Citations de Maurice Leblanc (813)
Sholmès se mit à frapper la table à coups de poing.
- Ah mais il commence à m'embêter, cet animal-là. Il se moque de moi comme d'un gamin ! L'aveu public de mon échec ! Ne l'ai-je pas contraint à rendre le diamant bleu ?
- Il a peur, insinua Wilson.
- Vous dîtes des bêtises ! Arsène Lupin n'a jamais peur, et la preuve c'est qu'il me provoque.
- Mais comment a-t-il connaissance de la lettre que nous envoie le Baron d'Imblevalle ?
- Qu'est-ce que j'en sais ? Vous me posez des questions stupides, mon cher !
- Je pensais... je m'imaginais....
- Quoi ? Que je suis sorcier ?
- Non, mais je vous ai vu faire de tels prodiges !
- Personne ne fait de prodiges... moi pas plus qu'un autre. Je réfléchis, je déduis, je conclus, mais je ne devine pas. Il n'y a que les imbéciles qui devinent.
Wilson prit l'attitude modeste d'un chien battu, et s'efforça, afin de n'être pas un imbécile, de ne point deviner pourquoi Sholmès arpentait la chambre à grands pas irrités. Mais Sholmès ayant sonné son domestique, et lui ayant commandé sa valise, Wilson se crut en droit, puisqu'il y avait là un fait matériel, de réfléchir, de déduire et de conclure que le maître partait en voyage.
Si votre père ou votre mère s'oubliait jusqu'à vous battre, révoltez-vous, allez vous plaindre au premier venu : un enfant ne doit pas être malheureux par la faute de ceux qui ont à la charge de le rendre heureux.
Arsène Lupin la communiqua, lui. Une note insérée par l'Echoo de France - lequel a l'honneur d'être son organe officiel, et dont il est, paraît-il, un des principau actionnaires - une note annonça qu'il remettait entre les mains de Me Destnan, son avocat-conseil, la lettre...
Comme M. Desmalions ne cessait de le répéter, dix-huit cents sacs ne peuvent pas rester invisibles. Toute excavation laisse des traces. Il faut une issue pour y entrer et pour en sortir. Or le gazon des pelouses, comme le sable des allées, ne révélait aucun vestige de terre remuée fraîchement. Le lierre ? Les murailles de soutien ? Les terrasses ? Tout cela fut visité. Inutilement.
Il ne voulait plus penser. La défaite, et surtout la façon dont elle lui avait été infligée, était trop pénible pour qu'il consentît à en étudier les effets et les causes. En ces cas-là, on doit s'exercer l'indifférence et au sang-froid.
Selon son habitude, il entra en action au même moment où la vision des choses qu'il fallait accomplir se déroulait devant lui dans leur ordre logique. En de pareils cas, l'hésitation risque de tout compromettre. La réussite dépend de l'audace avec laquelle on se précipite à travers des obstacles qu'on ne connaît même point.
C'est ainsi qu'un soir d'hiver Arsène Lupin me raconta l'histoire de son arrestation. Le hasard avait noué entre nous des liens...d'amitié. Oui, c'est par amitié qu'il arrive parfois chez moi à l'improviste, apportant, dans le silence de mon cabinet de travail, sa gaieté juvénile, le rayonnement de sa vie ardente...
— Eh bien ? fit Elisabeth, qui avait entouré de son bras le cou de son mari en un geste de protection passionnée.
— Eh bien, fit Paul, jamais il ne fut possible d'en percer le mystère. La justice s'y employa pourtant avec beaucoup de zèle et de minutie, tâchant de vérifier les seuls renseignements qu'elle pût utiliser, ceux que je lui donnais. Tous ses efforts échouèrent. D'ailleurs, ces renseignements étaient si vagues ! En dehors de ce qui s'était passé dans la clairière et devant la chapelle, que savais-je ? Où chercher cette clairière ? Où la découvrir, cette chapelle ? En quel pays le drame s'était-il déroulé ?
— Je ne me rappelle plus rien à partir de ce moment, plus rien jusqu'au jour où je me suis trouvé dans une chambre que je ne connaissais pas, soigné par une vieille cousine de mon père et par une religieuse. C'était la plus belle chambre d'une auberge située entre Belfort et la frontière. Un matin, de très bonne heure, douze jours auparavant, l'aubergiste avait découvert deux corps immobiles que l'on avait déposés là durant la nuit, deux corps baignés de sang. Au premier examen, il constata que l'un de ces corps était glacé. C'était celui de mon pauvre père. Moi, je respirais, mais si peu !
