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Citations de Pierre Michon (344)


On dit que ses quelques discours furent obscurs, creux, ampoulés ; je veux bien le croire : il était peu apte à la limpidité forcée des politiques, à ce fantôme de la parole quand elle est efficace, citoyenne ; il aimait et craignait le verbe, son clinquant dans le jour, son pouvoir vide, sonore.
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La chandelle s'éteint, un rossignol s'évade du sureau; peut-être vers Saint-Goussaud entend-on grincer la porte vermoulue de l'église- mais c'est aussi bien celle d'une étable, ou deux branches ennemies dans un fourré. Des étoiles fuient, ou des salamandres d'or quand on bat le briquet derrière les vitraux baignés d'herbe.
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La gloire, qui est le don de propager le feu dans la mémoire des hommes, et la chair, qui a le don de consumer à volonté le corps dans une flamme aiguë, une foudre.
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Il couche dans un beau lit avec une belle femme. Lui seul sait qu’il trébuche à chaque pas, il est jeune, cela ne se voit pas encore
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... l'informe gêne à laquelle le trop grand âge ne peut plus même accorder l'ultime coquetterie de passer pour propre.
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... le soir de fin d'été courait sur les rails éclatants, les trains brûlants rutilaient. J'hésitais vaguement entre plusieurs destinations ; un sort farceur ou blasé jeta les dés, je montais dans un wagon, les aiguillages firent le reste ...
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Mettez-vous bien dans le cœur l’espérance que recèle une vie qui consiste à ramasser de la boue dans une hotte, à vider cette hotte dans la charrette et à recommencer jour après jour jusqu’au soir une œuvre du même tonneau, avec pour aubaine à venir du pain noir, du pain de plomb, et par là-dessus un sommeil de plomb pour le faire passer ; et le dimanche, la cuite plomb. L’aubaine aussi de besogner dans les mois noirs en Limousin quelque chose qu’on appelle une femme par courtoisie, mais qui n’évoque une femme qu’à l’issue d’une opération métaphorique compliquée. Vous y êtes ? Vous êtes bien dans la carpe mûre jusqu’au cou ? Charriez. Ramassez la terre morte avec les poissons dedans. Mangez-en un si le cœur vous en dit, il est à vous, aux mouettes et aux corneilles. Mangez-le. Maintenant, relevez la tête. Voyez là-haut à deux pas la robe d’or, et au-dessus de la robe un regard posé sur vous. Et sous la robe d’or, avec plus de fulgurance, voyez le corps nu de la belle dame. Vous sentez dans vos braies l’émotion immédiate, la divine, l’intense, la seule ? Imaginez ceci encore : quoique limousin vous avez vingt ans et la beauté d’un dieu, et dans les bras la vigueur qui vous a permis de respirer jour après jour dans les nuées de moustiques la carpe mûre et n’en pas mourir, comme sont morts la moitié de vos congénères, tombés d’une échelle, étouffés dans la boue, secoués par les fièvres, pas plus que vous n’êtes morts petit, à trois ans dans le puits, à huit ans sous la charrette, à quinze d’un couteau, comme sont morts vos dix frères et sœurs. Sentez votre vigueur, votre beauté, votre chance d’une certaine façon. Car ceci se passe : la belle dame privée d’homme longtemps vous regarde avec, dans le regard, l’aveu qu’elle a dans ses jupes l’émotion que vous avez dans vos braies. Mais soudain elle regarde ailleurs et ne vous regardera plus, parce que la loi est de fer et que le Père universel veille, et parce que Dieu est un chien. Et si Dieu est un chien, vous avez peut-être licence d’être vous-même un chien à son image, de grimper le talus, de jeter à terre, de trousser et forcer, et de saillir sans façon à la mode des chiens. Et l’enfant qui vous observe (mais cela, vous n’avez pas le temps de le noter), l’enfant qui a tout vu en somme, souhaite passionnément que vous grimpiez le talus et disposiez de sa mère sous ses yeux. Et c’est ce qu’il craint le plus au monde.
