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Critiques de Maurice Dekobra (33)
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Sous le signe du cobra

Phénomène littéraire des Années Folles, Maurice Dekobra reste surtout connu pour ses romans "cosmopolites", « Mon Cœur Au Ralenti » (1924) et  « La Madone des Sleepings » (1925), succès planétaires qui bénéficient toujours de ponctuelles rééditions. On en oublierait presque que Maurice Dekobra fut tout sauf, précisément, l’auteur éphémère d’une époque déterminée. Sa carrière s’étale sur presque 60 ans, et comprend près de 80 romans et récits de toute sorte. Si son âge d’or se situe indéniablement dans les années 1920-1930, Maurice Dekobra ne cessa pratiquement jamais d’écrire, jusqu’à sa mort en 1973.

Entre 1923 et 1953, il fut presque exclusivement publié aux éditions Baudinière, fondées en 1918 par Gilbert Baudinière, fils d’un éditeur de cartes postales. Le succès de Maurice Dekobra est intimement lié à celui de cet éditeur roublard, provocateur, pionnier en stratégies marketing, qui assura à son poulain une liberté totale de publication, et une promotion spectaculaire et inventive qui ne s’était jamais vue auparavant.

Mais, hélas, en 1940, Gilbert Baudinière eut le tort de se lier à la France de Vichy, publiant nombre d’ouvrages antisémites ou à la gloire du Maréchal Pétain. Ne partageant nullement ces convictions, Maurice Dekobra s’est réfugié aux États-Unis durant l’Occupation. À son retour, l’écrivain assista à la débâcle de Gilbert Baudinière, traîné en justice pour collaboration, et dont la maison d’édition fut un temps saisie par l’État. Mais Gilbert Baudinière était un lutteur infatigable, qui sut faire reporter son procès sans cesse pour vices de procédure, tout en continuant, à partir de 1947, à publier des romans, alors même qu’exclu du syndicat des éditeurs, il était frappé d’une interdiction d’exercer.

Durant six ans, Gilbert Baudinière put compter sur Maurice Dekobra, qui ne ménagea pas ses efforts, offrant à son mentor huit nouveaux romans, puis enfin, les deux premiers volumes d’une autobiographie, « Sous le Signe du Cobra » (1951) et « Mes Tours du Monde » (1952). Gilbert Baudinière mourut en 1953, aussi le dernier tome de cette trilogie, « Les Femmes que J’Ai Aimées » parut en 1954 aux Éditions du Scorpion, auxquelles Dekobra restera fidèle durant quelques années.  

De ce fait, les trois volumes de cette autobiographie restent mal connus, leur publication étant quelque peu perturbée par le décès de Gilbert Baudinière. À cela s’ajoute la forme particulière que Maurice Dekobra a souhaité donner à cette autobiographie, celle d’une collection de souvenirs classés par thèmes plutôt que par ordre chronologique. Selon ce que l’auteur laisse entendre dans la préface de « Sous le Signe du Cobra », il semble que Maurice Dekobra n’était pas très à l’aise avec l’exercice d’autocélébration narcissique qui semble lui avoir été demandé par Gilbert Baudinière.

Il faut rappeler aussi que Maurice Dekobra était un Don Juan littéraire, un séducteur qui plaisait aux femmes, à la fois parce qu’il savait leur parler et les faire rêver, mais aussi parce qu’il se présentait, soit lui-même, soit via un alter-ego littéraire, d’une manière extrêmement romancée, et ne tenait sans doute guère à se montrer sous un jour plus réaliste.

Cette appréhension à se raconter, à partager l’intimité de son histoire, transparaît en permanence dans le premier tome e cette trilogie autobiographique, qui avoisine les 400 pages. Si au début de son ouvrage, Maurice Dekobra joue relativement le jeu, et se présente, de manière assez réaliste, comme le dernier né d’une famille parisienne aux idées radicales-socialistes, les lecteurs qui veulent découvrir l’homme derrière l’écrivain en seront tout de même pour leurs frais.

Certes, Maurice Dekobra veut bien se dévoiler enfant dans une famille, dont le père semblait lui-même être un homme plein d’ironie, issu de l’enseignement, et qui, en dépit de son engagement politique, appréciait beaucoup de fréquenter des représentants de l’aristocratie. La raison de cette proximité avec quelques grandes familles d’Île-de-France n’est d’ailleurs pas explicitée. Peut-être un cousinage indirect. Mais toujours est-il que le jeune Ernest Tessier (puisque c’est là le vrai nom de Maurice Dekobra) semble avoir grandi au sein d’une famille bourgeoise assez fortunée, ayant offert à son unique rejeton une éducation coûteuse et ouvertement polyglotte. Ce talent linguiste semble d’ailleurs lui avoir servi, en 1914, à couper court à la mobilisation générale pour servir d’interprète au sein des armées britanniques et américaines.

Cependant, de cela, il ne sera guère question dans ce volume. Maurice Dekobra raconte son enfance, son adolescence déjà voyageuse en Allemagne, puis dans toute l’Europe Centrale, d’abord comme étudiant, puis comme journaliste dans des organes de presse locaux, et souvent mauvais payeurs. Mais de cette évolution professionnelle, ou même de la vocation qui les a initiées, il ne sera jamais question. Maurice Dekobra veut bien reconnaître ce qu’il a fait, pas comment il a été amené à le faire. De même, rien ne justifie ses passages d’un pays à un autre, d’un journal allemand à un journal tchèque ou italien. Ces voyages se font d’ailleurs en compagnie d’amis proches ou de collègues journalistes, dont on ne saura rien d’autre, si ce n’est qu’ils furent des compagnons de voyages. En bon mondain soucieux de discrétion, Maurice Dekobra parle de sa vie à travers des évènements factuels, taisant l'origine et la nature de ses fonctions et de ses amitiés.

À partir du début de la Première Guerre Mondiale, le caractère autobiographique dela narration s’estompe peu à peu pour ne devenir, dans un premier temps, qu’un simple recueil savoureux d’anecdotes, de choses vues ou entendues, parfois même vécues en spectateur. L’année 1914 démarre ainsi sur une sorte de bref « journal de guerre », rédigé à l’époque, mais qui semble rapidement s’être interrompu. Vers la fin de la guerre, Maurice Dekobra est amené à séjourner longuement aux États-Unis, où il restera jusqu’en 1923, ce qui lui inspirera d'ailleurs « Mon Cœur Au Ralenti ». Mais de ces cinq ou six ans à parcourir le continent américain, Maurice Dekobra ne partage ici que son émerveillement face à la découverte de l’« american-way-of-life », un émerveillement d’ailleurs nuancé d’inquiétudes ou de pensées négatives face au libéralisme sauvage parfois délirant ou à la parfaite inculture des citoyens américains. Une guerre plus tard, il reprendra d’ailleurs cet exercice dans « Sept Ans chez les Hommes Libres » (1946), rapport circonstancié de sa vie américaine pendant l’Occupation française.

Néanmoins, dans « Sous le Signe du Cobra », l’auteur mêle souvenirs personnels avec ce qui apparaît clairement comme une anthologie éparpillée d'articles publiés à l’époque, dont la forme rédactionnelle et la longueur calibrée tranchent grossièrement avec le reste de la narration. Plus on avance dans le récit, plus celui-ci perd en cohésion et devient un patchwork contrasté d’articles factuels vieux de trente ans et d’impressions nostalgiques couchées sur le papier en 1951, sans d'ailleurs beaucoup d’enthousiasme, ni de nostalgie. Au final, « Sous le Signe du Cobra » devient rapidement un patchwork d’anecdotes amusantes ou d’histoires savoureuses, qui préfigurent d’ailleurs les recueils à succès de « La Réalité Dépasse la Fiction » d’Albert Aycard et Jacqueline Franck ou des « Perles du Facteur » de Jean-Charles.

Tout cela demeure néanmoins extrêmement plaisant à lire, car Maurice Dekobra s’y connaît en anecdotes et sait les raconter, même si quelques unes témoignent d’un humour bon enfant terriblement désuet. Mais nous ne sommes clairement plus dans une autobiographie, l’auteur disparait derrière ses souvenirs, comme s’il estimait que les histoires qu’il a vues ou qu’on lui a racontées sont de toutes façons bien plus passionnantes que la sienne.

Néanmoins, Maurice Dekobra consacre quelques dizaines de pages à sa carrière littéraire, même s’il semble le premier à vouloir la réduire à ses premiers succès chez Baudinière. À l’entendre, « Mon Cœur au Ralenti » serait même son premier livre, après quelques manuscrits qu’il aurait brûlé, honteux, sans les faire lire à personne. Ce qui en réalité est faux : Maurice Dekobra avait déjà publié neuf romans entre 1913 et 1924, même s’ils témoignent d’un auteur qui cherche encore son style.

On est néanmoins bien plus surpris de découvrir en Maurice Dekobra un érudit en littérature, qui connaît parfaitement les grands classiques français, et se reconnaît volontiers en héritier du Symbolisme et en vieil adversaire du Naturalisme – ce qui ne l’empêchera pourtant pas de se moquer de « l’écriture artiste » des frères Goncourt ou du style ampoulé des feuilletonistes du XIXème siècle, tout en brocardant également au passage la pauvreté d’imagination de ses contemporains, ou la stupidité de certaines de ses lectrices.

En fin de compte, dans cette alternance d’opinions littéraires, soit académiques, soit irrévérencieuses, une fois encore, le vrai visage de Maurice Dekobra nous échappe, d’autant plus que sur Claude Farrère et Pierre Loti, qui sont certainement ses plus grandes influences littéraires, Maurice Dekobra reste à peu près muet, se contenant de placer la comparaison dans la bouche de son éditeur, comme si c’était là l’opinion incongrue d’un profane.

En amour, enfin, on ne saura pas grand-chose. Maurice Dekobra veut bien confesser ses premiers flirts, deux allemandes qui s’appelaient toutes deux Klara, et qu’il désigne comme Klara I et Klara II. Mais des cironstances de la rencontre, du jeu de séduction, de la durée des relations, de la raison des ruptures, on ne saura rien. Peut-être est-ce abordé plus longuement dans le troisième tome, « Les Femmes Que J’Ai Aimées », puisque une bonne partie des lacunes de ce volume – et sans doute des deux autres - est forcément conséquente à la volonté de l’auteur de découper son histoire en thématiques.

Malgré cela, et malgré encore une fois tout le plaisir que l’on éprouve à effeuiller le recueil de souvenirs ironiques et hédonistes de Maurice Dekobra, quelque chose de crispé, et même d’horripilé, se fait sentir dans ce panier garni d’autobiographie contemporaine et de vieux articles greffés à la va-vite. Soit qu’il eût été pressé par le temps, soit que ce retour en arrière lui soit pénible, soit aussi qu’il ait rechigné à s’exécuter car ce projet n’était vraisemblablement pas le sien, on sent perpétuellement chez Maurice Dekobra le désir d’en finir au plus vite avec un livre qu’il s’efforce de rendre le plus copieux possible, comme s’il craignait que les lecteurs se sentent floués.

Heureusement, ce qui nuit gravement au rythme et à la qualité d’une autobiographie apporte en compensation une très grande richesse documentaire sur les mentalités en Europe et aux États-Unis durant la première moitié du XXème siècle. Suivant son flair journalistique, le jeune Dekobra est souvent attiré par l’insolite et le bizarre : témoin d’une obscure secte religieuse en Allemagne, des débuts de la prostitution fétichiste à Berlin, des "bootleggers" de la prohibition à Chicago, de la première réunion panafricaniste autour de Marcus Garvey (qu’il juge néanmoins ridicule, du fait que les Noirs et les Blancs sont des citoyens égaux aux États-Unis), interviewant des écrivains, des hommes d’État, des scientifiques (même si le texte de ces interviews n’est pas reproduit, ou ressemble beaucoup trop au style habituel de l'auteur), Maurice Dekobra appartient à ces hommes de lettres qui ont « survolé leur époque », selon l’expression consacrée, et à défaut d’avoir tout vu ou d’en témoigner avec une neutralité absolue, il pose un regard acéré d’hédoniste perpétuellement sceptique sur tout ce qui ne touche pas au plaisir et à la grande vie, ce qui fait de lui un témoin insolite mais pertinent.

La seule vraie question que soulèvent ces « Souvenirs de Globe-Trotter », comme Maurice Dekobra les a sous-titrés (sans que ce soit non plus un qualificatif approprié), c’est : à quel point peut-on s’y fier ? Que valent les souvenirs d’un beau-parleur soucieux de son image, et que l’on incite à la sincérité et au déballage privé, bien qu’il prévienne dès le départ ne pas vouloir tomber dans l'impudeur et la vulgarité ? Jusqu’où a-t-il joué le jeu ?

Car en vérité, même avec les moyens modernes qu’Internet met à disposition, il est impossible de vérifier la véracité de tout ce que Maurice Dekobra nous raconte. Lorsque les personnages le touchent de près, il prévient qu’il a modifié leurs noms. Quand il échange avec une célébrité, notamment américaine, cela se fait toujours dans un contexte relativement privé, dont Dekobra reste le seul témoin vivant, au moment de la publication de ce livre. Tout au plus peut-on se dire qu’un écrivain mythomane atteint du syndrome de Munchausen ferait comme le célèbre baron : il irait très loin dans l’affabulation. Or, Maurice Dekobra semble au contraire trier soigneusement ses souvenirs pour n’en conserver qu’un certain nombre, qui sont généralement rapportés de manière peu exhaustive. Cela ne ressemble pas aux manières ordinaires des mythomanes, à l’imagination toujours féconde. Sans doute que ce qui semble parfois suspect chez Maurice Dekobra, c’est le style bien reconnaissable avec lequel il raconte des anecdotes véritables, mais où il imprime la marque de sa rhétorique et le sel de son esprit, ce qui revient à donner à une anecdote réelle exactement le même ton que s’il s’agissait d’un des chapitres de ses romans.

Pour conclure, « Sous le Signe du Cobra » est un récit tout à fait passionnant, drôle et  instructif, mais c’est un livre bourré de défauts, principalement liés à sa conception, et au désir de Maurice Dekobra d’y mettre trop de souvenirs et de ragots, eux-mêmes découpés en fragments incomplets où l’auteur peine à se mettre en scène de manière crédible et réaliste, pour des raisons qui restent difficiles à cerner. On perd parfois le fil conducteur dans cet enchaînement chaotique et hétérogène d’historiettes et d’anecdotes rédigées à diverses époques, et qui tiennent du puzzle impossible à reconstituer; mais cet "hamburger" littéraire est si copieux, si nourrissant, si souvent drôle, qu’il est impossible en le refermant de rester réellement sur sa faim, même si on apprend bien peu de choses sur Maurice Dekobra lui-même, et absolument rien sur son œuvre ou sur le regard que lui-même y porte. À 66 ans, Maurice Dekobra ne voulait ni sortir de son personnage, ni l'ériger en statue pour la postérité. Le fameux signe du cobra se résume, fort trivialement, à partager avec ses lecteurs l’évocation de quelques bonnes rigolades durant ses nombreux voyages. Pour peu qu’on n’en attende pas davantage, « Sous le Signe du Cobra » sera toujours une lecture particulièrement délectable.     
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La Madone des Sleepings

« Plongée dans le kitsch littéraire de l'art déco » a écrit un critique en parlant de ‘'La Madone des sleepings''…



Best-seller de l'entre-deux guerre, ce roman colle en effet à cette période : découverte de la psychanalyse, goût pour les voyages et curiosité pour la Russie où une révolution vient de renverser le tsar ; de plus, l'héroïne, lady Diana Winham, est une de ces femmes libérées que la Belle Epoque a fait éclore.



Le roman démarre par une consultation de Lady Winham chez un psychiatre, disciple de Freud : explications crues de la patiente qui assume totalement sa libido, jargon scientifique et séance ‘'d'analyse spectrale des réactions pendant l'orgasme'' m'ont bien amusée ; il semblerait que Dekobra ne prenne guère tout cela au sérieux.

Quant à l'intrigue policière elle alterne entre passages glamours (nuits dans les palaces, voyages dans l'orient-Express, yacht de croisière, etc…) et moments sombres, voire très sombres, dont le séjour de Gérard (prince Séliman et secrétaire de Lady Winham) dans les geôles de la Tchéka n'est pas le moindre.



