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Critiques de Négar Djavadi (363)
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Désorientale

Orienter : du latin orient, qui signifie surgir, se lever. Désorientale, avec le jeu que le mot laisse entendre, laisse perplexe. Il contient tant de renoncements pour un récit tonitruant, à l’opposé d’un résignation. Alors, est-ce le fait d’avoir été soulagée de tourner le dos à l’est qui l’a vu naître, et qui porte dans un fardeau de traces mnésiques tout un passé à la fois rêvé et fui. Est-ce l’évocation du tourbillon que fut cette enfance tumultueuse, remuante, bariolée au cour d’une famille ancrée cependant dans une saga familiale consolidée par les légendes qu’elle s’est créées?

Est-ce une allusion au regard de l’opinion engoncée dans la tradition bien-pensante sur une orientation qui dicte le choix de partenaires de vie?



C’est sans doute tout cela. Et bien plus.

Certes, il faut s’accrocher et il est dommage de ne découvrir le lexique des personnages qu’à la fin (un petit mot de l’éditeur n’aurait pas été superflu).



Désorienté, donc, le lecteur dans les premiers chapitres du roman, perdu entre les générations et leurs cohortes de fratries fourmillantes. Au point de confondre les oncles avec les grands-pères, sans parler des enfants adultérins.



Lorsque l’histoire se recentre sur le noyau familial de la dernière génération, les ancêtres se font souvenirs et transmissions, et le lecteur pourrait s’apaiser s’il n’était régulièrement sorti de l’ambiance conflictuelle qui était celle de l’Iran à la fin des années de règne du Shah, pour se retrouver dans la salle d’attente terne d’un service de procréation médicalement assistée! Et c’est finalement cette temporalité qui crée le suspens : l’histoire, de l’Iran, l’auteur nous la rappelle, mais l’histoire de son héroïne, c’est par petites touches qu’elle la construit peu à peu.



Autant dire que la lecture laisse peu de répit. C’est éclectique, ça part dans tous les sens mais c’est au final sacrément bien pensé et construit.



Exil, identité, guerre, famille, deuil, destin, les mots clés abondent, pour construite un puzzle chamarré, complexe et envoutant.


Lien : http://kittylamouette.blogsp..
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Désorientale

Si vous voulez vous amuser en lisant un livre sur l'Iran. Si vous désirez être enchanté et ému par un récit entre Orient et Occident, plein de fantaisie et de vie, il faut absolument lire Désorientale.



L'histoire fabuleuse des trois dernières générations de Sadr, une famille de bourgeois intellectuels persans, dont certains se sont opposés au Shâh et à Khomeiny, contée par Kimiâ Sadr, une jeune femme exilée en France qui tente de surmonter le déracinement et s'occidentalise à sa manière, avec humour, liberté et intelligence.



Un premier roman aux accents autobiographiques, brillant et insolent, qui parle de l’identité et des réalités de l’exil, et n'est pas sans rappeler le remarquable Persépolis de Marjane Satrapi.
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La dernière place

°°° Rentrée littéraire 2023 # 22 °°°



La dernière place, c'est celle qu'a prise, en dernière minute, repoussant son départ initial, la cousine de l'autrice, Niloufar Sadr, sur le vol PS752 Téhéran – Kiev qui s'est écrasé six minutes après son décollage, le 8 janvier 2020. 176 passagers étaient à bord, aucun survivant. Le tir de missile était iranien, la question lancinante de l'acte délibéré reste toujours en suspens.



A partir de ces faits irréfutables, Négar Djavadi propose une plongée lucide et saisissante dans la dictature iranienne, retraçant méticuleusement les événements. A commencer par le contexte de grande tension entre l'Iran et les Etats-Unis, les Etats-Unis de Trump ayant fait assassiné cinq jours plus tôt le général Qassem Souleimani ( numéro 3 du régime, commandant du Corps des Gardiens de la révolution islamique ) et les risques de représailles et donc d'escalade sont réels. Puis les mensonges du gouvernement pour tenter de dissimuler la responsabilité iranienne.



« C'est aussi là que naît l'écriture. Dans le désir de déceler la faille tapie sous l'opacité des mensonges. Essayer d'attraper le fil qui mène à cet instant qui dérange, où la décision est prise, où le crime s'est noué. »



Surtout, elle décortique les mécanismes de la colère du peuple qui explose à travers le cri « Khodeshoun kardan » ( Ils l'ont fait eux-mêmes ! ), mantra d'une société à la fois épuisée et éruptive qui sait que le gouvernement iranien est capable de toutes les supercheries, toutes les déformations, toutes les violences et toutes les manipulations, « une phrase qui finit toujours par s'avérer vraie ».



L'autrice analyse ainsi les manifestations qui éclatent dans les jours qui suivent le crash avec celles de novembre 2019 ( contre l’augmentation du prix des carburants ) et bien évidemment celles liées à la mort de Mahsa Amini depuis septembre 2022, comme si l'incendie de la contestation du régime ne s'était jamais éteint et repartait de plus belle à la moindre étincelle. C'est le traumatisme des révoltes écrasées précédemment, des crises qui se sont empilées, du désespoir grandissant d'un peuple réprimée qui s'exprime.



Mais le texte n'est pas qu'une analyse géopolitique, politique et sociétale. Négar Djavadi mêle brillamment deuil personnel et deuil collectif de tout le peuple iranien.



«  Les livres sont comme des cimetières où on rend visite aux morts ».



Elle redonne vie à l'individu, contrôlé, étouffé sous une dictature, ici sa cousine Niloufar dont on découvre le nom, le passé, les opinions, le ressenti. L'autrice évoque également la douleur de l'exilé, elle qui est arrivée en France en 1990 à onze ans.



Derrière la pudeur et la sobriété affichée par l'autrice, l'émotion est en embuscade, encore plus forte lorsqu'on se rappelle la citation de Milan Kundera qui ouvre le livre : «  la lutte de l'homme contre le pouvoir est la lutte de la mémoire contre l'oubli. » L'écrivaine est là pour protéger la mémoire collective niée par le régime iranien qui cherche autoritairement à imposer un récit officiel réécrivant l'Histoire. Avec son livre où l'intimité devient collective, Négar Djavadi extrait la vérité et la remonte puissamment à la surface. Pour toujours.



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Arène

En suivant les pas de Benjamin Grossman, responsable de la branche France de BeCurrent, concurrent de Netflix, j’ai été aspiré dans l’Arène. Cette Arène, c’est Paris où tout se joue, où toutes les tensions, les frustrations, les injustices vont aller jusqu’à l’explosion, causant beaucoup de dégâts.

