Citations de Mikhaïl Boulgakov (524)
Comme l'adolescent démon, le maître volait sans quitter la lune des yeux, mais il lui souriait comme à quelqu'un qu'il aurait connu et aimé depuis longtemps, et il se marmonnait quelque chose, selon cette habitude qu'il avait prise dans la chambre n° 118.
À présent, il s'était assagi, et il volait sans bruit, offrant son jeune visage aux vagues de la lune.
Lorsqu'une lune pourpre et pleine roula à leur rencontre derrière les lointains d'une forêt, tous les mensonges disparurent, les habits fluctuants de la sorcellerie tombèrent dans les marais, se noyèrent dans le brouillard
La nuit commençait à couvrir de son voile noir les forêts et les champs, la nuit allumait de petites flammèches tristes loin, quelque part, en bas, des flammèches inutiles et sans intérêt tant pour Marguerite que pour le maître, étrangères. La nuit dépassait la cavalcade, essaimait au-dessus d'elle et jetait çà et là dans un ciel attristé les frêles taches blanches des étoiles.
Dieux, o mes dieux! Comme elle est triste, la terre du soir! Comme ils sont mystérieux, les brouillards des marais. Celui qui a erré dans ces brouillards, qui a beaucoup souffert avant de mourir, qui a volé au-dessus de la terre, portant un poids insupportable, il ne le sait que trop. Il le sait, l'homme qui est épuisé. C'est sans regret qu'il quitte les brouillards de la terre, ses petits marécages et ses rivières, et qu'il se livre, le cœur léger, dans les bras de la mort, sachant qu'elle est la seule qui...
Même les chevaux noirs magiques étaient fatigués, por taient leurs cavaliers d'un pas lent, et la nuit inexorable les rattrapait.
L’orage grondait toujours plus fort, et, visiblement, il lui avait boulversé toute l’âme
La couche était dans la pénombre, cachée de la lune par les colonnes mais un long ruban de lune s'étendait des marches du perron jusqu'au lit. Et sitôt que le procurateur eut perdu le lien avec ce qui l'entourait dans la réalité, il s'avança le long de ce chemin de lumière et, le suivant, il se mit à monter vers la lune. Dormant, il éclata d'un rire de bonheur que tout se soit arrangé d'une façon si belle et si unique sur ce chemin translucide et bleu ciel.
Marguerite pencha la brosse de son balai vers l'avant, de sorte que le bout de son manche se releva et, ralentissant son allure à l'extrême, elle descendit vers la terre. Et c'est cette glissade, comme d'une luge aérienne, qui lui procura le plus de plaisir. La terre s'avança à sa rencontre, et, au lieu de cette masse noire et informe qu'elle avait été, elle lui offrit les mystères et les charmes de ses nuits de lune. La terre avançait vers elle, et Marguerite vola juste au-dessus des brumes d'un pré couvert de rosée, puis au-dessus d'un étang. Sous les pieds de Marguerite chantait un choeur de grenouilles, et, loin, quelque part, la bouleversant au plus profond, allez savoir pourquoi, roulait le bruit d'un train. Marguerite eut tôt fait de l'apercevoir.
le ronronnement régulier de la voiture, qui volait très haut, berçait Marguerite, et la lumière de la lune la réchauffait agréablement. fermant les yeux, elle offrit son visage au vent et pensa avec quelque tristesse à la rivière inconnue qu'elle venait de quitter et qu'elle ne reverrait sans doute jamais. après toutes les sorcelleries et les prodiges de cette soirée, elle avait deviné chez qui on la conduisait, mais cela ne lui faisait pas peur. l'espoir qu'elle avait d'y retrouver son bonheur la rendait intrépide.
