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Citations de Michel Tremblay (481)


Je lisais les aventures de Robert Grant le plus tard possible, jusqu’à ce que ma mère menace de retirer l’ampoule de ma lampe de chevet, en fait, puis je rêvais une partie de la nuit de la traversée de l’Atlantique, du détroit de Magellan, des paysages chiliens, de la Cordillère des Andes… Mon lit était un bateau qui quittait volontiers ma chambre de la rue Cartier pour foncer vers le 37e parallèle à la recherche de la source du Gulf Stream.
Je devenais un marin accompli en même temps que Robert Grant, j’apprenais à monter un magnifique cheval argentin à la robe noire en compagnie de Thalcave, le beau Patagon à moitié nu dont le portrait me troublait tant à la page 95, je traversais à guet le Rio de Raque et le Rio de Tubal, je grimpais des murs de porphyre – les quebradas –, je cherchais en vain mon père au creux des forêts de séquoias ou sur le pic des montagnes enneigées. On disait de Robert Grant qu’il grandissait et se développait rapidement, qu’il devenait un homme ; moi, je lisais au milieu des miettes de gâteaux ou de biscuits au gingembre et je restais désespérément l’enfant envieux qui n’avait pas de destin grandiose.
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La Saskatchewan a toujours flotté dans l’appartement de la rue Fabre, puis celui de la rue Cartier, gigantesque fantôme aux couleurs de blé mur et de ciel trop bleu. Quand maman nous racontait les plaines sans commencement ni fin, les couchers de soleil fous sur l’océan de blé, les feux de broussailles qui se propageaient à la vitesse d’un cheval au galop, les chevaux, justement, qu’elle avait tant aimés, avec un petit tremblement au fond de la voix et les yeux tournés vers la fenêtre pour nous cacher la nostalgie qui les embuait, j’aurais voulu prendre le train, le long train qui prenait cinq jours pour traverser tout le Canada, l’amener au milieu d’un champ sans limite bercé par le vent du sud et le cri des engoulevents et lui dire : « Respire, regarde, touche, mange tout le paysage, c’est mon cadeau. »
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-Me dis pas que c'est à quoi je pense?
-Ben si, on y pense tout le temps, nous autres.
Elle voulait parler d'une maladie wagnériene.
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La jalousie, cet incessant doute que rien ne peut dompter, cette maladie honteuse exacerbée par l'imagination, alimentée par rien et par tout, la rongeait, grignotait son coeur à petits coups de dents, un animal cruel aux yeux jaunes et aux dents acérées (...)
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On aurait dit qu'ils savouraient leur malheur, comme un bonbon amer.
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Et si ça, l'enfer, était ridicule, pourquoi pas le reste, le ciel avec ses anges qui jouent de la harpe sans jamais se fatiguer, saint Pierre et sa Porte du ciel qu'elle a toujours imaginée en clôture de fer forgé, comme celles qui ferment les propriétés des millionnaires, le trône de Dieu, les âmes pâmées dont le bonheur ne connaît pas de repos... Le bonheur ne dure jamais si longtemps et les malheurs on les vit ici, sur terre, on n'a pas besoin de l'enfer pour les perpétuer.
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La duchesse avait aussitôt baptisée la Vaillancourt « le fond du cor au son des bois » et la Rolande Saint-Germain « la grande tambourine ». À la question de la Vaillancourt qui voulait savoir le nom qu'elle se donnerait à elle-même, la duchesse avait répondu du tac au tac et comme si elle énonçait une évidence : « La clavière bien tempérée, bien sûr! »
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Les animaux, y se marisent-tu? Pas comme nous autres, là, je le sais, mais... y fondent-tu une famille, comme nous autres? Ça doit, même si le père de Bambi on le voit pas ben ben souvent. Je sais pas si la mère de Bambi se plaint, comme madame Lafortune, à côté de chez-nous, parce qu'à' voit jamais son mari... Mais ma mère m'a dit de pas parler de ces affaires-là, que ça nous regarde pas.
