Citations de Marie-Claire Bancquart (202)
Dictionnaires ni ordinateurs n'indiquent de synonyme au mot DEUIL.
Mot issu de dolor, souffrance. Le vrai deuil est seul
de soi à soi.
CES GANTS ANCIENS…
Ces gants anciens sentent l’iris
et la prière
d’une jeune femme à qui Dieu indiffère
mais non pas le jour qui verrait le calme entrer
dans son cœur.
Dieu, cet inconnu,
pourrait être l’arbre du jardin
ou tel nuage
traversé d’oiseaux.
Mais Dieu
n’est-il pas le nom le plus connu, le plus probable,
donné à nos désirs ?
poète
Dans un pays improvisé
Il savoure le repos d'une liberté intérieure
C'est son métier dit-il
D'élever un château marqué d'oiseaux
De choisir pour veilleur un rocher
Qui garde des hêtres à l'odeur d'ardoise
Pays chaque jour parcouru
Le temps de mener paître ses arbres
Mais chaque jour laissé
Un étranger
Qu'on visite par privilège
Son métier c'est la nuit
Autour de midi
Les astres lui ressemblent à force d'user le matin
Le soir
Il rôde à la gorge verte de son existence
Son métier c'est de craindre
Oublier
Naître à la quête avec le déclin du soleil.
Je ne suis plus qu'herbes dans pré
sans mémoire ni science
où glisse l'être, heureux à peine
d'errer, d'écrire un rêve.
" La paix saignée "
AINSI CE PAYSAGE
Dans la solitude d'un jardin
ou d'une forêt en métamorphose automnale
le corps
épanouit
son dedans
qui se tient
comme doigts d'une main.
Il bat et rebat pour nous seuls.
Chaque oiseau, chaque écureuil des arbres
possède son dedans
qui bat pour lui
uniquement
liaison-déliaison du monde
on voudrait pouvoir habiter ailleurs, dans une attache universelle
mais
de naissance, de chair,
cela nous fut
refusé
à nous tous.
p.27
VIVRE N'EST JAMAIS PAUVRE
Comme si
dans un trou du temps
s'établissait un silence
qu'on pourrait saisir en pleine ville
en plein
dans sa gare sifflante, son marché.
On se transporterait aux confins de la mémoire :
forêt du très jadis
sommeil d'apaisement près d'un canal désaffecté.
Les mots se déshabilleraient de leur sens
ils deviendraient
une saveur sur langue
l'informulé de notre corps profond.
Comme si
dans un trou de temps
nous entendions
presque inaudible
une confidence
sur le pourquoi de notre vie.
p.93
VIVRE N'EST JAMAIS PAUVRE
L'oiseau
n'a rien à offrir que sa voix
en très haut lieu, sur une branche
sous plumes chaudes bat son cœur
mais l'arbre
pensons-nous à son aubier pulpeux, caché sous l'écorce ?
Au milieu des affiches, sur le boulevard crissant, hurlant,
les platanes ont chair
ils ouvrent
leurs doigts de feuilles
quand une grande pluie vient sur la ville
alors le bruit des voitures se tait
nous respirons les odeurs fortes de dessous l'écorce
et l'oiseau
célèbre
leur magnificence.
p.87
AINSI CE PAYSAGE
Ce soir la lune est ébréchée
nous fermerons toutes les ouvertures de la maison.
nous dirons des incantations à voix basse
à l'aube nous irons au bord du domaine
pour chuchoter les mots que nous aurons entendus en réponse
nous dépouillant peut-être
d'un très lourd fardeau.
Loin des eaux noires
nous attraperons un petit insecte
nous entrerons dans son domicile secret
nous tutoierons la terre
avec lui.
p.23
VIVRE N'EST JAMAIS PAUVRE
Toi, l'herbe cette fois au sixième étage,
très haute pour ton statut d'herbe,
[…]
Je me fais une immense origine
dans l'odeur de ta sève.
Babel n'est pas encore construite
et nous non plus.
Ce sont les jours d'avant l'homme et la femme.
Tout est possible encore.
p.80
À FLEUR DE SEL
Poète.
Nomade
au pays d'écrire.
Et pourquoi pas tueur à cent visages ?
