Citations de Patrice de La Tour du Pin (69)
Tous les pays qui n'ont plus de légende
Seront condamnés à mourir de froid...
Loin dans l'âme, les solitudes s'étendent
Sous le soleil mort de l'amour de soi.
Au l'aube on voit monter dans la torpeur
Du marais, les bancs de brouillards immenses
Qu'emploient les poètes, par impuissance,
Pour donner le vague à l'âme et la peur.
Les bois étaient tout recouverts de brumes basses,
Déserts, glonflés de pluie et silencieux ;
Longtemps avait soufflé ce vent du Nord où passent
Les Enfants Sauvages, fuyant vers d'autres cieux,
Par grands voiliers, le soir, et très haut dans l'espace.
J'ai senti sifflé leurs ailes dans la nuit,
Lorsqu'ils avaient baissé pour chercher les ravines
Où tout le jour, peut-être, ils resteront enfouis ;
Et cet appel inconsolé de sauvagine
Triste, sur les marais que les oiseaux ont fuis.
...
Et je me suis dit : Ce n'est pas dans ces pauvres landes
Que les Enfants de Septembre vont s'arrêter ;
Un seul se serait écarté de sa bande
Aurait-il, en un soir, compris l'atrocité
De ces marais déserts et privés de légende ?
Les bois étaient tout recouverts de brumes basses,
Déserts, gonflés de pluie et silencieux ;
Longtemps avait soufflé ce vent du Nord où passent
Les Enfants Sauvages, fuyant vers d'autres cieux,
Par grands voiliers, le soir, et très haut dans l'espace.
Laurence endormie
Cette odeur sur les pieds, de narcisse et de menthe
Parce qu’ils ont foulé dans leur course légère,
Fraîches écloses, les fleurs des nuits printanières,
Remplira tout mon cœur de ses vagues dormantes ;
Et peut-être très loin sur ces jambes polies,
Tremblant de la caresse encor de l’herbe haute,
Ce parfum végétal qui monte, lorsque j’ôte
Tes bas éclaboussés de rosée ou de pluie ;
Jusqu’à cette rancœur du ventre pâle et lisse
Où l’ambre et la sueur divinement se mêlent
Aux pétales séchés au milieu des dentelles
Quand sur les pentes d’ombre inerte mes mains glissent,
Laurence … jusqu’aux flux brûlants de ta poitrine,
Gonflée et toute crépitante de lumière
Hors de la fauve floraison des primevères
Où s’épuisent en vain ma bouche et mes narines,
Jusqu’à la senteur lourde de ta chevelure,
Éparse sur le col comme une étoile blonde,
Où tu as répandu tous les parfums du monde
Pour assouvir enfin la soif qui me torture !
Sois donc sage, vieux cœur tendre,
Salue ces enfants qui vont
Portant des roses trémières,
Tout le long des haies, le long
Du plus long chemin de la terre.
CHANSON DU RAMONEUR
extrait 1
je suis fils de ramoneurs
Qui n'ont
De père en fils, de cœur en cœur,
Qu'une seule destinée,
Et c'est de se perdre au fond,
Au fin fond des cheminées !
Les plus belles, de châteaux...
À l'aube,
On s'est glissé sous leurs rideaux
De tout le jour on ne sort,
Tout le jour, un jour de taupes
Courant dans leurs corridors.
…
TU VOUDRAIS TE DÉPAYSER…
Tu voudrais te dépayser
Et courir le long de tes plages,
Changer d'ennui dans les voyages
Ayant le mal du familier…
Tes champs sont donc poisseux et sales,
Tes vallons si secs de pierrailles
Que tu désires t'oublier ?
Tu veux entrer dans des paroles
Que ne donne pas ton sol pauvre,
Un érable feu sur les chaumes ;
Attends alors le crépuscule,
Lui seul en toi peut incendier…
Ce n'est pas ta sève qui brûle
Et ton ciel n'est pas ton reflet.
‒ Mais fatigué de sa recherche
Sur les longs plateaux étrangers,
Je vois un épervier qui perche
Dans ton regard, et qui s'ennuie
Désolant tout autour de lui.