La voiture attendait Elisabeth et Paul à quelque distance. Arrivés sur le plateau, ils s'étaient assis au bord du chemin. La vallée du Liseron s'ouvrait devant eux en courbes molles et verdoyantes, où la petite rivière onduleuse était escortée de deux routes blanches qui en suivaient tous les caprices. En arrière, sous le soleil, se massait Corvigny que l'on dominait d'une centaine de mètres tout au plus. Une lieue plus loin, en avant, se dressaient les tourelles d'Ornequin et les ruines du vieux donjon.
La jeune femme garda longtemps le silence, terrifiée par le récit de Paul. A la fin, elle lui dit :
« Ah ! Paul, tout cela est terrible. Est-ce que vous avez beaucoup souffert ?
Paul Delroze s'était arrêté, tout pâle au souvenir du crime.
« Ah ! balbutia Elisabeth, ton père a été assassiné... Mon pauvre Paul, mon pauvre ami... »
Et elle reprit, haletante d'angoisse :
« Alors, Paul, qu'est-il advenu ? vous avez crié ?...
— J'ai crié, je me suis élancé vers lui, mais une main implacable me saisit. C'était l'individu, le domestique, qui surgissait du bois et m'empoignait. Je vis son couteau levé au-dessus de ma tête. Je sentis un choc terrible à l'épaule. A mon tour je tombai. »
« — Non, non, vous m'écouterez. Une promesse de discrétion, est-ce que cela compte ? Non, il faut en finir d'une façon ou d'une autre, et vous admettrez bien... »
« A partir de ce moment, je n'ai plus entendu. Elle était en face de mon père, hostile, véhémente. Son visage se contractait avec une expression vraiment féroce qui me faisait peur. Ah ! comment n'ai-je pas prévu ?... Mais j'étais si jeune ! Et puis, cela se passa si vite !... En s'avançant vers mon père, elle l'accula pour ainsi dire jusqu'au pied d'un gros arbre, à droite de la chapelle. Leurs voix s'élevèrent. Elle eut un geste de menace. Il se mit à rire. Et ce fut brusque, immédiat : d'un coup de couteau — ah ! cette lame dont je vis soudain la lueur dans l'ombre ! — elle le frappa en pleine poitrine, deux fois... deux fois, là, en pleine poitrine. Mon père tomba. »
Paul Delroze s'était arrêté, tout pâle au souvenir du crime.
« Elle est oppressée. Elle a dû courir. Et tout de suite, sans attendre la réponse, elle ajoute :
« — La personne que vous avez rencontrée désirerait avoir un entretien avec vous. »
« L'inconnue s'exprime aisément en français. Pas le moindre accent.
« Mon père hésite. Mais cette hésitation semble la révolter, comme une offense inconcevable envers la personne qui l'envoie, et elle dit d'un ton âpre :
« — Je ne suppose pas que vous ayez l'intention de refuser !
« — Pourquoi pas ? dit mon père, dont je devine l'impatience. Je ne reçois aucun ordre.
« — Ce n'est pas un ordre, dit-elle en se contenant, c'est un désir.
« — Soit, j'accepte l'entretien. Je reste à la disposition de cette personne. »
« Elle parut indignée :
« — Mais non, mais non, il faut que ce soit vous...
« — Il faut que ce soit moi qui me dérange, s'écria mon père fortement, et sans doute que je franchisse la frontière au-delà de laquelle on daigne m'attendre ! Tous mes regrets, madame, c'est là une démarche que je ne ferai pas. Vous direz à cette personne que, si elle redoute de ma part une indiscrétion, elle peut être tranquille. Allons, Paul, tu viens ? »
« Il ôta son chapeau et s'inclina devant l'inconnue. Mais elle lui barra le passage.
« Il est curieux, n'est-ce pas, Elisabeth, que tous ces menus faits, qui n'avaient en réalité qu'une importance relative pour un enfant de mon âge, je les aie enregistrés fidèlement, alors que tant d'autres, plus essentiels, ne se sont pas gravés en moi. Cependant, je vous raconte ce qui fut, comme si je le voyais devant mes yeux et comme si les mots résonnaient à mon oreille. Et j'aperçois encore, à l'instant où je parle, aussi nettement que je l'aperçus à l'instant où nous sortions de la chapelle, la compagne de l'empereur qui revient et traverse la clairière d'un pas hâtif, et je l'entends dire à mon père :
« — Puis-je vous demander un service, monsieur ? »
« L'empereur lui saisit le bras avec une véritable violence et l'entraîna en lui disant, sur un ton de colère, des paroles que nous ne pûmes distinguer. Ils reprirent le chemin par lequel nous étions venus, et qui conduisait à la frontière. Le domestique s'était jeté dans le bois et les précédait.
