Citations de Peter Stamm (91)
Il se laissait guider par ses impressions quand il choisissait ses destinations. Parfois il avait envie d'aller vers le sud, puis de remonter vers le nord, parfois il se rapprochait de chez lui, puis s'en éloignait à nouveau. Pendant des années, il ne franchit pas la frontière suisse, mais ce n'était pas une décision non plus, c'était comme tout le reste. Tout ce qu'on fait n'a pas forcément de raison.
Il avait lu un jour qu'un bâtiment est terminé quand il commence à tomber en ruine. C'est peut-être la même chose pour les humains.
Aucun de nous ne parlait. Nous marchions plus lentement qu'à l'aller plus précautionneusement, comme si nous voulions retarder le moment des adieux. Il s'en était passé trop et trop peu, pour qu'on se quitte le coeur léger.
Pendant la nuit, il y avait des animaux dans les jardins, des chats, parfois des hérissons, des martres ou bien un renard. Quelques années auparavant, la voisine avait aperçu un blaireau. Il fouillait le compost. Mais personne à part elle n'avait vu un jour le blaireau, et elle avait arrêté d'en parler parce qu'elle s'était rendu compte qu'on ne la croyait pas.
Dans le jardin se trouvait une petite baignoire pour les oiseaux et, en hiver, Regina leur donnait à manger bien avant que la neige ne tombe. Elle accrochait des petites boules de graisse dans l'érable du Japon juste devant la maison. Lors d'un hiver très rude, l'arbre avait gelé, au printemps suivant il ne bourgeonna pas et il fallut l'abattre. L'été, Regina laissait les fenêtres du premier étage ouvertes pendant la nuit dans l'espoir qu'un oiseau ou une chauve-souris vienne s'égarer dans les chambres ou y faire son nid.
[...] Parfois la veuve parlait aussi de son fils, un garçon très doué qui travaillait dans la finance et vivait à Londres. Elle parlait avec enthousiasme de ce qu'il faisait et de son salaire mirobolant, mais Thomas avait la vague impression qu'elle aurait quand même préféré que son fils reste au village et mène une vie plus modeste mais plus proche d'elle.
(p. 168)
Elle avait enlevé quelques pensées fanées qu'elle était allée jeter sur le compost.
(p. 164)
Randy était allé passer les vacances chez sa grand-mère. Il était revenu. L'automne était venu, l'hiver. Puis l'été. La nuit était venue, puis le jour.
Sonia était debout au milieu de la pièce tout illuminée, au centre, comme toujours. Elle avait la tête un peu penchée, les bras près du corps, sa bouche souriait, mais ses yeux étaient plissés, comme si la lumière l'éblouissait ou comme si elle souffrait. Elle donnait l'impression d'être absente, exhibée, comme les tableaux sur les murs, que personne ne regardait et qui étaient cependant la cause de cette réunion.
J'étais en train de fumer un cigarillo quand à travers la grande vitre de la galerie, j'ai aperçu un homme plutôt beau se diriger vers elle et lui adresser la parole. Ce fut comme si soudain elle se réveillait. Elle a souri, trinqué avec lui. Il a remué les lèvres, son visage à elle a laissé transparaître un étonnement presque enfantin puis elle a souri à nouveau, mais même de là où j'étais, j'ai pu voir qu'elle n'écoutait pas cet homme, qu'elle pensait à autre chose.
[incipit]
Elle m'avait demandé si j'avais aimé Sonia. Comme si on pouvait répondre aussi facilement, ai-je dit en me levant. Je me suis mis à repenser à notre mariage, aux promesses auxquelles à l'époque déjà je n'avais pas cru. J'ai hoché la tête. Je ne sais pas. Et Iwona, tu l'as aimée ? m'a demandé Antje. Il faut vraiment que j'aille me coucher, j'ai dit.
Qu'attends-tu donc, toi, d'une femme ? me demanda-t-elle [Sonia]. Je n'en attends rien. Une fois tombé amoureux, je n'ai plus qu'à la prendre comme elle est. Sonia a ri. J'étais un romantique indécrottable. C'était donc aux femmes d'être rationnelles et de faire le tri parmi les hommes. Tu le fais ? lui ai-je demandé. Elle est restée un moment silencieuse, puis elle a dit, oui, évidemment je le fais.
Parfois, quand Sonia était déjà couchée, j'allais me promener en bas jusqu'à l'Académie évangélique, je m'asseyais au bord du lac, je repensais à ma vie et à ce qui aurait pu être différent. A ce moment-là, j'avais l'impression que tout m'était arrivé sans que je n'y sois pour rien, que c'était arrivé parce que cela devait arriver. J'admirais les gens comme Antje, qui semblaient avoir leur vie en main, avaient des objectifs, prenaient des décisions.
Quand on habitait chaque nuit sous un autre pont, on voyait du pays, on découvrait la ville, et on avait le temps de penser à ce qui nous passait par la tête.
Quand on habitait dans les rêves, les petites choses étaient grandes et les grandes petites. Tout bougeait tout le temps, et parfois on voyait des éléphants.
Quand on habitait sous la tente, dans la neige, tout était silencieux, tout était blanc. Seul le ciel était noir, la nuit; et parfois nos mains et nos pieds devenaient bleus. En les observant, on avait découvert qu'il existait toutes sortes de flocons de neige. On en avait compté cinquante-sept, puis on s'était arrêté. On n'avait pas besoin de frigidaire, par contre on avait sept four, un pour chacun. (....)
Puis il fit moins quarante. Alors on a déménagé dans la mer.
Hubert s'assit à la place du passager et lui indiqua le chemin. Pendant le trajet, il lui demanda ce qu'elle faisait pendant son temps libre. Un peu de sport, de la natation et du jogging, dit Gillian. Et je lis beaucoup.
Je ne veux pas savoir ce que me réserve l'avenir, mais j'aime l'idée qu'il est déjà écrit, que tout ce qui m'arrive est déjà arrivé à quelqu'un, que tout cela a un rapport et un sens. Comme si ma vie était une histoire. Je crois que c'est ça que j'ai toujours aimé dans les livres. Le fait qu'ils sont irrévocables. On n'est pas du tout obligés de les lire. Il suffit de les posséder, de les prendre dans ses mains et de savoir qu'ils resteront toujours tels qu'ils sont. (p107)
Le livre que j'avais écrit à l'époque ne racontait pas vraiment l'histoire de Magdalena et de moi.(...)La Magdalena fictive avec recouvert la Magdalena réelle comme un masque recouvre un visage. C'était de ça que parlait le livre, des images que nous nous faisons les uns des autres, du pouvoir que ces images ont sur nous. (p97)
Quand nous nous séparons,
nous restons l'un à l'autre.
Markus Werner, " Zündel s'en va".
Après des mois de sédentarité, Thomas retrouvait la sensation du voyage, le plaisir d'un avenir qui n'était pas tout tracé, qui pouvait prendre un autre cours à chaque détour.