Négar Djavadi, déjà bien appréciée dans Désorientale, rencontrée aux Correspondances de Manosque 2020, s’est lancée dans une fresque impressionnante, passionnante de bout en bout, avec la bagatelle de cent quarante-huit personnages ayant chacun son histoire, le tout en neuf grandes parties, plus des mouvements musicaux. C’est bien construit et cela m’a tenu en haleine jusqu’au bout, un peu comme dans un polar.

Dans ces quartiers de Paris, Xe, XIe, XIXe, XXe arrondissements, se concentrent 70 % de cités, 43 % de foyers non imposables, 25 % de la population sous le seuil de pauvreté. Aucune communauté n’est épargnée : Blancs, Noirs, Juifs, Arabes, Chinois, Indiens, Sri-Lankais, Caribéens, tous ont leur misère à gérer. Alors, lorsque des bandes de gosses de 16-17 ans commencent à régler leurs comptes sur fond d’un trafic de drogue exponentiel, cela ne peut qu’aboutir au pire.

Négar Djavadi dresse le tableau de ces existences prises dans un tourbillon urbain démentiel. La vie est déjà difficile mais cela ne serait pas si terrible si quelques individus ne se chargeaient pas d’exciter ces jeunes, de faire monter la haine, d’attiser les ressentiments sur fond de racisme, d’islamophobie, espérant tirer les marrons du feu.

Pour cela, il y a les fameux réseaux dits sociaux qui permettent de diffuser n’importe quoi, de bidouiller des vérités bien trafiquées afin d’entraîner les crédulités vers la haine et la violence qui en découle. Avec ça, les chaînes d’info continue se chargent de rameuter ceux qui ne sont pas encore touchés, invitant sur leurs plateaux de sinistres agitateurs tentant de se faire passer pour des spécialistes.

Dans son travail, Benjamin Grossman se charge de faire tourner des séries qui cartonnent et continuent un peu plus chaque jour de ronger les cerveaux. Lui qui est originaire de ces quartiers faisant bien partie pourtant de la Ville-lumière, se rend chez Cathie, sa mère, qui vit seule et dont le travail consiste à restaurer de vieux films aux pellicules abîmées.

D’ailleurs, les références au cinéma sont nombreuses comme les noms de médicaments, de drogues permettant à ces fameux décideurs de s’afficher toujours au meilleur de leur forme…

Au fil de ma lecture, j’ai rencontré la misère des réfugiés qui dorment sur les trottoirs, sont délogés sans ménagement par la police, cette fameuse police qui va se trouver au cœur d’une polémique savamment orchestrée pour que tout dégénère.

Au passage, j’ai bien apprécié les précisions historiques sur Paris comme sur le fameux Gibet de Montfaucon, le tournage du film d’Orson Welles (Le Procès) ou pour savoir qui était le Colonel Fabien. De temps à autre, l’autrice égratigne l’équipe municipale actuelle, lui reproche de ne pas se rendre dans ces quartiers. Comme les élections approchent, on fait un bout de chemin avec une candidate qui rêve d’être maire. En pleine campagne électorale, elle tente d’exploiter le drame qui est le nœud de l’histoire.

Dans ces quartiers Est de Paris, autour des stations Belleville, Ménilmontant, Jaurès, c’est la terre promise des damnés de la Terre, le cœur raté du cosmopolitisme comme l’autrice le démontre bien. C’est là qu’une vidéo devenue virale déclenche un cataclysme, brise la vie d’une jeune flic pourtant respectueuse et tentant d’être humaine dans l’exercice difficile de son métier.

J’ai plongé dans l’Arène de Négar Djavadi et j’ai été aspiré jusqu’au bout, captivé par le sort de chacun des protagonistes mais horrifié par ce que deviennent nos villes où la pandémie décuple encore les difficultés quotidiennes de celles et de ceux qui tentent d’y vivre.


Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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Désorientale

Désorientale n'est pas seulement un mot inventé. C'est un roman assez exceptionnel doté d'une structure inédite. La colonne vertébrale s'enroule sur elle-même puis s'étend à nouveau d'une façon tantôt vive tantôt langoureuse entrainant des dizaines et des dizaines de ramifications, de viscères avec au centre un coeur qui bat. Un coeur qui cogne la douleur de l'exil, celle de l'injustice mais qui chante aussi au rythme fou des amours répétés tant de fois et tant de fois rassasiés du bonheur d'exister.



C'est l'histoire d'une famille iranienne contée par Kimiâ Sadr le personnage principal. Une fresque extrêmement vivante de la famille Sadr, bourgeois intellectuels, sur quatre générations. L'arrière-grand-père est à la tête d'un harem de cinquante-deux femmes et a vingt-huit enfants. Bien sûr, seuls les acteurs principaux entreront en scène.



« Avec le temps et la distance ce n'est plus leur monde qui coule en moi, dit Kimiâ, ni leur langue, ni leurs traditions, ni leurs croyances, ni leurs peurs, mais leurs histoires…. Alors elle raconte ses impressions, ses sensations, ses émotions. Elle raconte l'évasion, la révolution, les risques, les armes, les mots en trop. Elle raconte le quotidien, les trahisons, les jours heureux et les galères.



L'auteur, Négar Djavadi, iranienne elle aussi, ne se prive pas. Elle nous conte des histoires et nous la suivons. Née en 1969 elle a grandi à Téhéran comme Kimiâ. Comme elle ses parents, des intellectuels, ont fait partie des opposants au régime du Chah puis de l'ayatollah Khomeiny. A l'âge de 11 ans elle a fui l'Iran et la révolution islamique avec sa mère et ses deux soeurs en traversant à cheval les montagnes du Kurdistan. Elle a vécu à Bruxelles et à Paris. La comparaison avec l'histoire du livre s'arrête là, Négar Djavadi, confie avoir eu une vie plus calme que celle de son héroïne Kimiâ.



Mais un auteur laisse toujours dans ses romans un part de lui. Et c'est justement son expérience qui lui a permis de bâtir, à partir de l'Histoire de son pays, un roman où les personnages, taillés sur mesure, ont de tels accents de vérité.



De nombreuses critiques ont été faites sur ce livre. Alors je laisse le soin à l'auteur de vous dire quelques mots de son ouvrage.

J'ai pris des notes lors d'une conversation audio quelle a accordé à un journaliste.



« Je suis iranienne, mais je me sens maintenant plus française qu'iranienne. Je me sens même apatride………….

Le monde s'ouvre malgré la douleur de l'exil. Je m'inscris plutôt comme citoyen du monde. On subit l'exil. C'est une injustice incroyable………Il faut trouver un chemin plus lumineux pour avancer......



L'écriture de ce livre m'a obligée à me poser, à revenir en arrière......



La mémoire est parcellaire, éclatée comme un puzzle…… J'ai voulu emmener le lecteur dans tout un univers et partager l'oralité de la culture iranienne, la complexité de son histoire, ses personnages.......



