sont mes « Tristes » que j’écris,
non ceux de l’exil et de l’expatriation ordonnée
à Ovide,
mais ceux du corps souffrant qui souvent connaît
l’exil d’un lit dont il est interdit de sortir.
Hors du plan
Extrait 4
Ne descends pas
plus profond
que la douleur
elle a des paliers où se reposer
parfois elle révèle une infime partie du corps, jusqu’alors
inconnue de toi
mais plus bas
c’est insaisissable.
Tu serais pris au piège
d’un grand claquoir
tu seras
aplati
annulé.
Prends garde.
Hors du plan
Extrait 3
ça triste
autour de toi ?
ça déjà meurt ?
Écoute un peu chanter ta plèvre
avec le vent,
commence un feuillage d’amitié avec l’arbre,
prends-toi pour une paraphrase de l’automne.
Opération vitale
réussie,
tu ne seras plus l’étranger des germes.
Parcourant, l'hiver, une voie romaine
on rencontre un très haut pavé ancien
tiède au soleil
on s'y assied.
Quand je voyage dans notre commune mémoire
je retrouve cette pierre
soudain devenue capitale
avec le revêtement rugueux d'un pan de mur, en face,
et la minime luisance dans un granit
comme une promesse
d'éclat sans fin.
Aimez l'amour des choses moindres
si dédaignées par nous,
neige ancienne, papier usé.
Vous sentirez la rémanence des jours
vous aurez liaison avec des visages disparus
vous penserez à vous dans une autre lumière.