Citations de Paul Celan (384)
Mais le poème, il parle ! Il garde la mémoire de ses dates, mais enfin – il parle.
RETOUR
Qu’aucune
voix dissimulée ne soit
découverte.
Aucune.
Comment sinon la vie
resterait-elle agrandie devant moi
et transfigurée ?
aux amis
— il n’y en aura pas au pays —
un regard est déjà
suffisant
et à la mère
suffit le signe peut-être de mes asters —
Ceux qui continuent de chercher
écoutent seulement pour savoir si la mort,
ou quelque journée de tourment,
qui ne passe pas
en s’obscurcissant dans la nuit,
ne seraient pas derrière le silence.
Oh, les bonds dans le cœur.
HEIMKEHR, 1939
Keine
verheimlichte Stimme sei
entdeckt.
Keine.
Wie sonst bliebe
das Leben vergrössert vor mir
und verklärt ?
Freunden
-daheim werden keine sein-
ist schon ein Blick
genug
und der Mutter
der Wink vielleicht meiner Astern –
Die weiter forschen,
horchen nur ob nicht der Tod,
oder ein quälender Tag,
ein nicht hinüber
dunkelnder in die Nacht,
hinter dem Schweigen sind.
O Sprünge im Herzen
TOI AUSSI PARLE
Toi aussi parle
parle comme le dernier
dit ton message
Parle -
Mais ne sépare pas le oui du non
Donne aussi le sens à ton message :
donne lui l’ombre.
Donne-lui assez d’ombre,
donne-lui en tant,
que tu en sais autour de toi partagée
entre minuit et midi et minuit.
Regarde alentour,
vois, comment ce qui t’entoure devient vivant -
Par la mort ! Vivant !
Celui dit vrai, qui parle d’ombre.
Mais voici que s’étiole l’endroit ou tu es ;
Maintenant où aller, à découvert d’ombre, où aller ?
Monte. vers le haut en tâtonnant.
Plus grêle tu deviens, plus méconnaissable, plus fin !
Plus fin : un fil,
où l’étoile veut descendre :
pour nager en bas, tout en bas,
là où elle se voit luire : dans la houle
des mots errants.
FLEUR
La pierre.
La pierre dans l’air, celle que je suivais.
Ton œil, aussi aveugle que la pierre.
Nous étions
des mains,
nous vidions les ténèbres, nous trouvions
le mot, qui remontait l’été :
Fleur.
Fleur – un mot d’aveugle
Ton œil et mon œil:
ils s’inquiètent de l’eau.
Veille silencieuse,
pan de cœur par pan de cœur
cela s’enfeuille.
Un mot encore, comme celui-là, et les marteaux
s’élancent dans l’espace libre.
Tant d’étoiles, que l’on nous tend.
J’étais,
quand je te vis – quand ? -
dehors parmi
les autres mondes.
O ces chemins, galactiques,
O cette heure, qui nous
compléta des nuits sur le fardeau de nos noms. Il n’est,
je le sais, pas vrai,
que nous ayons vécu, il passa aveugle un souffle entre
Là-bas et Pas-là et le Parfois,
un œil siffla comme une comète
allant vers l’éteint, dans les ravins,
là, où cela se consume sans éclat, se tenait
le temps, en majesté
et déjà vers le haut, vers le bas, poussait sur lui
ce qui fut ou ce qui sera -,
je sais,
je sais et tu sais, nous savions,
nous ne savions pas, mais
nous étions pourtant là et pas là-bas,
et de temps en temps, quand
seul le Rien se tenait entre nous,
alors nous étions totalement l’un et l’autre
En haut,
les voyageurs
demeurent
inaudibles.
L’ECRIT SE CREUSE
L’écrit se creuse, le
Parlé, vert marin,
brûle dans les baies,
dans les noms
liquéfiés
les marsouins fusent,
dans le Nulle part éternisé, ici,
dans la mémoire des cloches
trop bruyantes – - mais où donc?,
qui
dans ce
rectangle d’ombres,
s’ébroue, qui
sous lui
scintille un peu, scintille, scintille?
Strette
Extrait 9
Monte et
se joint au jeu…
Dans l’envol de la chouette, sur
la lèpre pétrifiée,
sur nos
mains enfuies, dans
le dernier des rejets,
au-dessus du
pare-balles contre
le mur éboulé :
visibles, à
nouveau : les
rainures, les
chœurs, autrefois, les
psaumes. Ho, ho –
sanna.
Ainsi donc,
il y a encore des temples debout. Une
étoile
a bien encore de la lumière.
Rien,
rien n’est perdu.
Ho-
sanna.
//Traduit de l’allemand par Jean-Pierre Lefebvre
Strette
Extrait 8
Déferlé, déferlé.
