Maud Simonnot

L'aventure, plus qu'une interruption du cours des événements ou un voyage vers un ailleurs inconnu et exaltant, est surtout une disposition à être dans le temps.

« Chaque homme est seul et tous se fichent de tous et nos douleurs sont une île déserte… »
Albert Cohen

On le tient entre ses deux mains, ce nourrisson réfugié dans une noix, si petit, si doux. Les reflets d'or clair de ses cheveux. Et ce regard un peu volé qui ne le quittera plus. Lunaire. Oui, c'est ça, un enfant céleste.

« Peu d adultes connaissent encore au contact de la nature ces émerveillements de l enfance »

J'ai tellement été accablée par l'étrangeté de cet homme qui se tenait au bord de l'amour comme un échassier au bord de l'eau, et qui avait choisi de laisser l'équivoque obscurcir notre relation... J'accepte peu à peu, enfin, qu'il n'y ait aucune explication à cet abandon brutal, à la confiance trahie. Pierre me laissera toujours seule avec ces vérités qui se dérobent.

Pour mon anniversaire, il m'avait offert un livre de Georges Bataille dont il avait marqué une phrase : « L'être aimé pour l'amant est la transparence du monde. »

Je n'ai jamais pu lui dire mais je ne crois pas que l'amour tienne du translucide, du cristallin. Loin d'éclaircir le monde il serait plutôt pour moi ce qui lui donne ses fonds sablonneux, sa profondeur, sa moiteur. Une énigme.

J'essaie de refouler cette pensée que le bonheur présent est un moment volé

Célian, allongé sur le dos à côté de moi, semble absorbé par la Voie Lactée. J'évoque ces mondes flottants qui gravitent en silence, le mouvement à la fois apparent et inimaginable de cette nuit infinie, son architecture secrète, et ces astres morts dont l brillance nous éblouit encore. Il me répond que ce qui le fascine le plus ce ne sont pas les étoiles scintillantes mais le noir entre lumières.

Il m'a dit ce qu'il sait par expérience. Qu'un surdoué ce n'est pas quelqu'un de plus intelligent mais quelqu'un qui ne peut pas ne pas voir la fausseté du monde sans que ça lui soit insupportable. Qui réinterroge sans cesse le récif collectif, inepte, factice. Il faut juste aider Célian à rendre acceptable cette quête de sens, pour qu'elle ne devienne pas obsessionnelle. Lui apprendre à se laisser traverser par des émotions sans s'en aliéner, et en faire une liberté.

(...) face aux courants marins et aux vents, tant qu'on lutte contre on n'avance pas, alors que si on les utilise on peut aller où on veut. (p35) 

On le tient entre ses deux mains, ce nourrisson réfugié dans une noix, si petit, si doux. Les reflets d'or clair de ses cheveux. Et ce regard un peu volé qui ne le quittera plus. Lunaire. Oui, c'est ça, un enfant céleste.

Tout le monde connait Hamlet. Le roi du Danemark est empoisonné par un filtre de datura. Son frère Claudius usurpe le trône et épouse Gertrude la reine. Le défunt reviens hanter le château de Kron Borg à Elseneur et demande à son fils Hamlet de le venger.

Je me demande aussi pourquoi ni le Professeur ni moi n'avons jamais songé à toutes ces coïncidences. Mais pour énoncer le plus évident, il fallait peut-être l'esprit d'un enfant.

Elle repense à leur conversation sur la tombe des oisillons. Elle sait qu'il espère sans relâche qu'on vienne le chercher. C'est le fantasme collectif des orphelins qui, dans leur roman familial, ne peuvent accepter l'abandon : le retour des parents... Un fol espoir l'étreint parfois elle aussi lorsqu'elle baisse la garde, et particulièrement la nuit lorsque le désespoir la submerge. Elle se dit que si le vent fait bouger la branche posée sur le muret ce sera la promesse qu'elle reverra bientôt sa mère.

l'aventure, plus qu'une interruption du cours des événements ou un voyage vers un ailleurs inconnu et exaltant, est surtout une disposition à être dans le temps.

Ces instruments gigantesques, la fantaisie baroque des deux châteaux, l’île transformée en arche de Noé... Célian a une théorie bien à lui : si Brahe aimait tant Ven c’est parce qu’il pouvait y faire tout ce qu’il voulait, loin de la cour du Danemark, de sa famille et des usages de la société. «ça doit être formidable d’être vraiment autonome, de n’avoir personne pour t’embêter.»
Je lui écris sur l’envers de notre carte : auto-nomos, «qui se donne à soi-même sa propre loi.»

Elle s'est inquiétée quand j'étais à la maternelle parce que je ne dessinais jamais de bonhommes. Je ne voulais pas faire de fleurs non plus. Un jour j'ai dit que je ne savais pas laquelle dessiner et Maman a répondu que j'avais raison de ne pas tracer les ronds entouré de pétales des modèles. Elle trouvait idiot aussi les ciels barrés d'un trait.

Dans mon imaginaire, le Nord a toujours été associé à une atmosphère limpide, comme si l'esprit pouvait être purifié par les vents et la rigueur des paysages.

Posée là toute la journée derrière la fenêtre de ma chambre en compagnie d'un vieux chat, le regard perdu au-delà des collines bleues de mon enfance, je ne ressentais que l'appel du vide et une extrême fatigue. Mon existence était une eau qui coule entre les mains. Je désirais dormir, oublier et être oubliée. Ne plus jamais avoir mal, ne plus jamais aimer.

« Ce voyage laissera bien plus que des grains de sable et des fleurs séchées entre les pages de mes carnets. J'ai parcouru le cycle entier du chagrin, la souffrance s'est dissoute dans la pureté des paysages de Ven. »