Impuni de la mémoire, assembleur de montagne et d'estuaire,
d'exil et de biographie serrés dans un mouchoir de vigne,
marginalise, envoie des signes, prends au piège les eaux folles,
plume les autruches
du venez-y-voir !
Jamais
dans ton dedans
tu ne trouveras grâce pour l'immobile.
p.139
Ce qui est écrit dans le chant du feu
Ce qui est écrit dans le chant du feu
N'est pas écrit
pour toujours
scintille
puis s'étouffe
mais
d'un poète l'autre
au travers des siècles
court une étincelle
de violente vie
Femme
Elle affleure l’eau publiquement peignée par les herbes.
Sa main barre les sillons
tourbillonne.
Les grains de son corps baisé cette nuit croisent
leur monnaie de lune
disséminée.
Plantes, tiges
dans les os de femme font souche.
Tendre inconnue, le jour de février
dès l’aube t’a ouverte
au cours du temps.
Retournant vers la joie
J'accroche ma vie
aux portemanteaux
ils la déforment
trop courbes
trop petits
au moins je ne la laisse pas en tas
elle qui vieillit
et cherche des preuves
que nous habitons là.
Oui, à vie contenue...
Oui, à vie contenue
il compose en lui
un amour fou
contre le vent
il marche vers l'urgence
il ne renonce pas aux amis disparus
il les plante au jardin
les suspend aux poignées de porte
il refuse passionnément
de refuser.
Arbre
Inadapté dans le profond
L'arbre
C'est pour cela qu'il vit
La pierre
Il l'a mangée
La mauvaise terre
Il l'a percée jusqu'à transformation de sa colère
Il entend sous ses feuilles admirer le calme
Qu'il ne possède pas
Sous ses feuilles
Il se tait
Son cœur enveloppe la sombre pierre
Dont le centre
Est lui-même une nuit.
Tout à l’heure, je ne serai plus…
Tout à l’heure, je ne serai plus, tu ne seras plus.
La vraie douleur c’est que de jour en jour ce jour approche, mais ce qui persiste, c’est notre ignorance à son propos.
Demain, ou dans une semaine, un mois...
Et sous la terre des incroyants ne règne que le silence, ou peut-être le bruit d’une brisure par tel qui était un animal minuscule.
– Mais le « n’y sera plus » ne masque rien, car dans aucun langue, me semble-t-il, ce bruit n’existe.
Ah, serre-moi tant que tu peux, musicien. Tu as rempli de caresses mon existence qui s’en va.
Hors du plan
Extrait 2
Onze heures du matin, sans toi, septembre
Tout fait semblant
voitures dans la rue
créatures minces, araignées, insectes, sur le balcon.
La clef tourne, les œufs se cassent.
On peut même penser à Ulysse, au Talmud, à Venise.
La vérité, pourtant, c’est qu’on se tient
sur un rebord très approximatif des choses.
Toi mon corps, tu sais
guider en douce
ma vie
qui s'élance sans moi.
Donne-moi
une main où me regarder, un autre corps à caresser
fais-moi mordre
la tartine de vie qui me reste
et penser aux grandes imaginations des métamorphoses
qui
naguère
transfiguraient la vie des hommes.
L'autre, altérable comme nous,
secret, habité d'entrailles et de souvenirs,
serre notre main dans sa main chaude,
et quelque chose vous unit soudain:
certitude de vivre ensemble
dans le même mince repli du temps
sur le même point de notre planète .
Une force à deux. Peut-être une tendresse.
Quelquefois le plaisir
qu'un arbre sente bon
et qu'une parole commune
puisse le dire.
UNE VILLE AIMÉE LUIT ET CRIE…
Extrait 2
…
Pour aller
contre sa boucle
je caresse une branche
dans toute sa longueur.
J’écris une lettre à je ne sais qui
une lettre pour je ne sais où.
J’annonce qu’à l’automne
il ne faut pas ignorer les branches
qui jouent magnifiquement leur partition de cuivres.
Des nouvelles si importantes, au milieu des guerres,
des catastrophes,
c’est à faire savoir.
Sur l’enveloppe :
Pour X, dans n’importe quel pays triste.