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Citations de Philippe Jaenada (511)


Enfin, il fallait bien que je dise quelque chose, de toute manière. Et puis ce n’était pas si grave, en comparaison de toutes les trappes qui s’ouvrent sous nos pieds dans ce monde. Il suffirait que je lui fasse comprendre le contraire dans quelques heures. La femme aime qu’on la déroute, je l’ai lu quelque part – séduire, c’est surprendre (je ne sais plus si j’ai trouvé ça dans Stendhal ou Marie-Claire, ou si ça m’est venu tout seul un soir d’allégresse, mais je crois que ça fonctionne). Je le vérifierais bientôt : je n’ai pas la moindre idée derrière la tête, croit-elle, et l’instant d’après, ou presque, je la pousse à la renverse sur mon lit (je savais bien que je n’aurais jamais l’audace de la pousser à la renverse sur mon lit, mais disons : et l’instant d’après, ou presque, une lueur de désir brille au fond de mon œil). Elle serait surprise, déroutée, elle s’abandonnerait sans peine. Hasard pour m’éviter les secondes pénibles qui devaient logiquement suivre la révélation peu exaltante que je venais de lui faire (quelques pas en mocassins de plomb sur un trottoir d’œufs – il s’installe toujours un petit malaise entre l’homme et la femme lorsque l’un des deux annonce à l’autre que non merci ça ne l’intéresse pas), un camion de pompier est passé dans la rue, ce qui m’a permis de détourner très vite la conversation. (Au moins, les pompiers sont mes alliés sur terre, c’est toujours ça de pris.) J’ai pu changer de sujet et lui raconter que, tiens, un camion de pompiers, à chaque fois que je me promenais dans mon quartier et que je voyais passer un camion de pompiers, un bastion de neurones pessimistes au fond de moi m’avertissaient qu’il fonçait droit sur mon immeuble. Toujours j’avais dans un coin de l’esprit la certitude que les braves gars mettaient les gaz et brûlaient les feux rouges, sirène vagissante, pour aller tenter d’éteindre l’incendie qui ravageait mon appartement (une cigarette mal éteinte, le bébé du dessous qui a joué avec les allumettes, ma chatte qui a ouvert le gaz en essayant de grimper sur la cuisinière, un terroriste qui a déposé une bombe sur mon paillasson par erreur). Un jour, le bastion de neurones alarmistes avait fait tant d’émules sous mon crâne que je m’étais mis à courir derrière le camion pour en avoir le cœur net – ah non ce n’était pas chez moi. Et les fois suivantes, je m’étais contenté de contrôler le pincement d’angoisse en serrant les mâchoires et en pensant à autre chose (à n’importe quoi, le championnat du monde de boxe, le tapir de Colombie, les brochettes de lotte, les tableaux de Catherine, lesjolies filles, l’hôtel d’Angleterre à Carteret). Car si je me m’étais à galoper comme un cheval fou derrière tous les camions de pompiers qui passaient dans le premier arrondissement, ma vie deviendrait un enfer.
En lui expliquant cela, bizarrement, il ne m’est pas venu une seconde à l’esprit que ce camion-là pouvait filer droit chez moi justement. Si ça se trouve. Une nouvelle farce de la vie, peut-être – l’ironie du sort (expression terrifiante). Il faut dire que je n’avais pas besoin d’artifices pour éloigner de moi les idées noires : Pollux Lesiak était le championnat du monde de boxe, une brochette de lotte, les tableaux de Catherine, Pollux Lesiak était l’hôtel d’Angleterre à Carteret, toutes les jolies filles et le tapir de Colombie.
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Au XXIe siècle, les enfants ont le cerveau bombardé d'informations, d'action, de suspense et de rebondissements depuis qu'ils sont tout petits, ils sont survoltés, n'ont pas envie d'attendre : ils s'endorment si rien n'arrive.
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En reaction, pour résister, et pour ne plus avoir peur, il s'arme d'une colere froide qui ne le quittera plus. Il a comprisque la loi du plus fort, il ne fallait pas espérer l'avoir de son côté. Il faudra trouver d'autres moyens de se débrouiller pour ne pas vivre trop tristement. Plus tard, il écrira à propos de cette époque où le juge obtus, le crétin, l'a remis dans le tumulte marseillais : J'étais comme un disque vierge qui part à la gravure.
