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250 pages
Baudinière (01/06/1934)
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Que lire après Confucius en pull-over ou le beau voyage en ChineVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Depuis le succès planétaire de sa « Madone des Sleepings », Maurice Dekobra, créateur du roman dit "cosmopolite" qui va marquer durablement les années 1920-1930, est devenu une véritable star littéraire française, ce que beaucoup de ses confrères ne lui pardonneront pas, et qui plus est, une star littéraire exportable. Traduit dans près d'une trentaine de pays, y compris aux États-Unis où ses séances de dédicaces mobilisent des milliers de personnes (l'une d'elles, à New York, affichera une file d'attente de 7 kilomètres), Maurice Dekobra doit son immense succès aux femmes, plus particulièrement aux garçonnes, dont il a habilement compris le désir d'indépendance et les envies d'aventures émoustillantes. Parce qu'il les connaît bien et qu'il sait les rejoindre sur le terrain de la duplicité et du fantasme, il devient pendant presque quinze ans l'auteur le plus vendu des Années Folles et le plus copieusement honni par le monde des lettres, vendant au total 90 millions de livres en 60 ans de carrière.
Pourtant, si Dekobra se laisse griser par son succès, et affiche sans vergogne ses innombrables conquêtes féminines, il se montre d'excellente composition avec chacun, restera jusqu'à l'après-guerre chez l'éditeur qui l'a découvert, Baudinière, et charme tout le monde par son humour, sa simplicité et son caractère mondain sans excès. C'est donc très naturellement qu'on lui offre un poste de diplomate et d'attaché d'ambassade, sur le seul prestige de son nom – ce sur quoi il ne semble pas s'être leurré, d'autant plus que son aîné Claude Farrère, romancier exotique à défaut d'être encore cosmopolite, l'avait précédé sur cette voie diplomatique. Outre l'éventualité d'orienter son tableau de chasse vers des femmes de la haute société, Maurice Dekobra, qui semble avoir été un assez bon diplomate, voit dans cette nomination honorifique d'appréciables occasions de voyager dans de nombreux pays aux frais de l'État. Cette fonction lui permit, sur le plan littéraire, d'écrire sur les pays qu'il visitait avec nettement plus de connaissances géopolitiques que beaucoup de ses confrères. Pour autant, si être attaché d'ambassade est bien pratique pour connaître les coulisses de la politique d'un pays, on ne visite ce pays qu'à travers ses ambassades, ce qui n'est pas nécessairement le meilleur moyen de le connaître.
Lorsque Maurice Dekobra visite la Chine, c'est un pays fort différent de ce qu'il est aujourd'hui. Depuis de nombreuses décennies, la Chine ne parvient pas à sortir du régime médiéval dynastique dont elle est héritière depuis de trop nombreux millénaires. Plusieurs généraux ambitieux se retranchent dans différentes grandes villes de Chine, et mènent entre eux une guerre sans fin, chacun se jugeant le seul souverain de la Chine. La situation pourrait sombrer dans le chaos total, si la Chine n'avait eu ce brillant sens du commerce international dont elle fait encore preuve aujourd'hui.
Face à l'instabilité du pays, qui n'autorisait pour l'Occident ni un protectorat, ni une colonisation, face à un peuple aussi fragmenté et perdu dans une guerre civile sans issue, la communauté internationale avait installé en 1861 un système unique au monde de "concessions territoriales". D'abord allouées à des entreprises d'import-export qui souhaitaient travailler en Chine tout en demeurant neutres quant aux conflits internes, ces concessions sont devenues des zones territoriales externes, au sein même des villes chinoises, régies par une autorité locale qui était en mesure de faire régner la loi en dehors de toute partisanerie chinoise. Les concessions, qui étaient généralement les quartiers entourant des sièges d'entreprises européennes ou américaines, avaient leurs propres règlements qui ne s'appliquaient pas aux zones chinoises, ni autres concessions. Outre la France, la Grande-Bretagne et le Japon étaient majoritaires dans le nombre de concessions obtenues en Chine, tandis que la plupart des pays européens (Belgique, Italie, Allemagne, Autriche), et les grandes puissances (États-Unis, Russie) y avaient une ou deux concessions dans quelques villes.