C'est en 1953, lors de l'opération AJAX menée par le Royaume-Uni et les Etats-Unis et visant à renverser le premier ministre Mohammad Mossadegh que la véritable révolution iranienne a commencé……….



Dans cette saga familiale les personnages sont très vivants……… Des personnages jaillissent alors qu'on les avait oubliés. Il y a des digressions comme dans les contes persans avec des personnages hauts en couleur. Puis il y a l'introspection plus intimiste dans la salle d'attente de l'hôpital Cochin.



J'avais envie de parler de la différence. L'homosexualité. La monoparentalité. La différence entre la culture française et la culture iranienne. On n'est pas que ça. Derrière tout ça il y a des histoires, des bonheurs, des malheurs……….

Et en Iran il y a les yeux bleus qui donnent un statut à part. On les admire. »



Désorientale c'est ce chemin sur lequel parfois on se tord un peu les pieds, on se trompe de route de temps en temps mais où on entend si bien les conversations, parfois quelques cris de douleur et souvent, très souvent le chant de l'espoir.



J'enlève la moitié d'une étoile. Pourquoi me direz-vous? Et bien le temps de quelques pages je me suis endormie sur le bord du chemin. Je ne vous dirais pas où, cela n'est pas très important et tellement passager! tellement personnel...



Je reviens d'un voyage magnifiquement orchestré, d'une manière un peu désordonnée, volontairement désordonnée comme les souvenirs qui surgissent comme bon leur semblent, un voyage très enjoué, très musical, un voyage tellement oriental..





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Désorientale

Comme l'a si bien dit quelqu'un quelque part, je ne sais plus qui ni où, les primo romanciers ont parfois tendance à vouloir trop en faire, à chercher à tout mettre dans leur premier livre. Ça me semble être le cas de ce "Désorientale" si bien nommé, où l'on passe sans transition ou presque de la grande histoire à la petite, de la révolution d'Iran au combat d'une narratrice en pause dans les couloirs d'une procréation assistée, de son histoire familiale, la découverte de sa sexualité ou son exil occidental. Sans parler de l'EVENEMENT. Comme si l'auteure était pressée de tout raconter : « Au fur et à mesure, la chair des événements se décompose et ne demeure que le squelette des impressions autour duquel broder. Viendra un jour où même les impressions ne seront plus qu'un souvenir. Il ne restera alors plus rien à raconter ».

Et pourtant.

Pourtant le joyeux foutoir m'a paru malgré tout habile.

Pourtant le récit foisonnant m'a embarqué sans me perdre.

Pourtant la supposée maladresse m'a semblé irradier un charme indicible.

Pourtant le récit aux contours flous - saga familiale, roman de l'exil ou autobiographie -, m'a paru prendre une forme magistrale, grâce à la musique intime de l'écriture, au travers de lignes au ton nostalgique et envoûtant.

Une sorte de Persépolis remixé dans un fourre-tout aux mille et une inventions, tour à tour dramatique et drôle, empreint d'une saveur orientale miraculeuse.
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Désorientale

La Perse , Hafez de Chiraz, Ispahan..La Perse est en chacun de nous. Nous avons tous en nous le goût familier des parfums de l'Orient. Notre grand « imaginier »... Lumière, poésie, jardin, vins et merveilles, douceurs et miels.

C'est le pays des mille et une nuits. Passez la grande porte et vous voilà embarqués

le pays où la parole est capable de vous sauver, même si un seul mot est capable de vous tuer.

C'est la rivière qui sauve ou le silence de la pierre qui vous tue.

C'est un chant sur le fil d'un sabre.

Alors...« raconter , conter, fabuler, mentir dans une société où tout est embûche et corruption, où le simple fait de sortir acheter une plaquette de beurre peut virer au cauchemar, c'est rester vivant. C'est déjouer la peur. Prendre la consolation où elle se trouve, dans la rencontre, la reconnaissance, dans le frottement de son existence contre celle de l'autre.C'est aussi l'amadouer, le désarmer, l'empêcher de nuire.Tandis que le silence, eh bien, c'est fermer les yeux, se coucher dans a tombe et baisser le couvercle ».

Et Négar Djavadi a su « belle et bien » donner vie à Kimiâ. Elle a su lui donner la rapidité et la force de l'esprit. L'intelligence de l'âme qui se reflète toujours sur les éclats de nos coeurs. C'est comme cela que l'on garde la lumière.

Kimiâ l'enfant différente, celle qui voit le jour lorsque Nour entre dans la Nuit. « Désorientale » c'est une galerie extraordinaire de portraits. Les grands mères, la mère , les soeurs, le père, les oncles. « Désorientale » c'est une vision plus nette sur une partie de l'histoire du moyen orient, mais également celle de la France, tant nos histoires sont liées.

Nos silences ont été liés, bien trop souvent, et le sont encore , si souvent,…. il est temps que certaines paroles soient déliées.

Ce n'est pas sans une certaine émotion qu'à la lecture de « Désorientale » j'ai pensé à ce cher libraire parisien, amoureux de littérature, des livres, de l'esprit des mots, qui fut jadis un jeune homme étudiant torturé par un régime totalitaire, et qui a dans les yeux toute la douceur de ceux qui sont restés vivants. Autrement peut être, mais vivant.

« Je suis devenue, comme sans doute tous ceux qui ont quitté leur pays, une autre.Un être qui s'est traduit dans d'autres codes culturels. D'abord pour survivre, puis pour dépasser la survie et se forger un avenir. Et comme il est généralement admis que quelque chose se perd dans la traduction, il n'est pas surprenant que nous ayons désappris, du moins partiellement, ce que nous étions, pour faire de la place à ce que nous sommes devenus »

« Désorientale » c'est également une parole posée sur l'exil. Ce qu'est l'exil.Ce qu'il peut être. Ce qu'il provoque, convoque, emporte. Nous pouvons tous nous retrouver dans cette parole. L'exil peut être corporel, spirituel, temporel. Quitter l'enfance est un exil, quitter le carcan social, familial est un exil. Question de survie. Voilà sans doute pourquoi ce livre éveille en beaucoup d'entre nous ce grand intérêt.

Désorientale c'est également une parole de liberté. Et c'est important que cette parole soit portée par Négar Djavadi. Femme, née en Iran, vivant à Paris, diplômée de l'INSAS de Bruxelles, issue d'une famille d'intellectuels opposants aux régimes de Shah ET de Khomeiny.

Liberté donc, liberté de penser, d'écrire, de parler, d'aimer, droit à la différence. Droit de vivre selon ses choix et non tenter de survivre misérablement sous leurs lois ; Opposition, révolte, indignation. Face à l'injustice des « castes », l'impérialisme de l'argent, la suprématie des dogmes et des clergés. Dire non, briser la fatalité, le destin, donner d'autre mot : espoir, confiance, possible, connaissance, savoir, vérité lendemain, égalité, beauté.

