Marlène Charine

Diane le sait très bien : il n’existe qu’une seule certitude dans ce bas monde. Tout le monde finit par le quitter, tôt ou tard. Le reste n’est que probabilités.

Enfant, Diane rêvait d’espace, de navettes longue portée et de systèmes solaires à découvrir. Mais le village voisin lui semblait déjà trop loin de son frère, alors partir au-delà de la Voie lactée, ne plus partager la même atmosphère, impossible, inimaginable. Elle n’aurait plus pu veiller sur lui comme elle l’a toujours fait.
Pas toujours avec succès.

Certaines affaires de disparition se terminent avant d’avoir vraiment commencé. Soit comme ça – la personne rentre chez elle, à la surprise de ses proches occupés à se ronger les sangs –, soit d’une manière plus sinistre. Les deux cas de figure traversent l’esprit de Diane. Une famille réunie, des engueulades suivies d’étreintes, ou un corps bleui par le froid au bas d’un fossé.

Elle a cru sentir quelque chose, au début, avec Jonas. Un homme attirant, le fruit d’un brassage ethnique peu banal. Peau mate d’une mère réunionnaise, yeux bleu azur en provenance du Danemark, un zeste d’Asie ici et là. Elle se serait volontiers laissé draguer. Séduire. S’il avait essayé. Mais ça n’avait pas été le cas.

La main de Christopher glisse sur son côté, chaude, exigeante. Diane pose son bras libre sur ses yeux, se mord la lèvre inférieure lorsqu’il englobe son sein, titille son mamelon.

Elle n’abandonnera pas non plus son nom de famille, Sorel, au profit du sien, à consonance anglaise. Là, c’est neuf et excitant. Ça ne durera pas. Mais elle a le droit de se convaincre du contraire, au moins pour un temps. De faire comme si. Le grand amour. Les promesses, les coups de folie dignes de deux adolescents en pleine ébullition hormonale, les grasses matinées sensuelles qui se terminent en week-end sous les draps.

Rien de plus désagréable que d’être tirée du sommeil par son mobile, volume réglé à fond. Enfin, si : c’est encore pire un dimanche matin, alors qu’on dort collée contre son homme. Diane renverse la tête en arrière dans son oreiller. Savoure ce terme. Son homme. Ça fait longtemps qu’elle ne croit plus au prince charmant.

Quand elle lui lisait des contes où rôdaient ogres, reines cruelles et sorcières. Loïc se blottissait contre elle, avide de ses paroles, mais pas effrayé pour un sou. Ces histoires n’étaient rien comparées à la vraie vie et ses monstres bien réels. Ils en étaient tous les deux conscients.

Les choses ont parfois l'air simples, mais lorsqu'il s'agit de famille, de relations parents-enfants, il suffit de gratter un peu pour apercevoir la complexité des motifs en dessous du vernis uniforme.

Donner de faux espoirs à ces camarades de misère relevait d'une maladresse absolue.

- Pourquoi m’avoir fait revenir ?
- Comme je vous l’ai expliqué au téléphone…
- Non, je parle de vos vraies raisons, coupa-t-elle. Il y a assez de flics dans cette ville pour vous donner un coup de main. Alors pourquoi vouloir m’aider ?
- Parce que vous m’intriguez. Et puis, vous avez l’ancienneté requise pour passer le concours de lieutenant, et ça fait un bail qu’on n’a plus formé de stagiaire. Je me suis dit que ça pourrait représenter une bonne opportunité.
Cette fois, elle se tourna vers lui avec une expression où se mêlaient colère et incrédulité.
- Arrêtez de vous foutre de ma gueule, Kermarec.
- Je n’ai jamais rien fait de tel.

- Tu peux rendre la chose plus rapide, si tu le souhaites.
Audrey jeta un coup d’œil à sa cuisse, là où sinuait l’artère fémorale, puis secoua la tête. Elle voulait profiter de chaque seconde, désormais. Elle plaça la lame dans la paume gantée.
- Tu resteras avec moi ?
- Toujours, mon ange.
Apaisée, Audrey enfonça sa nuque dans la serviette posée sur la faïence. Le froid n’eut bientôt plus d’importance. Ses respirations s’égalisèrent, s’espacèrent. Enfin, elle ferma les yeux, et tout disparut.

Il retourna fureter dans le salon et Cécile pénétra dans la salle de bains.
Le radiateur chauffait à plein régime, mais pourtant elle fut accueillie par une vague de froid. Un frisson désagréable parcourut sa nuque. Une sensation insaisissable accompagnait la chute de température. Celle d’une présence à ses côtés, une présence irradiant la peur et le désespoir. Le froid s’intensifia et durant une fraction de seconde, Cécile crut deviner les contours d’une silhouette féminine dans le reflet du miroir. Elle se retourna d’un bond dopé à l’adrénaline, détailla chaque centimètre carré de la pièce. Bien entendu, il n’y avait personne à ses côtés.
Le cœur tambourinant dans sa poitrine, Cécile se hâta de ressortir.

- Je doute toutefois que Mlle Pesenti soit à l'origine des insomnies de ses voisins.
- Pourquoi donc ?
La serrure céda sous les assauts de la perceuse. Quelques morceaux épars tombèrent sur le sol. L'ouvrier les repoussa du pied et rangea ses outils. Kermarec attendit que le gaillard s'engouffre dans l'ascenseur pour répondre à Cécile.
- La locataire de cet appartement a été retrouvée morte tôt ce matin par les gendarmes de Chamonix.
[...]
Mais alors, qui avait-elle entendu crier cette nuit ?

Comme la première fois, il enroula sa ceinture autour de son poing. Cécile le regarde à faire, l’esprit traversé par des pensées qu’elle ne pouvait pas formuler. «L’enquête n’est pas close. Et Merlin sait que j’ai aperçu Vera tout près de chez moi. Il se doutera de quelque chose. Il s’en doute peut-être déjà, à l’heure qu’il est ». Mais combien de temps lui faudra-t-il pour remonter la piste jusqu’à elle?