Ce morcèlement de concessions maintenait une paix fragile en Chine, en paralysant les grandes villes du pays, principalement Shanghaï et Tientsin, où il y avait tant de concessions que les zones chinoises y étaient minoritaires. Impossible donc d'y recruter ou d'y faire défiler une armée, impossible d'y livrer bataille. Mais l'inconvénient, c'est qu'il s'agissait tout de même d'une colonisation en bonne et due forme, où chaque concession employait du personnel chinois, mais où tout commerce d'exportation ne payait que peu de taxes – voire pas de taxes du tout – aux villes chinoises.
Ce système de concessions fut aboli en quelques années durant la Seconde Guerre Mondiale, le conflit rendant de plus en plus fragiles les industries qui avaient jusque là l'avantage appréciable de fournir des salaires au Chinois. La France fut la dernière à quitter le pays, d'abord parce que la renonciation aux concessions françaises fut négociée avec le Maréchal Pétain, sous le Régime de Vichy, et donc totalement remise en question par le gouvernement provisoire à la Libération; et ensuite parce que la France disposait également d'un territoire authentiquement colonial, au sud-est de la Chine et à l'est de l'actuel Vietnam, incluant une grande partie de la province de Guangdong et la totalité de la péninsule de Leizhou. Ce territoire était rattaché administrativement à l'Indochine Française, il fut envahi et partiellement ravagé par les Japonais en 1943, et finalement, rétrocédé à la Chine en 1945, vu que la France n'avait ni l'envie ni les moyens financiers de procéder à sa reconstruction.
Aussi Maurice Dekobra, fraîchement nommé diplomate, découvre une Chine à bout de souffle. Il assiste au lent pourrissement de ce système de concessions internationales, qui empêche les guerres, mais autorise tacitement toutes les corruptions, tous les trafics...
« Confucius en Pull-Over » : ce titre peut faire sourire, mais au moment où Maurice Dekobra publie ce premier essai directement inspiré de sa jeune expérience de diplomate, cette métaphore fait pleinement sens. Déchirée entre des conflits claniques, la population chinoise préfère en effet en rester à Confucius. Quant au pull-over, c'est alors un vêtement récent et occidental, une modernisation américaine du classique chandail des ouvriers, destinée primitivement aux officiers de marine. Affirmant avoir vu, sur l'oeuvre picturale d'un jeune peintre chinois ayant étudié en Europe, une représentation de Confucius en pull-over, il y voit le symbole de cette union absurde et contre-nature entre Orient et Occident.
Pour autant, s'il ne manque pas d'une certaine lucidité sur la défiance et la difficulté de compréhension entre Chinois et Occidentaux, Maurice Dekobra n'est pas un essayiste qui veut faire entendre une théorie argumentée. Son livre est avant tout une collection d'impressions, d'anecdotes, de doutes et d'interrogations, ce qui dénote néanmoins d'un bel esprit d'indépendance, car ces conclusions ne sont certainement pas celles qui dominaient en France dans l'administration coloniale de l'époque.
Rédigé vraisemblablement à partir de notes de voyage, dont on sent parfois le mastic un peu grossier qui les unit, « Confucius en Pull-Over » suit Dekobra pratiquement au jour le jour, mais de manière confuse, sans aucun repère chronologique (on ne sait d'ailleurs pas combien de semaines ou de mois dure ce séjour) ni de précisions sur ses trajets. L'auteur passe de ville en ville, d'une ambassade officielle à la vaste propriété d'un haut-fonctionnaire. Il interroge et rapporte les propos des administrateurs coloniaux qu'il croise apparemment dans des réunions mondaines, mais aussi celle des invités chinois qui "collaborent" - parfois de mauvaise grâce – avec l'occupant. Là est sans doute la faiblesse de cet ouvrage, où les interlocuteurs de Maurice Dekobra sont certes bavards et érudits, mais ne représentent guère le Chinois "moyen". Il n'y a là que des diplomates, des édiles locaux, chinois ou non, des notables, des stars du cinéma, des étudiants chinois de retour de l'étranger, toute une jeunesse partagée entre deux cultures, mais qui continue à préférer Confucius à Voltaire et ne nous envie que nos élégances superficielles.
Maurice Dekobra fait en effet un "beau" voyage en Chine, c'est-à dire un voyage à la fois diplomatique et touristique, guidé par des fonctionnaires qui lui racontent et ne lui indiquent que ce qui leur plait. L'auteur est conscient de n'avoir finalement, pour remplir son livre, que les opinions des autres, ou du moins, celles qu'on veut lui faire écrire. À titre personnel, il n'a que des lieux touristiques à nous décrire – et à nous montrer, car son livre est accompagné par d'abondantes photographies prises en Chine souvent par lui-même - ainsi que les quartiers de la prostitution, au sujet desquels il nous raconte à peu près tout, sauf ce qu'il est venu y faire – mais une explication est-elle nécessaire ? Quelque part, il faut reconnaître au moins à Maurice Dekobra une sincérité réaliste et gauloise qui l'amène, contrairement à Claude Farrère, à ne pas aseptiser sa prose pour la rendre digne de sa fonction, honorable et tous publics.