Non seulement j'ai plongé dans le style de vie d'une certaine société de la Belle Epoque mais aussi dans son style d'écriture. Pour citer Jean Dutourd (*) : « Malgré une profusion de métaphores et d'aphorismes idiots (« elle mit sur ma bouche la fleur vivante de ses lèvres »), le récit va vite, c'est toujours amusant, captivant même quelquefois. Dekobra ne rate jamais un imparfait du subjonctif, et ses références honorent le lecteur parce qu'elles lui supposent une certaine culture. » Style très typé, donc, et dépaysement total…



« Sous son pseudonyme de Maurice Dekobra, le Parisien Ernest-Maurice Tessier (1885-1973) a été un des écrivains français les plus lus de l'entre-deux-guerres. Il aurait vendu plus de 90 millions de livres et fut une véritable star mondiale » (Paul Aron). Aujourd'hui, cet auteur est quasi inconnu, sans doute car trop typique de son époque. C'est pourtant agréable de se replonger, à l'occasion, dans une époque si différente de la nôtre… une époque qui donne l'impression que rien n'est fondamentalement grave, rien n'est vraiment pris au sérieux.





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(*) cf ‘'Contre les dégoûts de la vie'', chapitre ‘'Décadence de la mauvaise littérature''





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Pourquoi Mourir ?

Au début des années 30, Maurice Dekobra est au sommet de sa carrière. Depuis le double sacre de ses deux best-sellers, « Mon Coeur Au Ralenti » (1924) et « La Madone des Sleepings » (1925), il est devenu le chouchou des garçonnes des Années Folles, et la bête noire des critiques littéraires, qui ne voient en lui qu'un fumiste, bien que la ferveur des premières soit en réalité fort efficacement renforcée par l'acharnement des seconds.

Maurice Dekobra était-il vraiment un fumiste ? Durant les années 30, il ne va rien faire pour prouver le contraire, allant jusqu'à publier quatre à cinq romans par an, dont les intrigues sont de plus en plus minimales, et centrées sur les égarements du coeur féminin.

Dekobra, en réalité, était un charmeur, et ses lectrices ne s'y trompèrent pas. Pour autant, l'auteur est loin de cette réputation de médiocrité qu'il traînera toute sa vie. Il appliquait en réalité une recette qui demandait d'autant plus de doigté et de finition que ses ingrédients étaient restreints – et restreints à dessein.

Durant cette féconde période des Années Folles, les romans de Maurice Dekobra sont moins des récits individuels que les chapitres épars d'une saga morcelée, basée sur les thèmes perpétuellement imbriqués de l'amour-passion, de la vie de luxe et d'un certain dilettantisme poseur, très sensuel au début, plus volontiers mondain par la suite.

Tout ça pourrait sembler très ordinaire, mais c'est tout le talent de Maurice Dekobra que de narrer ses histoires sur un ton très particulier, à la fois affecté et goguenard, où l'académisme du style est parsemé de "nonsense" à l'anglaise, de saillies spirituelles, de "punchlines" comme on dirait aujourd'hui, exprimant bien mieux que la plupart de ses contemporains ce mélange d'insouciance et d'insolence propre à son époque.

« Pourquoi Mourir ? » (1931) est un roman relativement mineur de cette période faste avec laquelle Dekobra ne parviendra jamais à renouer après-guerre. Maurice Dekobra reprend ici les traits de son alter-ego littéraire, l'écrivain Frédéric Lambrun, déjà mis en scène dans « Flammes de Velours » (1927), jalon important de la bibliographie de l'auteur, et dont « Pourquoi Mourir ? » est une sorte de prolongement.

Lambrun passe quelques jours de vacances loin de Paris, sur le schooner de quelques amis, en rade dans le port de Cannes, lorsqu'après bien des circonvolutions, un courrier adressé à Paris, et que la Poste a fait suivre jusqu'à Cannes, lui parvient, signé par une mystérieuse admiratrice, qui le supplie de lui venir en aide. Prise dans un tourment amoureux sans issue, la jeune femme en appelle à cet immense expert en intrigues sentimentales et tortueuses qu'est Frédéric Lambrun. Ce dernier s'interroge brièvement sur la sincérité d'une telle missive, qui pourrait cacher une proposition sexuelle biscornue, mais outre qu'une telle perspective n'est pas pour lui déplaire, la possibilité qu'il s'agisse véritablement d'une amoureuse ayant besoin de conseils, et ayant donc une histoire croustillante à raconter, le motive tout autant comme écrivain, et c'est donc d'un coeur léger et amusé qu'il répond favorablement à la sollicitation qui lui est faite.

Sa mystérieuse correspondante, dont le hasard fait qu'elle habite justement à Antibes, non loin de Cannes, se révèle être rien moins qu'Anielka de Marnowska, une ravissante comtesse polonaise, en villégiature en France, et à la tête, par héritage, de la deuxième plus grosse production de manganèse au monde. C'est dire si une telle femme n'a pas lieu de se préoccuper d'autre chose que de trouver le grand amour.

Huit ans plus tôt, Anielka avait épousé le comte Darbiewski, un homme ayant le double de son âge, mais qui lui apportait une alliance honorable, étant issu d'une lignée aristocratique plus ancienne que celle d'Anielka. Darbiewski était aussi à la tête d'un empire minier international qu'il avait passé sa vie à construire, et qu'il promettait de laisser à sa femme et à ses enfants, quand il en disparaîtrait. On pouvait difficilement imaginer meilleur parti, d'autant plus qu'en dépit de son âge, Darbiewski était bel homme et encore très séduisant. le mariage d'intérêt décidé par la famille d'Anielka fut donc aussi, fait exceptionnel, un authentique mariage d'amour.

Le comte Darbiewski ne voulait pas imposer trop tôt à sa jeune épouse une maternité qui pouvait attendre. Mal lui en prit : huit ans plus tard, son coeur le lâcha, et il ne laissait derrière lui qu'une jeune femme seule et à peine trentenaire.

Darbiewski était un homme unanimement apprécié, qui ne se connaissait qu'un seul ennemi, l'américain Lawrence O'Neil, l'autre géant du manganèse, contre lequel il avait âprement disputé l'exploitation de plusieurs mines. le hasard met un jour en présence la jeune veuve Anielka et Lawrence O'Neil, qui sont semblablement frappés par un même coup de foudre.

Sincèrement épris, O'Neil inonde la jeune femme de fleurs, de lettres d'amour, de demandes en mariage, parvenant à la retrouver dans toutes les villégiatures où elle tente de se cacher. Car, en dépit de toute la douceur que son coeur ressent face aux assiduités d'O'Neil, Anielka refuse de lui céder, et ce pour deux raisons : d'abord parce que Lawrence O'Neil était le plus grand ennemi du comte Darbiewski, et que ce serait faire injure à la mémoire de son mari que de refaire avec sa vie avec le seul homme sur Terre qu'il haïssait de toute son âme. Ensuite, parce qu'au-dessus de cette passion, plane la menace d'une OPA déguisée, qu'O'Neil, une fois marié à Anielka, pourrait effectuer sur l'empire Darbiewski, afin de devenir le leader mondial du manganèse. Leurs positions respectives imposent à Anielka le devoir de ne pas croire à la sincérité des sentiments d'O'Neil, qui aurait trop d'intérêt à jouer les grands sentiments pour doubler sa fortune et son influence.

Pourtant, sur ce point, Anielka se trompe : Lawrence O'Neil est réellement sous le feu d'une grande passion, et désireux de convaincre la jeune femme, il n'a hélas pas d'autre argument pour la convaincre que de soutenir un harcèlement continu, de toute la force – mais aussi de toute la balourdise – de sa mauvaise éducation de yankee habitué à tout obtenir des autres par la brutalité et la corruption.

Frédéric Lambrun ne tarde pas à réaliser que la situation d'Anielka est en effet inextricable, au point que de conseiller sentimental, il va vite se retrouver bombardé chaperon d'Anielka, car la jeune femme, de par son statut de millionnaire et de femme d'affaires, est très sollicitée dans des réceptions mondaines, où fatalement, Lawrence O'Neil parvient à se faire inviter, et tente de s'isoler avec elle afin de la convaincre de l'épouser, y compris par la force si elle refuse de céder.

Pour Lambrun qui n'a ni l'âme ni la carrure d'un garde du corps, la tâche est particulièrement ardue, car non seulement il faut protéger Anielka de Lawrence, mais il faut aussi la protéger d'elle-même, car il vient toujours un moment dans la soirée où Anielka, débordant d'amour pour son tendre harceleur, cherche à fuir sa camériste ou l'attentionné Frédéric Lambrun, pour tenter de rejoindre celui pour lequel son coeur palpite. le moindre verre d'alcool peut ainsi avoir des conséquences désastreuses, et se terminer en course-poursuite burlesque dans les jardins d'une ambassade, à une heure avancée de la nuit.

Bientôt, en dépit de son dévouement désintéressé de chaque instant, Frédéric Lambrun sent le découragement le gagner, et après mûre réflexion, il se dit qu'un seul homme peut sauver Anielka d'elle-même : le docteur Hugo Schomberg !

Schomberg (ou Schönberg, selon les romans) est l'un des personnages les plus ébouriffants de toute la mythologie dekobraïenne. Il apparaît pour la première fois dans « Flammes de Velours » (1927), où il tient le rôle central, celui d'un inventeur de génie devenu, à la suite de la fuite de son épouse Mareva du foyer conjugal, un savant fou obsédé par une idée monomaniaque : celui d'ôter à tout jamais le sentiment amoureux du coeur des femmes, afin qu'elles ne soient plus en mesure de briser la vie des hommes.

Dans « Flammes de Velours », il fait enlever des mondaines réputées pour leur séduction, les soumet à une machine hypnotique de son invention, et les persuade chacune qu'elles sont un personnage féminin célèbre et redoutable de l'Histoire : la reine Cléopâtre, la comtesse Bathory, Catherine de Médicis, Charlotte Corday, etc… Formatée à l'esprit de ces femmes monstrueuses ou souveraines, les jeunes filles hypnotisées, quotidiennement habillées comme leurs modèles, étaient conditionnées ainsi pendant plusieurs mois, imprégnées des âmes grandiloquentes et mégalomanes qui leur étaient assignées, puis "relâchées" dans la nature, avec pour mission de briser le plus de coeurs masculins possibles.

On retrouve aussi Schomberg ponctuellement sur la trace de son infidèle épouse, notamment dans « Sérénade au Bourreau » (1928), où il sauve Ibrahim Bey, l'amant de son épouse Mareva, des geôles turques, à la seule fin de lui offrir une année de bonheur complet, au terme de laquelle Ibrahim Bey acceptera de se suicider pour laver l'honneur de son bienfaiteur outragé.

On peut être étonné de la création et de la récurrence d'un personnage aussi feuilletonesque chez un auteur des années 20, furieusement moderne pour son temps. Mais le Schomberg de Maurice Dekobra n'est pas uniquement un personnage négatif, vecteur d'intrigues alambiquées : Maurice Dekobra en fait volontiers un symbole de l'homme à la fois dépendant et victime de la femme, sans laquelle il ne peut pas vivre, mais aussi de l'homme exclusif et fidèle – fidèle même à celle qui a déserté son foyer, laquelle ne lui en demande pas tant.

Pour cet indécrottable papillonneur libertin qu'était Maurice Dekobra, Schomberg représente en effet l'homme du XIXème siècle, le mari dénaturé, ni sentimental, ni sensuel, pétri de valeurs conservatrices et de machinisme froid et scientiste. Celui qui ne jouit pas, et empêche les autres de jouir, celui qui veut changer l'âme naturellement facétieuse de la femme.

Malgré tout, l'auteur ne porte jamais sur son personnage un regard véritablement haineux. Au contraire, on sent en Dekobra un certain attendrissement pour le docteur Schomberg, peut-être parce que ce personnage représente ce qu'il avait peur lui-même de devenir, ou ce qu'il serait devenu sans l'immense succès féminin que lui valût sa littérature.

D'ailleurs, l'alter-ego de l'auteur, Frédéric Lambrun, avait déjà combattu Schomberg dans « Flammes de Velours », sans pour autant cesser d'avoir avec lui des rapports amicaux. Schomberg ne s'offense pas que l'on déjoue ses plans. Quelque part, cela prouve à ses yeux qu'ils n'étaient pas si bons qu'il le supposait. C'est donc avec une grande confiance que Lambrun fait appel à son ancien ennemi, en lui apportant un cobaye rêvé : Anielka, une jeune femme qui ne veut plus être amoureuse.

Schomberg s'est installé en France, dans un manoir aux allures de forteresse, situé à Louveciennes, dans les Yvelines. C'est là qu'il accueille Lambrun et Anielka en pension, tout en travaillant dans son laboratoire sur un projet secret dont il ne veut rien dire, visant à guérir totalement Anielka de son amour pour Lawrence. Schomberg se fait aussi livrer des copies de toutes les photos existantes de Lawrence O'Neil. C'est d'ailleurs cette démarche qui finit par renseigner Lawrence O'Neil sur l'endroit où se cache Anielka. L'amoureux transi débarque donc à Louveciennes, et, comme on refuse de le laisser entrer, il déclare qu'il fera chaque nuit le siège du manoir jusqu'à ce qu'Anielka sorte d'elle-même pour le rejoindre.

Afin d'empêcher qu'O'Neil puisse tenter d'entrer par effraction, Frédéric Lambrun passe chaque nuit assis à ses côtés devant le manoir. Les deux hommes finissent, au fil de ces nuits blanches, par nourrir une certaine estime mutuelle, en dépit de toutes leurs différences.

Un soir, alors qu'ils devisent en début de nuit, ils sont interrompus par un cri d'épouvante émanant, au premier étage, de la fenêtre d'Anielka. Frédéric rentre en toute vitesse au manoir, tandis que Lawrence grimpe le long du mur jusqu'à atteindre la fenêtre d'Anielka. Les deux hommes débouchent ainsi en même temps dans la chambre, et découvrent un spectacle qui les laissent totalement médusés.

Durant ces mois enfermés dans son laboratoire, Schomberg a construit... un robot, un androïde ressemblant trait pour trait à Lawrence O'Neil, qu'il téléguide depuis son laboratoire. Cet androïde n'a que deux missions : se rendre nuitamment dans la chambre d'Anielka, et la violer sauvagement, provoquant ainsi un traumatisme de nature à éteindre en elle tout sentiment amoureux envers O'Neil.

Les efforts conjugués de Frédéric et Lawrence ne sont pas de trop pour mettre hors d'état de nuire cette machine infernale, née du cerveau malade de Schomberg. Néanmoins, cette horrible aventure aura eu le mérite de prouver à Anielka que Lawrence est réellement prêt à risquer sa vie pour elle, et donc, elle décide finalement de lui accorder sa main. Lawrence, pour la tranquilliser tout à fait, cède à sa jeune épouse les rênes de son entreprise. Il n'a véritablement besoin que d'Anielka pour être heureux, et jamais l'idée d'une absorption ne l'avait effleurée.

« Pourquoi Mourir ? » est donc un mélodrame assez risible, qui n'est pas crédible un seul instant, mais ne cherche pas vraiment à l'être. Il y a une dimension tout à fait comique, voire parodique, que Maurice Dekobra distille avec beaucoup de savoir-faire. Il connaît son lectorat féminin sur le bout des doigts, et il sait se montrer joueur et ambigu, charmeur et volontiers plaisantin. Sa narration est rarement sérieuse, mais elle l'est tout de même suffisamment pour que ce roman ne puisse être tout à fait considéré comme humoristique.

En réalité, la coquetterie féminine est ici omniprésente, même chez le personnage de Frédéric Lambrun, peu viril dans ses actions comme dans ses réactions, jouant au final moins un rôle d'éminence grise que celui très féminin de confidente ou de prêtre débonnaire. C'est d'ailleurs lui qui, alors qu'Anielka, songe au suicide, lui demande : « Pourquoi mourir ? », sur un ton qui veut véritablement dire : « Pourquoi résister ? ».

