Citations de Marion Muller-Colard (228)
Elle est souvent rétrospective, la trace du passage de Dieu dans nos vies. Rétrospective et vive.
"Jésus a fait encore beaucoup de choses ; si on les écrivait en détail... je ne pense pas que le monde même pourrait contenir les livres qu'on écrirait." (Jean 21, 25)
Mais peut-être pouvons-nous en retenir précisément quelques détails,
comme on retient par la manche celui dont la visite a été trop courte, sachant pourtant, au fond de nous, que tout est dit.
Si nous connaissions le don de Dieu, Ies puits ne nous sembleraient pas si obscurs, et plus rien en nous ne résisterait à la visite des profondeurs. Les margelles de puits seraient notre lieu de vie et nous y rencontrerions ceux qui ont soif encore. Nous aurions soif ensemble.
Si nous connaissions le don de Dieu, l'eau qu'il nous donne à boire nous électriserait dans une acuité nouvelle, cette eau ne serait plus le breuvage sans goût que nous croyons qu'elle est et nous découvririons enfin sa saveur véritable.
Si nous connaissions le don de Dieu, il n'y aurait ni juifs, ni samaritains, ni hommes ni femmes, ni développement, ni voie de développement, ni tiers-monde, ni quart-monde, ni grilles ni grillages, pas de code surtout — et du Christ nous n'aurions pas à faire de bien tristes chrétiens.
Il ne s’agit d’ailleurs plus vraiment de discernement mais d’un abandon doux à la confiance : une invitation au repos, en quelque sorte. Ne nous donnons donc pas tant de peine, ce que nous avons à perdre n’est rien en mesure de ce que nous avons à gagner : une joie inconditionnelle, qui se moque du diagnostic des hommes quant à ce qui paraît vivant et ce qui paraît mort. Une joie parfaite.
On croit souvent que nos morts ont été plus vivants que les morts des autres.
Quand j’étais petite, il n’était pas question de devenir grande, je n’avais ni projet ni ambition, seulement des rêves ; une heure n’en chassait pas une autre, le cadran solaire me semblait figé au zénith pour toujours, j’ignorais volontiers.
Ceci raconte que toujours nous sommes en même temps crucifiés et déjà ressuscités, et tout tient en un seul corps, en un seul instant, la mort, la résurrection - et l'ascension tourbillonnante qui fait de nous des êtres de chair célestes, des êtres célestes incarnés.
Pour ma part, cela fait treize ans que je vis dans le "monde d'après". Après que la menace est entrée dans ma vie à l'occasion d'un autre virus qui a failli emporter mon plus jeune fils, lorsqu'il était bébé. On commençait tout juste à parler de réchauffement climatique, on n'en était pas encore à paniquer. Mais l'hiver avait été trop chaud pour tuer le virus et en sortant du service de réanimation où les médecins "réservaient leur pronostic", son père avait dit : qu'il meurt ou qu'il s'en sorte, on quitte la ville, on achète une vieille grange à retaper dans la montagne.
(…)
Alors oui, il y a treize ans, un virus qui n'arrêta pas le monde a fait trembler ma vie. Depuis, quand gronde la menace, au lieu de m'accrocher aux branches, je m'accroche aux graines. A leur lente germination, à leur puissance de multiplication, aux témoignages tangibles et foisonnants de la force du vivant. A la promesse.
(La Croix L'Hebdo no 43, 31 juillet 2020)
L'instant, pensez-y, ne prend pas de temps. Il vous rehausse et lorsque vous le convoquez, vos morts sont vivants, vos enfants viennent de naître, vous-même venez d'apprendre à marcher et la sensation d'un appui sous vos pieds, l'odeur de l'herbe fraîchement coupée, vous font sentir par tous les pores de votre peau que le monde est solide et beau. Les perles de nos vies, qui ont été si intensément vécues que rien ne peut les prendre.
(La Croix L'Hebdo no 42, 24 juillet 2020)
Ce qu'aucune crise ne pourra nous prendre, c'est le maintenant. Ce maintenant que l'Evangile propose de convertir en éternité. Alors parlons doucement, voulez-vous ? Non pas de ce qui a changé, mais de ce qui a tenu. Non pas des points de rupture mais des points de suture. Non pas de ce que nous avons perdu mais de ce qui est imprenable. Dans ce monde où la répétition inlassable des erreurs se déguise en changement dans un tourbillon si rapide qu'elle parvient presque à nous leurrer, permettez-moi, s'il vous plaît, de ne pas parler de ce qui change, mais de ce qui dure.
(La Croix L'Hebdo no 40, 10 juillet 2020)
"Un brouillon de mots tangue encore sous mon front. Et bien sur je reconnais ce symptome. Mon corps répond au récit de Ludmila, à son injonction de l'écrire. Et comme avec l'alcool, l'illusion du dernier verre, l'illusion du dernier livre. Raconter cette histoire, ne sachant pas pourtant où elle commence vraiment ni où elle finit, si elle finit un jour ou s'il faut l'écrire pour qu'elle finisse enfin."
Le premier son d’eau sur la housse fut celui des larmes d’Antoine. » p 22 a 7
La vérité, c’est que la mort de Bastien n’est rien censée changer, au fond. C’est silence sur silence, absence sur absence, carré blanc sur fond blanc. Fantôme, Bastien l’a été vivant. Si la mort crée du fantôme, la mort d’un fantôme, que peut-elle bien créer ? Rien du tout, j’imagine. » p 23 a 3
La vie se fout un peu du cadran, à vrai dire, c’est une poule qui pond du temps en veux-tu en voilà et les souvenirs se ramassent à votre guise, comme des œufs au poulailler. » p 33 a 1
De la Durance, on ne sait pas dire si elle est exubérante ou colérique. Excessivement joyeuse ou ténébreuse. Les avis sont partagés. Au XVIe siècle elle n’attendrissait personne. C’est tout juste, si au lieu d’éclaboussures, on ne voyait pas à sa surface les mille langues du diable narguer les riverains, susurrer des malheurs de crues démentes, d’inondations dévastatrices, de ponts emportés. Quelle sorcière y avait-on noyée qui cherchait sa revanche ? » p 76 a 1
Ça se remonte la mémoire, et bien sûr il en existe une source. Mais sait-on jamais où elle se trouve, comment elle perce, pourquoi ici et pas ailleurs, un peu avant, un peu plus loin, depuis combien de temps elle creuse ses galeries souterraines avant de nous donner à voir ce filet d’eau timide, guilleret, inoffensif – qui deviendra plus tard un tumulte puissant, enflé par d’autres qui le rejoignent. » p 128 a 1
On dit que la Durance prend sa source sur la pente du sommet des Anges. On dit aussi que lorsqu’on naît, un ange appose sur notre lèvre un doigt nous vouant à l’oubli. Alors, tout ce qu’on sait sur notre origine et l’endroit d’où l’on vient est effacé de notre mémoire. » p 139 a – 9
Malika a les yeux humides mais Malika a toujours les yeux humides. Elle va comme ça, posant son regard sur le monde, épongeant tous les fronts, toutes les colères qui grondent. On ne sait jamais si elle vient de pleurer ou si elle s’apprête à le faire, elle n’a pas les yeux rouges pourtant, jamais, seulement humides et rieurs, tout le temps. » p 151 a 10
Disons que je re-bois pour les occasions heureuses et je re-fume pour les occasions malheureuses.
Une maman qui disparaît est forcément tenue prisonnière quelque part, comment imaginer autre chose lorsqu'on a 6 ans ?