Tout au plus, reprochera-t-on, à Dekobra, comme à son fort négligent éditeur, des transcriptions très fantaisistes des noms chinois de lieux et de personnages, sans doute seulement entendus à l'oral et très imparfaitement occidentalisés ("Szetchouen" au lieu de "Sichuan", "Whangpou" au lieu de "Hangpu", "Hangchow" au lieu de "Hongzhu", etc…), mais sans doute n'existait-il pas, à l'époque, de romanisations "officielles"…
Il n'empêche, malgré une certaine platitude due à la récurrence linéaire d'une vie tranquille de diplomate, passant de ville en ville, de conversations mondaines en cocktails huppés, le récit de Dekobra hésite de façon intéressante et personnelle entre le séjour idyllique, curieux et rigolard d'un riche touriste, et l'inquiétude sourde du diplomate redoutant un désastre à venir, une spoliation territoriale malaisée, une corruption irrattrapable, un racisme réciproque destiné à mener tôt ou tard à un conflit très grave. Tout cela amène Maurice Dekobra à s'interroger plus globalement sur les prétendus bienfaits de la civilisation occidentale, et sur la condescendance et l'humiliation que dissimule notre soi-disante sollicitude morale et politique. Il est troublant de lire, sous la plume presque nonagénaire d'un écrivain plutôt sympathisant à la base de l'empire colonial français, des reproches et des condamnations morales qui sont encore celles que nous renvoient l'actuel gouvernement chinois, preuve peut-être que si la Chine a bien changé, l'Occident, lui, n'a sans doute pas su évoluer tant que ça, dans le regard qu'il porte sur des civilisations qui ne partagent pas ses valeurs fondamentales.
« Confucius En Pull-Over » s'achève d'ailleurs sur quelques prospectives terriblement pessimistes. Maurice Dekobra n'imagine pas, en 1934, d'issue heureuse à la situation bancale de la Chine, sinon par le biais d'une fragile réconciliation de ses différentes factions autour d'une volonté commune de chasser les Occidentaux. Mais il pense également que notre retrait de Chine serait de nature à encourager les ambitions conquérantes de la Russie et du Japon, et qu'une guerre sanglante pourrait opposer ces trois pays le jour où les concessionnaires occidentaux quitteraient la Chine.
Cependant, Maurice Dekobra ne devine pas que cette guerre sera aussi la nôtre, pas plus qu'il ne devine que, sous l'impulsion d'un seul homme, un certain Mao Tsé Toung, l'idéologie communiste parviendra, seulement quinze ans plus tard, à cimenter, comme jamais il n'a été, ce peuple émietté et égaré dans des hostilités sans fin. de même que beaucoup d'autres observateurs géopolitiques français du premier tiers du XXème siècle, Maurice Dekobra n'imagine pas l'incroyable travail de métamorphose qui saisira la Chine et le Japon quelques années plus tard. Il ne voit dans la Chine qu'une sorte de nation antique délicate, sans doute trop délicate, totalement à la dérive, et dont il n'est pas certain qu'elle ne soit pas amenée à disparaître. Peut-être d'ailleurs faut-il voir dans cette inquiétude sur le futur de la Chine la raison de ce flot de photographies, certaines pourtant guère plus passionnantes qu'une carte postale, dont il parsème son ouvrage.
Pour toutes ces raisons, « Confucius en Pull-Over » est un livre très pertinent à relire aujourd'hui, même s'il témoigne d'une époque révolue, car si les peuples changent, les problèmes demeurent, et c'est cette permanence transgénérationnelle de problèmes jamais totalement réglés, qui font peut-être aujourd'hui soudainement vaciller une humanité qui se croyait à jamais débarrassée du spectre hideux de la guerre. En 1934, pourtant, la guerre n'était pas loin, et Maurice Dekobra en sentait confusément les prémisses. Qui pouvait se vanter, il y a seulement cinq ans, de présager aussi justement le retour d'une guerre aux implications mondiales ?
