Payot - Marque Page - Patrick Reumaux - Autoportrait au roitelet
Il y a des ombres dans le monde de Mervyn Peake,
une forêt mélancolique dans l'âme de Lord Tombal, le soixante-seizième comte crépusculaire,
et des lumières, une chênaie au silence doré sur les pentes de la montagne de Gormenghast
où vit une créature, mi-fille, mi-oiseau, désintégrée par un éclair ;
mais cette mélancolie livrée en pâture aux hiboux
et cette créature dont la grâce surnaturelle est à chaque trait de plume corrigée par un appétit de vivre
- convoiter un jouet, ou déchiqueter à belles dents la chair d'une pie
- qui est celui des enfants,
loin d'évoquer un monde situé à des années-lumière du nôtre dans quelque imaginaire collectif et bouclé (...)
sont au contraire d'une saisissante réalité.
(in "Mevyn Peake, L'Artificier", Préface de Gormenghast)
Les dieux me regardent de leurs yeux de braise. Le mensonge, dans leurs yeux, est une vrille d'un noir de citerne et, quand débarque un étranger sur cette rive, les vrilles percent l'iris et décrivent, invisibles griffes, des cercles de plus en plus étroits autour de la tête du visiteur avec la force du lierre ou des liserons. Méditerranée. Le rien se mêle au rien, aux vauriens, la mer est si bleue qu'elle en paraît noire sous le soleil qui tape, avec des fonds où la lumière, d'une sourde transparence, gris-bleu ou gris-vert, ou presque rose, ne cesse de changer comme la gorge du pigeon.
Les dieux sont toujours là, je veux dire ceux des Enfers. Je me demande laquelle des trois Furies je vois. Car il n’y a plus ni salle de restaurant, ni serviteur, ni coups de poings, ni querelle. […] devant moi Mégère gesticule, la vociférante, et ses petits cheveux coupés ras se gonflent, et son corps de truie se hérisse de soies ; alors j’entends siffler les vipères tout à l’heure invisibles dans ses cheveux. (p.35)
Avec des zones d'ombre et de lumière, éclairée aux bougies qui font luire les joyaux, trembler l'ovale des visages, la Renaissance est une somptueuse tapisserie dont les fils convergent vers le Vatican, lupanar des intrigues du spirituel.
La Méditerranée n'est qu'un rêve. Une peinture de peinture. Une culture de culture. Le royaume d'Haroun-Al-Rachid.
La parole, mule obstinée, en noir et blanc, dit que les dieux sont là. Que seuls les dieux sont là. Tout le reste n’est que fumée, vains bavardages, attrape-nigauds, circuit pour les touristes. Les dieux brûlent dans l’air immobile. Qui ne les voit pas ne voit rien, car il n’y a rien à voir. (p.85)
Sur le quai du métro. Pas des voyageurs. Passage des rames.
LA GOBELINE. - Vous croyez que c'est une bonne idée ?
LE FARFADET. - J'en suis sûr. Le métro est l'un des lieux les plus pédagogiques que je connaisse. J'y emmène toujours mes étudiants pour le cours de logique. Le bruit des rames couvre les cris et les secousses empêchent de s'endormir. J'y ai même organisé un colloque...
LA GOBELINE. - Un colloque ?
LE FARFADET. - Oui, un colloque complexe sur les correspondances entre les arts. Il fallait changer à Opéra et prendre la direction Michel-Ange-Molitor... Les Japoniais n'ont rien compris, ils se sont perdus dans le labyrinthe, on n'a jamais retrouvé les corps... Le reste a été très réussi. On était interrompus toutes les trois minutes et les vivres arrivaient par ligne directe. Poissonnière-Les Halles, on ne peut pas rêver plus direct.