Prendre la seule arme possible : prendre son stylo et écrire.



Reprendre le stylo comme on reprend le flambeau.



« Darius je pense détestait son père pour lui-même. Parce qu'il incarnait l'aveuglement et la crainte, la ruine de ce bien précieux qu'est la pensée(…) toute sa vie, d'abord par ses lectures, puis par son engagement politique et son réveil révolutionnaire, il combattit des êtres comme lui,(…) dont l'action principale consiste à protéger leur pouvoir en maintenant les peuples dans une hiérarchie sociale sclérosée et l'ignorance absolue d'un autre monde possible. A plusieurs reprises, j'ai entendu dire que la religion, comme la tyrannie, asséchait la capacité d'analyse dans le but d'imposer un unique sentiment : la peur. « La peur est leur arme et la révolution consiste à la retourner contre eux « ».



Désorientale c'est un regard tendre et sans concession sur notre société. Toutes nos sociétés. Désorientées. Que nous croyons pourtant différentes mais qui se ressemblent tellement.

Ce genre humain qui tremble, qui aime, qui espère de la même manière. Que l'on égare, que l'on trompe. Et qui sert toujours la main de ses enfants dans ses mains, pour ne pas les perdre, ne pas se perdre, et qui écoute le moindre bruit qui vient du lointain.

Qui prend les mêmes bateaux, que l'on jette dans les mêmes trains, sur qui on referme les mêmes portes des camions, ce genre humain qui a la même faim, qui ressent le même froid, qui craint la même vague, qui rit et rêve de la même façon, qui frappent aux mêmes portes.

Et que 'on fait taire toujours pour les mêmes raisons. Pétrole, pognon, canon, or ou béton...à vous faire oublier toutes vos chansons.



Et l'écriture de Négar Djavadi sait rendre hommage à la sororité de nos humanités. oui qu'attendons nous ? « Et pendant que nous attendons, par nécessité, besoin, désir ou mimétisme, nous ne nous révoltons pas. La ruse consiste à détruire chez les individus leur énergie, leur capacité à réfléchir, à s'opposer. Les réduire à des objectifs instantanés, aussi fugaces qu'une jouissance. »



« Désorientale » parle également de nos failles. de nos places dans nos familles. de ces places qui définissent déjà quelles seront nos places dans la société . Elle parle de ce qu'est une famille, un couple. de nos silences, des non dits, de la difficulté d'être soi avant d'être comme les autres . Elle parle d'exil et d'exclusion, de tolérance plus que de renoncement, parle d'intégration et désintégration. Mais tout cela avec la langue de l'espoir, cette terre maternelle : cet espoir toujours en nous.

Cela nous interroge également sur les mots d'identité, quelque soient nos identités, qu' elles soient culturelles, religieuses, sexuelles, sociales. Et c'est par le prisme du roman que la parole peut se dérouler avec sincérité, clairvoyance, sans manichéisme enfantin. C'est avec grande maturité sagesse et humanité que Kimiâ s'adresse à nous. Et c'est en cela que ce roman est extrêmement bien mené. Il faut quelque fois des boucliers pour pouvoir vaincre certaines gorgones. le roman est dans ce cas un très beau bouclier.



« Désorientale » parle de tous nos exils, de nos naissances, renaissances, de nos deuils, de nos défaites, de vos victoires aussi. « rien ne ressemble plus à l'exil que la naissance ». Alors souvenons nous. Rappelons nous que nous sommes tous naissants. Tous exilés, tous fugueurs. Nous revenons tous un jour devant la porte de nos maisons. Devant nos maisons intérieures celles que nous gardons en nous toujours quelque soit la tempête de nos saisons. Rappelons nous chacun de notre porte. Et ouvrons.

Rappelons nous qu'il faut une mémoire et qu'il faut la préserver. « Au fur et à mesure, la chair se décompose et ne demeure que le squelette des impressions autour duquel broder. Viendra sans doute un jour où même les impressions ne seront plus qu'un souvenir.Il ne restera alors plus rien à raconter » .



Nous avons tellement à nous dire. Il reste tellement à raconter.



Rappelons vers nous notre génie de survie. Cette lampe merveilleuse. Ce merveilleux "mécanisme de défense »



« Un chien aboie au loin et annonce la possibilité d'une vie ».



C'est cet instinct qui nous sauve, l'instinct qui nous fait crier Terre, en nous faisant toucher le ciel.



Fragilité, cruauté, trahison, barbarie, pot de fer contre peau de chair verse toujours le sang.

« le déracinement avait fait de nous non seulement des étrangers chez les autres, mais des étrangers les uns pour les autres;On croit communément que les grandes douleurs resserrent les liens. Ce n'est pas vrai de l'exil.La survie est une affaire personnelle »

Il en est ainsi de toute vie, comme de l'intelligence de toute oeuvre, de tout récit.

Premier roman de Négar Djavadi et c'est un très très bel événement.

Générosité, humanité, densité et bel architecture du récit, qualité d'écriture, justesse et beauté du dessin des personnages, tout est là , tout est présent dans ce livre, pour que demain tout cela soit mis en images. Souhaitons lui la Lumière !

Astrid Shriqui Garain

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Désorientale

Déracinée, désorientée, rêvant au fond de se "désorientaliser", Kimiâ, la narratrice, environ 35 ans, semble, aujourd'hui, avoir trouvé un sens à sa vie. Assise dans la salle d'attente d'un hôpital parisien, elle patiente, et laisse les souvenirs affluer. A l'image de sa vie mouvementée, ils reviennent dans le désordre, se bousculent au portillon de son esprit, se chamaillent à qui sera remémoré le premier. Et comme ils sont accompagnés d'une foule d'émotions, cela est d'autant plus compliqué à discipliner dans une narration linéaire. Kimiâ tente la manière rationnelle, chronologique, mais il suffit d'un rien, d'un mot pour déclencher une association d'idées, pour ouvrir un tiroir, et voilà le récit projeté 60 ans en arrière puis 25 ans en avant. Kimiâ est en France depuis l'âge de dix ans. D'origine iranienne, elle a fui son pays dans le sillage de ses parents, intellectuels bourgeois et opposants politiques au régime du Shah puis à celui de Khomeini. Mais évoquer son exil ne va pas sans évoquer son enfance en Iran, qui ne va pas sans évoquer le passé de sa famille sur trois générations, avant d'en revenir au déracinement. A l'espoir d'arriver dans un pays accueillant pétri de l'esprit des Lumières succède la déception de se heurter à l'incompréhension, l'indifférence, aux différences culturelles irréductibles. Alors vient le désir de tout oublier des horreurs vécues, de sa culture d'origine, de ne plus en parler et de tout cacher sous un tapis, histoire de s'occidentaliser, d'avoir enfin la paix et de se fondre dans la masse pour avancer avec elle, même sans savoir où, quitte à se détacher de sa famille, restée accrochée au passé.