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Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation
On nous avait conviés chez le bon peintre chinois Peon Ju qui possède dans le Passy de Nakin, le quartier des villas européennes récemment construites, un atelier très style "Montparno" avec des toiles vigoureuses, où il harmonise la perspective et la composition occidentales avec le sens de la décoration poétique de ses compatriotes.
Il y avait là l'inteligentsia ultra-moderne de Nankin. En croquant des yeux de dragon et en buvant du thé vert, ces Messeurs, qui représentaient Confucius en pull-over et Lao Tseu frotté de freudisme, discutaient véhémentement les rapports des blancs et des jaunes. (...)
Un jeune professeur de l'Université, formé dans les collèges américains, précisa :
- Les blancs ne nous comprennent pas... Nous sommes pour eux de la crotte de chien. Ils ne se rendent pas compte de notre hypersensibilité de gens opprimés par les Occidentaux, maîtres du monde.. Du moins, ils le croient !
Et M. Charles C. Hou de surenchérir :
- Vous ignorez donc que vous êtes chez nous le symbole de l'impérialisme et de l'oppression ? Vous ignorez donc qu'à Hong Kong, à Shangaï, à Tianjin, des milliers d'yeux bridés vous observent, épient vos moindres gestes à chaque heure du jour ? Un mot blessant laisse sur nos coeurs des cicatrices indélébiles. Quand Douglas Fairbanks vint à Shangaï, aucun Chinois de marque ne voulait le recevoir. Pourquoi ?... Parce qu'on se souvenait de son rôle dans "Le Voleur de Bagdad". Au cours de ce film, il saisissait un prince mongol par sa natte et le flanquait par la fenêtre. Vous autres blancs, vous trouvez cela très drôle et vous pouffez de rire dans vos fauteuils. Ici, on se sentit cruellement insulté. Que dirait un Anglais si des conquérants jaunes lui montraient, sur un film, la Reine Victoria corrigée par le battoir d'une lavandière chinoise ? La presse fit chorus contre l'acteur d'Hollywood. Plus récemment, nous reçûmes d'Amérique M. Schafer, un nouveau chargé de cours à l'Université de Nankin. À la fin d'une conférence, ce professeur, pour distraire les élèves, leur montra des films pris dans le pays. Ils se fachèrent parce que ces films étaient offensants pour la Chine. On dut, sur l'insistance des étudiants, renvoyer le professeur.
- C'est un problème singulier que celui des rapports des blancs et des jaunes. Vous nous méprisez, nous vous méprisons davantage. Et cependant, le jeune Chinois ayant étudié le français à Paris et l'anglais à King's College ou à Columbia, ne rêve que d'un complet bien taillé et d'une cravate élégante.
- Mieux que cela. J'ai surpris deux étudiants dans un tramway de Pékin qui s'entretenaient dans un mauvais anglais pour épater leurs voisins. Combien de boutiques portent des noms anglais alors qu'aucun client étranger n'y pénètre jamais ? Nous avons donc, d'une part, la psychose maladive de l'indigène ennemi du blanc, et d'autre part, la propension inéluctable à la singer, ce qui est une manière indirecte de reconnaître sa supériorité. Nous sommes fiers de notre passé, de notre histoire, de notre langue, de notre littérature si riche; nous sommes fiers de penser que nous étions déjà civilisés quand la barbarie la plus noire régnait sur l'Europe. Et pourtant, ce fameux complexe d'infériorité, cher aux psychiatres allemands, apparaît dès que nous rentrons en contact avec l'Occidental.
- Mais cette absence de compréhension entre l'Européen et le Chinois ne tient-elle pas au fait qu'ils ne parlent pas la même langue ? J'entends par là cette langue du coeur qui est universelle. Les mots "science" et "logique" sont intraduisibles en chinois, comme l'a remarqué un jour feu M. Kou Houng-Ming.
- C'est pourquoi, messieurs, s'écria le haut fonctionnaire, j'affirme, et ce n'est pas un paradoxe, que plus nos jeunes gens étudieront en Europe et en Amérique, plus la mésentente s'accentuera entre blancs et jaunes. L'instruction, au lieu de nous rapprocher, nous opposera...
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- Vous n'aimez donc pas les Européens, Madame ?
Ses beaux yeux me regardèrent un instant, obliques et plissés comme deux rais de lumière dans un masque d'ivoire. Puis, elle les adoucit pour répliquer d'une voix douce, si douce :
- Je les adore... Je les embrasse...
- Pour mieux les étouffer !