Car si dans le roman, pour des questions de convenance, Anielka est veuve, tout ce roman remet en question la notion de fidélité envers un mari absent ou vieillissant, quand on se sent prise, corps et âmes, par un soupirant plus jeune. Bien que l'on puisse s'affliger de l'intrigue absurde et rocambolesque de ce récit, on appréciera l'habileté du tentateur Maurice Dekobra, qui sait pousser ses lectrices sur la pente glissante de l'adultère.

Jeune, belle, immensément riche, son Anielka n'oppose à son amour que des principes un peu vains, qui permettent aisément à la lectrice de s'identifier à ce prestigieux personnage, tiraillé entre le devoir et l'envie, justifiant une certaine instabilité émotionnelle par l'excuse de la passion. Mais cette identification confortable permet à Maurice Dekobra d'amener sa lectrice là où il le désire, tant en réalité, Anielkla n'a pas de raison déterminée de fuir Lawrence; tant Lawrence lui-même, derrière le portrait très caricatural de l'Américain tenace et dépensier, prouve son attachement par son harcèlement continu; tant la seule manière de combattre cet amour se révèle au final l'aberrante solution imaginée par Schomberg.

Tout cela permet de comprendre que l'intrigue est ici volontairement sacrifiée à un message tourné vers la promulgation de l'infidélité et le libertinage par une sorte de bon sens résigné, tout en se donnant les apparences – tout juste crédibles – de la vertu et de la passion amoureuse. Chaperon devenant au final entremetteur, Maurice Dekobra, via son sosie Frédéric Lambrun, se donne un rôle à la fois secondaire et essentiel, celui de l'ami dévoué qui s'abstient en permanence de juger Anielka, et qui loin de se comporter en pygmalion ou en arbitre incorruptible, se contente le plus souvent de mettre au service de la jeune femme ce statut de conseiller qu'elle lui a donné, mais de manière pragmatique, conciliante et perpétuellement compréhensive.

De par cette duplicité minimale entre un récit farfelu et dépouillé, servant un message libertin tout à fait de son temps, on réalise pourquoi Maurice Dekobra fut durement jugé par les critiques de son temps, qui ne perçurent de son oeuvre que la mince facture narrative, sans disposer de toutes les clefs de l'adroit travail psychologique effectué par l'auteur auprès de ses lectrices.

Auteur de charme, tout comme il existait des chanteurs de charme, Maurice Dekobra pensait ses romans comme des roucoulades parfaitement formatées aux incohérences de l'esprit féminin, sachant flatter aussi bien leurs besoins narcissiques d'être adorées que leurs soucis d'honorabilité sociale, ou leur imagination débridée et érotique. Et c'est dans cette subtile prose, faite de compromis à demi-mots et d'aveuglements choisis, que Maurice Dekobra mettait réellement tout son génie, tout son art de séduire la femme, et d'entretenir en elle des envies de fantaisies dont il entendait bien être le premier bénéficiaire.

« Pourquoi Mourir ? » est, en ce sens, le travail sophistiqué et exemplaire d'un dandy se donnant les faux attraits d'un expert en complexité sentimentale, mais ne délivrant que des certificats d'incitation à la débauche, et nombreuses sont celles qui s'y sont laissé prendre.



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Confucius en pull-over ou le beau voyage en..

Depuis le succès planétaire de sa « Madone des Sleepings », Maurice Dekobra, créateur du roman dit "cosmopolite" qui va marquer durablement les années 1920-1930, est devenu une véritable star littéraire française, ce que beaucoup de ses confrères ne lui pardonneront pas, et qui plus est, une star littéraire exportable. Traduit dans près d’une trentaine de pays, y compris aux États-Unis où ses séances de dédicaces mobilisent des milliers de personnes (l’une d’elles, à New York, affichera une file d’attente de 7 kilomètres), Maurice Dekobra doit son immense succès aux femmes, plus particulièrement aux garçonnes, dont il a habilement compris le désir d’indépendance et les envies d’aventures émoustillantes. Parce qu’il les connaît bien et qu’il sait les rejoindre sur le terrain de la duplicité et du fantasme, il devient pendant presque quinze ans l’auteur le plus vendu des Années Folles et le plus copieusement honni par le monde des lettres, vendant au total 90 millions de livres en 60 ans de carrière.

Pourtant, si Dekobra se laisse griser par son succès, et affiche sans vergogne ses innombrables conquêtes féminines, il se montre d’excellente composition avec chacun, restera jusqu’à l’après-guerre chez l’éditeur qui l’a découvert, Baudinière, et charme tout le monde par son humour, sa simplicité et son caractère mondain sans excès. C’est donc très naturellement qu’on lui offre un poste de diplomate et d’attaché d’ambassade, sur le seul prestige de son nom – ce sur quoi il ne semble pas s’être leurré, d’autant plus que son aîné Claude Farrère, romancier exotique à défaut d’être encore cosmopolite, l’avait précédé sur cette voie diplomatique. Outre l’éventualité d’orienter son tableau de chasse vers des femmes de la haute société, Maurice Dekobra, qui semble avoir été un assez bon diplomate, voit dans cette nomination honorifique d’appréciables occasions de voyager dans de nombreux pays aux frais de l’État. Cette fonction lui permit, sur le plan littéraire, d’écrire sur les pays qu’il visitait avec nettement plus de connaissances géopolitiques que beaucoup de ses confrères. Pour autant, si être attaché d’ambassade est bien pratique pour connaître les coulisses de la politique d’un pays, on ne visite ce pays qu’à travers ses ambassades, ce qui n’est pas nécessairement le meilleur moyen de le connaître.

Lorsque Maurice Dekobra visite la Chine, c’est un pays fort différent de ce qu’il est aujourd’hui. Depuis de nombreuses décennies, la Chine ne parvient pas à sortir du régime médiéval dynastique dont elle est héritière depuis de trop nombreux millénaires. Plusieurs généraux ambitieux se retranchent dans différentes grandes villes de Chine, et mènent entre eux une guerre sans fin, chacun se jugeant le seul souverain de la Chine. La situation pourrait sombrer dans le chaos total, si la Chine n’avait eu ce brillant sens du commerce international dont elle fait encore preuve aujourd’hui.

Face à l’instabilité du pays, qui n’autorisait pour l’Occident ni un protectorat, ni une colonisation, face à un peuple aussi fragmenté et perdu dans une guerre civile sans issue, la communauté internationale avait installé en 1861 un système unique au monde de "concessions territoriales". D’abord allouées à des entreprises d’import-export qui souhaitaient travailler en Chine tout en demeurant neutres quant aux conflits internes, ces concessions sont devenues des zones territoriales externes, au sein même des villes chinoises, régies par une autorité locale qui était en mesure de faire régner la loi en dehors de toute partisanerie chinoise. Les concessions, qui étaient généralement les quartiers entourant des sièges d'entreprises européennes ou américaines, avaient leurs propres règlements qui ne s’appliquaient pas aux zones chinoises, ni autres concessions. Outre la France, la Grande-Bretagne et le Japon étaient majoritaires dans le nombre de concessions obtenues en Chine, tandis que la plupart des pays européens (Belgique, Italie, Allemagne, Autriche), et les grandes puissances (États-Unis, Russie) y avaient une ou deux concessions dans quelques villes.

Ce morcèlement de concessions maintenait une paix fragile en Chine, en paralysant les grandes villes du pays, principalement Shanghaï et Tientsin, où il y avait tant de concessions que les zones chinoises y étaient minoritaires. Impossible donc d’y recruter ou d’y faire défiler une armée, impossible d'y livrer bataille. Mais l’inconvénient, c’est qu’il s’agissait tout de même d’une colonisation en bonne et due forme, où chaque concession employait du personnel chinois, mais où tout commerce d’exportation ne payait que peu de taxes – voire pas de taxes du tout – aux villes chinoises.

Ce système de concessions fut aboli en quelques années durant la Seconde Guerre Mondiale, le conflit rendant de plus en plus fragiles les industries qui avaient jusque là l’avantage appréciable de fournir des salaires au Chinois. La France fut la dernière à quitter le pays, d’abord parce que la renonciation aux concessions françaises fut négociée avec le Maréchal Pétain, sous le Régime de Vichy, et donc totalement remise en question par le gouvernement provisoire à la Libération; et ensuite parce que la France disposait également d’un territoire authentiquement colonial, au sud-est de la Chine et à l’est de l’actuel Vietnam, incluant une grande partie de la province de Guangdong et la totalité de la péninsule de Leizhou. Ce territoire était rattaché administrativement à l’Indochine Française, il fut envahi et partiellement ravagé par les Japonais en 1943, et finalement, rétrocédé à la Chine en 1945, vu que la France n’avait ni l’envie ni les moyens financiers de procéder à sa reconstruction.

Aussi Maurice Dekobra, fraîchement nommé diplomate, découvre une Chine à bout de souffle. Il assiste au lent pourrissement de ce système de concessions internationales, qui empêche les guerres, mais autorise tacitement toutes les corruptions, tous les trafics...

« Confucius en Pull-Over » : ce titre peut faire sourire, mais au moment où Maurice Dekobra publie ce premier essai directement inspiré de sa jeune expérience de diplomate, cette métaphore fait pleinement sens. Déchirée entre des conflits claniques, la population chinoise préfère en effet en rester à Confucius. Quant au pull-over, c’est alors un vêtement récent et occidental, une modernisation américaine du classique chandail des ouvriers, destinée primitivement aux officiers de marine. Affirmant avoir vu, sur l’œuvre picturale d’un jeune peintre chinois ayant étudié en Europe, une représentation de Confucius en pull-over, il y voit le symbole de cette union absurde et contre-nature entre Orient et Occident.

Pour autant, s’il ne manque pas d’une certaine lucidité sur la défiance et la difficulté de compréhension entre Chinois et Occidentaux, Maurice Dekobra n’est pas un essayiste qui veut faire entendre une théorie argumentée. Son livre est avant tout une collection d’impressions, d’anecdotes, de doutes et d’interrogations, ce qui dénote néanmoins d’un bel esprit d’indépendance, car ces conclusions ne sont certainement pas celles qui dominaient en France dans l'administration coloniale de l’époque.

Rédigé vraisemblablement à partir de notes de voyage, dont on sent parfois le mastic un peu grossier qui les unit, « Confucius en Pull-Over » suit Dekobra pratiquement au jour le jour, mais de manière confuse, sans aucun repère chronologique (on ne sait d’ailleurs pas combien de semaines ou de mois dure ce séjour) ni de précisions sur ses trajets. L’auteur passe de ville en ville, d’une ambassade officielle à la vaste propriété d’un haut-fonctionnaire. Il interroge et rapporte les propos des administrateurs coloniaux qu’il croise apparemment dans des réunions mondaines, mais aussi celle des invités chinois qui "collaborent" - parfois de mauvaise grâce – avec l’occupant. Là est sans doute la faiblesse de cet ouvrage, où les interlocuteurs de Maurice Dekobra sont certes bavards et érudits, mais ne représentent guère le Chinois "moyen". Il n’y a là que des diplomates, des édiles locaux, chinois ou non, des notables, des stars du cinéma, des étudiants chinois de retour de l’étranger, toute une jeunesse partagée entre deux cultures, mais qui continue à préférer Confucius à Voltaire et ne nous envie que nos élégances superficielles.

Maurice Dekobra fait en effet un "beau" voyage en Chine, c’est-à dire un voyage à la fois diplomatique et touristique, guidé par des fonctionnaires qui lui racontent et ne lui indiquent que ce qui leur plait. L’auteur est conscient de n’avoir finalement, pour remplir son livre, que les opinions des autres, ou du moins, celles qu’on veut lui faire écrire. À titre personnel, il n’a que des lieux touristiques à nous décrire – et à nous montrer, car son livre est accompagné par d’abondantes photographies prises en Chine souvent par lui-même - ainsi que les quartiers de la prostitution, au sujet desquels il nous raconte à peu près tout, sauf ce qu’il est venu y faire – mais une explication est-elle nécessaire ? Quelque part, il faut reconnaître au moins à Maurice Dekobra une sincérité réaliste et gauloise qui l’amène, contrairement à Claude Farrère, à ne pas aseptiser sa prose pour la rendre digne de sa fonction, honorable et tous publics.

Tout au plus, reprochera-t-on, à Dekobra, comme à son fort négligent éditeur, des transcriptions très fantaisistes des noms chinois de lieux et de personnages, sans doute seulement entendus à l’oral et très imparfaitement occidentalisés ("Szetchouen" au lieu de "Sichuan", "Whangpou" au lieu de "Hangpu", "Hangchow" au lieu de "Hongzhu", etc…), mais sans doute n’existait-il pas, à l’époque, de romanisations "officielles"…

Il n’empêche, malgré une certaine platitude due à la récurrence linéaire d’une vie tranquille de diplomate, passant de ville en ville, de conversations mondaines en cocktails huppés, le récit de Dekobra hésite de façon intéressante et personnelle entre le séjour idyllique, curieux et rigolard d’un riche touriste, et l’inquiétude sourde du diplomate redoutant un désastre à venir, une spoliation territoriale malaisée, une corruption irrattrapable, un racisme réciproque destiné à mener tôt ou tard à un conflit très grave. Tout cela amène Maurice Dekobra à s’interroger plus globalement sur les prétendus bienfaits de la civilisation occidentale, et sur la condescendance et l’humiliation que dissimule notre soi-disante sollicitude morale et politique. Il est troublant de lire, sous la plume presque nonagénaire d’un écrivain plutôt sympathisant à la base de l’empire colonial français, des reproches et des condamnations morales qui sont encore celles que nous renvoient l’actuel gouvernement chinois, preuve peut-être que si la Chine a bien changé, l’Occident, lui, n’a sans doute pas su évoluer tant que ça, dans le regard qu’il porte sur des civilisations qui ne partagent pas ses valeurs fondamentales.

« Confucius En Pull-Over » s’achève d’ailleurs sur quelques prospectives terriblement pessimistes. Maurice Dekobra n’imagine pas, en 1934, d’issue heureuse à la situation bancale de la Chine, sinon par le biais d’une fragile réconciliation de ses différentes factions autour d’une volonté commune de chasser les Occidentaux. Mais il pense également que notre retrait de Chine serait de nature à encourager les ambitions conquérantes de la Russie et du Japon, et qu’une guerre sanglante pourrait opposer ces trois pays le jour où les concessionnaires occidentaux quitteraient la Chine.

Cependant, Maurice Dekobra ne devine pas que cette guerre sera aussi la nôtre, pas plus qu’il ne devine que, sous l’impulsion d’un seul homme, un certain Mao Tsé Toung, l’idéologie communiste parviendra, seulement quinze ans plus tard, à cimenter, comme jamais il n’a été, ce peuple émietté et égaré dans des hostilités sans fin. De même que beaucoup d’autres observateurs géopolitiques français du premier tiers du XXème siècle, Maurice Dekobra n’imagine pas l’incroyable travail de métamorphose qui saisira la Chine et le Japon quelques années plus tard. Il ne voit dans la Chine qu’une sorte de nation antique délicate, sans doute trop délicate, totalement à la dérive, et dont il n’est pas certain qu’elle ne soit pas amenée à disparaître. Peut-être d’ailleurs faut-il voir dans cette inquiétude sur le futur de la Chine la raison de ce flot de photographies, certaines pourtant guère plus passionnantes qu’une carte postale, dont il parsème son ouvrage.

Pour toutes ces raisons, « Confucius en Pull-Over » est un livre très pertinent à relire aujourd’hui, même s’il témoigne d’une époque révolue, car si les peuples changent, les problèmes demeurent, et c’est cette permanence transgénérationnelle de problèmes jamais totalement réglés, qui font peut-être aujourd'hui soudainement vaciller une humanité qui se croyait à jamais débarrassée du spectre hideux de la guerre. En 1934, pourtant, la guerre n’était pas loin, et Maurice Dekobra en sentait confusément les prémisses. Qui pouvait se vanter, il y a seulement cinq ans, de présager aussi justement le retour d'une guerre aux implications mondiales ?
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La Madone des Sleepings

Voilà un livre que je redoutais un peu, tant sa bonne réputation mais aussi son âge m’effarouchaient.

Et bien ce fut une excellente surprise.