"Désorientale" est un premier roman (fort autobiographique, j'imagine) qui veut dire beaucoup de choses en même temps (exil, dictature, résistance, machisme, identité, maternité, homosexualité, transmission, force et vulnérabilité, courage,…), ce qui comporte le risque d'en faire un brouhaha fourre-tout bavard et superficiel. Mais c'est loin d'être le cas ici. Certes la narration part dans tous les sens et on s'y perd un peu dans la généalogie, mais cela ne m'a pas dérangée. Au contraire, la construction est bien maîtrisée, greffant en discontinu l'histoire de la famille et du pays de la narratrice sur le fil rouge de sa vie actuelle. C'est même justement ce désordre apparent qui donne au roman ce ton si sincère et humain. Comme un bazar oriental, ce livre est extrêmement vivant, bariolé, intense et captivant.
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Arène

" Arene " , un livre qui ne se résume pas mais qui se lit et même plus , qui se vit . Un quartier de Paris mi - imaginaire , mi - réel, avec ses habitants pris dans une sorte de nasse dont on ne s'échappe que rarement et où l'on ne revient que si l'on a un motif impérieux, une visite de courtoisie , par exemple , à une mère abandonnée mais qu'on veut témoin de sa réussite . Et puis , c'est un quartier ...migrants , dealers , pickpockets....C'est comme ça que disparait un portable ...Poursuite , discussion vive et un ado au sweat qui se trouve le lendemain sur un cadavre qu'une policière très bien notée, touche maladroitement ou malheureusement du pied ....sous le regard de la caméra d'un autre téléphone...

La graine de la haine est semée...Tous aux abris ...enfin pour certains , ... les " ambitieux " , " en première ligne les plus frêles " , entre les deux les agitateurs , les provocateurs ....

C'est fort , très fort , inquiétant, très inquiétant car ce quartier , c'est le nôtre, celui dans lequel on vit ou on vivra , où que l'on soit , maintenant ou dans quelques temps . L'image d'une société qui n'a hélas, plus aucune solidarité, aucune empathie , aucune humanité.

Un roman à lire avec intérêt et , surtout , réflexion. Les personnages principaux , bien qu'ils occupent une place stratégique dans le roman , sont plutôt nocifs et se repaissent du chaos qui immanquablement, survivra un jour où l'autre . Que faire alors ? Ah , très bonne question .Chacun apportera sa réponse...

Un livre très bien écrit et " très visuel " avec , comme on dit au rugby , des " temps forts " ....Allez , entrez dans l'arène et dans la mêlée. Bienvenue , y'a du boulot mais , en " se retroussant les manches " peut - être que ....
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Désorientale

A l’image de ces récits orientaux chatoyants, l’histoire que nous conte Négar Djavadi nous replonge dans la Perse luxuriante des harems, peuplés de femmes volubiles et soumises à l’autorité de leur maître, mais aussi dans l’Iran des années 70 qui verra le déclin du Shah, la révolution de 1979 et l’avènement de Khomeiny.



C’est avec humour que l’auteure parsème son récit de notes de bas de page éclairant le lecteur sur l’histoire de son pays et lui éviter un recours à Wikipedia. Et c’est avec curiosité que nous découvrons, à travers le destin de la famille Sadr, l’histoire d’un pays, de ses traditions, de ses moeurs et leur évolution.



Kimiâ, dont les parents sont de grands activistes opposés au régime, découvrira la France à dix ans, ce pays tant convoité et sa réalité plus sombre qu’espérée, elle s’y sentira étrangère, sera en rupture avec sa famille et cherchera refuge auprès des laissés pour compte de la société. De Paris à Berlin en passant par Bruxelles, elle se noiera dans l’alcool et le rock’n’roll, deviendra ingénieur du son pour des groupes undergound et finira par tomber amoureuse...



Voici un livre sur l’identité, l’exil, la famille, mais aussi sur la politique d’un pays qui n’en finit pas de se révolter.

L’écriture est alerte, vivante et nous fait aller de la France d’aujourd’hui au souvenir de l’Iran.



L’amour pour le pays quitté est immense, les personnages sont colorés, la famille est omniprésente.



Beaucoup d’émotion, de sensibilité, une ode au pays natal et aussi beaucoup d’informations qui permettent de comprendre ce qui s’est passé lorsque les mollahs ont succédé à la monarchie.

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Désorientale

Pour son premier roman, l’écrivaine d’origine iranienne Négar Djavadi s’inspire de son vécu pour nous livrer une saga familiale sur plusieurs générations qui nous emmène de Téhéran à Paris.



« Désorientale » démarre en compagnie de Kimiâ Sadr dans la salle d’attente d’un service de procréation médicalement assistée. Alors qu’elle est en train de patienter, la narratrice laisse ses souvenirs affluer : son pays d’origine, son exil et sa famille…



« Désorientale » propose une fresque familiale sur trois générations, qui démarre en compagnie de l’arrière-grand-père aux cinquante-deux femmes et aux vingt-huit enfants, pour ensuite faire la connaissance de Nour, la grand-mère aux yeux bleus, puis de ses parents : Sara, la mère débordante d’amour et Darius, le père journaliste surveillé de très près par le régime…



« Désorientale » est un roman sur l’exil, sur le déracinement, sur la différence, sur la recherche d’identité, sur les origines et sur la transmission, qui permet d’une part de dresser le portrait de l’Iran du Shah, tout en offrant le regard d’une exilée sur notre société.



Mon esprit cartésien aurait probablement préféré une narration un peu plus linéaire, surtout qu’il faut déjà solidement s’accrocher pour ne pas tomber de l’arbre généalogique sur lequel la narratrice bondit d’une branche à l’autre, tout en multipliant les digressions. Je n’ai cependant jamais eu l’impression de véritablement perdre le fil rouge, parsemé d’émotions, de cet excellent récit.



Si vous avez aimé l’excellent « Persépolis » de Marjane Satrapi ou « Une métamorphose iranienne » de Mana Neyestani, ce roman ne devrait pas avoir trop de mal à vous séduire !
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Désorientale

"Je suis la petite-fille d'une femme née au harem".

Autant dire que cette histoire de clan iranien s'apparente parfois à un conte des mille et une nuits. Elle en a les excès, les fulgurances et la faconde.



Kimia raconte et se raconte intimement dans les pages d'un roman aux accents autobiographiques, dans sa mutation d'enfant orientale en occidentale. C'est un livre généreux, sans pathos en dépit des événements dramatiques, un récit d'apprentissage qui parle d'exil, de séparation et de déracinement.