Et –
Nuits, dé-mêlées. Cercles,
verts ou bleus, carrés
rouges : le
monde dans la
partie jouée avec les heures nouvelles
mise ce qu’il a de plus intime. – Cercles,
rouges ou noirs, carrés
clairs, pas
d’ombre de vol,
pas de table de mesure, pas
d’âme de fumée qui monte et se joint au jeu.
//Traduit de l’allemand par Jean-Pierre Lefebvre
Strette
Extrait 7
Parlait, parlait.
Était, était.
Nous
n’avons pas lâché, sommes restés
dedans, une seule et même
construction de pores, puis
c’est venu.
C’est venu à nous, c’est
passé au travers, a réparé
invisiblement, fait des réparations
sur la dernière membrane,
et
le monde, mille-cristal,
a déferlé, déferlé.
//Traduit de l’allemand par Jean-Pierre Lefebvre
Voix…
Extrait 8
Pas une
voix ‒ un
bruit de la fin, étranger aux heures, offert
à tes pensées, ici, enfin porté
jusqu'ici à force de veille : un
pistil, gros comme un œil, avec une profonde
rayure, il
bave de la résine, il ne veut pas
cicatriser.
Voix…
Extrait 7
Voix dans l'intérieur de l'arche :
n'ont été
sauvées que les
bouches. Vous
qui sombrez, écoutez-
nous aussi.
Voix…
Extrait 6
Voix de Jacob :
Les larmes.
Les larmes dans l'œil frère.
L'une d'elles est restée suspendue, a grossi.
Nous habitons dedans.
Respire, pour
qu' elle se détache.
Strette
Extrait 5
À
l’œil va,
à l’œil humide –
Cyclones.
Cyclones, de toujours,
chaos-tourbillons de particules, le reste,
tu
le sais bien, nous
l’avons lu dans le livre, était
de l’opinion.
Était, était
de l’opinion. Comment
nous sommes-nous attrapés
‒ attrapés par
ces
mains ?
…
Strette
Extrait 4
A recouvert ça ?
‒ qui ?
Est venu, venu
Est venu un mot, est venu,
est venu par la nuit,
voulait luire, luire.
Cendre.
Cendre, cendre.
Nuit
Nuit-et-Nuit. – A
l’œil va, à l’œil humide.
Strette
Extrait 3
Vint, vint. Nulle part
il n’y a souci –
C’est moi, c’est moi,
moi qui était couché entre vous, j’étais
ouvert, on pouvait
m’entendre, moi qui tapotais pour vous dire, votre souffle
obéissait, et c’est toujours, c’est
encore moi, il est vrai
que vous dormez.
Encore moi –
Années
Années, années, un doigt
tâtonne, monte, descend, tâte
tout autour :
sutures, sensibles, ici
c’est béant grand ouvert, ici
çà s’est ressoudé – qui
a recouvert ça ?
Strette
Extrait 1
Dé-placé dans
le territoire
à la trace non-trompeuse :
herbe écriture désarticulée. Les pierres, blanches,
avec les ombres des brins :
Ne lis plus ‒ regarde !
Ne regarde plus – va !
Va ton heure
n’a pas de sœurs, tu es –
tu es chez toi. Une roue, lente,
roule d’elle-même, les rayons
grimpent
grimpent dans un champ presque noir, la nuit
n’a pas besoin d’étoiles, nulle part
il n’y a souci de toi.
Voix…
Extrait 5
Voix, rauques, dans le gravillon,
où pelle aussi de l'infini,
rigole de
mucosité.
Mets à l'eau ici, enfant, les barques
que j'ai munies d'hommes d'équipage:
quand à mi-coque la bourrasque vient se mettre dans son droit
les serres se réunissent.
Voix…
Extrait 4
Voix devant qui ton cœur reflue
jusque dans le cœur de ta mère.
Voix venues de l'arbre gibet,
où bois dur et bois jeune échangent,
sans cesse échangent leurs anneaux.
Voix…
Extrait 2
Voix venues du chemin d'orties :
viens sur les mains jusqu'à nous.
Quand on est seul avec la lampe,
on n'a que la main pour y lire.
Voix…
Extrait 1
Voix , rayures gravées
sur la face verte de l'eau.
quand le martin-pêcheur plonge,
la seconde grésille
ce qui était avec toi
sur chacune des rives,
pénètre
fauché dans une autre image.
Psaume
Personne ne nous pétrira de nouveau de terre et d’argile,
personne ne soufflera la parole sur notre poussière.
Personne.
Loué sois-tu, Personne.
C’est pour te plaire que nous voulons
fleurir.
À ton
encontre.
Un Rien
voilà ce que nous fûmes, sommes et
resterons, fleurissant :
la Rose de Néant, la
Rose de Personne.
Avec
le style, lumineux d’âme,
le filet d’étamine, ravage du ciel,
la couronne rouge
du mot pourpre que nous chantions,
au-dessus, ô, au-dessus
de l’épine.
//Traduit de l’allemand par Jean-Pierre Lefebvre