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C'est du Michel Tremblay et dans ce sujet j'ai grandement préféré En sourdine De David Lodge.
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(...) enfin tout ce qui encombre un de ces appartements qu'on a baptisé "batchelors" parce qu'on n'a pas eu l'honnêteté de les appeler franchement "one-room-expensive-dumps"
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Violette s'était remise à l'ouvrage depuis quelques minutes, une maille à l'envers, une maille à l'endroit, laine verte, laine bleue, ou jaune, ou rose, petit coup d'oeil dans la rue entre deux pattes et une gorgée de thé refroidi, mais quelque chose était changé dans son comportement, ses mains étaient moins agiles, son coup d'aiguille moins sûr et, surtout, les pattes qu'elle tricotait étaient vraiment trop petites, ridicules boules de laine sans formes précises qui n'auraient pu chausser aucun enfant, aussi malingre fût-il. Florence voyait tout ça et ne disait rien. Il fallait attendre au soir, à l'heure du coucher, dans le noir le plus complet, avec pour seul témoin l'oeil crevé de la lune, pour parler... Là seulement elle pourrait s'asseoir à côté du lit de sa fille et raconter. Tout dire. Expliquer ? Non. Raconter. La famille de Victoire. Les générations, les vagues d'individus, de clans, de parents, les mariages d'amour consanguins prolifiques, les mariages de raison stériles, les branches nouvelles, celles, mortes, qu'on n'avait pas besoin de couper parce qu'elles tombaient de l''arbre toutes seules, l'arrière-arrière-grand père de Victoire, Thomas-le-Fun, qui s'était battu contre les Américains et y avait gagné une jambe de bois sur laquelle il avait gravé ces mots : "Sacrifiée à Saint-Denis", son fils Gaby-Gaby, qui n'avait jamais arrêté de grandir et qui en était mort, les os disjoints, éclatés, sa fille Nénette, qui avait eu vingt-sept enfants en vingt-sept ans et qui était morte en mettant sa dernière fille au monde, la grand-mère de Victoire, et en maudissant son homme, son sort, son curé, son corps et le rôle de servante génitrice réservé aux femmes (...). Elle raconterait le passé pour endormir Violette, mais garderait l'avenir pour elle. A quoi bon tout dire ?Tricoter au fur et à mesure, guetter, ne pas interpréter, se réjouir ou geindre avec Victoire, avec Gabriel, Albertine, Edouard, et plus tard, beaucoup plus tard, tout recréer avec ce fils-fille de la grosse femme, souffrir avec lui et se réfugier dans les sons, les images, revivre le passé de sa famille par peur de la voir s'éteindre dans l'indifférence générale, tout cela était leur lot, à Florence, à Rose, à Violette, à Mauve, mais prédire, non. Pourtant Florence savait ce qui allait venir, ou presque, mais elle se refusait à le consulter. Attendre. Regarder. Tricoter.
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Momaaan...
_ Toi, quand tu me parles comme ça, c'est parce que tu veux avoir quequ'chose...
_ C'est juste une question que je veux te poser...
_ La réponse a besoin d'être courte parce qu'y faut que je prépare la pâte pour les pâtés à'viande.
_ C'est au sujet de la crèche.
_ Qu'est-ce qu'elle a, la crèche, tu la trouves pas belle, ma crèche ?
_ Ah oui, est ben belle ! Tout le monde le dit...C'est pas ça...
_ C'est quoi, d'abord ?
_ C'est quoi une crèche ?