Vous y êtes ? Vous sentez bien le trop de désir et le si peu de justice ? Vous portez à même la peau le double masque de l’amour ? Vous êtes Sade et Jean-Jacques Rousseau ? C’est bien, nous pouvons revenir au tableau. Nous pouvons de nouveau nous tourner vers Les Onze.
Onze Limousins, n’est-ce pas ? Onze Limousins drus. Onze barons drus, levés et regardant entrer votre mère jeune et nue dans la salle basse d’un château du marquis de Sade. Onze blondinets coupant des têtes, c’est-à-dire tranchant dans les jupes de leur mère.
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Parmi les palabres patoises, une voix s'anoblit, se pose un ton plus haut, s'efforce en des sonorités plus riches d'épouser la langue aux plus riches mots. L'enfant écoute, répète craintivement d'abord, puis avec complaisance. Il ne sait pas encore qu'à ceux de sa classe ou de son espèce, nés plus près de la terre et plus prompts à y basculer derechef, la Belle Langue ne donne pas la grandeur mais la nostalgie et le désir de la grandeur. Il cesse d'appartenir à l'instant, le sel des heures se dilue, et dans l'agonie du passé qui toujours commence, l'avenir se lève et aussitôt se met à courir.
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A l'automne de 1972, Marianne m'abandonna. Elle répétait au théâtre de Bourges un médiocre Othello ; j'étais depuis plusieurs mois chez ma mère, aspirant sottement à la grâce de l'Ecrit et ne la recevant pas : grabataire ou de drogues diverses m'exaltant mais toujours distrait au monde, indolent, furieux, et une hébétude forcenée me rivant satisfait à la page infertile sans qu'il me fût besoin d'écrire un seul mot (p. 161 Folio).
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Non, pas de Venise, pas de jeunes filles, pas de romance ; car tout cela, jeunesse, blondeur, vin de magie, manteau mozartien, Giambattista Tiepolo le père avec ses quatre continents sous le manteau, toutes ces formes mouvantes et vivantes n'ont d'autre sens que de s'être jetées pour finir dans un tableau qui les nie, les exalte, les cogne à coups de massue, pleure de ce saccage et immodérément en jouit, onze fois, à travers onze stations de chair, onze stations de drap, de soie, de feutre, onze formes d'hommes ; tout cela ne prend sens et n'est écrit en clair que dans la page de ténèbres, Les Onze.
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Pierre Michon
Ce qui importe,
c’est qu’avec le monde on fasse des pays et des
langues, avec le chaos du sens, avec les prés des
champs de bataille, avec nos actes des légendes et
cette forme sophistiquée de la légende qu’est
l’histoire, avec les noms communs du nom propre.
