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Citations de Michel Butor (408)


Dans le lampadaire au plafond la petite ampoule bleue veillait. Il faisait chaud et lourd, vous aviez de la peine à respirer ; les deux autres occupants dormaient toujours, balançant leurs têtes à droite et à gauche comme des fruits agités par un grand vent, puis l’un d’eux s’est éveillé, un homme épais qui s’est levé, qui s’est avancé vers la porte en titubant.
Comme vous vous efforciez de chasser de votre esprit ce visage de Cécile qui vous poursuivait, ce sont les images de votre famille parisienne qui sont venues vous tourmenter, et vous avez tenté de les chasser aussi, retombant sur celles de votre travail sans parvenir échapper à ce triangle.
Il aurait fallu que la lumière fût revenue, que vous fussiez capable de lire ou même seulement de regarder avec attention quelque chose, mais il y avait encore cette femme dans l’ombre dont vous ignoriez les yeux et les traits, la couleur des cheveux et du costume, que vous aviez peut-être vue entrer la veille au soir mais que vous aviez oubliée, cette forme confuse recroquevillée dans le coin près de la fenêtre face à la marche, protégée derrière l’accoudoir qu’elle avait baissé, dont vous entendiez la respiration régulière un peu rauque et que vous n’osiez pas troubler.
Par la porte restée à demi-ouverte, un pan de clarté jaunâtre entrait, tout habité par l’agitation des poussières, détachant de la nuit votre genou droit, dessinant sur le sol un trapèze qu’a écorné l’ombre du gros homme revenant, qui s’est adossé au panneau coulissant, dont la jambe droite, la manche droite, le bord défraîchi de la chemise, le bouton d’ivoire de la manchette, et la main qui s’est enfoncée dans sa poche pour en tirer non pas un paquet de gauloises mais de Nazionali vous sont devenus visibles ; puis comme vous suiviez les écheveaux de fumée qui s’élevaient, qui se tordaient, qui tentaient des incursions dans le compartiment, s’étalaient enfin, une secousse plus brutale vous a averti que vous étiez arrivé à Dijon.
Dans le silence ponctué de quelques grincements, quelques roulements isolés, la femme qui s’était réveillée a détaché les boutons du rideau auprès d’elle et l’a remonté de quelques centimètres, laissant apparaître, parce qu’il faisait déjà un peu moins sombre dehors, une mince bande grise qui peu à peu, comme le train s’était remis en marche, s’est élargie, s’est éclaircie sans qu’eussent paru les couleurs de l’aurore.
Bientôt la fenêtre entièrement dégagée vous a fait voir le ciel nuageux, et sur la vitre des gouttes d’eau se sont mises à marquer leurs petits cercles.
La lampe bleue s’était éteinte dans le globe du plafond, les lampes jaunâtres dans le corridor ; une à une toutes les portes s’ouvraient et des voyageurs en sortaient, écarquillant leurs yeux encore tout envasés de sommeil; tous les rideaux se relevaient.
Vous êtes allé jusqu’au wagon-restaurant pour y prendre non point le précieux café italien, cette liqueur vivifiante et concentrée, mais simplement une eau noirâtre dans une épaisse tasse de faïence bleu pâle avec les curieuses biscottes rectangulaires enveloppées par trois dans la cellophane que vous n’avez jamais vues que là.
Dehors, sous la pluie, passait la forêt de Fontainebleau dont les arbres étaient encore garnis de feuilles que le vent arrachait comme par touffes et qui retombaient lentement pareilles à des essaims de chauves-souris pourpres et fauve, ces arbres qui en quelques jours ont perdu tout leur apparat, sur lesquels il ne restait plus tout à l’heure, au bout de leurs branches sévères, que quelques fines taches tremblantes, quelques rappels de cette pompe alors si généreusement répandue qu’elle fourmillait jusque dans les clairières et les halliers, et il vous semblait voir apparaître, cause de tout ce remuement, à travers taillis et futaies, la figure d’un cavalier de très haute stature, vêtu de lambeaux d’un habit superbe dont les rubans et les galons métalliques décousus lui faisaient comme une chevelure de ternes flammes, sur un cheval dont transparaissaient à demi les os noirs semblables à d’humides ramures de hêtre se carbonisant, à travers ses chairs flottantes, ses fibres détachées, ses lanières de peau claquantes qui s’ouvraient et se refermaient, la figure de ce grand veneur dont vous aviez même l’impression d’entendre la célèbre plainte : « M’entendez-vous ? »
Puis il y a eu les abords de Paris, les murs gris, les cabines des aiguilleurs, l’entremêlement des rails, les trains de banlieue, les quais et l’horloge.
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J’ai tout oublié, j’ai tout à revoir ; je ne me rappelle les choses que lorsque je les retrouve devant mes yeux, vieillies ou rajeunies.
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Vaine comme une enfant, flattée de ses gardes du corps.
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Michel Butor
Nous avons eu, parmi les malheurs de la France, la création de l’École Nationale d’Administration qui détient le monopole de la formation des hommes politiques.
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Comme elle cherchait le lendemain tous les moyens de me faire plaisir, elle me servait au dîner une bouteille de Tokaj, et, y mêlant de furtives larmes, buvait quelques gorgées au même verre que moi. La tête échauffée :
« belle étudiante, lui disais-je, il y a trop longtemps que vous êtes enterrée toute vite ; suivez-moi, venez jouir de la sonorité des véritables villes dont vous êtes privée depuis tant de semaines. Abandonnez les bruissements artificieux dont vous jouissez ici.
-Jeune Français, me répondait-elle en souriant, ses yeux devenant orangé et or, tout en faisant nerveusement pivoter sur son axe de fer un globe de la planète Mars, je compte pour rien les plus belles villes du monde, pourvu que de chaque semaine vous me donniez six jours et cédiez le dimanche au vampire.
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Margaretha Rüder achevait de préparer un appareil, très belle, avec son peignoir ouvert à la ceinture bien nouée, mais dont le col restait suffisamment ouvert pour me permettre d'apercevoir sa merveilleuse poitrine, puis, les yeux blanc et noir, se plaçait au tableau de commande où elle procédait à des réglages.
Insensiblement l'air s'obscurcissait de sorte qu'il semblait qu'il fît nuit et que la machine du monde s'allât dissoudre.
Notre frayeur devenait extrême à l'apparition de Michael Weckhle, fils de la fille de Nosferatu, sous la forme d'un chien aux yeux verts entourés de cercles alternativement blanc de Saturne et citrin blanc.
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[ Incipit ]