Il y a tant à dire! La famille multiforme en grandeur et décadence, les turbulences du pays natal entre royauté et révolution, l'opposition politique, l'émigration, la difficile intégration dans le pays d'accueil.



Négar Djavadi est bien une conteuse. Son récit est oriental, vivant, bruyant, piqueté d'humour, d'ironie et de cocasseries. La narration est chamboulée de digressions, d'époques en personnages, sans jamais perdre le fil. La culture persane et les mentalités, entre tradition et modernisme, se dévoilent en une toile de fond exotique. C'est démonstratif, vibrant entre joie et tragique.



Un grand plaisir romanesque sur décor d'histoire de l'Iran.

De la belle ouvrage!
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La dernière place

C’est un coup de gueule, un cri de révolte qui anime les pages de ce récit personnel. Souvenez-vous, en janvier 2020, avant que ne déferle la pandémie qui a relégué le reste de l’actualité au rang d’anecdotes : de Téhéran un avion décolle avec 176 personnes à son bord. Quelques minutes plus tard, il s’écrase. Aucun survivant. C’est cet avion que Niloufar, la cousine de Negar Djavadi, avait pris pour retourner au Canada où elle vivait. Disparue, alors qu’elle devait partir trois jours plus tôt. Un coup du sort ? Certes, mais pas uniquement, puisque l’enquête prouvera que ce crash n’était pas un accident.



Au delà du chagrin, la révolte est immense.Cet accident est pour l’autrice le signal déclencheur d’un ras-le-bol, d’une prise de conscience et d’une volonté de rébellion qui a amené, avec la mort de Mahsa Amini, le peuple à descendre dans les rues au péril de leur vie.



Ce récit nous plonge dans l’histoire récente de l’Iran, de la dictature du shah à celle des mollahs, avec pour corollaire un peuple pris en otage, et une totale négation de la valeur d’une vie.



Negar Djavadi dit aussi l’amour qu’elle éprouve pour ce pays qui représente ses racines et son désespoir de le voir considéré comme un enjeu politique entre els grandes puissances avides de profit et l’aveuglement des fous qui le gouvernent.



C’est parfois un peu complexe, mais la langue reflète bien la rancoeur éprouvée vis à vis de ceux qui ont détruit l’harmonie d’une famille à présent dispersée à la surface du globe.



320 pages Stock 23 août 2023


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Désorientale

J'ai aimé et pas aimé ; pour un livre qui a reçu le Prix du Style, c'est le style que je n'ai pas apprécié ! Ce que je retiens de ce roman c'est son côté instructif. Je ne m'étendrai pas sur l'histoire, il y a déjà suffisamment de critiques sur le site. Au bas de la page 22, la dernière phrase est carrément inachevée : Mes sœurs se rappellent d'autres ???

Vraiment déçue, j'attendais autre chose de Désorientale.

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Désorientale

Désorientale, j'ai aimé ce mot dès la première fois. J'ai aimé ce mot comme une caresse, comme une errance, comme un exil.

J'ai aimé ce mot comme un mot magique inventé pour ouvrir des portes, faire surgir des familles, un mot que l'on pourrait transmettre comme un feu blotti entre deux mains réunies, de générations en générations.

J'ai aimé conjuguer ce mot comme si c'était un verbe. J'ai aimé le conjuguer au féminin. Et de préférence au féminin pluriel.

J'ai aimé ce mot comme une quête, comme le désir de venir, le désir d'aimer, celui de transmettre aussi...

J'ai aimé ce livre de Négar Djavadi. Il ressemble a quelque chose d'autobiographique, j'ai ressenti à chaque détour de page l'écho d'une histoire vécue, le poids d'une vie, d'une émotion palpable comme un battement d'ailes. C'est pourtant un roman.

C'est un livre de femmes où quelques hommes occupent une place importante.

Ce livre parle de la fuite d'une famille hors d'un pays, fuir l'Iran au plus vite, après la chute du Shah et l'arrivée d'une autre dictature, bien plus atroce, celle de l'ayatollah Khomeyni, dictature religieuse, où les femmes n'auront désormais plus d'espace de parole, plus d'espace de liberté dans l'espace public. Plus d'existence, sauf celle d'être emmurées.

Puis dès lors, c'est l'exil en France. Il faut marcher plusieurs jours, traverser la frontière turque...

La narratrice, Kimiâ Sadr, native de Téhéran, remonte le fil de son histoire, l'histoire de sa famille, depuis la salle d'attente d'un hôpital parisien, précisément dans le service de procréation médicalement assistée, où elle suit un protocole pour avoir un enfant avec son amie, Anna. Elle se souvient et convoque le souvenir de trois générations déracinées.

Désorientale, j'ai aimé ce mot comme un regard, les yeux portés une dernière fois sur un pays d'enfance qui s'éloigne comme un continent à la dérive. Les terres d'enfance sont souvent des îles de mélancolie, mais lorsqu'on pense que peut-être on n'y reviendra jamais, cela devient une terre douloureuse enfouie comme une boule de soleil qui roule au fond du ventre et se noie dans les sanglots intérieurs.

C'est comme une déchirure, une nouvelle naissance. J'ai aimé ce mot comme une blessure.

Et puis j'ai aimé ce mot comme une désobéissance. Qu'il est excitant de désobéir aux tyrannies, aux voiles qui couvrent les formes les plus harmonieuses, aux pierres qui ne servent qu'à lapider ! Briser les cailloux que l'on jette sur les femmes là-bas, en faire du sable qui rejoindra le désert...

Déshabiller. J'ai aimé ce mot pour cela aussi. Comme s'il fallait se dépouiller des habits anciens, entrer nu sur cette toute nouvelle terre, une terre inconnue encore vierge de nos pas, de nos gestes, de nos souvenirs. Tout est ici à inventer, à réinventer. C'est un vertige pour l'enfant comme pour le vieillard.

J'ai enfin aimé ce mot comme une forme d'oubli. J'aime ce mot comme s'il fallait presque renoncer. Pourtant, comment renoncer, oublier ce qui fut ? Mais partir n'est jamais renoncer, tout juste se désunir du passé, se désagréger le temps d'un envol, lâcher prise aux souvenirs, puis rebondir ailleurs...

Peut-on dire qu'un mot est inventé lorsqu'il porte en lui tant de renoncement et tant d'espérance ?

J'ai aimé ce mot comme un déracinement.

L'exil est un voyage, faut-il tout emporter dans ses bagages ?

Dans cette saga féminine, il y a des hommes aussi.

Il y a des personnages extravagants, fous d'amour et de liberté, engagés, ce livre grouille d'âmes belles et parfois délurées, émouvantes par-dessus tout.