La peinture de l’entre deux guerres.

Les portraits des protagonistes.

Le français, faux prince mais homme du monde, l’aristocrate désargentée à la reconquête d’une bonne fortune, l’apparatchik bolchevique et sa maîtresse sadienne.

De l’épisode psychanalytique jusqu’à l’ambiance inquiétante des prisons de la Tchéka.

Tout concourt à la réussite.

Roman policier, d’espionnage et d’amour.

« Un sommet du kitch des années folles » en dit Bernard Pivot.
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La Madone des Sleepings

Lecture distrayante mais sans plus pour moi. C'est rythmé, plein de péripéties et de rebondissements, mais ça ne restera pas une histoire que je garderai longtemps en mémoire. On voyage beaucoup dans ce livre avec des personnages haut en couleurs et sympathiques, mais j'ai l'impression qu'il s'agit d'une suite dont je n'aurais pas lu le premier tome. Les passages sur les considérations politiques m'ont un peu ennuyée, marxisme, communisme, capitalisme, bolchévisme... avec leurs révoltes, et leurs contre-révolutions ne sont pas trop ma tasse de thé.
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Le Sphinx a parlé

« le Sphinx A Parlé » marque un très net changement de ton et d'esprit de la part de Maurice Dekobra. Ce dernier a vu sa vie grandement changer suite au succès planétaire de sa « Madone des Sleepings ». Son élégance, son indéniable séduction, vont lui ouvrir bien des portes, dont notamment celles de la diplomatie. Bombardé attaché d'ambassade, Maurice Dekobra va donc voyager, aux frais de l'État, aux quatre coins du monde où il puisera de nouvelles inspirations pour ses romans.

Les années 30 marquent à la fois l'aboutissement de la carrière de Maurice Dekobra, enfin reconnu comme un estimable écrivain, et le déclin progressif de ces très frivoles Années Folles dont il fut une plume emblématique. Publié pile en 1930, « le Sphinx A Parlé » acte la transformation du style Dekobra en une littérature presque convenable, dépouillée de cet hédonisme lyrique et décadent qui fit tout le charme de cet auteur, mais aussi de son ironie, de son amour du "nonsense" britannique et donc de ses "dekobrades", répliques et punchlines aux métaphores volontairement ampoulées qui font ici cruellement défaut. Véritablement conçu, pensé, rédigé pour devenir un best-seller international, au point même de ne plus inclure un seul personnage français, « le Sphinx A Parlé » est un Dekobra pour tous publics, dont le formatage aurait pu être facilement désastreux, mais qui se révèle au final bien plus intéressant qu'on pouvait le supposer.

Rompant avec ses traditionnelles héroïnes décadentes et collectionneuses d'hommes, Maurice Dekobra fait de son « Sphinx » un roman d'hommes et d'amitié virile, où la femme passe relativement au second plan, nimbée de plus d'une ambiguïté suspecte. Par ailleurs, l'intrigue est tout à fait déconcertante :

le capitaine Edward Roberts appartient à l'armée coloniale britannique, détaché dans l'armée des Indes. Lors d'une permission en Angleterre, il fait connaissance avec Alba, la jeune épouse fort libertine d'un riche et vieillissant salonnier de Londres, Miguel de Nogualès. le couple est tout à fait libre, et Alba n'hésite pas à choisir ouvertement ses amants parmi les invités de son mari. Mais néanmoins, la passion charnelle qui s'empare d'Edward et d'Alba les amène bientôt à une relation de plus en plus étroite, ce qui embarrasse le mari. Miguel de Nogualès, pour autant, sait comment se débarrasser des importuns : son salon est aussi le plus célèbre tripot clandestin de Londres, et d'un air amical, Miguel de Nogualès invite Edward à une partie de poker enfiévrée durant laquelle, avec l'aide de complices et de cartes truquées, il dépouille non seulement Edward de tout son argent, mais lui ouvre un royal crédit pour qu'il tente de se refaire. Au bout de la nuit, Edward se retrouve avec une dette de jeu de près de 200 000 £.

Pour autant, fort riche, Miguel de Nogualès ne compte que modérément sur cet argent, et laisse tout le temps à Edward d'économiser longuement afin de le rembourser. Cependant, en tant que soldat ruiné et criblé de dettes, Edward ne sera plus le bienvenu au salon des Nogualès. Quant à Alba , bien que le procédé de son mari l'écoeure, elle trouve déjà beaucoup moins de charme à Edward à présent qu'il est pauvre, et rompt brutalement avec lui.

Cette double forfaiture est un coup rude pour le capitaine Roberts, qui s'était profondément attaché à Alba. Miné par le chagrin et la dépression, se sentant incapable de retourner en Inde et de faire face à ses camarades, il demande et obtient une mutation dans l'endroit le plus dangereux de l'empire britannique : l'avant-poste de Karam, non loin de Kaboul, en Afghanistan. Bâti au flanc d'une montagne, cerné par des steppes désertiques, parsemées de rocs calcaires, ce petit fort est régulièrement attaqué par des hordes de rebelles sanguinaires. Edward espère bien ne pas y faire long feu, et y mourir rapidement en soldat. Mais lorsqu'après un long voyage jusqu'à Kaboul, il entre en fonctions à Karam, l'ambiance est plus calme que prévu, les attaques des rebelles sont rares et désorganisées, et finalement Edward prend son parti d'une existence solitaire et relativement morne.

Un an plus tard, Edward Roberts apprend par télégramme qu'on va lui adjoindre un sous-fifre, le lieutenant Fred Nicholson, qui lui aussi a effectué une demande pour venir moisir dans cet avant-poste aux confins du monde civilisé.

Dès l'arrivée de Fred Nicholson, Edward sent chez son nouvel assistant une blessure secrète et ne tarde pas à lui faire avouer que sa demande de mutation a été aussi motivée par un chagrin d'amour, suite à une romance vécue avec une lady britannique rencontrée en Égypte. Mais autant Edward, bouleversé et entreprenant face à cette détresse si proche de la sienne, voudrait en savoir plus, autant Fred Nicholson, pudique et ayant cette méfiance obstinée des jeunes hommes face à des aînés trop familiers, se refuse à en dire plus long et se mure dans une affliction autiste. Cédant à une curiosité malsaine, peut-être aussi mû par un instinct secret, Edward profite d'une absence de Nicholson pour fouiller sa chambre et découvre ébahi, dans la valise de Nicholson, une photo d'Alba de Nogualès.

Dès lors qu'ils apprennent qu'ils ont eu le coeur brisé par la même femme, Edward et Fred se vouent aussitôt une haine et une jalousie féroce, d'autant plus qu'ils sont contraints de vivre et de travailler ensemble. La tension entre eux devient de plus en plus violente, jusqu'à ce qu'Edward, informé de la présence d'une vingtaine de rebelles dans une passe à quelques kilomètres, y envoie Nicholson, sous un prétexte de mission de routine, seul et insuffisamment armé, afin qu'il périsse sous les balles ennemies.

Mais au fur et à mesure que le soir descend et que la certitude de savoir son rival bientôt mort apaise la colère d'Edward, ce dernier réalise soudainement la monstruosité de ce qu'il vient de faire, et au coeur de la nuit, muni de plusieurs armes, il part sur les traces de Nicholson. Il le retrouve à l'endroit même où il l'avait envoyé. Les rebelles semblent s'être déplacés, mais l'un d'eux est resté pour torturer le prisonnier anglais. Au moment où Edward tombe nez à nez avec lui, l'Afghan se préparait à achever Nicholson. Une balle l'arrête net, mais la détonation allant certainement être entendue de ses complices, Edward se hâte de charger le corps supplicié de Nicholson sur son dos, et rentre précipitamment au fort, échappant de justesse aux balles ennemies des rebelles lancés à sa poursuite.

Ce sauvetage héroïque scelle une amitié fidèle entre les deux hommes, amitié renforcée par le fait que leur courage est récompensé par leur hiérarchie sous la forme d'une double montée en grade, suivie d'une très longue permission à Calcutta en attendant une nouvelle affectation pour l'un, une complète rémission pour l'autre.

Durant ces nombreux mois, les deux hommes s'offrent une vie de patachons bien méritée, car Calcutta, au temps de la colonisation, offrait une vie nocturne particulièrement intense. le major Stead, un des plus vieux amis d'Edward, leur présente un soir une ravissante indoue, qui n'est autre que la belle-soeur du Maharadjah de Bangamer. Séduite par les deux hommes, elle les invite à un séjour au palais de Bangamer pour une initiation à la chasse au tigre. Les deux hommes acceptent, mais s'étant rendu au palais quelques semaines plus tard, ils y découvrent deux invités inattendus : le prince de Zorren, et sa compagne… Alba de Nogualès.

Car en effet, à Londres, le tripot clandestin de Miguel de Nogualès, grâce auquel il dépouillait certains prestigieux invités, a vu un jour la police londonienne débarquer sans aménités. La tricherie du richissime homme d'affaires étant révélée, celui-ci a été condamné à une lourde peine de prison, et à une confiscation de ses biens. Afin de ne pas être arrêtée elle aussi, Alba s'est enfuie en Égypte, où elle avait quelques relations sûres. C'est là qu'elle rencontra Fred Nicholson, qui ne fut pour elle en réalité qu'une passade. Puis on lui présenta, au cours d'une soirée, le prince de Zorren, richissime monarque oriental, pour lequel elle quitta sans un remords le jeune Nicholson.

le prince de Zorren est un grand voyageur, dont la vie se résume à séjourner chez d'autres monarques du Moyen-Orient. Mais c'est un homme peu sensuel, qui ne s'est entiché d'Alba que pour le prestige d'avoir une compagne occidentale avec laquelle s'afficher. Alba espère mieux, et lorsqu'elle se retrouve en présence d'Edward, elle se jure de profiter de ce séjour de chasse pour le reconquérir. Edward, lui, est évidemment gêné : il ressent toujours du désir pour Alba, et apprécie d'apprendre que la tricherie et l'arrestation de Miguel de Noguarès le délivrent de son douloureux endettement. Mais il n'est plus amoureux d'Alba, et tient d'autant moins à renouer avec elle que son ami Fred ne le supporterait pas. Peu habituée à être repoussée, Alba est furieuse de constater la force de l'amitié qui unit ses deux anciens amants. Aussi va-t-elle profiter de ce séjour à Bangamer pour essayer de pousser ces deux hommes à piétiner leur amitié et à s'entretuer pour elle…

« le Sphinx A Parlé » frappe par le sérieux et le romantisme de son intrigue et de sa narration. Si un siècle plus tard, ce roman ambitieux accuse tout de même son âge, il reste passionnant, envoûtant, soigneusement rythmé et évoque volontiers les ambiances des romans de Claude Farrère ou de Pierre Benoît. L'influence de « L'Atlantide » est d'ailleurs tangible, même si Dekobra ne pouvant en reprendre le climat fantastique, « le Sphinx A Parlé » reste un mélodrame colonial plus ordinaire, quoique un peu tiré par les cheveux sur le plan scénaristique.

Maurice Dekobra n'en sort pas moins sa plus belle plume pour rédiger ce drame avec soin, sans aucune des fioritures mondaines auquel il était habitué, prouvant par l'exemple qu'il pouvait faire des romans tout à fait académiques, voire modernes, même si la modernité de ce roman est tout de même bien loin derrière nous.

L'essentiel et le plus remarquable, c'est avant tout que Maurice Dekobra ait aussi bien réussi une métamorphose littéraire dans laquelle il aurait pu véritablement se perdre. Si « le Sphinx A Parlé » n'a pas l'ampleur féroce et jouissive de ses romans des années 20, Maurice Dekobra n'en signe pas moins un ouvrage de belle facture, assez bien documenté, et qui, en dépit du lissage de toutes les aspérités d'un style jusque là libre et insolent, parvient à n'être ni bâclé, ni raté, ni même quelconque. Cela reste du Dekobra, avec tout ce que cela peut impliquer comme "bricolage littéraire". Seulement, le drame ici offre des qualités nouvelles et une atmosphère particulièrement cinétique, qui font oublier à la fois l'absence des qualités anciennes et l'intrigue tantôt rocambolesque, tantôt prévisible. Et contre toute attente, on se laisse volontiers embarquer dans cette étrange mélodrame…
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La biche aux yeux cernés - De gueules pourpre..

Si on a tendance à souvent citer les deux ou trois ouvrages fondamentaux du sémillant Maurice Dekobra, on oublie généralement qu'il fut un auteur éminemment prolifique, dont la carrière littéraire s'étale sur 60 ans, et qui nous a laissé plus d'une centaine de romans de différents styles, tournant assez souvent autour des aventures exotiques ou du genre policier, tout en se nimbant d'un érotisme hédoniste qui est loin d'être désagréable. Jamais tout à fait sérieux, jamais totalement superficiel non plus, Maurice Dekobra est un auteur qui a rarement fait des livres inutiles, et il y a donc beaucoup à gagner en piochant dans son impressionnante bibliographie.

« La Biche aux Yeux Cernés – De Gueules Pourpres sur Champ d'Azur » » fait partie des quelques expérimentations littéraires étranges, auxquelles Dekobra s'est ponctuellement livré. Il s'agit en fait de deux vaudevilles qui tiennent à la fois du roman et du théâtre : la forme se rapproche du théâtre, dans le sens où il s'agit principalement de dialogues, mais il n'y a ni découpages en actes ou en scènes, ni d'indications de jeux scéniques. Les parties non dialoguées, présentant les personnages et les lieux de l'action, sont narratives, comme s'il s'agissait d'un roman. Ces deux vaudevilles furent publiés en 1933, aux Éditions Cosmopolites. Un deuxième pressage fut rapidement proposé dans la célèbre collection « Ma Bibliothèque » avec la célèbre couverture marron et dorée. Suite à quoi, l'ouvrage tomba dans l'oubli le plus complet.

« La Biche aux Yeux Cernés » raconte l'histoire très classiquement boulevardière du marquis de Barestan, nobliau volontiers noceur, marié avec Billie, une Américaine un peu nonchalante. Barestan vient alors de rencontrer une sémillante brune, Simone, avec laquelle il partage un adultère tellement plaisant qu'il se décide à quitter Billie. Mais comme il craint sa vengeance, il choisit préalablement de la pousser dans les bras de son ami Lefumez, un jeune homme timide et introverti.

Pour cela, avec la complicité de quelques amis venus assister secrètement à la farce, il prétend partir pour un long voyage de trois mois, et laisse Billie dans son château en lui donnant Lefumez comme chaperon. Il compte bien que cette proximité entre sa femme et ce jeune homme si inoffensif, mais qui ne peut néanmoins cacher son attirance pour la belle Américaine, poussera cette dernière à la faute, et l'incitera donc à divorcer. En réalité, Barestan ne s'en va pas si loin, et s'offre juste un avant-goût de lune de miel avec Simone dans les environs.

Contre toute attente, la timidité respectueuse de Lefumez inspire une attitude semblable à Billie, et les deux jeunes gens développent chacun une amitié saine et distante, que Billie apprécie d'autant plus qu'elle n'est pas totalement dupe de la situation. Mais finalement, aussi désireux l'un que l'autre de ne pas céder à l'ambiguïté, ils se rendent compte qu'ils s'entendent parfaitement, qu'ils s'apprécient profondément et leur complicité devient rapidement un amour profond et réciproque, auquel il n'y a plus aucune raison de résister.

Lorsque Barestan revient, il a sensiblement revu son opinion : trois mois en tête à tête avec Simone lui ont fait réaliser qu'elle est une mégère parfaitement tyrannique dont il ne sait désormais plus comment se débarrasser. Et surtout, il réalise que Billie lui a terriblement manqué, que c'est une fille adorable, et que ce qu'il prenait pour de la nonchalance est simplement une qualité rare chez la femme : l'absence d'hystérie.

Hélas pour lui, son plan a trop bien marché : Billie est totalement amoureuse de Lefumez, qui le lui rend bien, et elle demande le divorce à Barestan. Celui-ci tente en vain d'avouer à sa femme qu'il a monté cette histoire de toutes pièces, qu'il s'est trompé et qu'il veut rester avec elle…. Trop tard, lui répondent en chœur Billie et Lefumez.

