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Citations de Pierre Michon (344)


Elle regardait venir les enfants et m’abandonnait son profil, comme si elle ne m’avait pas vu : cette lourde coquetterie me fouetta autant que l’aurait fait sa nudité. Son haleine s’arrêta ; lentement elle me fit face, et avec un regard que le ravissement exaltait mieux que les sequins, mieux que le diadème corbeau et la bouche éclatée, elle me donna son beau visage noyé, ses pommettes bouillantes, ses yeux fixes ; ses narines frémissaient ; elle renversa un peu la tête vers la gauche comme pour regarder vers le bois, mais avec une lenteur affectée et sans me quitter des yeux : elle avait sur la droite ainsi découverte, épargnant le grain de beauté mais la poignant au plus plein, largement bourgeonnant au cou, fleurissant plus bas sous le carrick et effleurant la joue d’un pétale abject, la marque épaisse, boursouflée de sang noir et plus meurtrie qu’un cerne, plus mâchée que ses lèvres, que laissent avec éclat les fouets.
Le feu que cette vision fit circuler dans mes veines aurait dû m’arracher un cri. Rien ne pouvait égaler la mise à nu de ce visage où soudain avaient bondi comme ses autres lèvres, les fraises de ses seins. Son regard glorieux était planté dans le mien, je le saisissais et elle rougissait interminablement.
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Je sortis en coup de vent de la boutique : je ne sais quel pressentiment étranglé me fit prendre à fond de train la route des Martres ; sous les âcres noyers, je me retenais pour ne pas courir : le froid pur m’aiguisait, le monde était un nylon glacé, un fabuleux apprêt sous quoi palpitait je ne savais où une chair bouillante qu’il me fallait saisir, dont il me fallait brûler ; je voulais le soulever et qu’il crissât. Mes oreilles bourdonnaient, je n’étais plus à moi. Il y a une longue ligne droite après la sortie du bourg, plus loin que les noyers, avant les bois, tout entourée de grands champs ; mon regard durement fouillait ces champs, se portait aux confins, remontait aux lisières, tous lieux où mille fois naissait Yvonne dans ses bas, blanche, les reins nus dans le froid, mordue, jetée hors du bois dans les sévices de l’hiver et de mon esprit.
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Jean-Gabriel Perboyre n’était pas percé de flèches plus brûlantes ni plus écroulé contre sa souche que je ne l’étais contre la mienne, me donnant du plaisir avec des mains qui n’étaient plus moi, qui étaient à elle : les délices dont elle me combla, qu’elle me donna bien elle-même dans un sens, car je suis sûr que ça n’était pas à son insu, sont les plus aiguës qui m’aient jamais traversé. D’autres fois elle ne venait pas du tout.
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les mains dans les poches de son imper, la tête haute, la |... la reine, à ma hauteur s’arrêtait, me parlait du mauvais temps, me disait gentiment que je fumais trop ; je répondais sur le même texte, je tombais dans son sourire, je voulais garder cette goutte de pluie prise dans le duvet de sa joue, hésitant, coulant. Le violet de ses cernes me déchirait, son parfum dans le bois me poussait au ventre. Elle s’éloignait, ses jupes bruissaient plus haut que les arbres, les talons transperçaient les feuilles tombées.
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Elle souriait. Ses rides dans ce sourire s’ordonnaient à merveille. Elle ferma sa porte, tripota des interrupteurs, tout s’éteignit, me levant je dormais déjà, j’étais n’importe où, dans des pays où les renards passent dans les rêves, et au cœur du brouillard des poissons qu’on ne voit pas sautent hors de l’eau, y retombent avec un bruit mat, au fin fond de la Dordogne c’est-à-dire nulle part, en Valachie.
Il plut pendant tout septembre.
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Une chair qui porte au ventre des dentelles pour être chair d’avantage, ou qui les porte au col pour n’être plus chair mais seulement nom, éclat, dédain, la chair extrême des princes.
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Pendant des années innombrables des rennes transhumèrent, qui de l’Atlantique remontaient au printemps vers l’herbe verte de l’Auvergne dans le tonnerre de leurs sabots, leur immense poussière sur l’horizon, leurs andouillers dessus, la tête morne de l’un appuyée sur la croupe de l’autre ; et là, dans le goulet crapuleux que forment s’embrassant la Vézère, les deux Beune, l’Auvézère, on les attendait avec les limandes, des becs de perroquet, des haros ; et les mangeurs de lichens de loin entendaient les tambours, voyaient des feux si c’était la nuit et le jour voyaient la fumée, mais sans dévier ils prenaient vers les tambours, s’étiraient dans les étroitures au bord de l’eau, tremblants.
