Citations de Marin Ledun (376)
Elle surmonte une nouvelle bouffée d’angoisse et
reprend sa progression en direction d’un massif de ronces, d’où émergent des pins parasols. Après un rapide coup d’œil jeté en arrière, elle escalade le tronc du pin le plus imposant. Moins de vingt secondes plus tard, elle se laisse glisser de l’autre côté des broussailles, dans la partie la plus escarpée de la propriété de Ralph et Sophia Bishop.
Un seul objectif en tête quand elle s’élance sur la pente : reprendre sa fille. Et trouver un moyen de la mettre à l’abri, là où ils ne la retrouveront jamais.
Ni eux, ni personne.
Être de chair et de sang puisant à la source du Progrès. Utopie calcinée. Elle voit la pourriture, les taches brunes sur son abdomen et le long de ses cuisses. Elle est consciente de la destruction progressive de son système immunitaire sous les coups de boutoir des nanomachines. La lente dégradation de ses organes vitaux, en même temps que son cortex connaît une expansion vertigineuse. Elle sait qu’il ne lui reste plus longtemps.
Elle ne doit pas craquer.
Pour elle.
Pour sa fille.
Pour la serrer enfin dans ses bras.
Sa fille dont elle ne connaît même pas le prénom
Envie d’exploser. Elle frissonne. Elle chasse un insecte de la main, puis un autre. Elle a l’impression qu’ils sont des centaines autour d’elle. Sur elle. En elle. Elle promène le dos de l’index sur son ventre, infinie douceur.
Puis son doigt rencontre une protubérance spongieuse
et elle se souvient. À partir de là, ses yeux grands ouverts
sur le ciel ne voient plus que les flammes de l’enfer.
Celui de son trouble, le souvenir de sa virginité volée et
les expériences de Peter Dahan sur son corps au cours
des vingt-huit dernières années. Les violences, la folie et
les visages déformés par la douleur. Son équilibre est
instable mais il perdure. Les puces à ADN implantées
dans son tronc cérébral et son système nerveux s’agitent
un bref instant, mais elle parvient à rester maîtresse de
ses cellules. Presque femme, pas tout à fait machine.
Humaine. Ou plutôt : in-humaine.
Sa silhouette est gracile. Sa jeunesse, éternelle. Ses cheveux de jais balaient son visage par vagues successives. Elle se tient au milieu d’une clairière et peu importe le jour, peu importent l’heure et le moment : belle dans sa gangue solaire, désirable dans ce noyau de nature, gorgée de chaleur. Comme le sont toutes les femmes de son âge.
Comme le sont toutes les mères qui s’apprêtent à embrasser leur enfant pour la première fois.
Sa fille
Ses bras délicats, ouverts, en croix, le tissu légèrement
froissé au niveau de la taille, le noir. L’échancrure révèle
la naissance d’un sein rond et ferme. Sous la poussière,
une fine pellicule de sueur. Une odeur forte de pin et de
fougère. Une fragrance légère de lavande. Un parfum de
vengeance. Le tonnerre gronde, à quelques kilomètres.
Bientôt là.
Durer, c’est la règle imposée.
Sous les assauts du vent, l’herbe haute frémit autour de Laure Dahan. Le chant assourdissant des cigales couvre le bruit de ses pas. Son corps s’offre à ce moment attendu depuis si longtemps. Elle sourit. Une esquisse sous un
soleil de plomb. Pantalon de toile, baskets, chemise noire.
Légère, très légère. Une goutte de sueur perle le long de
son cou. Une veine, presque palpitante de vie.
Durer, faire durer.
« L’espoir, cette tragédie, brille dans son œil. »
- Je suis enceinte.
- Quoi ?
- Non, je déconne !
J’éclate de rire.
- Je crois que j’ai réussi à te mettre mal à l’aise.
Il reprend son souffle.
- Pas du tout, proteste-t-il avec une mollesse post-coïtale toute relative.
p. 275
Quoi que je fasse, quelle que soit la direction que je donne à mon enquête, je n'ai pas à imaginer le pire, il se produit sous mes yeux.
- Ça ne te dirait pas d'être triste à ma réunion parents-profs ?
On ne se méfie jamais des personnes en situation de dépendance amatrices de strip-poker nocturne.
Fée -Rousse disparaît avec le lit occupé par Antoine et réapparaît une minute plus tard avec un autre identique ,mais plein celui-là.Un petit vieux recroquevillé semblable à Gollum ,le Hobbit dégénéré du Seigneur des anneaux, les bras et la gueule hérissés de tubes, de tuyaux et de tout un tas de bidules, comme s'il venait de se battre avec un Balrog dans les profondeurs ténébreuses des mines de la Moria ou rentrait d'Irak après s'être pris une mine antipersonnel dans la tronche.
Ma mère me dévisage d’un air effaré, comme si je venais de lui annoncer que Dieu m’était apparu, qu’il portait une toge orange et qu’il m’avait ordonné de placer toutes les économies de la famille en Bourse. (P. 35 )
lainte pour disparition inquiétante d’un mineur de moins de seize ans, mise en danger de la vie d’autrui et divulgation à la presse de pièces supposées confidentielles du dossier par les forces de police chargées de l’enquête….. il fustige, Boyer. Il vitupère. Il s’insurge. Il ne pivoine pas, Boyer, il ne rosit ni ne groseille pas non plus ! Il erubesce. Il écrevisse. Il écarlate. Il cramoisit. Il éructe en se frappant la poitrine du poing comme le mâle dominant d’un groupe de gorilles pour affirmer sa supériorité. (P. 72)
Le nouveau statut d'emilie était travailleur handicapé. Et dans travailleur handicapé, il y avait avant tout le radical travail.
Elle pensa : " voilà ma vie ". Bientôt quarante ans, célibataire, pas d'enfant, handicapée, payée mille cent trente-sept euros net par mois, survivant dans une caravane miteuse entourée de quarante-sept clébards de toutes tailles et de toutes races. La misère ou presque.
Et depuis une heure, pénalement responsable des crimes d'enlèvement, de séquestration et de tentative d'homicide par arme à feu avec préméditation. Beau palmarès.
Le lecteur doit pouvoir faire le plein de sensations, d'émotions et d'informations uniquement par le prisme des personnages et de leurs mots. Il n'est pas pris par la main, on ne lui explique pas ce qu'il doit penser et ressentir ; c'est vraiment à lui et à lui seul de se faire une place dans l'histoire.
A présent, ce qu'il souhaitait le plus au monde était que tout cela se termine vite. Que cette fille et ses cerbères lui cognent dessus une bonne fois pour toute, qu'ils le tuent, même, si c'était ce qu'ils avaient en tête en venant ici, mais que tout s'arrête, parce que quoi qu'il advienne désormais, il avait perdu.
Anéantie, j'en lâche le magazine porno. Tous les protagonistes masculins de cette tragédie suivent sa courbe descendante jusque sur le paillasson, avant que le chien se jette dessus, langue pendante et queue haute, et disparaisse dans les profondeurs abyssales de sa niche pour se vautrer dans le stupre. Les hommes, tous les mêmes !
Un papillon, c'est jamais qu'une mite qui aurait pris de l'acide.