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Je suis comme les bébés, quand la nuit tombe, j’ai besoin d’un whisky. Eux, les pauvres, ne peuvent que pleurer, hurler, gémir pour les plus coriaces, passer seuls ce moment bancal, triste et inquiétant de la fin du jour – on m’en parlait, je n’y croyais pas jusqu’à ce que je constate sur mon fils, lors de ses premiers mois sur terre : dès qu’on commence à respirer, on a sombrement, profondément conscience d’un malheur vers dix-sept heures en hiver, plus tard en été, la sensation de perdre quelque chose. Ensuite, avec l’âge et l’entraînement, on se débrouille, certains passent des coups de fil ou regardent n’importe quoi à la télé, d’autres se mettent à courir autour du pâté de maisons en tenue de sport, ma femme joue de la trompette, les plus fatalistes ou les plus faibles boivent quelques verres. De whisky, donc, pour moi. Ça m’aide, m’éloigne, estompe le changement de lumière, mais à cinquante ans, vingt ans, comme à six mois, même enfoui, le malaise persiste. Surtout, ces temps-ci, quand je pense à Pauline Dubuisson.
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Je ne la regarde pas d’un œil grave, noir, comme tant d’autres, elle a eu sa dose ; mais légèrement, le plus légèrement possible. Avec un mélange de bienveillance et de détachement (ça devrait aller – il me semble que c’est ce qu’on doit s’efforcer de faire avec tout le monde, avec les vivants qu’on croise).
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On n'est pas soi-même pendant quelques minutes, par ruse, et on devient pour toujours et pour tous ce qu'on a fait semblant d'être.
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"Le suicide est une chose simple, concevable et permise." - on se détend, le soir après la soupe.
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un cador buriné qui ne savait pas lire mais n'avait peur de rien - aucun rapport, d'ailleurs, savoir lire n'a jamais empêché d'avoir peur (je dirais même au contraire, mais bref).
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J’ai eu l’impression curieuse d’entrer dans un vaste laboratoire qui fabriquerait des attitudes et des paroles en grand nombre, dont les deux ou trois cents employés bien habillés produiraient en permanence de la voix calme et du petit mouvement destinés à l’exportation – ou simplement pour étude – dans des conditions de travail très agréables. Tous ces gens plus ou moins semblables, debout dans une salle, qui parlaient par groupes de trois ou quatre, faisaient des gestes tranquilles avec leurs mains, de légères inclinaisons de la tête, de la gymnastique de bouche, des clins d’œil, de discrets changements de jambe pour ne pas s’ankyloser, allumaient une cigarette ou portaient un verre à leurs lèvres, tournaient les yeux à droite ou à gauche, échangeaient quelques mots avec un collègue d’un autre groupe de travail, serraient une main, touchaient une épaule, embrassaient une joue, souriaient, toussotaient, fronçaient les sourcils – tous ces gens enveloppés dans le brouhaha de la machine semblaient faire équipe, tous
engagés dans la même entreprise, l’industrie humaine.
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J’avais choisi ma place. Chambre avec vue. Je l’avais visitée et fait aménager, remplaçant l’unique ouverture et sa porte de fer par un espace vitré. Les dimensions exiguës, 30x40x50 cm convenaient parfaitement à un amas de cendre, ce que je serai au moment d’emménager. Sur les hauteurs, entre les cyprès, je voyais le port, ses grues jaunes, les containers empilés pour la Chine, le Japon, l’Afrique, cubes de couleurs pastel, espaces clos et sombres où tout pouvait prendre place, des jouets pour enfants aux paquets de cocaïne arrivés de Colombie. Barcelone était la plaque tournante de la drogue en Europe. La blanche valait un euro le gramme au départ, vingt à son arrivée au port, quarante à Paris. J’avais fait construire un petit fauteuil rouge de trente centimètres de haut, le genre de fauteuil dans lequel on pouvait lire L’Homme sans qualités ou tout autre roman océanique. Il était téméraire de penser qu’une conscience aurait besoin d’un fauteuil et plus encore qu’elle prendrait plaisir à lire mais ce genre de présupposés m’avait diverti et c’est avec précision que j’avais noté dans mon testament : « Le fauteuil sera disposé face à la mer, les cendres répandues, l’urne jetée et lorsque les dernières poussières se seront déposées, je veux qu’on place discrètement mon appareil de photo, batterie complètement chargée, sur le fauteuil. Ensuite, on scellera la petite dalle de verre et on me laissera reposer en paix. » (Antoni Casas Ros)
