Un Thé au Sahara ( bande annonce VOST )
- L’Europe a détruit le monde entier, dit Port. Dois-je lui en être reconnaissant ou lui en vouloir? J'espère qu'elle va se rayer elle-même de la surface du globe.
Il souhaitait de voir finir rapidement la discussion pour prendre Kit à part et lui parler en privé.
(...)
- Pourquoi n'étends-tu pas ton souhait délicieux à toute l'humanité pendant que tu y es? demanda-t-elle.
- L'humanité? s'écria Port. Qu'est-ce que c'est? Qui est l'humanité? Je vais te le dire. L'humanité, c'est tout le monde, excepté soi. Par conséquent, quel intérêt chacun peut-il lui porter?
Tunner dit lentement :
- Attends un peu. Attends un peu. J'aimerais éclaircir cela avec toi. Je dirai que l'humanité, c'est justement toi, et que c'est ce qui la rend intéressante.
- Bravo, Tunner ! s'écria Kit.
Port était ennuyé.
- Quelle ânerie ! dit-il sèchement. On n'est jamais l'humanité, on n'est jamais que son pauvre soi irrémédiablement solitaire.
Les voyages lui permettaient toujours de considérer la vie avec plus d'objectivité. C'était alors que son esprit était souvent le plus clair et qu'il prenait des décisions qu'une résidence fixe ne lui avait pas permis d'envisager.
C’est une sensation unique qui n’a rien à voir avec le sentiment d’être seul car il présuppose une mémoire. Ici dans ce paysage entièrement minéral, éclairé par les étoiles comme par des feux, même la mémoire disparaît ; il ne reste que votre respiration et les battements de votre cœur. Un processus de réintégration de soi étrange, qui n’a rien d’agréable, commence en vous, et vous avez le choix entre le combattre et tenir à rester la même personne que vous avez été, ou bien lui laisser libre cours. Car personne, après un certain temps au Sahara, n’est plus tout à fait le même
- Je vais tout à fait bien.
C'était ce qu'on est censé répondre, et il l'avait dit ; pourtant, il sentait le monde extérieur qui lui échappait, se retirant à toute vitesse devant la brusque montée d'une nausée insurmontable, et il sut que bientôt il ne resterait plus que la réalité obscène de sa propre personne, piégée dans les cellules solitaires de l'existence.
p. 121
Tanger fut une sorte de révélation . " J'avais toujours eu la vague certitude qu'un jour de ma vie, j'arriverais dans un lieu magique, qui, en me livrant ses secrets, me donnerait la sagesse et l'extase-peut-être même la mort", écrira Bowles beaucoup plus tard dans son autobiographie. (p. 11)
Il devait être minuit quand Stenham laissa derrière lui Si Jaffar et les siens. "Je peux très bien rentrer seul", avait-il déclaré avec un sourire faux destiné à adoucir le son de sa voix, car il craignait d'avoir paru sec ou irrité, alors que les lois de l'hospitalité permettaient en somme à Si Jaffar de lui imposer un guide.
"Vraiment, je n'ai besoin de personne", avait-il ajouté. Bien qu'il n'y eût plus aucune lumière dans la ville, il voulait rentrer seul. Après cette soirée interminable, le risque de se tromper de chemin et de s'égarer un moment lui plaisait plutôt. S'il était accompagné, la longue promenade deviendrait une sorte de continuation du temps qu'il avait passé assis dans le salon de Si Jaffar.
Ici, la nuit a une qualité bizarre. En principe ce n'est que le moment où la porte du ciel est ouverte et où l'on peut contempler l'infini; le lieu à partir duquel on l'observe n'a guère d'importance.
Je n'ai pas choisi de résider à Tanger de façon permanente. Cela s'est fait tout seul. Mon séjour devait être de courte durée, après quoi j'avais l'intention d'aller ailleurs, encore et toujours, sans jamais me fixer définitivement. La paresse me fit remettre mon départ. Si je suis encore ici aujourd'hui, c'est uniquement parce que je m'y trouvais le jour où je compris que le monde enlaidissait et que je n'avais plus envie de voyager.
In Mémoires d'un nomade.
Kit tira sur sa robe et dit : "Quand j'étais jeune..."
- Jeune?
- Avant d'avoir vingt ans, je veux dire, je croyais que le mouvement de l'existence ne cessait de s'accélérer, qu'elle devenait chaque année plus riche et plus profonde, qu'on apprenait davantage, qu'on gagnait en sagesse, en compréhension, qu'on allait plus loin dans la vérité...
Elle hésita. Port eut un rire brusque.
- Et maintenant tu sais que ce n'est pas comme ça? Oui? Ça ressemble plutôt à une cigarette, Les premières bouffées sont merveilleuses, et on imagine pas qu'on en verra le bout. Puis ça devient naturel. Et tout à coup on s’aperçoit qu'on la presque finie. Et c'est alors qu'on sent le gout amer.
- Mais je suis toujours consciente de son amertume et je sais toujours qu'il n'y en a pas pour longtemps, dit-elle.
- Alors tu devrais cesser de fumer.
- Que tu es mesquin! s'écria-t-elle.
Beaucoup de jours plus tard, une autre caravane passe et un homme voit quelque chose sur la plus haute dune. Et quand ils montent voir, ils trouvent Outka, Mimouna et Aïcha qui sont toujours là, dans la même position. Et les trois verres sont pleins de sable. C’est comme ça qu’elles ont pris leur thé au Sahara.