Non seulement Barestan se voit obligé de divorcer, mais étant d'un tempérament lâche, il n'ose pas dire à Simone qu'il ne l'aime plus et il se retrouve ensuite contraint de l'épouser et de vivre sous son joug...

Malgré une belle collection de "punchlines" et de "dekobrades" comme l'auteur sait magnifiquement en faire, cette comédie romantique boulevardière est peu convaincante et sensiblement dépassée. On s'y ennuie ferme, d'autant plus que l'intrigue est assez prévisible.

Plus intéressant (et légèrement plus court), « De Gueules Pourpres sur Champ d'Azur » est un vaudeville bien plus original et astucieux, même si là aussi, le contexte est un peu daté.

L'intrigue se passe dans un futur proche, où les troupes soviétiques tentent d'envahir l'Europe. En France, les sympathisants communistes et syndicalistes fomentent des coups d'états. Le comte André de Mortemaise, en son château, se sent perturbé par cette actualité révolutionnaire, aussi prend-il la décision, pour sauver sa tête, ses biens et son château, de rejoindre la cause communiste. Il sympathise avec le camarade Mercadol, le leader syndicaliste le plus influent de France, et lui fait une proposition intéressée : échanger pour un temps leurs logements respectifs. Mortemaise craint en effet que le futur coup d'état bolchévique entraîne le pillage voire la confiscation de son château. Mais si l'on sait que ce château est réquisitionné et habité par le camarade Mercadol et sa famille, c'est sûr, on n'y touchera pas. Pour le comte de Mortemaise, c'est une satisfaction qui vaut bien de faire l'effort de vivre quelques mois dans le petit appartement exigu et modeste des Mercadol à Belleville, en attendant le jour du Grand Soir.

La compagne du comte, une demi-mondaine boudeuse nommée Régine, ne voit pas la chose du même œil. Urbain, le très stylé domestique du château, se croit jeté en Enfer, à devoir servir ces prolétaires qui, en plus, exigent qu'il mange à la même table qu'eux, en famille. Les amis fidèles de Mortemaise tentent de le convaincre qu'il fait une énorme bêtise, mais celui-ci tient à son projet, et il a doublement raison : d'abord parce que son château se retrouve effectivement protégé de la hargne révolutionnaire, lorsque la tentative de renverser le gouvernement a lieu, mais en plus, le comte sympathise, tout au long des semaines qui précèdent, avec Fernande, la charmante fille de Mercadol, 16 ans à peine mais déjà délurée, qui va bien vite éclipser dans le cœur du comte la très fielleuse (et plus très jeune) Régine.

Le coup d'état bolchévique échoue. Arrêté par les autorités comme instigateur du complot, Mercadol risque la prison à vie. Heureusement, il n'y passera que quelques jours, le temps pour Mortemaise d'épouser la jeune Fernande, puis, le plus sérieusement du monde, d'exiger la libération de Mercadol, désormais beau-père du comte de Mortemaise.

On retrouve ici le Maurice Dekobra qu'on adore, avec ses thématiques grandiloquentes et son anticommunisme goguenard. « De Gueules Pourpres sur Champ d'Azur » n'est guère très crédible et reflète les appréhensions d'une autre époque, mais il est extrêmement amusant à lire, et Maurice Dekobra y est bien plus drôle et délirant, ses personnages y sont aussi plus complexes et très attachants.

Ce charmant vaudeville plein d'ironie compte clairement parmi les meilleures réussites de Dekobra, et justifie l'achat du volume dans son intégralité, même si l'on baillera un peu sur « La Biche aux Yeux Cernés »...
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Sérénade au bourreau

« Sérénade au Bourreau » est, plus ou moins, la suite de « Flammes de Velours » , dans le sens où on y retrouve le sémillant Docteur Hugo Schönberg, savant fou autrichien et misogyne qui avait longuement exposé ses théories délirantes dans cet excellent précédent volume, dont la lecture n'est toutefois pas nécessaire pour apprécier ce roman-ci.

Pour ceux qui, cependant, ont lu « Flammes de Velours », on se souviendra que le Docteur Schönberg avait enlevé et hypnotisé plusieurs femmes afin de les déguiser en grandes figures féminines de l'Histoire, et de leur distiller, sous cette double identité, une philosophie les incitant à renier l'idée même d'amour, pour n'être plus que des créatures sublimes et lubriques, qui ne feront plus jamais souffrir aucun homme, puisque se donnant indifféremment à tous. Lors de sa très longue diatribe sur sa théorie, le Docteur Schönberg avait révélé que toute sa démarche découlait de l'infidélité et de l'abandon du domicile conjugal par sa propre épouse. C'est du destin parallèle de cette épouse qu'il va être question ici, et de la manière dont son mari va la recroiser et tenter de tirer d'elle et de son amant une vengeance sadique.

Mareva Schönberg vit en effet une passion torride avec un jeune flambeur égyptien Ibrahim Bey. Le couple très riche traverse tout le continent européen, passant d'une ville sublime à une autre. Mais Mareva est une personnalité hors-norme, qui se pique de politique et notamment de politique turque, du fait que son père possède un commerce en difficulté à Istanbul (que les Occidentaux appellent encore Constantinople, voyant d'un très mauvais oeil la mainmise arabe sur ce pays longtemps sous domination grecque).

Acoquinée avec un groupe terroriste communiste, Mareva entraîne Ibrahim dans le projet fou d'une tentative d'assassinat de Mustafa Kemal, très populaire (encore aujourd'hui) libérateur de la Turquie, et décidé à un rapprochement d'égal à égal avec l'Occident.

L'attentat échoue lamentablement pour cause d'impréparation, et la plupart des terroristes sont capturés. Mareva parvient à s'enfuir, mais Ibrahim tombe dans les mains de la police turque. Loin de le sauver, sa nationalité étrangère et son origine hautement bourgeoise le font passer pour un agent de l'étranger, voire pour le commanditaire de l'attentat. Il n'a hélas rien d'autre à rétorquer que le simple fait qu'il n'a participé à cette tentative d'assassinat que pour les beaux yeux de la femme qu'il aime, et que néanmoins il se refuse à dénoncer. Une défense que bien entendu aucun tribunal ne saurait prendre au sérieux. Sans surprise, après un bref procès, Ibrahim Bey et tous les autres participants du complot sont condamnés à mort.

La nuit précédant son exécution, alors qu'il déprime sur le banc de sa cellule, Ibrahim reçoit la visite de son avocat qui lui propose un marché : un homme puissant qui tient pour l'instant à garder l'anonymat se propose, avec la complicité d'un gardien, de le faire évader cette nuit-même, en échange de sa promesse d'exécuter un contrat qui lui sera stipulé en temps et en heure.

La proposition est douteuse, mais à quelques heures de finir sur l'échafaud, Ibrahim se dit non sans raison que tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir, et il accepte par avance l'offre qu'on lui demandera. Il est doucement exfiltré de la prison par son avocat et conduit secrètement sur le yacht de son puissant protecteur. "L'Andromède" se met en mouvement, et lentement, tandis qu'Ibrahim Bey dans sa cabine goûte enfin un repos bien mérité, le yacht quitte tranquillement Istanbul…

C'est seulement le lendemain matin qu'Ibrahim Bey rencontre son bienfaiteur : le redoutable docteur Hugo Schönberg, le mari trompé et abandonné de son amante. Ibrahim s'étonne de devoir la vie à l'homme qui est censé le haïr plus que n'importe qui d'autre : c'est que Schönberg à mûri un plan machiavélique.

Dans un premier temps, il offre à Ibrahim tout ce dont un homme peut rêver : la liberté d'abord, une nouvelle identité ensuite, celle de Jamii El-Khazen, homme d'affaires égyptien. Puis une somme plus que confortable sur un compte en banque alloué à ce nom, et enfin l'opportunité d'user à loisir de toutes les femmes que Schönberg lui présentera, toutes converties à sa philosophie du désamour. Deux françaises, Daphné et Lucinde, sont déjà disponibles, passant leurs journées à bronzer sur la terrasse de "L'Andromède".

En contrepartie de ces bonheurs livrés à domicile, Schönberg exige une chose, c'est que le 5 juin 1929, soit exactement dans un an jour pour jour, Ibrahim se suicide de la manière qui lui conviendra le mieux, et en présence de Schönberg. D'ores et déjà, Schönberg exige en échange de ses bienfaits une lettre d'adieu antidatée qui le délivrera de tout ennui avec la justice. D'ailleurs, Ibrahim Bey n'est nullement prisonnier : il n'est tenu à demeurer sur le yacht de Schönberg que le temps d'être évacué en dehors de Turquie, où sa tête comme prisonnier évadé est fortement mise à prix. Après cela, Ibrahim pourra quitter le yacht quand il veut, où cela lui plaira, sans profiter du harem de Schönberg ou en se choisissant l'une de ses pensionnaires, s'il le désire.

Ibrahim Bey comprend mal le projet de Schönberg : celui-ci explique alors qu'en tant que mari outragé, il estime que la vie d'Ibrahim Bey lui appartient. Il pourrait le tuer de suite ou le vendre à la police turque, mais son idée est, au contraire, d'offrir à Ibrahim un an de sursis, un an de vie merveilleuse et confortable au terme duquel Ibrahim devra se supprimer. Pour l'ex-condamné à mort qu'il était, c'est à la fois un sursis qu'on ne peut refuser, et un cadeau qui rendra sa mort plus injuste encore. Évidemment, si au terme de cette année, Ibrahim Bey ne met pas fin à ses jours, Schönberg se juge libre de communiquer sa nouvelle identité à la police turque, et fera tout ce qui est en son pouvoir pour le retrouver et le livrer à la justice...

La proposition est évidemment perverse et sinistre, mais fraîchement évadé et ayant besoin de l'aide de Schönberg, Ibrahim Bey n'a d'autre choix que de l'accepter.

Dans un premier temps, Ibrahim Bey reste en compagnie de Schönberg, même si, par répugnance pour ses vestales, il n'en use pas. Daphné et Lucinde sont pourtant très drôles, et leur brève apparition en "Madones du Yachting" est tout à fait appréciable.

À l'occasion de sa première sortie, à Alexandrie, Ibrahim Bey sauve une danseuse de cabaret d'une tentative de viol. Miss Paprika est une petite fofolle montmartroise qui tombe sincèrement amoureuse de son sauveur. Émue par la candeur sincère de la jeune femme, il décide de consacrer à elle seule sa dernière année de vie, et quitte le yacht de Schönberg avec l' accord de ce dernier, qui promet de le laisser en paix jusqu'à la veille du 5 juin 1929.

Ibrahim reprend avec Paprika la vie itinérante qu'il menait avec Mareva, mais contrairement aux prévisions de Schönberg, le cœur n'y est plus. Non seulement la perspective de sa mort prochaine l'empêche d'être pleinement heureux avec Paprika, mais malgré toute l'affection qu'il lui voue, le souvenir de Mareva revient le hanter. Alors que la date fatidique de son suicide programmé se rapproche dangereusement, Ibrahim écrit à l'adresse autrichienne de Mareva pour lui raconter son histoire, sans être certain qu'elle pourra la lire.

Fort heureusement pour lui, Mareva est bien rentrée en Autriche. Elle rejoint Ibrahim et Paprika, là où ils se sont installés dernièrement, à Saint-Raphaël, dans le Var.

Paprika voit d'abord avec hostilité cette ancienne rivale refaire surface, mais consciente qu'elle seule peut sauver Ibrahim, elle fait profil bas et instinctivement laisse sa place. Mareva n'a aucun mal à retrouver l'hôtel où, patiemment et avec délectation, Hugo Schönberg attend son heure. Elle parvient à l'embobiner, à le persuader qu'elle désire revivre avec lui, et parvient sans trop de mal à lui arracher la lettre d'adieu signée un an plus tôt par Ibrahim Bey, seule preuve dont aurait disposé Schönberg pour le dénoncer. Enfin, échappant à son mari, elle offre à Ibrahim la meilleure protection possible : la fuite en sa compagnie. Il ne reste à Schönberg que la colère et la frustration de s'être ainsi fait rouler dans la farine, et à Miss Paprika, que ses pauvres yeux pour pleurer…

Il manque à « Sérénade au Bourreau » un peu de la folie et du lyrisme flamboyant de « Flammes de Velours », mais en choisissant de faire de ce roman une sorte de thriller atmosphérique, Maurice Dekobra est parvenu assez bien à se renouveler, tout en restant sur une thématique et des personnages semblables à son précédent livre.

« Sérénade au Bourreau » se veut moins littéraire, et se lit plus facilement, même si l'intrigue est plus ordinaire, plus prévisible, et consacre un peu trop de place à la dimension "fantasmatique" du personnage d'Ibrahim Bey, idéal masculin un peu suranné de nos jours mais qui certainement fit vibrer bien des imaginations féminines en son temps. Les personnages féminins de ce roman sont paradoxalement bien plus intéressants, malgré leurs rôles plus discrets.

À noter, pour l'anecdote, que lorsque Ibrahim Bey tente de préparer Paprika au fait qu'il serait possible qu'il meure le 5 juin 1929, comme celle-ci est prise d'un brusque mouvement de panique, il ajoute en tempérant : "Je dis cette date, comme je pourrais dire le 5 juin 1974".

Or Maurice Dekobra est mort le 1er juin 1973. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'involontairement, il n'était pas tombé loin…
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Le lys dans la tempête

Les années 50 sont une période difficile pour Maurice Dekobra, pur produit vieillissant des Années Folles dont le discours libertin et élitiste peinait à retrouver, après la Seconde Guerre Mondiale, son lectorat frivole.

Après quelques livres néanmoins bien ficelés, publiés aux Éditions du Scorpion, Maurice Dekobra signa à la fin de la décennie trois romans pour le compte de la S.N.E.V. (Société Nouvelle des Éditions Valmont) qui ont peiné à trouver leur public, dont deux récits "américains" qui tentaient pourtant de renouer avec le succès de « Mon Coeur Au Ralenti ».

« Le Lys Dans la Tempête » (curieusement orthographié "Lis" dans le texte et sur la page de garde) est le premier de ces romans "américains". L'héroïne, Valérie Bourgès, est une jeune employée de banque partie en vacances sur la Riviera avec ses amies et collègues. C'est une fille absolument sublime, mais sage, dénuée d'ambition et jugeant qu'elle a bien le temps de trouver l'amour. Ses amies l'incitent à s'encanailler, mais la jeune femme préfère passer ses soirées au camping à lire sous la tente. Pour lui faire une farce autant que parce qu'elles jugent qu'elle y a toutes ses chances, ses amies l'inscrivent en cachette à un concours de beauté local. Valérie bougonne un peu, mais accepte finalement d'y participer, persuadée qu'elle ne risque guère d'être élue. Bien évidemment, elle fait un triomphe et est couronnée du titre de Miss Estirel.

Aussitôt un businessman américain l'approche, et lui propose de venir à Hollywood afin d'y être lancée comme actrice. Quelques renseignements pris auprès des journalistes présents l'informent effectivement que l'homme est bel et bien un "chasseur de nouvelles têtes" grassement payé par Hollywood. Pour la petite employée de banque timorée, c'est une soirée hautes en émotions. Elle est tentée de s'enfuir et de rentrer à Paris, mais tout le monde autour d'elle l'enjoint à accepter la proposition de l'homme d'affaires américain, ne serait-ce que parce qu'une opportunité comme celle-ci ne se représentera jamais, et que Valérie, en s'y refusant, risque de passer sa vie à regretter d'avoir laissé passer une telle occasion. La belle se laisse convaincre, un peu malgré elle tout de même...

