Citations de René Char (1437)
Les mots qui vont surgir savent de nous des choses que nous ignorons d’eux.
Notre héritage n'est précédé d'aucun testament. On ne se bat bien que pour les causes qu'on modèle soi-même et avec lesquelles on se brûle en s'identifiant. Agir en primitif et prévoir en stratège. Nous sommes des malades sidéraux incurables auxquels la vie sataniquement donne l'illusion de la santé.
Ma renarde, pose ta tête sur mes genoux.
Je ne suis pas heureux et pourtant tu suffis.
Bougeoir ou météore, il n'est plus de cœur gros ni d'avenir sur terre.
Les marches du crépuscule révèlent ton murmure,
gîte de menthe et de romarin,
confidence échangée entre les rousseurs de l'automne
et ta robe légère.
Tu es l'âme de la montagne aux flancs profonds,
aux roches tues derrière les lèvres d'argile.
Que les ailes de ton nez frémissent.
Que ta main ferme le sentier et rapproche le rideau des arbres.
Ma renarde, en présence des deux astres, le gel et le vent,
je place en toi toutes les espérances éboulées,
pour un chardon victorieux
de la rapace solitude.
(p139 - Feuillets d'Hypnos)
"Il existe une sorte d’homme toujours en avance sur ses excréments."
Un poète doit laisser des traces de son passage, non des preuves. Seules les traces font rêver.
Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque.
A te regarder, ils s'habitueront.
Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience.
Face à la mort nous n'avons qu'une ressource, faire de l'art avant elle.
Ne te courbe que pour aimer.
Si tu meurs, tu aimes encore.
Quand nos os eurent touché terre.
Croulant à travers nos visages.
Mon amour, rien ne fut fini.
Un amour frais vint dans un cri
Nous ranimer et nous reprendre.
Et si la chaleur s'était tue,
La chose qui continuait,
Opposée à la vie mourante, À l'infini s'élaborait.
Ce que nous avions vu flotter
Bord à bord avec la douleur Était là comme dans un nid,
Et ses deux yeux nous unissaient
Dans un naissant consentement.
La mort n'avait pas grandi
Malgré des laines ruisselantes,
Et le bonheur pas commencé À l'écoute de nos présences;
L'herbe était nue et piétinée.
Je ris merveilleusement avec toi.
Voilà la chance Unique.
(p29)
La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil.
Un grand poète se remarque à la quantité de pages insignifiantes qu'il n'écrit pas. Il a toutes les rues de la vie oublieuse pour distribuer ses moyennes aumônes et cracher le petit sang dont il ne meurt pas.
Vivre c'est s'obstiner à achever un souvenir.
Citation entendue dans la dernière émission de Jean-Claude Ameisen:
"Sur les épaules de Darwin" et que je vous laisse savourer...
L'éternité n'est guère plus longue que la vie.
FASTES
L'été chantait sur son roc préféré quand tu m'es apparue, l'été chantait à l'écart de nous qui étions silence, sympathie, liberté triste, mer plus encore que la mer dont la longue pelle bleue s'amusait à nos pieds. L'été chantait et ton coeur nageait loin de lui. Je baisais ton courage, entendais ton désarroi. Route par l'absolu des vagues vers ces hauts pics d'écume où croisent des vertus meurtrières pour les mains qui portent nos maisons. Nous n'étions pas crédules. Nous étions entourés. Les ans passèrent. Les orages moururent. Le monde s'en alla. J'avais mal de sentir que ton coeur justement ne m'apercevait plus. Je t'aimais. En mon absence de visage et mon vide de bonheur. Je t'aimais, changeant en tout, fidèle à toi.
Imite le moins possible les hommes dans leur énigmatique maladie de faire des noeuds
Viendra le temps où les nations sur la marelle de l'univers seront aussi étroitement dépendantes les unes des autres que les organes d'un même corps, solidaires en son économie.
Le cerveau, plein à craquer de machines, pourra-t-il encore garantir l'existence du mince ruisselet de rêve et d'évasion ? L'homme, d'un pas de somnambule, marche vers les mines meurtrières, conduit par le chant des inventeurs...
J’envie cet enfant qui se penche sur l’écriture du soleil, puis s’enfuit vers l’école, balayant de son coquelicot pensums et récompenses.
(p129 - Feuillets d'Hypnos 181)
Ne te courbe que pour aimer. Si tu meurs, tu aimes encore.