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Comment les lisait il, les lettres de Van Gogh, Joseph Roulin? Pas comme je les lirais, assurément, pas de cette lecture matoise et mauvaise, interprétative, que maintenant nous faisons de ceux qui ne nous écrivent que par une dernière politesse envers le sort, comme si sans illusions, ils écrivaient à l'espoir en personne: c'est une mauvaise passe, disent-ils, c'est vents et circonstances, et on ne veut pas les croire, ils nous amusent, on sait que là-dessous sans recours ils culbutent, on est devenu très fort depuis qu'on sait que tout le langage ment. On a appris le pire, on y est installé.
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Il la [saison en Enfer] finit ici, dans ce trou rural hautement civilisé, dans la clarté antique des moissons.
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A leur recherche pourtant, dans leur conversation qui n'est pas du silence, j'ai eu de la joie, et peut-être fut-ce aussi la leur ; j'ai failli naître souvent de leur renaissance avortée, mais toujours avec eux mourir ; j'aurais voulu écrire du haut de ce vertigineux moment, de cette trépidation, exultation ou inconcevable terreur, écrire comme un enfant sans parole meurt, se dilue dans l'été dans un très grand émoi peu dicible.
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L'écrivain une espèce plus avide de se perdre que l'explorateur.
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Pierre Michon
Pour paraître l’auteur de la Comédie humaine, il faut écrire la Comédie humaine, il faut même la publier
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C’est l’hiver à Nohant. C’est la nuit d’hiver. Une fenêtre s’ouvre à l’étage, un gros homme se penche dans l’hiver. Il pense à la littérature, à quoi pourrait-il penser d’autre ?
Ces étoiles dans le gel sont littérature. Ce clair de lune voilé de nuages est littérature.
Littérature ces marronniers de février, effets de brumes aux branches, c’est dans Shakespeare.
Le silence est parfait. On entend soupirer le gros homme. Il ferme le volet.
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Dans un café plein, on fait l’expérience des stratégies sociales du contact et de l’évitement, de la promiscuité et de l’esquive, du mélange et de la différenciation. On est soumis à la contagion de l’autre, et pourtant on fait mine de ne pas y toucher. Avec tout ça, on se fait une identité provisoire et menacée, périlleuse et incertaine. Voilà de quoi je veux parler, toutes choses dont Manet, dans ce tableau, parle. Qu’il montre, en tout cas.
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Que fait-on dans un café si on n’y parle pas ? On y boit, certes, j’y reviendrai. Mais entre deux gorgées de bière ou d’absinthe ? Entre les deux grands vertiges de l’oralité, la parole et l’alcool, que fait-on ? On coexiste.
Dans un café, un café à l’heure de pointe comme celui-ci, on fait l’expérience nue de la promiscuité, qui est le mode aigu de la coexistence. On touche l’autre, on l’évite. On effleure, on se rétracte. On déploie son corps, on le replie. On est serrés, on ne sait pas où mettre ses bras, et pourtant on use de ses bras comme si on avait toute la place, comme si c’était nous qui avions choisi de replier nos bras, nous, et non pas l’espace, la restriction de l’espace à partager. On a le corps sur une chaise, et l’esprit entre deux chaises. Tout cela bien sûr en public, puisque dans ce café nous sommes public et acteur à la fois, puisque nous sommes foule et que dans le même temps nous voulons paraître l’unique, l’indépendant, le seul qui dans la foule dépare la foule, s’en échappe en y demeurant, la transcende. On est tous figurants, mais on n’oublie pas que quelque chose en chacun de nous a le premier rôle. On est dans une boîte de sardines, mais chaque sardine de la boîte veut passer pour requin tout en restant sardine. C’est du travail. On ne se repose jamais au café et quand on en sort on a la gueule de bois, absinthe ou pas.
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Ce qui demeure dans ces récits ( de vie moderne) c’est un sentiment très vacillant du sacré, balbutiant, timide ou désespéré, un sacré dont nul dieu n’est plus garant ; ce qui s’y joue sous des cieux vides, c’est ce qu’a de minimalement sacré tout passage individuel sur terre, plus déchirant aujourd’hui de ce qu’aucune comptabilité terrestre n’en garde la mémoire. Ces vies sont tangentes à l’absence de dieu comme les hagiographies l’étaient à sa toute présence ; elles expérimentent le drame de la créature déchu en individu.