Une semaine plus tard, Valérie Bourgès s'envole donc pour Hollywood, où bien entendu, elle va vivre d'abord de sérieuses désillusions : sur la Riviera, elle était Miss Estirel, mais à Hollywood, elle n'est qu'une starlette parmi des milliers d'autres, qui plus est sans aucune expérience d'actrice. Le producteur auquel l'homme d'affaires l'a envoyé est un vieillard lubrique qui ne négocie ses placements d'actrices qu'en échange de faveurs sexuelles. Valérie s'y refuse, et se retrouve donc sans contrat, et sans aucun appui. Elle sympathise avec deux acteurs de seconde zone qu'elle a eu l'occasion de rencontrer sur place, dont un jeune premier, Jimmy Mitchell, qui s'éprend très vite d'elle et la confie à son agent artistique, Ralph Higgins. Celui-ci lui propose d'abord des roles de figuration que Valérie, peu consciente que la gloire est un long et douloureux chemin, refuse avec dédain. Agacé, Higgins lui propose alors un rôle de doublure pour une comédienne célèbre à qui elle ressemble comme une soeur, Constance Roggers. Finalement, après qu'Higgins ait menacé de la laisser tomber face à son air dubitatif, Valérie accepte.

Mais si Constance Roggers veut une doublure, cela n'est pas exactement pour un film. L'actrice est sous la coupe de maîtres-chanteurs qui exigent d'elle une grosse somme d'argent, sinon ils se chargent de la kidnapper. Constance n'a pas l'intention de payer, mais elle mesure toute la publicité que l'affaire peut lui valoir. Elle persuade Valérie de prendre sa place, lors de la remise de la rançon à la bande de kidnappers. Elle compte sur le fait que Valérie ne leur remettant qu'une somme dérisoire, les gangsters vont la kidnapper, persuadés d'avoir affaire à la vraie Constance Roggers. Celle-ci n'aura alors plus qu'à faire une conférence de presse, et révéler que c'est sa doublure, et non elle-même, qui aura été enlevée. Les gangsters libèreront alors leur proie sans valeur, et la publicité sera énorme, tant pour Constance Roggers que pour sa courageuse doublure.

Evidemment, Valérie dans un premier temps se refuse à risquer sa vie dans une histoire pareille, mais Constance Roggers sait se faire persuasive : la publicité à Hollywood, c'est un passe-droit extraordinaire. Un nom imprimé dans les journaux, et présenté comme victime dans une affaire criminelle, voit sa valeur marchande décuplée. Valérie songe qu'effectivement, cela résoudrait tous ses problèmes et ça lancerait enfin sa carrière. Elle accepte donc de jouer ce jeu dangereux...

Hélas, si les choses se passent comme prévu, les gangsters comprennent eux aussi que cette figurante française bénéficie de la publicité de son enlèvement, et donc qu'elle a désormais une valeur. Non seulement ils ne la relâchent pas, mais ils exigent une forte rançon, faute de quoi ils l'exécuteront.

Constance est atterrée par sa propre inconscience. Elle ne dispose pas de la somme demandée. Quant aux producteurs et aux studios d'Hollywood, vers lesquels elle se tourne, ils estiment, non sans raison, que cette Valérie Bourgès n'est sous contrat avec personne, et que sa mort n'éclaboussera que Constance elle-même, laquelle se retrouve prise au piège qu'elle voulait tendre.

D'abord furieux contre l'actrice, Jimmy Mitchell s'associe avec elle puis avec la police américaine (apparemment très sensible au bénévolat) pour tenter de délivrer Valérie. Heureusement, tout finira par un mariage entre Valérie et son Jimmy. Comme prévu, un film sera tourné sur ce kidnapping, et les producteurs et les studios qui s'étaient détournés se verront obligés de payer une fortune pour disposer des acteurs et des droits de diffusion...

Comme on le voit, « Le Lys Dans la Tempête » est une bluette grossière pour adolescentes, teintée de polar noir, qui ne risquait guère de passionner des lectrices de plus de 14 ans. Comme souvent chez Dekobra, rien n'est crédible. C'est bien la peine d'être un grand voyageur qui a visité tous les pays du monde (ce dont il se vante bien inutilement en quatrième de couverture), si c'est pour bâtir des intrigues qui ne tiennent pas debout un seul instant.

Certes, la description du milieu hollywoodien et de la mentalité arriviste qui y règne est assez bien rendue, avec d'ailleurs une discrète ironie que toutes les lectrices n'ont pas dû saisir. Grand amateur de polars américains, Maurice Dekobra connaît suffisamment les clichés du genre pour trouver le style et le rythme qui font basculer le petit conte de fées moderne dans un polar façon Lemmy Caution. De même, il sait insuffler à ses lectrices le goût des rêves de gloire sans cacher les vices, les rivalités et les corruptions qui attendent la jeunesse candide sur le parcours de la célébrité. Malgré tout cela, son roman laisse tout de même entendre que la réussite repose sur des prises de risque inconsidérées et sur la nécessité de se corrompre pour tenir la dragée haute aux autres corrompus. Certes, Valérie Bourgès ne négocie pas sa carrière sur un canapé avec un vieillard, mais elle le fait en risquant sa vie face à des bandits pour avoir un peu de publicité. Est-ce que c'est plus recommandable, au final ? Dekobra semble penser que oui, mais il y aurait là, à mon sens, matière à débat...

Comme on s'en doute, ce roman n'a pas vraiment été un best-seller. Il faut dire qu'on ne sait trop ce qui a passé par les têtes de Maurice Dekobra et de son éditeur : ce livre s'adresse tout de même à un public très juvénile, bercé de films hollywoodiens, ce qui n'était ni la spécialité de l'auteur (alors septuagénaire), ni celle de sa maison d'édition. De plus, l'illustration de couverture évoque plus volontiers une actrice hollywoodienne des années 1920-1930. Nous étions quand même en 1959, et les modes et les coiffures étaient un peu différentes, une ado ne pouvait pas s'y tromper...

Bref, on serait tenté de voir derrière ce roman un drame du gâtisme, si Maurice Dekobra ne restait, même à cet âge avancé, un narrateur chevronné, qui avait perdu en folie ce qu'il avait gâgné en efficacité. Certes, son intrigue ne tient pas la route, mais il fait tout pour la rendre cinématique et envoûtante. Moins verbeux et lyrique que dans sa jeunesse, il se montre ici en professionnel soigneux du roman populaire, il colle au style policier des années 50, il aborde la jeune génération avec une idée juste et précise de l'image qu'elle se fait d'elle-même. Poupée inconsistante et paradoxale, sa Valérie Bourgès est conçue pour servir de réceptacle élastique et ajusté à l'identification de toutes ses lectrices. Les vieux cochons sont très cochons, les voyous sont très voyous, le jeune premier est idéal : tous les repères des rêveries à peine pubères sont à leur place. Il y avait là, sur mesure, de quoi faire rêver celles qui pleuraient encore la mort de James Dean. Mais il est peu probable qu'elles aient été très nombreuses à avoir l'occasion d'y sécher leurs larmes ou d'y découvrir de nouveaux frissons...

Néanmoins, malgré son insuccès et, reconnaissons-le, son caractère fort peu convaincant, « Le Lys Dans la Tempête » se laisse doucement lire, et fixe assez bien ce que pouvait être l'imaginaire d'une jeune fille française des années 50, gavée de cinéma et de romans policiers. À ce titre, on peut trouver à ce roman un vague intérêt historique, à condition toutefois de ne pas être trop exigeant sur l'aspect socio-culturel.
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La prison des rêves

Au début des années 30, le sulfureux Maurice Dekobra, auteur emblêmatique des Années Folles, célèbre pour sa "Madone des Sleepings" et autres garçonnes délurées dont il chantait les exploits et les conquêtes, sentit le vent tourner, et jugea bon de tempérer ses ardeurs et son hédonisme au travers d'une série de romans plus sages, qui n'en connurent pas moins un retentissant succès commercial.

"La Prison des Rêves" en est un vibrant exemple, puisque Dekobra s'y aventure dans un genre qu'il n'avait pas encore abordé : le conte oriental. L'ombre des "Mille et Une Nuits" plane en effet sur ce petit roman qui en adopte les codes et la moralité, tout en le situant dans l'Inde contemporaine, encore à cette époque sous domination coloniale britannique. Un exercice difficile, dont Maurice Dekobra ne se dépêtre qu'avec une grande difficulté et en laissant progressivement de côté toute velléité de réalisme.

Le roman narre l'histoire de la Princesse Brindi, fille malheureuse du Maharadjah de Jahlpore, qui l'a eue d'une aventurière européenne qu'il a épousée, laquelle a fini par s'enfuir du palais en laissant derrière elle, et apparemment sans remords, le fruit de ses amours avec le Maharadjah. Agacé par cette enfant métisse dont la vue lui rappelle de douloureux souvenirs, le Maharadjah l'envoie en France, dans une pension de jeunes filles où, élevée à l'occidentale, la jeune Brindi devient une brillante étudiante, aimée de ses professeurs comme de ses camarades. Mais à l'aube de ses vingt ans, alors que ses études arrivent à son terme, la jeune princesse est rappelée en Inde afin d'y épouser un prince local choisi par son père le Maharadjah.

Le retour au pays de l'enfant (peu) prodigue se passe terriblement mal. Convertie au christianisme, faite au mode de vie occidental et à la libéralité de ses moeurs - bien qu'elle soit encore vierge -, Brindi se hérisse à l'idée de s'abaisser à un mariage hindou. Néanmoins, sa volonté se heurte douloureusement à celle de son père, pour qui ce mariage lui apporte une alliance stratégique précieuse, et qui considère qu'une fille n'a pas à aller contre la volonté de son père. Il la retient prisonnière dans le "zenana", le quartier des femmes, et la confie à la Maharanee, la favorite de son harem, laquelle a pris auprès du Maharadjah la place d'épouse morganatique abandonnée par la mère de Brindi.

La Maharanee est une mauvaise femme qui, à vrai dire, ne songe qu'à torturer et humilier cette jeune fille qui n'est pas la sienne, et seule héritière avant elle des biens du Maharadjah. Elle tente en vain de briser l'orgueil de Brindi et de la pousser au suicide. Elle saisit même le prétendu blasphème qu'aurait commis Brindi en se promenant le visage non voilé dans le temple de Siva pour la faire exposer nue aux yeux des passants. Mais rien ne parvient à entamer la volonté de Brindi, bien décidée à mourir plutôt que d'épouser l'homme choisi par son père.

Le Maharadjah n'a cure de tout cela. Briser la résistance des femmes fait partie de la tradition, et la mort de sa fille ne lui poserait problème que dans le sens où elle lui ferait perdre son alliance avec un royaume voisin. Par ailleurs, le Maharadjah est un homme qui ne se passionne réellement que pour le pouvoir et pour les intrigues qui y mènent. Parallèlement, il ambitionne de faire acter le prolongement d'un canal jusqu'à son royaume, mais pour cela, il a un besoin impérieux (c'est le mot) de la faveur du délégué de l'empire colonial britannique. Or celui-ci, Ronald Armstrong, est un capitaine de l'armée coloniale, hébergé dans une riche maison attenante au palais, mais dont la nature d'homme d'action ne se fait guère à la mollesse de la vie orientale. Il songe à partir, s'en ouvre au Maharadjah qui s'en émeut, sentant que la transition sera suffisamment longue entre le départ de ce diplomate et l'arrivée de son remplaçant pour lui faire louper son projet de canal.

Le Maharadjah décide alors de tout faire pour retenir Armstrong auprès de lui, et voyant que celui-ci mène une vie de célibataire, le Maharadjah fait appel à une amie de longue date, l'aventurière cubaine Concha Guerrero.

Cette autre "Madone des Sleepings", demi-mondaine voyageant de par le monde en négociant âprement ses charmes, se trouve justement de passage à Calcutta. Le Maharadjah l'envoie chercher et la ramène au Palais de Jahlpore, en lui proposant un marché : elle accepte de séduire le capitaine Armstrong et de devenir sa maîtresse jusqu'à ce que l'affaire du canal soit entendue, en échange de quoi il lui promet un collier d'émeraudes d'une valeur inestimable. Concha accepte le défi avec enthousiasme et appât du gain.

Néanmoins, elle doit vite déchanter : Ronald Armstrong a beau être dans l'abstinence depuis de nombreux mois, l'homme est volontiers galant et attentionné envers le sexe faible, mais avant tout par éducation puritaine. Concha Guerrero consacre de longues heures à exercer des manoeuvres d'approche insistantes et à tenter par ses charmes le capitaine, qui y répond avec politesse, mais intérieurement, ne sait pas comment se débarrasser de ce crampon. Le harcèlement de cette experte en séduction ne parvient pas à échauffer cet esprit borné de militaire incorruptible.

De son côté, la princesse Brindi, après une première tentative d'évasion avortée, s'associe avec un missionnaire local en très bons termes avec Ronald Armstrong, afin que ce dernier cache la princesse Brindi durant quelques semaines. En effet, si la jeune fille s'évade, le Maharadjah la fera rechercher partout, et elle ne pourra quitter le pays, tandis que si les forces indiennes la cherchent en vain et arrivent à la conclusion qu'elle leur a déjà échappé, elle pourra enfin partir en sécurité. Sensible à la détresse de cette jeune femme, dont il ignore cependant qu'elle est la fille du Maharadjah, Ronald Armstrong accepte de la cacher dans sa maison, mais il tombe bien vite amoureux de la princesse qui, de son côté, sent un tendre sentiment naître en elle pour ce protecteur venu de ce monde occidental qu'elle veut tant retrouver.

Hélas, une apparition imprudente et jalouse de Brindi, tandis qu'il reçoit, contraint et forcé, les hommages de Concha, renseigne cette dernière sur la raison du peu d'ardeur qu'elle inspire à Armstrong. Dénoncée par Concha Guerrero et reprise de force par la Maharanee, la princesse Brindi se retrouve bientôt condamnée par cette dernière à être donnée en pâture à un tigre dans une arène, lors d'un spectacle sanglant et public. Mais c'est sans compter sur le courage inattendu du capitaine Armstrong, invité dans les gradins sans savoir que la princesse est au programme, qui ne va pas hésiter un seul instant à risquer sa vie pour sauver sa bien-aimée des griffes du fauve...

"La Prison des Rêves" est donc à tout prendre un conte étonnamment romantique, au cours duquel Maurice Dekobra brûle véritablement ses idoles de la décennie passée au nom de valeurs morales que, jusque là, il prétendait combattre (et qu'il combattra d'ailleurs de nouveau après guerre). Seule subsiste une certaine velléité féministe qui le pousse à défendre instinctivement l'indépendance morale et sexuelle de la femme, bien que ce soit là dans le contexte un peu malsain d'une comparaison entre la civilisation occidentale "éclairée" par le christianisme face à la "barbarie" orientale, qui en dépit de ses charmes et de tout ce qu'elle peut avoir de suave, reste quand même aux yeux de l'auteur une société primitive dénuée d'humanité.

Ajoutons aussi que l'Inde décrite par Maurice Dekobra est hautement fantaisiste, mêlant une vision touristique et dépaysante issue principalement de l'imagination des feuilletonnistes, avec des éléments qui relèvent plus des civilisations perses ou musulmanes, voire de l'Antiquité Romaine (Je ne suis pas persuadé que les Hindous avaient des arènes où ils livraient des jeunes filles chrétiennes aux fauves).

Néanmoins, cette fantaisie, volontaire ou non, contribue à inscrire le roman dans la plus pure tradition des amours contrariées que l'on trouve dans les contes du monde entier, y compris dans ceux de l'Orient. Cepndant, cet académisme de complaisance a le défaut de rendre l'intrigue très prévisible, malgré le mal que se donne l'auteur pour offrir une narration fertile en rebondissements. Qui plus est, on sent Maurice Dekobra plus appliqué à qu'à l'ordinaire, mais moins à l'aise dans ce classicisme qu'il a toujours vigoureusement combattu : les scènes romantiques entre Brindi et Armstrong sont d'une grande niaiserie, les dialogue sont pauvres et conventionnels, et Maurice Dekobra, qui a toujours affiché sa préférence pour les "cougars" délurées face aux jeunes filles tourmentées et peu à l'aise avec leurs corps, peine à nous rendre attachante cette princesse Brindi trop idéale pour être vraie, trop Cendrillon en martyre chrétienne, et dont toute la détermination repose quand même sur une aversion raciale envers ses origines.

Concha Guerrero est, sur bien des plans, plus passionnante et plus humaine, même si Dekobra lui fait jouer un bien mauvais rôle et laisse entendre que ce genre de femmes sur lesquelles il a longtemps fantasmé, sont souvent des irresponsables dénuées de scrupules. Néanmoins, on sent Maurice Dekobra plus à l'aise et plus attendri par ce pêrsonnage que par sa princesse de carton-pâte auquel lui-même ne semble pas croire.