La ville qu’il haïssait était morte et il était seul à se tenir là, brûlé par un soleil à son zénith, le visage appuyé contre le ciel
Il attendit une certain temps, sachant qu’aucune force au monde ne pouvait faire taire une foule tant qu’elle aurait pas exhalé tout ce qui s’était accumulé en elle et ne se tairait pas d’elle-même
Quel différence entre les Kiéviens et les Moscovites ! Ces derniers ont les dents longues, ils sont énergiques, ils ont des ailes, pressés, américanisés. Les premiers, eux, sont calmes, lents et sans une once d'américanisation. Mais ils aiment les gens qui sont trempés à l'américaine. (p. 61)
Instruits par leur expérience, les Kiéviens, en voyant les gros canons et le passepoil framboise, déclarèrent avec assurance :
- Les bolchéviks seront là bientôt.
Et tout se passa comme prédit. Au milieu du deuxième mois, sous un ciel sans le moindre nuage, la cavalerie soviétique envahit grossièrement et boudionnement [sic] un coin où elle n'avait rien à faire, et les Polonais abandonnèrent pour quelques heures la ville enchantée. Il convient de faire ici une disgression. Tous ceux qui étaient venus en visite à Kiev en étaient repartis à l'amiable, se limitant à des tirs d'artillerie sans grande conséquence du haut des positions sanctifiées. Nos cousins européanisés, en revanche, crurent bon de faire étalage de leurs procédés explosifs et ils firent sauter trois ponts... (p. 56)
Lorsque la foudre (car la patience céleste a des limites) aura exterminé les écrivains contemporains, et que paraitra dans cinquante ans un nouveau Léon Tolstoï, il écrira un livre admirable sur les grands combats de Kiev. Et alors le monument aux années 1917-1920 fera la fortune des producteurs de films.
Pour l'instant, on peut dire ceci : les habitants de Kiev ont compté dix-huit renversements de situation. Certains mémorialistes des tranchées en ont dénombré douze. Je puis affirmer qu'il y en a eu quatorze, dont douze que j'ai vécu personnellement. Les seuls qu'on n'ait pas vus à Kiev, ce sont les Grecs. (p. 55)
- Ils seront idiots ceux qui achèteront cette pièce.
- C'est nous qui serons idiots si nous ne vendons pas cette pièce.
Nous l'avons écrite en sept jours, en y consacrant donc une demi-journée de plus qu'à la création du monde. Néanmoins, le résultat fut encore plus piètre que le monde. (p. 9)
Ô dieux, dieux ! comme la terre est triste, le soir ! Que de mystères, dans les brouillards qui flottent sur les marais ! Celui qui a erré dans ces brouillards, celui qui a beaucoup souffert avant de mourir, celui qui a volé au-dessus de cette terre en portant un fardeau trop lourd, celui-là sait ! Celui-là sait, qui est fatigué. Et c’est sans regret, alors, qu’il quitte les brumes de cette terre, ses rivières et ses étangs, qu’il s’abandonne d’un cœur léger entre les mains de la mort, sachant qu’elle – et elle seule – lui apportera la paix.
Tout passe : les souffrances, le sang, la faim, les épidémies. L'épée disparaîtra, mais les étoiles, elles, subsisteront bien après que l'ombre de nos corps et de nos actes aura disparu de la surface de la terre. Il n'est personne qui ne le sache point. Alors, pourquoi ne voulons-nous donc pas lever les yeux vers elles ? Pourquoi ?
Il faut reconnaître que, parmi les intellectuels, on rencontre parfois, à titre exceptionnel, des gens intelligents.
Grande - grande et terrible - fut cette année-là, mil neuf cent dix-huitième de la naissance du Christ, et seconde depuis le début de la révolution.
- On va aller au cirque, c'est ce qu'il y a de mieux.
- Tous les jours au cirque ! Cela me paraît un peu ennuyeux, remarqua Philippe Philippovitch avec bénignité. A votre place, j'irais au théâtre, ne fût-ce qu'une fois.
- Je n'irai pas au théâtre, déclara Boubolov d'un ton désagréable en faisant un signe de croix sur sa bouche.
- Hoqueter à table coupe l'appétit aux autres, l'informa machinalement Bormenthal. Au reste, excusez-moi : pourquoi n'aimez-vous pas le théâtre?
Bouboulov regarda son petit verre vide comme dans une longue-vue, réfléchit, et fit la moue.
- Rien que des idioties... Ils parlent, ils parlent. C'est de la contre-révolution, pas autre chose.