On a toujours une biographie fictive, arrangée, littéraire quelque soir l’appétit d’authenticité
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Dans sa jeunesse, ne pas avoir toutes les femmes lui avait paru un intolérable scandale. Qu’on m’entende bien – lui, on ne peut plus l’entendre : il ne s’agissait pas de séduire ; il avait plu, comme tout un chacun, à ces deux, sept, trente ou cent femmes qui à chacun sont imparties, selon sa taille et sa figure, son esprit. Non, ce dont il enrageait, dans la rue, dans les coulisses et les échoppes, à la table de tous ceux qui l’accueillirent, chez les princes et dans les jardins, partout enfin où elles passent, c’était de ne pouvoir arbitrairement décider de disposer d’une, épouse du mécène, fillette ou vieille catin, de l’index la désigner, qu’à ce geste elle vînt et tout aussitôt s’offrît, et que la jetant là ou l’emportant ailleurs, tout aussitôt il en jouît. Qu’on m’entende encore : il n’était pas question de les y contraindre, qu’une loi ou quelque autre violence les y contraignit ; non, mais qu’elles le voulussent comme il les voulait, indifféremment et absolument, que ce désir leur ôtât tout discours comme à lui-même il l’ôtait, que d’elles-mêmes enfin elles courussent au fond du bois et muettes, allumées, sans le souffle, s’y disposassent pour qu’il les consommât, sans autre forme de procès. C’est bien là ce qu’il me dit, ce soir de juillet, entre deux quintes, et plus crûment que je ne le rapporte : il voulait un passe-droit ; le don multiple qu’il attendait était son dû, mais il ne me dit pas en paiement de quelle dette, qui ne lui fut jamais remboursée et dont l’énormité, l’outrecuidance, le faisaient rire de lui-même ; il n’en appela pas ; il voulait se taire, il voulait qu’on s’offrît à ce silence ; et que dans toutes ces robes il fût la seule main, avec pour tout commentaire celui, pétillant comme un langage, des retroussis de soie à l’instant forcené. Il n’en toucha pas un écu, évidemment, il voulait trop ou trop peu. Peut-être en cela était-il tous les hommes ; mon état ne me permet guère d’en juger et d’ailleurs, je vis retiré.
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Qu’est-ce qu’un grand peintre, au-delà des hasards du talent personnel ? C’est quelqu’un sans doute dont le trop violent appétit d’élévation sociale s’est fourvoyé dans une pratique qui outrepasse les distinctions de statut, et que dès lors nulle renommée ne pourra combler : telle est l’aventure du peintre qui dans ces pages porte le nom de Goya.
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Ce livre décrit la vie d'un chef barbare qui participa à la chute de Rome.

Ce récit court est totalement descriptif. Et bien qu' il y ait du lyrisme dans la narration, les phrases longues et l'abondance de points virgules m'a heurté.

Le ton m'a paru monocorde car toutes les descriptions sont traitées avec la même importance : la couleur du ciel ou la mort d'un héros.

Au final, un livre qui m'a échappé, où je n'ai pas tout compris. A relire ...peut-être à haute voix.
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