Tout cela fait de "La Prison des Rêves" un sympathique divertissement exotique, même si on y découvre un Maurice Dekobra étonnamment prude et assagi, et qui se force assez visiblement à se montrer ainsi.

Désuet par certains côtés, notamment au point de vue psychologique et moral, "La Prison des Rêves" est néanmoins un livre toujours très actuel, vu qu'il reste bien des pays où les femmes ne font pas ce qu'elles veulent et n'épousent pas qui elles aiment. Le long discours moral et patriarcal que le Maharadjah fait à sa fille en début de roman est hélas finement observé, et reflète fidèlement une mentalité rétrograde encore très en vogue dans cette partie du monde. L'échec du mariage du Maharadjah avec la mère occidentale de Brindi témoigne assez du peu d'espoir de conciliation qu'entrevoyait déjà Maurice Dekobra il y a presque 90 ans. Brindi échappe à son destin, parce qu'elle a été élevée dans les lois de la République et dans le dogme de la foi chrétienne, elle y puise la force de sa résistance, mais sans l'amour fou d'un occidental partageant les mêmes valeurs, Brindi se serait soumise ou se serait tuée.

Malgré tout, Maurice Dekobra s'abstient de noircir le tableau : les personnages négatifs, à part peut-être la Maharanee, ont leurs bons côtés, et inspirent même une certaine sympathie. D'ailleurs, aucun des tortionnaires de la princesse Brindi n'est sévèrement puni. Pour l'auteur, la faute repose avant tout sur le choc des cultures, qui pour autant n'empêche pas de s'entendre sur certains sujets - même si c'est totalement impossible sur d'autres.

Le grand message de ce roman, c'est d'abord qu'une femme doit avoir le droit imprescriptible de choisir sa destinée, mais que s'il ne lui est point possible de le faire dans son pays, alors il faut qu'elle en parte définitivement. Cela reste un fort bon conseil, même au XXIème siècle...
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La Madone des Sleepings

Lecture d'ete. La lecture d'ete est un exercice beaucoup plus difficile que la lecture d'hiver. L'ete est une saison chaude ou mes enfants me distribuent de grands sourires, de chaleureuses accolades, parsement leurs rejetons dans ma cour et decampent sans prendre le temps de souffler. A moi de jouer le chef de bande, role qui ne me convient pas du tout. J'ai beau me concentrer, je perds toujours au monopoly, aux dames, au jeu des sept familles, et je dois essuyer les moues dedaigneuses de toute la marmaille. Je sors toujours trempe des batailles d'eau et la maffia courtaude en profite pour m'enduire de boue. Qu'est-ce qu'ils croient ces braillards, qu'on est au temps du goudron et des plumes? Heureusement que mon aide de camp arrive a temps et me sauve en brandissant un plateau de pizzas.



Le soir les plus grands s'eclipsent avec leurs tablettes, je joue le feu de camp et lis "Le vent dans les saules" aux plus petits assis par terre autour de moi. Eux jouent les attentifs (“assis par terre / voir le monde qui defile / et n'avoir pour domicile / qu'un bout de grand-pere”), mais les tetes basculent bientot. Au lit!



Moi aussi je vais au lit, le corps et le cerveau courbatures. Je me prescris une lecture legere. Ce sera La madone des sleepings, esperant avoir choisi juste.



Parfait ce livre! Juste ce qu'il me faut! Un roman d'aventures sans trop de sang, ou s'imbrique un peu de roman d'espionnage a l'ancienne (c'est ecrit dans les annees 20), le tout entrelarde de scenes legerement erotisees et de quelques histoires d'amour. Ecrit avec humour dans le registre d'un snobisme abusif.



Nous avons droit a un parfait gentleman aventurier (le grand-pere de Bond?) qui, pas par hasard, est francais bien qu'il porte un titre au charme oriental, prince Seliman; a une lady ecossaise, Lady Diana Wynham, femme fatale non archetypique, tres glamour, tres excentriquement british, et en fin de compte courageuse et brave, faisant honneur a sa noble caste (dixit l'auteur); face a elle un autre archetype, une femme de pouvoir qui n'hesite pas a torturer ni a assassiner, Irina Mourafiev.



Nous avons droit a la premiere incursion de l'Orient Express dans le roman d'aventures. Vienne, Budapest, Brasow, Bucarest, Constanza, Constantinople. Et a chaque etape le fin du fin. A Vienne le Ring et l'hotel Bristol, mais notre aventurier n'oublie pas de manger des haluschkas pres de l'eglise des Augustins. Sur le quai de Pest ce sera l'hotel Hungaria. A Istamboul le Pera Palace, mais on se promenera aussi du cote de Sirkedci ou de Iedi-Koule. Avant cela, a Berlin, nous logerons au fameux hotel Adlon, sis au coin de Sous-les-tilleuls et de Pariserplatz, mais nous irons lorgner, pleins de pitie, les peripatetitiennes de Friedrichstrasse. Sans oublier Cannes, ou nous mangerons au Ciro's.



Mais il y a aussi Batum dans la mer Noire et ses sombres geoles ou se retrouve enferme notre heros, contrefait par la Mourafiev. Batum, qui permet a l'auteur de nous dire ce qu'il pense du pouvoir sovietique en place. Et de son vrai visage, oppressant, baillonnant et etouffant la plus grande partie de la population. Un auteur qui des les annees 20 ne se laissait pas abuser par les decors presentes aux visiteurs etrangers? Ou peut-etre etait-il un anticommuniste enrage depuis le debut de la revolution?



Beaucoup de voyages donc dans ce livre, beaucoup de peripeties. Beaucoup d'exotisme, beaucoup de coups de theatre, que je ne vais evidemment pas divulgacher ici. Et ca se laisse lire tres agreablement parce que le tout est toujours teinte d'humour, d'une legere ironie. Et par ci par la quelques tuyaux, quelques indices, pour marquer que l'auteur a une serieuse culture.



Un livre tres sympathique. Pour moi, le bon choix, au bon moment: de quoi me ressaisir entre deux assauts des armees impuberes. Mais il est tard et je vais arreter d'ecrire pour aller voir s'ils sont bien couverts…

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Sept ans chez les hommes libres

De 1939 à 1946, période douloureuse pour la France, Maurice Dekobra s'est expatrié aux Etats-Unis, selon lui à la demande d'un journal qui lui avait commandé une série de reportages sur le mode de vie américain. de ce journal, il ne sera rien dit, pas même le titre, même si l'on devine que l'entrée de la France dans la guerre a dû faire avorter ce projet. Il ne sera rien expliqué non plus sur le fait qu'en dépit de ce changement de programme, Maurice Dekobra n'a pas jugé utile de rentrer en France, et toujours selon ses dires, aurait tout de même rédigé ses articles et ses reportages durant ces années d'exil, dont ce livre, paru à la rentrée 1946, se veut un recueil exhaustif.

On l'aura compris, "Sept Ans Chez Les Hommes Libres" est probablement un livre "diplomatique" qui visait à bien faire savoir que non seulement Maurice Dekobra n'avait pas continué son travail durant les années sombres comme si de rien n'était, mais qu'en mettant un océan entre sa terre natale et lui-même, il se désolidarisait de Baudinière, son éditeur historique qui, pendant tout ce temps, s'était compromis avec des publications antisémites.

S'il est plus certain que Maurice Dekobra a bien passé les années d'Occupation en Amérique, il est également plus que probable que tous les articles de ce recueil n'ont pas été toujours été rédigés sur le moment, et l'on repère facilement des articles bien plus longs, écrits d'une plume bien plus ferme, se réclamant visionnaires sur la situation politique de la France sous l'Occupation, et qui n'ont aucun mal à l'être, dans le sens où ils ont sûrement été rédigés postérieurement à la Libération. Toutefois, comme on le verra un peu plus bas, Dekobra se fait une idée somme toute assez lucide sur ce que va être le "monde d'après".

"Sept Ans Chez Les Hommes Libres" prend volontiers la forme d'un journal non intime, même si les entrées sont généralement mensuelles, et que des coupures non justifiées de plusieurs mois en altèrent le suivi. On regrette que Dekobra n'aie pas tenu une sorte de journal de voyage, témoignant de sa découverte progressive de la société américaine. Mais pour tout dire, Maurice Dekobra ne semble pas tant que cela intrigué par les Etats-Unis, ou du moins, il ne tient que modérément à partager son enthousiasme. Il se montre avant tout critique. Les premiers articles sont brefs et factuels, mais au fil des années, le journaliste soucieux de rigueur laisse la place à l'écrivain excédé de ne pas pouvoir publier, et plein de doutes sur son avenir.

Si Dekobra évolue d'un thème - ou d'un groupe de thèmes - à un autre de manière linéaire, il ne semble pas y avoir eu de plan préconçu. Ses choix sont arbitraires et pas toujours très représentatifs. Dans un premier temps, Dekobra se passionne pour des thèmes qui voisinent un minimum avec ses propres activités. La littérature populaire, d'abord, dont il découvre un peu effrayé une industrie parfaitement rodée qui ne craint ni le ridicule ni le mauvais goût, mais on note également un article extrêmement instructif sur la conception des feuilletons radiophoniques, qui en ce temps-là passionnent la fameuse ménagère de moins de 50 ans, devenue depuis la référence absolue en matière de création populaire.

Déjà, dans les années 40, ce type de fiction est l'objet de nombreux brainstormings et de sondages d'opinion, pour affiner les programmes aux goûts - ou aux bas-instincts - de l'auditoire. Ces anecdotes, au sujet d'un type de fiction totalement révolu de nos jours, semblent d'une surprenante modernité, tant on ne devine que trop bien qu'elles président encore sous une forme semblable à l'actuelle industrie des séries télévisées.

Dekobra consacre également un bon tiers de son recueil à Hollywood, où il semble avoir été bien introduit auprès des studios de cinéma, mais aussi auprès d'un certain nombre de stars vieillissantes du cinéma muet : Theda Bara, Betty Blythe, Constance Bennet, Janet Gaynor, Claire Windsor et, seule exception masculine au sein de ce gynécée, le tragédien John Barrymore. Dekobra consacre aussi un assez long article à une personnalité totalement oubliée, Barbara Woolworth Hutton, "la pauvre petite fille riche", multimillionaire par héritage à seulement 6 ans, et qui fut toute sa vie une mondaine triste, morose et exagérément courtisée. Elle fut également un temps mariée au célèbre acteur Cary Grant, qui put mesurer tout l'ennui qu'il y avait à être l'époux de la femme la plus riche du monde.

Bien qu'il prétende avoir rencontré en personne toutes ces célébrités, il est à peu près certain que Maurice Dekobra a glané beaucoup d'anecdotes les concernant dans le "Who's Who" ou dans la presse people. Il faut néanmoins reconnaître à l'auteur une déontologie remarquable : même les anecdotes les plus privées ou les informations les plus secrètes se sont révélées authentiques. Un peu affabulateur quant à ses propres mondanités, mais bien renseigné tout de même, l'ami Maurice... Il est vrai qu'un certain nombre de ses articles sont inspirés ou paraphrasés d'articles de la presse américaine, et Dekobra n'en fait pas mystère. Il adapte ces articles, les enrichit d'anecdotes biographiques pour présenter à ces lecteurs des personnalités publiques américaines qui ne leur sont pas familières, et y ajoute des commentaires de son crû.

Tout cela fait de "Sept Ans Chez Les Hommes Libres" un témoignage très copieux sur la société américaine des années 40, et permet aussi de réaliser à quel point, dans certains domaines, elle a fort peu évolué. Si la qualité de ces anecdotes est inégale, tout comme l'inspiration de Maurice Dekobra, dont on peut mesurer au fil des mois le changement d'humeur et de motivation, cela reste quand même un ouvrage instructif et dépaysant qui intéressera certainement tous les nostalgiques de cette période de l'histoire américaine.

"Sept Ans Chez Les Hommes Libres" aurait certainement beaucoup gagné en s'attardant d'avantage sur la vie quotidienne de l'Amérique de la première moitié des années 40, mais c'était apparemment le choix de l'auteur, sans doute pour fuir ses propres idées noires en tant qu'exilé, de s'en tenir à une sorte de bottin mondain un peu ironique.

Le morceau de roi de cet ouvrage tient néanmoins surtout dans ses dernières pages. Alors qu'en mai 1946, il s'apprête enfin à reprendre le paquebot pour rentrer en France, Maurice Dekobra s'interroge sur le devenir de l'Europe après la chute du Nazisme, et se projette dans une utopie étonnamment visionnaire sur les futurs Etats-Unis d'Europe, seul remède selon lui pour écraser les nationalismes et les velléités de guerre fratricide ou de solution finale. En dehors de toute idéologie politique, ce qui est remarquable chez Maurice Dekobra, c'est qu'il mesure pleinement la nécessité pour ces futurs Etats-Unis d'Europe de s'aligner entre eux sur le plan économique et libéral. S'il ne peut bien évidemment pas imaginer l'avènement d'une monnaie unique (avant la création de l'euro, la plupart des citoyens des pays d'Europe avaient un rapport affectif, identitaire et historique très fort avec leurs monnaies nationales), il milite ouvertement pour l'ouverture des frontières et la suppression des douanes, afin de faciliter les imports-exports et les voyages internationaux.

C'est dans ce rêve finalement très réaliste et très sage de lendemains qui chantent - et qui chantent en chœur - que l'on mesure tout l'impact du traumatisme qu'a pu être la Seconde Guerre Mondiale pour cet écrivain bien loin de chez lui, et qui fut longtemps un élitiste et un hédoniste qui méprisait les existences modestes des petites gens. La transfiguration du dandy de ces dames, créateur du "roman cosmopolite" colonial, en citoyen européen convaincu et humaniste, c'est sans doute la preuve la plus flagrante que Maurice Dekobra, malgré son exil, a beaucoup été changé par les évènements et qu'il a puisé, lors de son long séjour en Amérique, des idées nouvelles d'unité sociale qui étaient à cent lieues de ses préoccupations de jeunesse. Posant un regard curieux mais lucide sur la jeune société américaine, il en a finalement retenu que ce qui en était remarquable, progressiste et applicable à l'Europe. Quel dommage que nous n'ayons pas su, aussi bien que Maurice Dekobra, faire preuve d'autant de discernement afin de séparer le bon grain de l'ivraie !...
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Opération Magali

Garagiste honnête (si, ça existe !) et apprécié de ses concitoyens de Courseulles-sur-Loire, Mario Lespinasse nage dans le bonheur. Ce soir là il a invité quelques amis pour participer au repas donné en l’honneur de son jeune fils Raymond qui vient d’être baptisé. Parmi les quelques invités, figure monsieur Abel Paoli, ancien commissaire de police à la PJ parisienne, venu cultiver son lopin de terre dans le Nivernais, un peu comme le Candide de Voltaire.



Mais ne philosophons point trop, car l’heure n’est pas vouée à la littérature mais à des retrouvailles dont Mario se serait bien passé. Deux clients attendent Mario dans le garage. Une réparation fictive car les deux hommes, Mario les connait bien. Cela faisait plus de dix ans qu’il ne les avait pas vu. Une plongée dans son passé de truand marseillais dont il pensait s’être débarrassé.



César et La Fouine sont envoyés par leur patron Zacco, lequel a tiré d’un très mauvais pas avant guerre Mario. Et naturellement notre garagiste possède une dette envers le malfrat marseillais. Zacco vient de voler les bijoux du comte de Saint-Meyral dans la villa Sémiramis à Antibes. Seulement lors du casse il se fait surprendre par le comte et il l’abat. Zacco ne craint rien de ce côté-là, ayant changé d’identité seulement c’est un coureur de jupons. Il a une maîtresse officielle, Magali, et une autre poire pour la soif, la très belle et jeune Manon.



Or Magali qui tient un bar a reçu une lettre l’avertissant de son infortune et de rage elle a clamé partout qu’elle allait avoir la peau de Zacco. Aussi César et la Fouine demandent à Mario de sortir Zacco du pétrin dan lequel il s’est fourvoyé. La solution, se débarrasser de Magali. Mario est plus qu’embêté mais il doit laver sa dette, sinon sa femme, la belle et bonne Fernande deviendra veuve.