Tu ne secrètes pas ta grâce
Au-dehors, tu retiens l'espace
Où jouer ta vraie comédie.
La quête de joie
à A. L. T. P.
Il dit : « Il faut partir pour conquérir la Joie.
Vous irez deux par deux pour vous garder du mal,
Par les forêts, les fleuves, par toutes les voies
Ouvertes sur les solitudes de lumière ;
Vos bonheurs assouvis sentent déjà la cendre ;
Vous chasserez de nuit, de jour, jusqu’aux frontières
De l’âme où vous n’avez jamais osé descendre ;
Il vous faudra forcer au fond de leurs retraites,
Jusqu’au ciel de la mort, étrangement hanté,
Tout scintillants comme des joyaux de beauté,
Les Anges Sauvages de l’éternelle Fête.
Allez, vous sentirez en vous-mêmes leurs traces
Parmi les pentes d’ombre de l’autre versant,
Où le seul vent du Nord, tumultueux, les chasse
Par vols immenses, vers le Précieux Sang.
Allez, envolez-vous tels des oiseaux de proie,
Vers ces marais noyés de brouillard et de fange,
Et vous découvrirez après la mort d’un ange,
Tout ce qu’un cœur scellé peut contenir de Joie… »
Divertissement
Trois musiciens dans une clairière
Jouent au milieu des ronciers rouillés
Pour les passants nocturnes qui errent
Sans parvenir à s'ensommeiller.
Ils célèbrent d'infimes offrandes
À l'adresse des germes éclos,
Ou des fougères qui se détendent,
Ou du vol vespéral des corbeaux.
Trois musiciens dans une clairière
En habit de velours, avec des violons,
Enseignent la cérémonie
Des instants de grâce de la terre
Non par des mots chargés de passion,
Mais la vraie musique de fête de la vie.
…
Car les marais sont tout embués de légende,
Comme le ciel que l'on découvre dans ses yeux ,
Quand ils boivent la bonne lune sur la lande
Ou les vents tristes qui dévalent des Hauts-Lieux
(extrait de Légende)
Regains
Regains… tout le reste de la plaine est fauché ;
Ce vague de l’esprit qui rôdait sur les chaumes
S’en ira balayé par le vent ; le fantôme
De l’éternelle inquiétude est desséché.
Regains… je vais pouvoir nager dans le vert tendre
Des prairies, le fouillis des odeurs végétales,
Et lécher la rosée à même les pétales…
Regains… ne pas s’abandonner, mais tout comprendre.
Laisse couler en toi l’ambiance dorée ;
Puisque le désir vient d’embrasser ces collines,
Caresse-les des mains : elles sont féminines,
Frémissantes, comme des vagues nacrées.
Où vas-tu, battant l’air divin avec fureur ?
Je te croyais gonflé de calme et d’espérance,
Mûri pour la sagesse et pour la renaissance…
— Peut-être la renaissance de la douleur…
Les laveuses
extrait 2
Mais ce n’est pas le vent qui roule de la sorte,
Nous l’aurions reconnu d’une peur instinctive :
Les barrages ont dû se rompre, les eaux mortes
Vont s’engouffrer à perdre haleine devant nous :
Gemma, ne pense pas de mal de ma rivière,
C’est toute la vallée en hiver, les remous
Qui tressaillent dans un frisson perpétuel :
Gemma, c’est beaucoup plus qu’un lavoir solitaire
Si doucement porté qu’on le croit immobile,
Mais devant nous les formes mouvantes défilent
– et le vent qui déploie tes cheveux sur le ciel !
…
Laurence printanière
Extrait 2
Voici venir la grande extase des réveils,
Et vous marchez parmi les fleurs printanières,
Heureuse et cueillant des monceaux de primevères
Pour les jeter à pleines mains dans le soleil.
Ne tremblez pas; je veux effleurer vos cheveux,
Les sentir et ne plus les sentir qu’en pensée,
Et puis les ressentir encore à la nausée,
Et puis garder le long des jours tout leur parfum…
Laurence printanière
Extrait 1
Voici que montent les aubes, d’une blancheur
Eclatante, au-dessus d’un fouillis d’anémones
Lumineuses, dans la matinale fraîcheur…
Pour entrer dans la danse légère d’avril,
Vos yeux ont pris la douceur des clairs de lune,
Et leur lumière brille et joue entre les cils.
