Citations de Rabindranath Tagore (604)
Délivrance
Je ne me délivrerai pas en me renonçant.
Je sens l’étreinte de la liberté dans les mille liens des délices
Et je me délivre en m’y attachant.
À jamais pour moi Tu verses le jus frais de Ton vin.
De ses mille saveurs, de ses mille couleurs,
Tu emplis jusqu’au bord ce calice d’argile.
À jamais le monde qui est le mien scintillera de cent lampes
Allumées à Ta flamme
Déposées sur l’autel de Ton temple
Ici-bas.
Non, je ne fermerai pas les portes de mes sens.
Car je veux par la Vue, l’Ouïe et le Toucher
goûter tous les plaisirs que Tu m’as donnés.
Oui, je ferai de mes illusions un grand feu de joie
Où se réchaufferont tous mes désirs trop verts
Pour devenir un jour
Les fruits mûrs de l’amour.
(p. 31-32)
Viens, printemps, audacieux amant de la terre, fais palpiter le coeur de la forêt , impatient de s'exprimer !
Viens en rafales d'inquiétude au milieu des feuilles et des fleurs pressés d'éclore.
Telle une lumineuse révolte, élance-toi dans la nuit, dans l'obscurité de l'eau, dessous la terre, crie la liberté des semences printanières.
Comme le rire de la foudre, le hurlement de la tempête, éclate dans la ville bruyante; libère la parole étouffée. l'effort tombé léthargie, renforce notre combat alangui, sois vainqueur de la mort !
De même que le Gange, à la saison des pluies, voit ses eaux monter graduellement et remplir ses bords , de même Kusum approchait de jour en jour de la plénitude de la beauté et de l'épanouissement .
La rivière était en pleine crue . De l'escalier qui descendait dans l'eau ,
quatre marches seulement émergeaient encore à la surface. ...
Les barques gonflaient leurs voiles sur la rivière ensoleillée . Le prêtre
brahmane portant ses vases rituels se disposait à prendre son bain. Les femmes par groupes de deux ou trois, venaient puiser de l'eau. C'était l'heure où Kusum avait coutume d'apparaître au haut des marches et de se baigner.
Alors, glissant une main à l'intérieur de son ample kurta, il tira de dessous son vêtement un morceau de papier chiffonné. Il le déplia et le lissa avec le plus grand soin, puis l'étala sur mon bureau, révélant l'empreinte d'une main toute menue : ce n'était ni une photographie, ni une peinture à l'huile, il semblait que la menotte eut été frottée avec de la suie, avant d'être pressée contre le papier. Chaque année, quand il arrivait à Calcutta pour vendre son raisin dans les rues, il serrait donc dans sa poche de poitrine, tout contre son coeur, ce menu souvenir de sa fille. Comme si le seul contact de cette petite main enfantine, si tendre, pouvait en quelque sorte apaiser la brûlante nostalgie qui dévorait sa vaste poitrine.
Il suffit que j'entende le nom d'un pays étranger pour qu'aussitôt je m'y envole en imagination [...]. Aussi une matinée passée devant mon bureau à bavarder avec le Kabuliwallah était elle déjà pour moi un voyage en soi. Dans son bengali boiteux, mon ami évoquait son pays natal d'une voix retentissante et à mesure qu'il parlait, les images défilaient devant mes yeux [...]
En dépit de son expérience de la vie, laquelle, à vrai dire, n'était pas bien grande, elle ne peut chasser de son esprit la crainte que l'univers entier ne soit infesté de voleurs, de bandits et d'alcooliques, de soldats anglais, de chenilles et de cafards, de tigres et de serpents, sans parler de la malaria.
[Taraprasanna] coulait des jours heureux et sans souci dans sa maison. Dakshayani croyait fermement à la supériorité intellectuelle de son mari et n'hésitait pas à le dire. Taraprasanna répliquait alors "Mais tu n'as pas d'autre mari à qui me comparer !" ce qui la mettait hors d'elle.
L'année suivante, Uma eut neuf ans. un beau matin, les accents du sânâi commencèrent de retentir dans toute la maison. C'était le jour de son mariage.