Vous avez mis le pied gauche sur la rainure de cuivre, et de votre épaule droitre vous essayez en vain de pousser un peu plus le panneau coulissant.
Vous vous introduisez par l'étroite ouverture en vous frottant contre ses bords, puis, votre valise couverte de granuleux cuir sombre couleur d'épaisse bouteille, votre valise assez petite d'homme habitué aux longs voyages, vous l'arrachez par sa poignée collante, avec vos doigts qui se sont échauffés, si peu lourde qu'elle soit, de l'avoir portée jusqu'ici, vous la soulevez et vous sentez vos muscles et vos tendons se dessiner non seulement dans vos phalanges, dans votre paume, votre poignet et votre bras, mais dans votre épaule aussi, dans toute la moitié du dos et dans vos vertèbres depuis votre cou jusqu'aux reins.
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En 1855, le chef indien Seattle, qui donna son nom à la plus importante cité du Washington, autrefois nommé New York, déclara aux négociateurs européens : "Toutes les parcelles de ce sol sont sacrées... Toute colline, vallée, ou plaine, tout bois a été sanctifié par quelque événement glorieux ou horrible autrefois. Même les rocs qui semblent muets et morts quand ils cuisent dans le soleil, tremblent d'événements extraordinaires liés à la vie de mon peuple... Quand les enfants de vos enfants s'imagineront seuls dans les champs, les boutique, sur les routes ou dans les forêts en silence, ils ne le seront nullement... La nuit, lorsque tout bruit aura cessé dans les rues de vos villages, et que vous les croirez désertes, elles grouilleront de la foule de ceux qui ont vécu là autrefois, fidèles à ce sublime lieu. Jamais l'homme blanc n'y sera seul."
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Pierrette Fleutiaux

La Petite Beckett

La plupart des êtres s'efforcent de devenir adultes, ils s'efforcent tant et plus, et avancent, parfois avec joie parfois avec douleur, vers l'âge adulte.Les écrivains aussi le font
bien sûr, mais en même temps, en même temps, ils avancent vers l'enfance. J'ai bien dit " ils avancent vers l'enfance ", je n'ai pas dit " ils reculent ".Non pas faire l'enfant, non pas raconter son enfance, mais écrire à partir du territoire de l'enfance, là où tout est pour la première fois, et toute chose qui arrive est semblable à une météorite et tout terrain qui la reçoit terrain vierge.

