Citations de Marie-Claire Bancquart (202)
Un pas chaque seconde
émeut la pierre
au lissé de miroir.
Visage sur visage
on arrête sur elle
la coulure des vies.
La voix renvoie
le soleil entre deux montagnes
confirmation d'espace.
Un bonheur acéré
luit sous le ciel
tranche l'attente.
Marié à la lune morte
le taureau s'élance à l'intérieur des cavernes
depuis des millénaires.
Au soir
sa fable monte.
Les hommes mangent dans une épiphanie de cendre et de sang.
Un petit garçon furtif descend à la cave
et respirant les murs salpêtrés
hume la toison de son âme.
La fenêtre
vingt fois réfléchie
dans les grains du raisin muscat
vingt fois détachée
avec l'un d'eux
vers notre bouche
devient 'très en dedans'
elle donne maintenant
sur le rouge de notre corps.
Sans cesse des esprits quittent leur corps
traversent l'air et quelquefois nous frôlent
un rayon de soleil sur les épaules.
Mais lorsque ceux qui s'aiment se rejoignent
sur les chemins secrets de l'âme
comprennent-ils eux-mêmes
d'où vient cette suavité
soudaine qui les gagne ?
Liliane Wouters
[...]vois : je ne sais plus qui j'aime qui m'aime
ni qui manque à mes sources
comment trouver alors le chemin
qui mène à l'occident de moi-même.
Amina Saïd
Certains moments suis mal allée
Dans la glace épuisette
(Epuisée dans ma tête)
Poisson mort
Coeur qui sort.
Valérie Rouzeau
[...] Je t'aime
parce que ton amour
inventé pour voler
est un faucon
qui s'est posé
sur mon poing[...]
Anise Koltz
[...]Nous habitons
L'inadvertance de la fête
Le ciel vide de chimères
Est pourtant bien trop grand
Pour un lieu si petit[...]
Gabrielle Althen
Être traversé
Être traversé
par ce qu'il y a de plus mûr dans le monde : fruit, poème
ou seulement
faire la monnaie de ce rêve.
On suit du doigt le contour d'une goutte d'alcool sur la table
au dehors
la route gèle.
Une saveur chaude et passagère
emplit notre bouche, se transfère à tout notre corps.
Secondes
Secondes, secondes
entre main posée sur la mienne
et sommeil du soir
Secondes
qui dévient la tristesse
vers un alphabet tendre de la nuit
RÊVE
À choisir mon prédécesseur
Je le voudrais d'un autre règne.
Qui parle dans un marronnier ?
Qui remue dans le vent ?
Ou d'après.
Cela me monte dans le corps
Si je rame
Avec du bois brut dans un lac
Si je pétris
Si je caresse.
Ma vie fait cal autour
De ces visites .
Ailleurs
C'est du creux pour attendre.
JE VOUDRAIS
Je voudrais que le repos enfin
de sa main distraite
remonte l'horloge dans la nuit pleine de plumes.
Avec une d'elles
comme l'écolier d'un autre siècle
j'écrirais le journal de mon voyage
les nuages, bêtes laineuses, passeraient sur lui.
Je me baignerais dans leur toison
je me roulerais sur la lenteur de vivre.
VOTRE VISAGE
Votre douceur n'est pas ce qu'on pourrait attendre
D'un blé tardif
D'un grand tableau de sève
Gonflé
Sur les plants d'aubergine
Le sol mincit
On voit
Comme des pierres émaciées
C'est une fin d'amour
Entre
Un pays
Et le nom du pays soudain évacué par les oiseaux
Votre douceur attend la pluie de feu qui vous érodera:
Les argiles craquelées,
Votre visage,
Jusqu'à l'os.
CHEMINS
Une distance se défait
Entre nous et les choses du crépuscule
Laine, étoffes, soleil rapide,
Papiers de savoir, sur quoi deux grenades rougissent.
Derniers éclats
Nous nous y attachons comme à la trace
Au fond de l'il des morts
D'un probable assassin: leur existence usée
Qui ne pouvait plus attendre derrière la porte.
Il fait nuit sans hâte. L'invisible
Investit nos mains. Nous visitons en nous
Les chemins compliqués du sang, ce pays second
Proche des questionnaires sur les fables.
Des origines
Le vent frise les plantes.
Dessous , corps enlacés
nous approchons le juste cadastre;
Caresse
genou ,sexe et tendre cou à son attache :
c'est la chair découverte
loin des phrases. Prete à périr.
Notre naissance se rapproche
qui nous attendait
enfin fragiles.
Le baiser nous unit à la noce des morts
sur ce petit point de ta peau ,dans la buée jaune du colza.
Avant de sonner …
Avant de sonner à cette porte
on tâte sa poignée
comme on prend un pouls.
Elle suggérera peut-être de partir
peut-être d’entrer
pour une vie entière ?
La vérité…
La vérité, c’est que
dans le soir qui tombe – sur ce chemin de rien du tout –
nous nous sommes rencontrés.
Tu as caressé ma joue.
Un homme, une femme, une campagne, qui ne paradent pas,
obstinés à vivre
encore un peu.
Peut-être serons-nous ensuite …
Peut-être serons-nous ensuite
un ultratemps
un grain d’énergie
dans l’énergie générale des mondes ?
[…] Une autre fenêtre, pendant l’exode de la dernière guerre, dans cette ville alors spécialisée dans la médecine à long terme,
Et devant elle c’était moi, au premier étage, plâtrée que
je te plâtre, encoconnée des pieds à la poitrine dans une prison, sanglée sur un matelas encastré dans le cadre d’un chariot.
Juin 40. Il faisait beau. Je n’avais rien mangé depuis la
veille. Les adultes, depuis encore plus longtemps.
Au premier étage. Seule : je ne risquais pas de m’envoler. […]
Je voyais la rue. Vinrent le cheval aux cils blancs, puis
la charrette.
Elle était pleine à ras bord, dégoulinante, par petites coulures, de sang qui luisait sur le macadam.
Sur elle, plusieurs couches de corps, sanglés encore sur
leurs matelas. On entrevoyait ceux d’en bas à travers les ridelles de la charrette. Ceux du dessus montraient à plein leur obscénité. Il y en avait des abîmés tout du long, morceaux de chair de-ci de là. […]
Les voilà, mes semblablement à moi sanglés, plâtrés. Mes morts.
Ce sont toujours mes morts. Ma famille. Dans ma galerie des glaces, toujours un des miroirs les reflète.
Marie-Claire Bancquart
Mais gluante de gouttes…
Mais gluante de gouttes
quand la vitre
s’illumine au soleil
de vieux visages s’y accolent
dispersés jadis par la mort
aigus dans la lumière
ils nous adjurent en paroles
maintenant mises au présent des oiseaux
de les regarder
du plus près que nous pouvons
de poser nos doigts sur la fenêtre
à la place exacte de leurs bouches
pour qu’ils soient moins partis, moins défaits, sentent
cette chaleur de peau étrangère
qu’ils ne peuvent plus
caresser, embrasser.
Alors je nous sens provisoires.