« — L'aventure est vraiment bizarre, dit mon père en riant. Pourquoi diable Guillaume Il se risque-t-il par là ? Et en plein jour ! Est-ce que la chapelle présenterait quelque intérêt artistique ? Allons-y, veux-tu, Paul ? »
« Nous entrâmes. Un peu de jour seulement passait par un vitrail noir de poussière et de toiles d'araignées. Mais ce peu de jour suffit à nous montrer des piliers trapus, des murailles nues, rien qui semblât mériter l'honneur d'une visite impériale, selon l'expression de mon père, lequel ajouta :
« — Il est évident que Guillaume Il est venu voir cela en touriste, à l'aventure, et qu'il est fort ennuyé d'être surpris dans cette escapade. Peut-être la dame qui l'accompagne lui avait-elle assuré qu'il ne courait aucun risque. De là son irritation contre elle et ses reproches. »
« De part et d'autre il y eut un mouvement de recul, l'étranger paraissant très contrarié et mon père stupéfait de cette rencontre insolite. Une seconde ou deux peut-être, ils demeurèrent immobiles l'un en face de l'autre. J'entendis mon père qui murmurait :
« — Est-ce possible ? L'empereur... »
« Et moi-même, étonné par ces mots, ayant vu souvent le portrait du kaiser, je ne pouvais douter : celui qui était là, devant nous, c'était l'empereur d'Allemagne.
« L'empereur d'Allemagne en France ! Vivement, il avait baissé la tête et relevé, jusqu'aux bords rabattus de son chapeau, le col en velours d'une vaste pèlerine. Il se tourna vers la chapelle. Une dame en sortait, suivie d'un individu que je regardai à peine, une façon de domestique. La dame était grande, jeune encore, assez belle, brune.
« Sa voix, comme elle résonne en moi ! Et comme je me représente exactement la petite chapelle aux murailles verdies par l'humidité ! Derrière, le toit débordant un peu au-dessus du chœur, nous mîmes nos bicyclettes à l'abri. C'est alors que le bruit d'une conversation nous parvint de l'intérieur, et que nous perçûmes aussi le grincement de la porte qui s'ouvrait sur le côté.
« Quelqu'un sortit et déclara en allemand :
« — Il n'y a personne. Dépêchons-nous. »
« A ce moment nous contournions la chapelle avec l'intention d'y entrer par cette porte, et il arriva que mon père, qui marchait le premier, se trouva soudain en présence de l'homme qui avait dû prononcer les mots allemands.
« — Tiens, Paul, nous franchissons la frontière... nous voici en France... »
« Et, plus tard, combien de temps après ?... Il s'arrêta pour demander son chemin à un paysan qui lui indiqua un raccourci au milieu des bois. Mais quel chemin ? et quel raccourci ? Dans mon cerveau, c'est une ombre impénétrable où mes pensées sont comme ensevelies.
« Et tout à coup l'ombre se déchire, et je vois, mais avec une netteté surprenante, une clairière, de grands arbres, de la mousse qui ressemble à du velours et une vieille chapelle. Sur tout cela il pleut de grosses gouttes de plus en plus précipitées, et mon père me dit :
« — Mettons-nous à l'abri, Paul. »
Paul reprit :
« Ce qui me reste à vous dire, Elisabeth, se présente à ma mémoire en détails très précis, qui émergent en quelque sorte d'une brume épaisse où je ne distingue rien. A peine puis-je affirmer que, cette partie du voyage terminée, nous devions aller de Strasbourg vers la Forêt-Noire. Pourquoi notre itinéraire fut-il changé ? Je ne le sais pas. Je me vois un matin en gare de Strasbourg et montant dans un train qui se dirigeait vers les Vosges... oui, dans les Vosges. Mon père lisait et relisait une lettre qu'il venait de recevoir et qui semblait lui faire plaisir. Cette lettre avait-elle modifié ses projets ? Je ne sais pas non plus. Nous avons déjeuné en cours de route. Il faisait une chaleur d'orage et je me suis endormi, de sorte que je me rappelle seulement la place principale d'une petite ville allemande où nous avons loué deux bicyclettes, laissant nos valises à la consigne... Et puis... comme tout cela est confus !... nous avons roulé à travers un pays dont aucune impression ne m'est restée. A un moment, mon père me dit :
« — Tiens, Paul, nous franchissons la frontière... nous voici en France... »
La voiture avait ralenti. La route s'élevait doucement vers les collines qui surplombent la vallée du Liseron. Le soleil penchait du côté de Corvigny. Une diligence les croisa, chargée de malles, puis deux automobiles où s'entassaient les voyageurs et les colis. Un piquet de cavalerie galopait à travers les champs.
« Marchons », dit Paul Delroze.
Ils suivirent à pied la voiture