- Comment voulez-vous que l'on aime des gens qui se sont installés chez vous sans vous en demander la permission ? Sommes-nous des cannibales des Nouvelles-Hébrides, des sauvages de l'Afrique Centrale qu'on colonise à son gré ? Cinq mille ans de civilisation, ça ne compte pas ? Trois mille ans de poésie, de philosophie, d'art, ça ne représente rien ? Si ! Cela se traduit par des traîtés inégaux, par Hong-Kong aux Anglais en 1842, par Shangaï aux étrangers... Et vous avez le front d'appeler ça des "concessions" !... Le mot "spoliation" serait plus exact.
- Soit, madame... Mais les barbares d'Occident vous ont apporté le progrès, le chemin de fer, l'électricité, les vaccins qui enrayent vos épidémies.
- Et les mitrailleuses qui achèvent ceux que les médecins ont ratés ! Merci. Nous n'avons pas besoin de votre progrès. Nous sommes à peine un million actuellement qui font joujou avec les idées et la science de l'Ouest et 399 millions qui n'en ont cure. Alors, permettez-moi de ne pas trop vous aimer.
Serge, avec son cynisme habituel, l'interrompit :
- Excepté dans votre alcôve, Isabelle.
Elle répondit du tac au tac :
- My sweet, souvenez-vous de Judith...
- Oh ! Oh ! Ne vous vantez pas. Vous n'avez pas encore décapité l'un de vos amants d'Occident.
Elle se tourna vers moi :
- Monsieur... Doit-on forcément décapiter un homme pour lui faire perdre la tête ?... Oui, je l'avoue, tant qu'il y aura des croiseurs étrangers dans le Huangpu et des soldats de chez vous sur notre sol, je tâcherai de faire souffrir les blancs qui tomberont entre mes bras.
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Nous fîmes l'ascension du petit escalier et pénétrâmes dans un salon en désordre au milieu duquel une large table état recouverte par un vaste tapis vert. Le jeune chancelier, avec le geste précautionneux d'un infirmier qui dévoile un mort, souleva le tapis et nous montra une roulette avec deux tableaux à doubles zéros. Il expliqua :
- Voici ce qui fut la cause de sa perte. M. de la Palma, qui adorait le jeu, s'entendit un jour avec un riche Chinois qui cherchait à exploiter une roulette. Il n'y avait rien à faire sur la concession française, où l'on ne badine pas avec ces histoires-là. La maison du consulat jouissant de l'extra-territorialité sur la concession internationale, avait paru des plus propices au Chinois, à condition que le tripot fut exploité discrètement. Mon patron, d'abord, refusa ses offres. Puis, touché par le noble geste du Chinois qui lui proposa de verser chaque année cent dollars à la caisse des bonnes oeuvres de Coronada, M. de la Palma consentit.
- Il n'était pas intéressé aux bénéfices ?
- Si, un peu... Il touchait cent dollars par séance et trente pour cent sur la cagnotte.
- C'était beaucoup.
- Le Chinois l'avait menacé, s'il refusait sa part, de ne plus donner chaque année les cent dollars à la caisse des oeuvres.
- Alors M. de la Palma se sacrifia ?
- Une fois de plus... Tout fonctionna très bien pendant quelques mois. Malheureusement, il y eût un soir un gros scandale. Un ingénieur canadien qui s'était assis à côté du chef de partie, tout près de la roulette, voulut, après avoir perdu mille cinq cent dollars, se lever pour aller boire un whisky... Or, Messieurs, il ne put pas se lever. Me comprenez-vous bien ?
- Il était mort d'une embolie ?
- Non, Messieurs ! Je dis : il ne put pas se lever... Il fit des efforts inouis... Sans succès... Vous allez saisir tout de suite. Cet ingénieur portait par malheur des souliers ferrés. Or, son pied gauche était entré en contact avec un gros aimant dissimulé sous la roulette et destiné à attirer la bille dans certaines cases, au gré du chef de partie... Le Canadien, ingénieur électricien de son métier, eut vite compris la cause de sa soudaine paralysie. Il dégagea son pied au prix d'un effort surhumain - il y laissa d'ailleurs sa semelle - et révéla aux pontes le procédé du Chinois. Ce fut un combat digne de la plume de Dante. L'hercule canadien, fou de colère, envoya dans la figure du Chinois un direct qui lui coûta trois dents : l'une tomba dans la roulette, je préciserai même dans le numéro 16, noir et manque; la seconde dans le whisky-soda de M. de la Palma et la troisième dans le décolleté d'une exilée russe, taxi-girl à ses heures, au Del Monte... Les deux croupiers furent assommés par d'autres joueurs musclés, et mon patron ne dut son salut qu'à une fuite précipitée par le vasistas de la salle de bains.