Que les choses de l’été, l’amour, la foi et
l’ardeur, gèlent pour finir dans l’hiver impeccable
des livres. Et que pourtant dans cette glace un peu
de vie reste prise, fraîche, garante de notre
existence et de notre liberté
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Donc, le grand escalier. C’est Neumann qui l’a fait, Balthasar Neumann : c’est de la pierre mythologique, ça vient tout de Carrare, et les idées de Neumann ou d’un autre pour les statues qui toutes les trois marches sur la rampe se lèvent, ça vient d’Italie aussi. C’est toute l’Italie mythologique qui vous regarde de son haut, toutes les trois marches. C’est large comme un boulevard pour monter à ce ciel que Tiepolo peint mais qu’il n’a pas inventé : le projet, le canevas mental, deux savants jésuites le lui ont versé dans le creux de l’oreille, deux Germains de Rome. Le page qui monte quatre à quatre ce boulevard céleste vient de France, le page irrésistible qui deviendra ce peintre que nous savons. Vous imaginez cela, Monsieur, au temps de la douceur de vivre ? Elle n’est telle que parce qu’elle n’est plus, c’est vrai, mais comme il est doux d’y rassembler nos rêves, de leur donner la becquée dans ce nid germanique, oh à peine germanique, vénitien de par-delà, simplement. Ils viennent là au premier coup de trompette, nos rêves, ils connaissent le chemin. Ils accourent comme des poussins sous leur mère. Ils savent bien qu’elle est là, la douceur de vivre – à moins qu’ils ne le croient increvablement. Le temps de la douceur de vivre, on veut donc croire que c’était, et c’était peut-être en vérité, celui où Giambattista Tiepolo de Venise, c’est-à-dire un géant, un homme de la carrure de Frédéric Barberousse, en plus pacifique, employait trois années de sa vie (trois années de la vie de Tiepolo, qui ne voudrait les voir sortir de son petit cornet à dés ?), employait trois années au fond de la Germanie sur un plafond par-dessus un escalier, à montrer, peut-être à démontrer, comment les quatre continents, les quatre saisons, les cinq religions universelles, le Dieu trois qui est un, les Douze de l’Olympe, les quatre races d’hommes, toutes les femmes, toutes les marchandises, toutes les espèces, mais oui : – le monde -, comment donc le monde toutes affaires cessantes accourait des quatre orients pour faire hommage lige à Carl Philipp von Greiffenclau son suzerain, qui est peint au beau milieu au point de jonction des quatre orients, comme au quai de débarquement du fret universel, et dont on reçoit en plein l’image triomphale quand on arrive sur la dernière marche – Carl Philipp, suzerain des quatre orients, prince-évêque électeur, torve de visage, large de ceinture, d’épaules étroites, d’âge incertain, de pouvoir plus incertain, frotté de vers latins, d’escarcelle grande ouverte et de mœurs un peu dissolues car par ailleurs, sous son effigie sur les degrés de carrare, il poursuivait à coups de canne un rapin français qui lui soulevait des filles.
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Il était né on le sait à Combleux en 1730.
C’est tout près d’Orléans en amont, dont on voit les clochers ; ça baigne doucement sur deux bras de la Loire. Là-dessus bien sûr ces ciels français, poussiniens, qu’il peignit peu, et d’un clocher à l’autre quand on suit la levée le long du fleuve ces îles, ces saules, ces joncs, où on aurait aimé se cacher étant petit, et des vols soudains d’oiseaux. La Loire portait bateaux en ce temps : et c’est à cause des bateaux, de ce qui les porte, que l’auteur des Onze naquit aux bords de Loire. Son grand-père maternel, un huguenot de peu de foi revenu dans le giron de Rome à la Révocation, nouveau converti comme on disait, était de ces entrepreneurs en terrassement et gros œuvre de maçonnerie qui, sans autre atout dans leur manche que des bataillons de Limousins dont le statut et le salaire à peu de choses près étaient ceux des nègres d’Amérique, firent fortune dans les grands travaux de fleuves et de canaux, sous Colbert et Louvois. De ces grands travaux, de ces bataillons de Limousins, de ces quelques hommes aux grands appétits qui sortaient de leur manche des bataillons de Limousins et les jetaient sur la terre boueuse de Loire avec une poigne de fer, grandirent dans les roseaux et les jets de hérons ces bourgs qui tiennent les écluses, les ponts, les trépas de Loire, tout le long du canal d’Orléans à Montargis, et qui portent les vieux noms de Faye-aux-Loges, Chécy, Saint-Jean-le-Blanc, Combleux. Et lui, le grand-père, s’enrichit de la sorte sur l’eau, à l’heure où ses coreligionnaires étaient aussi sur l’eau, mais sans profit d’aucune sorte, dans les galères du roi : il finit avec le titre ronflant d’Ingénieur des turcies et levées de Loire, qu’avait créé Colbert. L’ingénieur, donc, qui avait fait fortune ici et peut-être était sentimental, qui en tout cas était trop vieux pour continuer à serrer la poigne sur ses bougres limousins, le grand-père prit maison et femme ici, au bout de ce canal qu’à grand ahan de chevaux percherons et de Limousins mal foutus il avait fait, enfin que Monsieur de Louvois avait fait mais auquel il avait contribué, sur la dernière grande écluse, ici, à Combleux.