C'est une saga familiale. Il y a bien sûr un père, une mère, et puis aussi un arrière-grand-père, des oncles, des soeurs...

C'est un récit vivant, émouvant, palpitant, drôle aussi par moment. C'est foisonnant comme dans un conte oriental.

Désorientale, j'aime ce mot comme une différence. La différence sexuelle de la narratrice est exprimée dès le début du récit. Elle prend un sens particulier, exprimée dans un territoire où désormais cette différence peut enfin trouver sa place, sa légitimité, son expression, le bonheur d'aimer et de vouloir transmettre la vie en portant cette différence, tout simplement.

J'aime ce mot comme une écriture, comme un commencement.

J'aime ce mot comme une faille et je voudrais m'y lover encore un peu. Un mot qui inventerait d'autres mots comme cela.

Un ciel où une à une des étoiles réapparaissent à des milliers de kilomètres de distance.

Et tant mieux si les mots de Négar Djavadi nous désorientent, car ils sont faits pour nous faire pencher vers un autre monde.
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La dernière place

Au petit matin du 8 janvier 2020, le vol PS752 reliant Téhéran à Kiev s'écrase quelques minutes après son décollage. Aucune des 176 personnes présentes à bord ne survit. Parmi les victimes, Niloufar Sadr, cousine de l'auteure. Installée depuis des années au Canada, Niloufar était venue passer quelques semaines de vacances dans son pays. In extremis, elle avait repoussé la date de son billet de retour pour Toronto et obtenu la dernière place sur ce fameux vol 752, grappillant ainsi quelques jours supplémentaires auprès de sa famille. Funeste décision...



A Paris, dévastée par la nouvelle, Négar Djavadi veut savoir, comprendre. Elle scrute pendant des heures les réseaux sociaux, à l'affût de la moindre info, de la moindre image de ce crash, qui a eu lieu dans un contexte d'extrême tension entre l'Iran et les Etats-Unis. Ceux-ci ont en effet assassiné quelques jours plus tôt le général Souleimani, ponte du régime des mollahs, et s'attendent donc à de violentes représailles contre leurs bases aériennes en Irak.



Il faudra trois jours pour que les autorités iraniennes reconnaissent que l'avion civil a été abattu par deux missiles sol-air iraniens. Un tir accidentel, disent-ils. Mais le doute subsiste encore.



Ce livre retrace non seulement le fil de ces trois jours dramatiques et traumatisants, mais aussi la vie de Niloufar et l'histoire iranienne récente, de la dictature du shah à celle des ayatollahs. Il raconte surtout le peuple iranien, otage dans son propre pays d'un totalitarisme religieux aux mains de fanatiques avides de pouvoir et d'argent, pour qui une vie humaine vaut infiniment moins qu'un baril de pétrole. Un peuple qui, en dépit de la répression féroce, est tellement à bout que sa colère explose de plus en plus souvent dans des manifestations monstres à travers le pays (contre le carburant trop cher en 2019, contre le scandale du crash aérien en janvier 2020, contre la mort de Mahsa Amini en 2022). Ce livre parle aussi de l'amour et de la nostalgie de l'auteure, exilée en France à 11 ans, pour l'Iran de son enfance. de sa rage contre les dictateurs cruels, de sa colère contre les gouvernements occidentaux qui ne voient l'Iran que comme un pion dans un jeu géopolitique macabre, de son impuissance à y changer quoi que ce soit. Que peuvent les livres ?



Entre deuil personnel et deuil collectif, Négar Djavadi veut faire affleurer la vérité, celle des Iraniens, pas celle de leurs dirigeants, et faire en sorte qu'on se souvienne de leurs destins tragiques. C'est cela que peuvent les livres.



En partenariat avec les Editions Stock via Netgalley.

#Ladernièreplace #NetGalleyFrance
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La dernière place

Le 8 Janvier 2020, un avion de ligne ukrainien est abattu au dessus de Téhéran. A l'intérieur, Niloufar, cousine de l'autrice . Celle ci revient sur l'accident mais aussi sur le contexte iranien et la souffrance de son peuple.



Livre très intéressant , nous plongeant dans le quotidien des Iraniens , asservis depuis des décennies par un pouvoir despotique , manipulateur, ayant fait main basse sur les richesses du pays pour mener une existence de nabab quand son peuple crève de faim et d'absence de liberté.



L'autrice a fui son pays très jeune pour la France où elle réside encore. Beaucoup de familles de ce livre sont exilées, contraintes de quitter un pays qu'elles aiment et regrettent.



Au delà de l'attentat contre le Boeing , ce livre nous éclaire sur le long passif entre l'occident , mais particulièrement les USA, et l'Iran, l'éviction de Mossadegh en 1953 marquant le tournant pour l'Iran. Cela est fait de façon très pédagogique , pas besoin d'être un expert en géopolitique , et éclaire, si besoin en était, sur le machiavélisme de nos dirigeants, tous . Le profit, les intérêts, les mensonges , la trahison... Mais une seule victime , les peuples .



L'Iran a un rôle fondamental à jouer dans les conflits actuels mais son peuple , lui , n'aspire qu'à un peu plus de liberté. La révolution de 2022 , dont il est question ici, a été comme les précédentes écrasée manu militari .Mais jusqu'à quand un peuple pourra -t-il être asservi, brimé , enfermé dans une gigantesque prison ouverte dont les geôliers sont des voyous sous couvert de la foi ?

Un livre vraiment didactique sur le sujet, au delà de l'affaire du vol ukrainien , qui résume à lui seul des décennies de mensonges.

"Ils l'ont fait eux mêmes " est une phrase récurrente en Iran. On comprend pourquoi.

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Désorientale

Pendant qu'elle attend son tour dans un centre d'aide en vue d'une maternité assistée, la narratrice voit ressurgir des souvenirs de son passé familial et choisit de nous les livrer. Un passé familial riche en époques et en personnages qu'elle a pris soin de resituer en fin de livre: ce qui est bien utile pendant la lecture, surtout quand on doit l'interrompre souvent.

Née en 1969 Kimiâ quittera son pays en 1981 pour arriver clandestinement en France avec sa famille.

Elle ne s'étend pas beaucoup sur sa vie personnelle mais plutôt sur ses origines iraniennes et les caractères de son père, sa mère, ses oncles qu'elle nous présente de façon originale par des numéros bien qu'ils aient chacun leur personnalité.

Kimiâ fait partie d'une famille de nantis et ses parents sont des intellectuels très libérés, présentant une admiration sans borne pour la France. Son père a vécu et étudié en France avant de revenir se marier en Iran.

Ils ont vécu sous le régime du shah reconnu pour son désir d'occidentalisation mais aussi pour un culte excessif du régime impérialiste, se faisant sacrer lui-même roi des rois et s'entourant d'un luxe indécent.