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Pour ça, oui, tu voulais être parfaite. Une lubie qui t’a coûté bonbon alors même que tu savais qu’elle ne vivait plus. Être parfaite et calfeutrer l’être des bottines à la tête. Que rien n’émane de ton corps tout en faisant que rien n’y entre, un mur entre le chagrin commun et les révoltes individuelles. Ne pas réaliser donc. Pas encore. Et franchir la distance jusqu’à la porte d’entrée derrière laquelle se massent les plus proches. Il faut avouer que l’exercice d’apnée débuta bien là. Tu passais ensuite les trois heures à happer l’air comme si des branchies s’étaient lovées en lieu et place des ganglions de ta gorge. Tu souris à ta cousine, l’embrasses et fais semblant de prendre sa peine. Tu prends sur toi, déjà. Un mot à chacun et s’asseoir pour inspirer sans prêter attention. Ta mère fait signe d’entrer avec elle dans la pièce réservée à l’exposition du cadavre, avec son air autoritaire et ses lèvres pincées. Pitié pour elle ce jour, figure à mettre sur le compte de la tristesse. Trop tôt. C’est non d’un regard, en corps immobile, ancré au plus intime de la chaise, tortue. Demeurer posée et imaginer l’ampleur de la coulée de plomb que tu vas avaler et qui marquera. Tu portes la casquette gavroche grise à petits pois dorés, si petits qu’ils se perdent dans la trame du tissu. Il fallait obstruer la sortie supérieure. Ressembler au capitaine McWhirr menant son vapeur au travers du typhon sans ciller et parler, monologue de lui vers toi. Toutes les réponses ne sont pas dans les livres, le courage non plus. Voilà pourquoi tu dois entrer et regarder le corps sans âme de celle qui fut ta tante, le substitut maternel, la cuisinière à forte poitrine et à franches rigolades, le caractère égal et joyeux, le molleton des chagrins. Tu y pensais sans arrêt sur ton île, en te serinant qu’il fallait appeler, appeler, venir la voir. Les jours passent et à la trentaine il faut consolider sa propre existence. Le temps est compté pour chacun. Tu regrettes. (Marie Van Moere)
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Mon projet de vie autarcique était sur le grill depuis pas mal de temps… à cause de Thoreau et Walden… je m’étais construit cent fois la cabane, devant l’étang et son héron. C’est peut-être pas un héron dans le bouquin mais ça l’est devenu dans ma tête. Quand j’ai atterri dans la finance, j’ai pu mettre des sous de côté si tu vois ce que je veux dire. Me suis pas fait gauler moi ! Ça m’a permis de concrétiser. Je savais pas trop comment au début puis je suis tombé sur Laissez bronzer les cadavres de Manchette et Bastide qui m’a donné l’idée du hameau d’altitude, puis sur Les Jumeaux de Black Hills de Chatwin qui m’a rappelé l’histoire des frères Lopez. Fastoche !
Y’a des gens qui se laissent dicter leur chemin par les toubibs, les curés, les gourous, les flics de la pensée, les coaches en tous genres ou même les animateurs télé… moi ce sont les livres. (Stéphane Monnot)
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Et puis soudain, il a fallu que j’aille à Jaligny-sur-Besbre. Un petit salon du livre – où devait être remise la «Dinde d’honneur». Rompu depuis peu aux périls émoustillants du voyage au long cours, j’en étais, par avance, transporté de joie. Bien entendu, j’ai proposé à cette fille fabuleuse qui s’appelait Anne-Catherine de m’accompagner. L’idée l’a enthousiasmée car, contrairement à moi, elle ne se sentait vraiment vivre que lorsqu’elle bougeait. Ces deux jours d’amour et de littérature au grand air s’annonçaient épatants.
Par malheur, le patron du Saxo Bar (Nenad, un Serbe dur comme le roc et sentimental comme un cric) a refusé de lui accorder deux jours de vacances après seulement une semaine de travail. Je l’aurais tué – si j’avais eu un fusil de chasse et si j’avais trouvé quatre ou cinq anciens catcheurs pour le maintenir fermement au sol pendant que je visais. Mais n’ayant ni carabine ni relations dans le sport de haut niveau, je me suis contenté de penser, en laissant un sourire fataliste éclairer mon beau visage : « Bah, ce n’est pas si grave. Je vais passer deux jours agréables et, à mon retour, elle sera là. Avec tout ce que cela comporte. » (Philippe Jaenada)
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Du bonheur !!
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Nous nous sommes arrêtés devant des cages en sous-sol, pires sans doute que celles qu'on utilise pour les hyènes malades dans les zoos en faillite des pays les plus pauvres. Je ne voulais pas y aller. Moi, dans une cage comme ça? Jamais de la vie. (De plus je distinguais des créatures encore vivantes à l'intérieur).
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Philippe Jaenada
La vie est mal faite, on est obligé de boire si on veut pisser.
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Philippe Jaenada
On assimile et transforme tout, qu’on ne se remplit pas d’histoires pathétiques et de constats d’échec comme un ballon se remplit d’air.
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Philippe Jaenada
Le Notaire. C’est comme le Kid, ça paraît trop inoffensif pour ne pas cacher quelque chose de terrible.
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Philippe Jaenada
Les enfants n’ont pas encore la notion de la routine, de l’exiguïté du décor, ils n’ont pas assez vécu, vu, entendu, ils prennent tout ce qu’ils trouvent avec bonhomie. Ils peuvent regarder huit fois le même film et jouer des heures avec deux figurines dans une petite cabane.
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