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Vers cette époque, dans les bistrots de Chatelus, Saint-Goussaud, Mourioux,
dans les dires nés du vin que la fatigue décuple, dans les palabres des journaliers, et
de là dans les maisons où les hommes les rapportaient avec la nécessité de parler
querelleuse, affrontée à la femme, passéiste et inéluctable des soirs d’ivresse, Antoine
ressuscita.
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Le tableau fut commandé en nivôse - et non pas en ventôse, comme on l'a dit, comme on continue à le dire, parce que l'Histoire arrange les dates à sa façon ; parce que l'après-coup est grand seigneur et a tous les droits, Monseigneur l'Après-coup ; parce que ventôse fut le mois le plus noir de cet hiver de l'an II où tombèrent les factions, où aussi furent élaborés et promulgués les arides Décrets de ventôse, terribles aux suspects, plein de _zèle compatissant pour les malheureux_, désespérant les premiers, donnant aux seconds l'espérance fantôme de pain et de toit, donnant le la de la Grande Terreur ; parce que ce fut aussi le mois le plus froid ; parce que tapi dans ce grand froid et son coeur ayant froid Robespierre sortit le couteau pour raser de droite et de gauche, les modérantins et les exagérés, le beau couteau nommé Saint-Just ; parce que le vent de ventôse sonne plus théâtralement que la neige qui gît doucement dans nivôse ; parce qu'il n'y a pas de neige dans le tableau, mais comme un effet de grand vent, quoiqu'il n'y ait pas de vent non plus ; parce que surtout vous le savez, dans un amalgame hardi, romanesque, certains ont dès l'Empire appelé ce tableau définitif _Le Décret de ventôse_.
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On est devenu très fort depuis qu’on sait que tout le langage ment
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(...) il avait l'air d'un Russe, mais Van Gogh ne précise pas si c'était moujik ou barine : et les portraits restent indécis sur ce point, eux aussi.
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Je me souvins d'un autre temps, quand moi-même à tâtons m'appliquais à cliquer la pince des subordonnées sur la chair des phrases, à enfiler les désinences sur l'hameçon du verbe.
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A regret enfin nous marchions entre les tombes, nous descendions le raidillon. En contrebas le village entier s'offrait à mes yeux. Le beau Chatelus tout en pentes où il y a de grosses maisons vieilles, des ombres calmes et des mousses ; mais ce Chatelus était un trompe-l'oeil, le vrai, était derrière nous ; le vrai, c'était celui qu'appelait de ses voeux Félix harassé et désoccupé à Mourioux, doucement déçu, quand il disait : "quand je serai à Chatelus". Je prenais sa main, son odeur de velours épais me rassurait, et s'il se penchait je sentais sur ma joue son gros souffle. Ma mère, ma grand-mère, me montraient chaque fois l'école où elles apprirent à lire ; des souvenirs leur venaient, des mots, et avec eux les morts , les petites filles mortes dont elles tirèrent les nattes et les morts folâtres qui leur firent la cour, les morts étonnants qui vécurent ; ceux-là aussi s'étaient obscurcis derrière nous.
(Vie de la petite morte)
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C'étaient peut-être les sanglots du grand style, quand par hasard une fois dans votre vie la grâce vous le fait tomber sur la page : ceux que la phrase juste vous arrache quand elle vous tire en avant, ceux qui vous brisent quand le rythme juste vous pousse furieusement dans le dos, et qu'alors ébloui au milieu vous dites le vrai, vous proférez le sens, et vous ne savez pas comment, mais vous savez qu'à l'instant sur la page c'est le sens, c'est le vrai.
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