( p.73)
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Il l'enroule dans un espace où il la laisse presque immobile, dessinant autour d'elle des enceintes et des oiseaux, et s'y enferme avec elle, tel l'évocateur médiéval dans le cercle de protection, au point que les objets et les personnes extérieurs s'éloignent pour lui à une distance vague, non métrique.
Je voudrais que le mur soit transparent, et suivre, autrement que par bribes, cette cérémonie si savante, qu'on dirait liée à des croyances primitives, très fondamentales et très oubliées, si déplacée ici qu'elle gène les assistants comme s'ils y décelaient une menace.
Et vrai comment peut-il la questionner ainsi ?
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Quelle impression de froid soudain et d'abandon, lorsque le gardien, en uniforme noir à galons rouges, a lancé un coup de sifflet à mon adresse, car je m'étais déjà attardé trop longtemps à regarder évoluer, dans le bassin de ciment aux fentes colmatées de goudron, les canards blancs éclaboussés de verdâtres !
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[...] et tout d'un coup j'ai été pris comme de vertige à l'idée que depuis mon arrivée dans cette ville, il y a quatre semaines, moi si grand liseur auparavant, je n'avais pas ouvert un livre, je me suis senti tout contaminé de brume gourde, abandonné loin de moi-même , loin de celui que j'avais été avant de débarquer ici, et qui s'effaçait dans une immense distance.
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Michel Butor
Mon elfe mon apprenti mon navigateur mon géographe
A travers les chaumes et les plages les vagues et les horizons
Les nuages les pluies les épines les écorces et les falaises
Les nervures les duvets et les coquilles les vignes et les racines
Tu révéleras fixeras l'heure et le sourire
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"Alors dans le jardin du livre
les corolles des mots s'entrouvrent
on n'en finit pas d'aspirer leur parfum
d'admirer les veines
auxquelles on n'aurait jamais pensé
avant cette aventure
ou sur les feuilles qui s'évadent
fenêtre s'ouvrant sur nos vies."
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Vous recommencez à jouer à ce jeu qui vous est familier, donner un nom à chacun de vos compagnons de voyage [...]. Quant au jeune couple, non, pas d'allusions littéraires, simplement Pierre et, voyons, Cécile est exclu, mais Agnès conviendrait très bien, Sant'Agnese in Agone, l'église de Borromini sur la piazza Navona.
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Alors dans cette chambre, seul,vous commencerez à écrire un livre, pour combler le vide de ces jours à Rome sans Cécile, dans l'interdiction de l'approcher.
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Le père s'aperçoit que personne ne boit et que c'est de sa faute. Il transforme un à un les verres en taches violettes [...]
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La marche en montagne abolit la frontière entre randonnées imaginaires et randonnées réelles ; on se promène entre les trois dimensions du temps, passé, présent, futur, dans lesquelles surgit parfois une peinture : je reconnais soudain un Bruegel, un Konrad Witz, un Caspar Wolf, un Ferdinand Hodler...
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Lectures transatlantiques

Outre-Harrar (1)
encore in memoriam A. R. (2)


Frère au très loin je tourne
depuis des années sournoisement
autour de ton ombre gardée
farouchement par des spécialistes
dont tu aurais détesté la plupart

Ce qui m'a mené en maint continent
déserts ou forêts villes ou sargasses
nullement à la recherche de tes traces
mais d'un lieu pluriel d'écoute et vision
d'où poursuivre ta tentative

Stoppée par le sort après tant d'avatars
malgré tous les soins et préparations
communique-moi ta force d'écart
et ce silence à l'intérieur de tous les mots
dont la mort ne pourra qu'augmenter le pouvoir

(1) Harrar au centre de l’Abyssinie. est le lieu où le poète, (2) Arthur Rimbaud a vécu en Éthiopie, à la fin de sa vie.
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BOUQUET DE FRISSONS


Une pensée fleurie
dans une fissure
la langue du lézard
devant un tesson

La tache de lumière violette
sur les marches du porche
à côté de la flaque
où le vieux chien vient boire
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