Il a quarante-huit heures pour réfléchir aussi le lendemain, Mario se rend chez monsieur Abel Paoli, son ami, et lui narre ses ennuis. Comme l’ancien policier n’a pas de casseroles sur le feu, il propose à Mario de se rendre à Marseille en sa compagnie et de l’aider à démêler l’imbroglio.



Arrivé à Marseille, Mario veut s’entretenir avec Magali, seul, mais il tombe sur un os. Magali vient juste de se faire buter. Mario est dans de sales draps, sans avoir couché.



Ce roman, qui a obtenu le Prix du Quai des Orfèvres 1951, voit donc un ancien truand qui s’est fait une virginité allié avec un ancien policier. Ce n’est pas flic ou voyou, mais flic et voyou repenti.



Les deux hommes vont rencontrer sur leur chemin de nombreux incidents de parcours, mais nonobstant, ils s’accrochent. D’abord ils font la connaissance de la belle Manon qui se produit dans un cabaret, ainsi que son petit ami, car elle aussi fait porter des cornes à Zacco. Monsieur Abel Paoli se fait passer pour un imprésario, laissant miroiter un avenir radieux comme chanteuse à Manon, mais il se retrouvera enfermé dans une cabine d’un yacht, destiné à nourrir les requins de la Baie des Anges.



Un roman agréable, qui n’a guère vieilli, du moins dans la trame, et l’auteur n’oublie rien, expliquant tout dans l’épilogue. Il ne se perd pas en cours de route, retombant sur ses pieds à la fin, et le lecteur n’est pas déçu. Et, pour être dans l’air du temps, il use parfois de l’argot, mais un argot compréhensible du lecteur lambda.


Lien : http://leslecturesdelonclepa..
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La Madone des Sleepings

« La Madone des Sleepings » est en littérature que ce que l'on appelle au cinéma un « nanar », mais un « nanar » crucial, qui a marqué son époque. Il nous est difficile de comprendre pourquoi ce roman s'est vendu à des millions d'exemplaires dans le monde, et reste encore régulièrement réimprimé aux Etats-Unis, mais on peut néanmoins se pencher sur la recette avec laquelle il a été composé. car si l'ensemble est indéniablement un peu « gras », les ingrédients eux sont particulièrement subtils et très astucieux.

Ce qui frappe d'entrée, c'est que si « Mon Coeur Au Ralenti », le roman précédent dont le prince Seliman était déjà le personnage principal, était un récit déjà un peu fantasque, mais à l'intrigue policière plutôt classique, très inspirée des romans noirs américains, « La Madone des Sleepings » relève de plusieurs genres. le roman est divisé en plusieurs parties contrastées et néanmoins complémentaires. Maurice Dekobra a retrouvé ici la verve des feuilletonistes du XIXème siècle, mais en chassant impitoyablement le tirage à la ligne et le remplissage forcené qui faisaient de ces ouvrages des volumes épais et interminables. Son roman ne dépasse pas les 300 pages, et y gagne un certain dynamisme, une grande énergie qui faisait défaut à « Mon Coeur Au Ralenti ».

Bien que commençant de manière plutôt bavarde et érotique, le récit évolue assez vite vers l'aventure, puis vers l'espionnage, puis à nouveau l'aventure, le mélo, et au final le dénouement spectaculaire et feuilletonesque. Ces montagnes russes narratives ont un grand impact sur le maintien de l'intérêt du lecteur le long d'un récit à l'intrigue assez minimale et aux personnages limités et stéréotypés. Il y a du feu d'artifice, dans « La Madone des Sleepings », une succession assez heureuse de séductions bavardes, de décadentisme décomplexé, d'aventures trépidantes, de pamphlets anticommunistes, et d'une sorte de mélange improbable mais efficace entre mélo sentimental et papillonnage débridé. Le livre doit beaucoup de son charme à cette dimension copieuse d'éléments littéraires très divers mais très appréciés, chacun à leur manière, à l'époque de la publication de ce roman, qui apparaissait alors comme une synthèse de vieilles ficelles et d'idées modernes.

L'anticommunisme, déjà présent dans « Mon Coeur Au Ralenti », se trouve ici décuplé, au point d'être à la base de tout le roman. Mais son importance permet aussi de disséquer la démarche de l'auteur en deux sous-thèmes forts, et néanmoins différents :

– D'abord Maurice Dekobra pratique une partie de sa propagande sur des éléments assez classiques : le bolchevisme serait la revanche des ratés sur l'élite. La nouvelle philosophie prolétarienne ne serait que le cache-misère de la jalousie et de l'envie des pauvres de s'emparer des richesses et des biens de personnes plus méritantes. C'est évidemment un reliquat de pensée impériale et monarchiste, qui place la hiérarchie des classes sociales comme un ordre naturel. Le personnage de Varichkine est l'archétype de l'arriviste militant, ayant en lui une part de sauvagerie et de cruauté, mais qui n'en est pas moins un ambitieux, ne demandant pas mieux que d'appartenir au grand monde ou à l'élite, qu'il ne combat que parce qu'il n'a aucune chance d'y rentrer. Selon Dekobra, les bolchevistes eux-mêmes ne croient pas au bolchevisme, ils n'y adhèrent que pour faire carrière. Bien des personnages secondaires dans ce roman partagent plus ou moins la même philosophie. Seule Irina Mouravieff demeure une militante fanatique pure et dure, et très logiquement, Dekobra en fait un monstre de sadisme.

– Ensuite, Maurice Dekobra stigmatise un autre aspect du bolchevisme : le fait que ce soit une doctrine rigide, rigoriste, basée sur l'effort collectif et l'effacement de l'individu devant l'Etat. Dekobra l'hédoniste, le collectionneur de femmes, se hérisse, se cabre devant cette doctrine du devoir commun aussi sacrificiel qu'un devoir chrétien. Il n'est plus là question de vision sociale, mais bien plus d'un dégoût du sectarisme. Car contrairement à la plupart des auteurs célèbres pour leur rejet du communisme, Maurice Dekobra n'est pas véritablement un conservateur. Il n'est jamais question de religion dans ses romans. Il n'y a presque jamais de prêtres, de curés, ni même de personnages ou de figurants qui soient dévots ou simplement croyants. En bon tentateur de ces dames, Dekobra fait l'impasse sur tout ce qui touche à la morale. Il n'en dit pas du mal, il fait comme si elle n'existait pas. L'essentiel de ses personnages est constitué de gens riches et décadents, ou fort désireux de le devenir. On suppose qu'à ses yeux, les gens qui n'ont pas cette tournure d'esprit n'ont aucun intérêt. De ce fait, il juge le bolchevisme comme une incarnation politique de la morale religieuse. Il y trouve sous une forme nouvelle les mêmes dérives liberticides et autoritaires, et sur ce plan-là, il est assez prophétique. On trouve sous sa plume, dès 1925, les critiques qui seront durablement émises sous les régimes de Staline et de ses continuateurs jusqu'à la chute de l'U.R.S.S. Il parle déjà de transfuges qui veulent passer à l'ouest, tout un imaginaire qui alimentera les romans et les films d'espionnages trente ou cinquante ans plus tard. Même si l'on ne partage pas sa vision hiérarchisée de ce que doit être une civilisation ou son éloge permanent de la richesse et de la fatuité, il faut admettre qu'il a été lucide sur la dérive dictatoriale qui allait progressivement s'installer en U.R.S.S.

Cette position fait que, même s'il est réactionnaire, Maurice Dekobra est, à son époque, un chantre de moeurs plutôt progressistes. Il demeure un jouisseur dont les romans s'échinent à donner le mauvais exemple. Plus encore que Victor Margueritte et sa « Garçonne », Maurice Dekobra est resté l'auteur par excellence des Années Folles. Ses héroïnes sont des vaporeuses et des lascives pour la beauté de la chose, et non pas comme la Monique Lherbier de la « Garçonne », à la suite d'une trahison amoureuse. Lady Wynham est en ce sens un personnage fantasmatique qui conserve presque cent ans après, toute la fascination exercée de son temps sur des lectrices encore inhibées, dans une France où tout le monde n'allait pas faire la fête la nuit. Aujourd'hui, de par celle liberté frisant l'inconscience et cette nymphomanie tranquille, il est néanmoins difficile de la voir autrement que comme un fantasme masculin un peu trop parfait pour être vrai. Cependant, Maurice Dekobra a su la doter d'esprit, d'érudition, d'un humour irrésistible, capricieuse sans être infantile, avec une part d'ombre à peine esquissée, laissant entendre que Lady Wynham mène certes la vie qu'elle veut mais se sent surtout moyennement capable d'en mener une autre. La peur de l'ennui, l'horreur de ce rôle fade d'épouse modèle, le refus du devoir, le refus de la contrainte sont ses épouvantails. Sans que cela soit explicitement dit, Maurice Dekobra arrive à la même conclusion que Victor Margueritte : la femme ne mérite pas la vie que l'homme l'a obligée à mener durant tant de générations.

On comprend que ce message ait parlé au coeur de plusieurs dizaines de millions de lectrices, même si là où Victor Margueritte, homme de gauche, cultive l'espoir d'une société future plus juste, Maurice Dekobra, homme de droite, refuse d'espérer : la liberté, c'est l'argent. Point final. Une fois qu'on a beaucoup d'argent, on peut s'acheter toutes les libertés que l'on veut, et on serait bien bête de ne pas le faire.

On ne comprend que trop bien pourquoi ce roman a eu tant de succès en Amérique…



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Mon coeur au ralenti

« Mon Cœur Au Ralenti » est assurément un roman plaisant, malgré quelques maladresses scénaristiques. Maurice Dekobra y révèle son immense talent de conteur et son amour immodéré des femmes. Sur bien des plans, le roman s’inspire des premiers « polars noirs » alors en vogue aux Etats-Unis, mais l’intrigue policière n’est ici que prétexte à parler des femmes et de l’addiction, les sujets de prédilection de Maurice Dekobra, qu’il maîtrise déjà fort bien et qu’il ne cessera jamais d’aborder. Le cœur bat ici au ralenti sous l’influence de l’opium, et c’est à dessein que les aventures de Gilbert Dextrier / Séliman tiennent parfois du cauchemar embrumé et psychédélique. Piégé entre trois femmes idéales – l’épouse affectueuse, la lolita extravertie, la catin accomplie -, Gilbert ne peut choisir, perd la maîtrise de ses sens, ne sait plus quoi faire, quoi dire, comment agir, et sa lente déchéance semble ne receler pratiquement aucune issue de secours.

Nous avons bien là affaire à la mentalité quelque peu étriquée d’un homme à femmes, dont le roman cherche à démontrer avant tout qu’il faudrait n’en aimer aucune ou pouvoir les aimer toutes. D’ailleurs par le biais de son personnage, Maurice Dekobra excuse hypocritement son goût pour le papillonnage en faisant de Gilbert un homme faussement irréprochable, dans le sens où la tentation de l’adultère lui est permanente, mais il ne parvient pas à ses fins. Néanmoins, il est puni par sa femme comme s’il l’avait fait. On doit comprendre, derrière cette apparente injustice, que Dekobra invite ceux ou celles qui rêvent d’adultère à aller jusqu’au bout, puisque dès lors que les intentions seulement sont connues, on subit le même sort que si on était passé à l’acte, sans le plaisir de l’avoir réellement fait. Ayons une pensée émue pour Mme Dekobra, fidèle épouse de l’auteur, et dont les cornes, pour reprendre une image traditionnelle, devaient dépasser la hauteur de la Tour Eiffel…

Si l’on fait abstraction de cette morale hypocrite et faussement galante, si l’on a le courage de rire en plein milieu de ce récit d’un plaidoyer fasciste aberrant et inutile dont aujourd’hui encore on comprend difficilement l’intérêt littéraire, « Mon Cœur Au Ralenti » est un roman tout à fait fascinant, extrêmement bien documenté, sachant allier suspense à l’américaine et marivaudage à la française avec une exceptionnelle maîtrise, et qui témoigne avec beaucoup de vivacité et une notable qualité rhétorique de l’esprit des Années Folles. C’est l’une des premières pierres fondatrices de l’œuvre à la fois colossale et légère d’un auteur aujourd’hui très mésestimé, mais qui a su occuper, au panthéon de la littérature populaire, une place unique, inclassable, presque indéfinissable.
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La Madone des Sleepings

Pour moi, c'est le roman des excès :

-trop d'érudition, (l'auteur étale-t-il sa culture ou est-ce un effet voulu pour le personnage ou l'époque) à la longue,ça fatigue

-trop, le personnage de lady Diana, excessive, agaçante

-trop de préciosité, atmosphère suranné

Vous comprendrez que , malgré la bonne dose d'humour savoureux,un langage fleuri et très imagé, je n'ai pas eu l'engouement général pour ce livre qui a mal vieilli

De plus, je suis très déçue par l'édition pocket qui comprend de nombreuses fautes de frappe genre "limite des seaux territoriales" ou des lettres manquantes qui rendent difficile la lecture , un manque de sérieux!
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La Madone des Sleepings

Je connaissais bien sur de réputation La Madone des Sleepings, le film de 1955 mais j'ignorais tout du roman de Maurice Dekobra qui l'avait inspiré. C'est chose faite et j'avoue être agréablement surprise par cette rencontre.

Une aristocrate anglaise, que dis-je pas anglaise Ecossaise!! , veuve depuis quelques années se doit impérativement de trouver les fonds nécessaires à son fastueux train de vie .

C'est ainsi que Lady Diana Wynham s'entoure de la présence du Prince Seliman et lui confie le rôle de secrétaire, homme de confiance. Commence alors un périple mouvementé qui le mènera en Géorgie .

Nous sommes en 1925, le Bolcheviks ont pris le pouvoir en Russie, l'Europe fragilisée au sortir de la Grande Guerre cherche à redresser la barre , la Haute Société court de droite à gauche , de fête en fête et la sublime Lady Diana les fascine et les horrifie tout à la fois . Comment tolérer le mode de vie de cette femme , son "je m'en foutisme " du qu'en dira t'on et des convenances .

Même si ce roman m'a paru vieilli et suranné j'ai beaucoup apprécié ce personnage féminin hors norme pour son époque, cette femme indépendante qui prône le droit à la liberté de penser et de vivre. La photographie faite par Maurice Debroka de l'état politique de ces années 1920 est elle aussi digne d'intérêt. La Madone des Sleepings paru en 1925 a été l'un des très grands bestsellers de l'entre deux-guerres , son côté légèrement canaille n'est sans doute pas étranger à cela.



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La Madone des Sleepings

Absolutly fabulous
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La Madone des Sleepings

J'ai lu ce roman « cosmopolite » dans son édition originale : « Achevé d'imprimé le XX de Mai MCMXXV (1925 pour ceux qui causent pas romain :-)) par les soins de F. Mériaux Maître-Imprimeur à Paris, 63, rue du Ruisseau, pour le compte des éditions Baudinière ». Ça en jette ! Non ? C'était une autre époque ; Les Années Folles. L'objet est franchement défraîchi, papier jauni, mal massicoté et puis quand même avec quelques coquilles (sans faire injure au Maître imprimeur Mériaux), bref dans son jus. A l'époque se fût un best-seller, comme M. Levy ou G. Musso aujourd'hui, je suppose. Je n'ai pas lu ces deux là, mais je peux vous dire qu'en 1925 Maurice Dekobra écrivait dans une prose très élégante, imagée et relevée. Il y a donc dans ce roman d'aventure, qui nous emmène de Berlin à Paris en passant par Istanbul, le Caucase et l'Ecosse, de la distinction et de la légèreté. On y croise des aristocrates riches et oisifs, de bons et de méchants soviétiques. J'ai d'ailleurs été étonné par la lucidité de l'auteur quant à la situation et aux systèmes politiques de cette époque, qui devaient déboucher sur la 2ème guerre mondiale ; lucidité que d'autres n'ont pas eu, mais c'est une autre histoire. Alors si cette lecture est un peu datée, elle reste néanmoins distrayante et très agréable. Allez, salut.
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