Dans le grand amphithéâtre de la nature, me disais-je, la lumière d'une lampe
qui se perd dans les ténèbres éternelles ne rappelle-t-on point la lumières de nos vies chétives qui expirent à toute heure du jour ou de la nuit ?
À présent, j'atteignais ma dix-huitaine année et mon père estimait que j'avais presque dépassé l'âge du mariage. Mais je formais secrètement le voeu de demeurer célibataire toute la vie et de mourir pour mon pays.
Ma famille ayant perdu depuis peu quelques-uns de ses membres , l'obscurité devait naturellement m'acheminer vers la mort .
Tagore; Aux bords du Gange.
Tu es venu un moment auprès de moi, et tu m'as ému par le grand mystère de la femme, qui palpite au coeur de la création.
C'est elle toujours qui retourne à Dieu le flot de sa douceur; elle est la beauté toujours fraîche, la jeunesse dans la nature; elle danse dans les bulles de l'eau, elle chante dans la lumière du matin; en vagues bondissantes elle apaise la soif de la terre ; en elle éclate l'éternel, jaillissant en une joie qui ne peut se contraindre plus longtemps et s'épand dans la douleur de l'amour.
LVI
J'étais entouré de solitude ce soir-là et lisais un livre. Mon coeur se desséchait , il me semble que la beauté était façonnée par des marchands de paroles. Je fermai le livre avec lassitude et soufflai la chandelle .En un instant la chambre s'emplit de lune.
Esprit de beauté, comment pouvais-tu , toi dont l'éclat inonde le ciel, resté caché derrière une minuscule flamme de bougie ?Comment quelques vains mots d'un livre pouvaient-ils monter comme une brume et te voiler, toi dont la voix apporte au coeur de la terre un calme ineffable ?
Je n'ai pas chanté le chant que je devais chanter. J'ai passé des jours à accorder et déaccorder ma lyre.
Le rythme ne venait pas bien , ni la place des mots; seul reste en mon coeur mon désir expirant.
La fleur ne s'est pas ouverte, seul le vent soupire.
GITANJALI
Le même fleuve de vie qui court nuit et jour à travers mes veines court à travers le monde et danse en cadence.
C'est la même vie dont la joie fuse à travers la terre légère en innombrables brins d'herbe, et qui éclate en tumultueuses vagues de feuilles est de fleurs.
C'est la même vie qui flux et reflux se rejettent dans l'océan ----berceau de la naissance et de la mort .
Je sens mes membres glorifiés, au toucher de cette vitalité. Orgueil ! le battement de vie des âges danse en ce moment danse
dans mon sang.
LXIX.
Qui es-tu lecteur toi qui lira mes poèmes dans cent ans d'ici ?
Je ne puis t'envoyer une simple fleur de ce trésor printanier , un seul rayon d'or de ces images.
Ouvre tes portes, regarde dehors.
Dans les jardins en fleur, cueille l'odorant souvenir des fleurs disparues depuis cent années .
En ton coeur joyeux puisse-tu ressentir la joie vivante d'un matin de printemps
qui lançai sa chanson heureuse par-delà un siècle.
Tu m'a grandi de ton amour, moi qui ne suis qu'un homme parmi les autres, flottant dans l'ordinaire courant, agité au gré de la changeante faveur du monde .
Tu m'a donné place là où les poètes de tous les temps apportent leurs offrandes , où les amants au nom impérissable se saluent l'un l'autre à travers les âges .
Des hommes pressés passent devant moi au marché ---sans remarquer comme mon corps est devenu précieux de ta caresse, sans savoir qu'en moi je porte ton baiser, comme le soleil porte en son orbe le feu du divin toucher, dont il brille à jamais.
Aujourd'hui un oiseau m'a montré le chemin ,
m'a conduit hors la forêt
jusqu'aux rives de l'océan de joie.
Tout à coup j'ai vu le soleil, tout à coup j'ai entendues chansons Tout à coup j'ai surpris le parfum des fleurs,
tout à coup mon âme s'est ouverte.
Quand le Sort devient ladre et médiocre,
quand le monde de l'Amour tombe en ruines, quand les sourires dont on fut prodigue sont offerts avec parcimonie,
il est l'heure pour toi , ô Poète
de fermer ta porte à clef,
d'enchaîner les mots à d'autres mots
et les rimes à d'autres rimes .