Ils ont aussi vécu le début du régime de Khomeiny qui était loin de leur convenir car radicalement opposé à l'occident et à la liberté de la femme et du culte.

Le livre est riche en réflexions au sujet de l'intégration dans une culture étrangère qu'elle appelle d'ailleurs la désintégration.

La narratrice est très attachée à sa famille, mère, père, soeurs, oncles. Lorsqu'elle imite par écrit l'accent français de sa mère, de ses oncles, je me suis replongée dans l'ambiance de "L'étrangère" de Valérie Toranian avec dans ce roman l'exil arménien du début du vingtième siècle.

J'avais approché le régime du shah par le très beau roman de Jehane Sadate "Une femme d'Egypte" où elle admire les progrès réalisés pour les femmes en Iran mais pas le luxe beaucoup trop ostentatoire du shah et de sa famille. Les deux témoignages se recoupent avec le livre de Négar Djavadi.

J'ai beaucoup apprécié l'écriture, l'humour et bien sûr l'apprentissage de l'histoire iranienne vue par une personne exilée.

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Arène

Fresque sociétale et sociale au travers des quartiers Est de Paris, Négar Djavadi nous envoie, lecteurs, au milieu de cette « arène », bien loin du cadre idyllique de la ville de Paris, vendu aux touristes.



Via ce roman-choral, ce sont les destins d’une pléthore de personnages qui se verront bouleversés suite à une rencontre anodine et impromptue, menant à un drame. Au travers d’une durée de seulement 48h, l’auteure évoque cette société proche du chaos où le choc des classes sociales n’est jamais très loin.



Constitués des X, XI, XIX et XXème arrondissements, les lieux sont constitués de plus de 70% par des cités où y vivent un florilège de communautés différentes. Alors que chaque individu tente de s’en sortir, les émotions seront exacerbées par des provocateurs, les réseaux sociaux, les journalistes.



Ce qui pourrait être une énième critique de la vie moderne, est en fait un livre menant à la réflexion sur cette société qui s’étiole de jour en jour, où les sentiments de solidarité et d’empathie sont mis de côté. Y a-t-il encore une solution pour changer cela? Alors que le Pouvoir préfère détourner le regard de ces problèmes, pourrait-il vraiment faire quelque chose?



Digne des meilleurs romans noirs, le livre fourmille de références, notamment cinématographiques et l’auteure offre des anecdotes historiques sur la ville de Paris. Néophyte, je ne les connaissais pas.



Cette vision contemporaine réaliste et lucide est portée par un style brut et vif. Très ancrés dans l’actualité, les clichés sont absents. Mené avec beaucoup de tensions, le récit est très dense, tout comme le nombre de personnages mais au final, leurs histoires s’imbriqueront finement.



Si vous souhaitez un livre « optimiste », alors ce livre n’est pas ce que vous cherchez dans l’immédiat mais néanmoins, gardez-le bien sous la main!


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Désorientale

Désorientale, un titre qui m'a interpellée par ce qu'il évoque de prime abord, c'est-à-dire l'idée de perte : perte des repères ? perte de soi ? C'est de tout cela, mais pas seulement, qu'il est question dans le roman de Négar Djavadi. Roman déroutant aussi pas sa structure arachnéenne car il se déroule sur trois époques qui s'entrecroisent au gré de la narration : l'histoire des ancêtres de Kimiâ, la narratrice, celle de sa famille et d'elle-même lors de leur fuite d'Iran et de leur exil en France et enfin celle de Kimiâ et de ses soeurs devenues adultes.

Le premier temps fort du roman est pour moi l'histoire de ses ancêtres aux allures de conte oriental que l'auteure s'amuse à parodier avec beaucoup de plaisir. C'est ainsi que l'on fait connaissance avec des personnages fabuleux : Montazemolmolk, seigneur féodal qui n'est pas sans rappeler Barbe-Bleu ou Oncle N°2 (appelé ainsi par ses nièces), dépositaire de l'histoire familiale et qui, en bon comédien, règle au fil de sa narration, ses effets de scène -larmes et autres mimiques- sur son auditoire. le tragi-comique est donc toujours très présent sous la plume de l'auteure et les situations ubuesques où rire et larmes se mêlent inextricablement ne manquent pas ! Emergent aussi de cette saga familiale de beaux portraits féminins comme celui de Nour la grand-mère de Kimiâ, née d'un viol de Montazemolmolk sur une adolescente de quinze ans morte en couches,qui va devenir, au fil de sa vie une femme autonome et fera figure de chef de famille auprès de ses six fils !

Si l'oppression qui vise les femmes est, vous l'aurez compris, un thème qui traverse tout le livre, celui de l'oppression politique n'est pas moins présent. Et si l'auteure se livre à une vigoureuse dénonciation de la dictature du Shah puis de celle des mollahs, elle ne mâche pas ses mots non plus pour dénoncer non moins vigoureusement les atermoiements de la France et son aveuglement hypocrite devant l'instauration de tels régimes.

Mais le deuxième point fort du roman est pour moi tout ce qui touche à la fuite précipitée d'Iran de Kimiâ, sa mère et ses deux soeurs, à travers deux récits qui se font écho : celui de Sarah (la mère) et de Kimiâ. Deux passages très marquants où le suspense et les ressentis sont extrêmement bien mis en valeur par la plume de l'auteure qui court, s'emballe ou contraire analyse au plus près toute la palette des sentiments éprouvés lors de cette marche forcée : hébètement, atonie émotionnelle dans laquelle on plonge pour se protéger, peur animale, perte des illusions et des repères, traumatismes qui ne surgiront que plus tard au fil des cauchemars... Non moins émouvants sont les passages qui évoquent l'exil en France. Repliement sur lui-même du père de la narratrice, Darius, un beau personnage, pétri de contradictions. Opposant farouche du Shah puis du régime des mollahs, il le paiera de sa vie. Détresse de Sarah, la mère, qui voit sa famille partir à vau-l'eau et ne se sauvera momentanément que par l'écriture patiente et clandestine de son exil dans un livre Notre vie, devenu un succès en Iran auprès de tous ceux qui sont entrés en résistance. Perte des repères pour Kimiâ qui va plonger dans une marginalité qui anesthésiera pour un temps son trop plein de souffrance !

J'ai beaucoup aimé ce roman fort, émouvant, à la fois drôle et dérangeant et qui hélas évoque aussi une actualité brûlante ! Deux bémols : la complexité inutile de la structure à certains moments et l'évocation de deux thèmes celui de l'homosexualité et de la PMA, dont je comprends tout à fait qu'ils soient chers à l'auteur mais qui n'ont pas trouvé vraiment leur place dans le roman, du moins à mes yeux...
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