Il vaut mieux ne jamais parler de moi, Laurence,
Si vous me permettez, et si divinement,
De goûter avec vous cette aube de printemps.
Je chanterai d’abord votre seule présence,
Puisque nos souvenirs, si merveilleux soient-ils,
Pâlissent à côté de cette aube d’avril;
Il vaut mieux négliger les joies antérieures
Pour jouir pleinement des dons qui sont offerts,
La lumière frôlant votre sein découvert,
Toute l’idéale tempête de six heures…
La traque
Extrait 2
Ne tremble pas ; je ne te savais pas si pâle !
Tu dois mourir d’angoisse en écoutant toujours
Cet appel désolé que profèrent les mâles.
Dors : je saurai bien les lâcher au petit jour.
Et tu me trouveras, penché sur ton éveil,
Tu trouveras un cœur de mâle aussi farouche
Que les leurs, un désir de mordre tout pareil
Au leur, lorsque ton corps se donnait à leurs bouches.
Ils se rapprochent : respire plus doucement.
Dans un instant peut-être, ils éteindront leurs phares ;
Ils essayent d’étouffer leurs brefs halètements
Et le bruit de leurs pas qui font gicler les mares.
Dors : ils se dressent maintenant sur le ciel sombre ;
Ne bouge pas : ils ont failli marcher sur toi...
Ils sont passés : j’entends leur souffle qui décroît,
Et leur cortège va disparaître dans l’ombre...
La traque
Extrait 1
J’avais suivi tes pas perdus au fond des bois,
Ils menaient aux ravins gonflés par les averses,
Et là, je t’ai trouvée, abattue et sans voix,
Frissonnant du froid de l’aube qui transperce.
Je te caressai sur tes ailes divines...
Ne tremble pas toujours entre mes bras ouverts ;
Je t’ai prise, dormant comme une sauvagine
Blessée, ou lasse d’avoir volé sur la mer.
Sache que c’est pour ton sourire que j’ai fui,
Que je t’ai portée aux longues heures de traque,
Qu’au lever de la lune je m’étais enfoui
Jusqu’au cou, dans la fièvre écœurante des flaques.
‒ J’entends leur pas qui se rapprochent dans le silence,
Leurs voix sourdes qui s’entr’appellent dans la nuit...
Ne bouge pas : un rien trahirait nos présences,
Ils se dirigeraient vers nous au moindre bruit.
…
QUATRIÈME CONCERT SUR TERRE
OU CONCERT DÉ FIÉLLOUZE
I
Annie, tu es tant mon amour
Que ma vieille voix imprécise
Se repent d’avoir murmuré
Un pareil mot avant ce jour,
Car c’est le seul qui te traduise.
Je n’en ai jamais décoré
Une autre bouche féminine,
Je l’ai gardé vierge et si clair
Pour ta seule âme, pour tes yeux,
Avec son filet de lumière
Qu’il tient de la grâce divine,
Comme il est le seul mot pour Dieu…
28 octobre 1950
Mon petit André, merci de votre lettre. Peut-être serez-vous fixé sur votre travail quand vous recevrez celle-ci. N’ayez crainte de devenir homme, même dans ce monde où les hommes apparaissent souvent si affreux. Peut-être là verrez-vous la différence entre le monde d’enfance humain – et l’enfance que nous devons toujours garder en Dieu. Là, vous verrez que l’art et la poésie peuvent être utiles, mais ne sont pas essentiels. (…)
Ne craignez rien, n’ayez seulement pas trop la nostalgie de l’enfance, il y en a qui prient pour vous afin que vous trouviez votre prière, la prière que vous êtes au fond de vous. Cherchez Dieu hors de toute beauté, de tout frisson de beauté maintenant…(…)
Patrice
Et que puis-je ajouter à ton nom Seigneur?
des mots, des inflexions, tout l'inutile de ma voix.
Mon Dieu, tu n'es pas un Dieu triste,
ta nuit brûle de joie.
La vigne est en fleurs, notre vigne
toute clôture est inutile:
le Seigneur revient vendanger!