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Elle tourne à gauche au coin de Montcalm et Sainte-Catherine. L’odeur du crottin de cheval et des déchets pas encore ramassés lui monte aussitôt au nez et elle sort son mouchoir de sa poche. Il y a des matins, comme ça, où c’est vraiment intolérable. Montréal n’est pourtant pas une si grosse ville. Qu’est-ce que ça doit être à New York, à Paris, où, du moins on le prétend dans les journaux et la tante Titine me le confirme au sujet de certains quartiers pauvres de Londres, les excréments d’animaux sont empilés aux coins des rues pour être ensuite vendus à des fermiers qui vont s’en servir comme fertilisant ! À moins que ce ne soient là que des légendes destinées à faire taire les enfants qui trouvent que ça pue dans la rue. Pour leur faire comprendre que c’est pire ailleurs. Elle se demande d’ailleurs souvent comment il se fait que le crottin sente si bon à la campagne et si mauvais en ville… En Saskatchewan, jamais elle ne se serait plainte de cette odeur qui parfumait les chemins, alors qu’ici elle la trouve insupportable. Peut-être qu’en ville les chevaux ne mangent pas la même chose ou ne digèrent pas de la même façon. Les oiseaux ne semblent pourtant pas s’en formaliser et picorent avec énergie et délectation les pommes de route, comme à Maria, à la recherche de graines pas digérées qu’ils s’arrachent à coups de becs furieux et avalent en pépiant de bonheur.
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Mes expériences sexuelles avaient été peu concluantes parce que je me retenais trop. J’avais toujours repoussé la théorie de certaines de mes amies d’enfance qui voulait que les gens au physique particulier, à l’apparence extrême, pouvaient connaître une vie sexuelle exceptionnelle pour la simple raison qu’ils étaient différents, que ce qu’ils avaient à offrir était rare, et le temps avait passé sans que je connaisse le grand frisson. Je refusais de jouer là-dessus.
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De toute façon, qu’est-ce qu’un homme de sa grandeur pouvait bien vouloir faire avec une naine comme moi ? À part vivre une aventure dont il pourrait ensuite se vanter auprès de ses chums. Je ne voulais surtout pas devenir le sujet d’un pétage de bretelles, la victime d’une goujaterie entre mâles à la testosterone déréglée !
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Nos expériences de vie étaient donc on ne peut plus différentes, mais quelque chose cliquait entre nous, une sympathie inexplicable s’était installée autour de cette petite cérémonie du repas du soir, peut-être parce que je riais volontiers de leurs plaisanteries, que je laissais passer leurs farces graveleuses sans les engueuler comme l’aurait fait une matante prude et que je comprenais l’excitation qu’ils ressentaient à l’idée de monter sur une scène pour proclamer ce qu’ils avaient à dire, eux, plutôt que d’interpréter des choses pensées par d’autres.
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Mon cahier rouge terminé depuis un bout de temps, l’écriture m’intéressait moins parce que rien d’excitant ne s’était produit dans ma vie depuis la fermeture du Boudoir et que je n’étais pas encore prête à m’attaquer à la fiction. J’avais ensuite essayé le cinéma, le théâtre, que j’aimais beaucoup mais que je ne pouvais tout de même pas fréquenter chaque soir, j’étais même allée, moi qui déteste ça, jusqu’à me rendre à une partie de hockey au Forum.
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C’était son cahier, il l’attendait, elle l’a tout de suite su, et elle le caresse maintenant, avant de l’ouvrir, parce qu’elle a compris en petit déjeunant, il y a quelques minutes à peine, qu’il était temps qu’elle commence à écrire sa troisième confession. Celle de l’amour, de ses vicissitudes, de ses étonnements, de ses doutes. Surtout de ses doutes.
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De toute façon, les vrais homosexuels ont la réputation d’avoir du goût et le spectacle que nous présentons n’est sans doute pas digne d’eux. Et s’ils payent pour baiser, c’est avec un vrai James Dean, pas une fausse Marilyn Monroe ! Il s’en présente bien un ou deux par soir, mais ils se rendent vite compte qu’ils sont en nette minorité et quittent le Boudoir après un drink vite avalé.
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On était là pour s’amuser, on s’est amusé, on ne recommencera plus parce que ce n’est pas notre tasse de thé, mais on est content de l’avoir vécu et, pourquoi pas, peut-être même qu’on s’en vantera pour étonner les copains, pour en boucher un coin à ceux qui s’aviseraient de nous accuser de manquer de fantaisie ou d’ouverture d’esprit. Et on retournera dans son pays en donnant de Montréal une idée bien différente de celle que voulaient imposer les organisateurs de l’Exposition universelle.
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