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M. Liou s'interrompit pour me montrer une dame âgée qui marchait à petits pas, à cause de ses pieds mutilés.
- Voilà justement une entremetteuse bien connue autour de la porte de Tung Tien Men... C'est Mme Souen. Elle tient commerce de jeunes filles. Pour trente dollars, elle achète une fillette de huit ans à des ouvriers pauvres, trop heureux de se débarrasser de cette bouche inutile. Elle la place dans une maison, l'y entretient pendant cinq ans, et quand la jouvencelle a treize ans, elle est d'un bon rapport pour Mme Souen. Contre deux cent dollars, elle procure une gentille enfant de quinze ans, fille de paysans, qui deviendra votre propriété, comme votre canne ou votre chapeau. Elle s'installera dans votre maison, esclave assez indocile, et vous trompera avec votre boy... Pour mille dollars, elle vous trouvera alors une beauté racée qui vous sera fidèle, parce qu'une femme achetée ce prix-là ne peut pas se commettre avec un domestique... Il faut sauver la face, Monsieur !...
Ah, la face, en Chine, c'est le grand ressort des actes. C'est l'idée-force des Chinois, comme eût dit votre philosophe Alfred Fouillée... Quand vous m'offrez un cadeau, vous me faites plaisir, assurément, mais vous me donnez surtout de la face auprès de mes semblables... Hier soir, au restaurant mongol, le garçon à qui j'avais payé l'addition, a crié dans la cour, afin que nul n'en ignore :
- Monsieur a été généreux pour cinq dollars !
Il se donnait de la face devant les marmitons. Il me donnait aussi de la face devant le public... Mme Pao Yu nous disait l'autre jour que son boy N°1 est menteur comme un charlatan. Elle sait pourtant que le mensonge fait partie de la face. Je suppose que vous vous aperceviez que votre perle de plastron a disparu. Vous êtes sûr que seul votre boy a pu vous la voler. Vous l'accusez. Il nie énergiquement, bien que la perle soit dissimulée dans le revers de sa manche. Vous le menacez de le flanquer à la porte. Il fouille la maison de fond en comble, et soudain, revient avec une chemise sale au plastron de laquelle il vient de fixer votre perle. Il a sauvé la face ! Des milliers de Chinois meurent chaque année pour sauver la face.
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En vérité, nous sommes en Chine les témoins du miracle de l'opium, d'un miracle qui défie la logique, puisque là où l'on prétend supprimer l'opium, sa consommation augmente, et là où l'on est menacé de cinq ans de prison pour le vendre, on s'enrichit à le détenir.
Il faut donc une certaine bonne volonté pour prendre au sérieux les propositions de M. Victor Hou à Génève, surtout quand il demande une coopération plus intime entre les autorités chinoises et les polices des concessions. Elles poursuivent les détenteurs de paquets d'opium vendus ouvertement par le monopole de la province. Ne sont-elles pas plus royalistes que le roi ? Est-il pratiquement possible de fouiller le million de Chinois qui entre et sort chaque jour sur les territoires concédés ?
Il y a quelques mois, un cargo venant du Golfe Persique déchargea, près de Shanghaï, des milliers de caisses d'opium persan, le meilleur et le plus recherché des amateurs. L'opération fut faite sous la surveillance des fonctionnaires chinois du Bureau de la Sécurité Publique. Les navires de guerre anglais et français, ancrés dans le Huangpu, auraient-ils dû s'opposer à ce trafic et affoler ces Messieurs de Genève en molestant les droits souverains de la Chine ?
Le malheur, c'est que l'opium est une source de profits trop faciles pour les gouverneurs de province, dont l'équilibre budgétaire est malaisé. Quoi de plus simple que de taxer un produit dont la consommation semble si agréable aux particuliers ? M. Woodhead, à Shanghaï, qui a fait une sérieuse étude de l'opium et reçu des précisions de ses correspondants à l'intérieur du pays, cite la réponse d'un citoyen de Chengdu, au Sichuan, qui lui écrit :
- L'opium ici est taxé quatre fois : quand on le plante, quand on le récolte, quand on le transporte et quand on le fume.
Mieux encore ! Dans le même Sichuan où la culture de l'opium est obligatoire, les resquilleurs, ceux qui préfèrent cultiver exclusivement céréales ou légumes, sont frappés d'une taxe appelée "l'impôt des paresseux" !
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