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Citations de Santiago H. Amigorena (374)


La mère de Guille n’était guère plus coupable que toute cette classe moyenne qui, en Uruguay comme en Argentine, en Argentine comme au Chili, allait fermer les yeux à chaque fois que les militaires feraient un pas supplémentaire pour s’approprier le pouvoir et, une fois au pouvoir, un pas supplémentaire vers la barbarie.
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La nuit avait-elle à jamais disparu ? L'obscurité avait-elle définitivement jeté son obscure éponge devant la claire puissance du jour ? Non. La nuit menaçante s'effaçait lentement devant la nuit menaçante qui la suit. J'allais avoir dix ans et tout devenait plus précis et plus complexe à la fois. La force de mon frère ne cachait plus sa faiblesse. La beauté de la rue ne cachait plus son chagrin. L'enthousiasme politique de mes parents et des Viñar ne dissimulait plus, à mes yeux, leur profonde inquiétude. Découvrant le monde, je cessais de craindre la nuit, et tous ces monstres que j'avais créés pour la peupler, pour une raison en même temps simple et atroce : parce que je comprenais, j'allais devoir affronter d'autres terreurs.
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Ma déplorable condition d'Argentin, comme disait Funes le mémorieux, s'effaçait déjà, je le sentais, mais une petite graine maléfique plantée par ce premier exil commençait de pousser dans mon ventre ; une petite graine de l'une de ces plantes rampantes et luxuriantes, filtrantes et expansives, qui poussent depuis à l'intérieur de moi et qui me font écrire ; une petite graine d'un sentiment dont le père est l'orgueil et la mère la nostalgie et que je ne savais pas encore nommer - la mélancolie.
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Et si les jours s'allongent avec l'âge, si les échecs comme les réussites peu à peu deviennent indifférents, si quelque chose en nous s'affaisse, s'éteint, s'amoindrit, il ne faut surtout pas s'en plaindre : que nos jours en vieillissant ressemblent de plus en plus à de longs crépuscules d'été nous permet - comme nous permettait enfants l'incrédulité - de continuer de vivre en sachant que seule la nuit nous attend mais sans cesser de nous émerveiller du simple fait d'exister.
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Double discordance de l'enfance. Ou de cet âge plutôt - que j'appelle jeunesse - où l'enfant n'est plus tout à fait privé de mots. A tout âge, la mémoire reste un miracle insoluble de bruit et de silence ; elle est inévitablement, toujours, cette troisième forme à priori de la sensibilité où le temps et l'espace se confondent - où un goût, une odeur, un son, une caresse, une image seront à jamais plus puissants qu'un témoignage.
Mais qu'il est difficile de ressusciter la mémoire de cet âge singulier où les mots nous permettaient de nous souvenir et où la vie pourtant était encore si vivante, si rapide, si pleine d'oubli ! La mémoire d'alors est plus mémoire que partout ailleurs : la constellation qu'elle forme des instants passés avec les moments du présent a autant d'étoiles que de trous noirs. Et c'est pour ça qu'il me faut écrire, cherchant dans les failles des mots, dans les noeuds du fil du langage, à obscurcir plutôt qu'à éclaircir, à attiser plutôt qu'à apaiser - à créer plutôt qu'à reproduire. Il me faut écrire - même s'il est douloureux de ne réveiller cet âge frétillant que pour le faire ici mourir.
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La mer et la mort se ressemblent : peu de choses nous attire davantage.
Et ce n'est pas par hasard que lorsqu'on prononce ces deux noms un troisième nom nous revient : mémoire. Si le langage a été donné à l'homme pour qu'il témoigne avoir hérité ce qu'il est, c'est la mer, l'océan, l'inlassable mouvement d'approche et de retrait des vagues qui ôte et donne à la fois, qui lui permet ou le contraint, en formant cette constellation divine où les instants passés deviennent lisibles grâce aux moments du présent, de s'en souvenir sans cesse.
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Lorsqu'il fut questionné, l'officier qui mena l'attaque résuma la situation en une phrase courte et définitive : " L'autorité est au-dessus de la science ".
Il y avait, dans cette manière explicitement fasciste de s'attaquer non seulement à la jeunesse, non seulement aux étudiants, mais à la pensée, aux penseurs - quel que fût leur âge, quelles que fussent leurs opinions politiques -, une violence nouvelle qui fit fuir d'Argentine des centaines et des centaines de professeurs.
Pour des raisons différentes et semblables à la fois, le gouvernement interdit aux psychanalystes d'exercer un métier s'ils n'étaient pas diplômés de l'Ecole de Médecine. Mon père venait d'être nommé professeur de psychologie à l'Université de Rosario ; ma mère et lui exerçaient tous deux comme psychanalystes sans être médecins. Autant dire que le chemin de l'exil nous ouvrait grand ses bras. Et l'Uruguay, alors, n'était pas seulement l'éternelle promesse d'un temps vacant, suspendu, qu'il est encore de nos jours, c'était aussi, comme la Suisse le fut pour l'Europe, un petit havre de démocratie égaré dans un continent que le feu et le sang commençaient de dévorer de toutes parts : lorsque nous sommes partis d'Argentine, le Brésil et le Paraguay vivaient déjà sous des dictatures militaires et le Che venait d'être assassiné en Bolivie. L'apathie de Montevideo, pendant quelque temps, allait nous permettre de l'ignorer, mais la page la plus sombre de l'histoire du continent sud-américain s'ouvrait déjà sous nos yeux.
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La communauté se souvient pour exister – l’individu oublie pour survivre.
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À partir de décembre 1941, nombreux étaient les prisonniers dont on ne gardait aucune trace, ni de la capture, ni de l’exécution. Encore une idée simple, inventée par les Allemands, reprise par leurs collaborateurs français, mise en application en Indochine et en Algérie par les Paras et la Légion étrangère, puis théorisée officiellement par l’armée française, enseignée aux tortionnaires latino-américains à l’École des Amériques et finalement intégrée dans un plan officiel conçu par la CIA et Henry « Asesino » Kissinger : le Plan Condor.
(page 301)
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Si la langue est maternelle et l’écriture paternelle, dans la langue elle-même, pour chacun d’entre nous – toujours, toujours – la prose est paternelle et la poésie maternelle. Les histoires, les récits, et la pensée, nous sont donnés par nos pères ; l’instant vertical, métaphysique, instanctif, de la poésie, par nos mères.
(page 287)
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On aurait dû savoir que les États-Unis ne permettraient jamais un deuxième Cuba ou un deuxième Chili, on aurait dû savoir que, même en Uruguay, même dans ce minuscule pays éternellement endormi, le Frente Amplio serait interdit, la guérilla massacrée, Liber Seregni, comme tant de nos amis, emprisonné et torturé. Mais justement, comme j’écrivais, la politique existait encore. Ou plutôt : quelque chose de politique existait encore au-delà des élections, des partis, des médias. La situation était désespérée – et pleine d’espoir. Elle était politique parce que l’utopie en faisait partie.
(pages 276-277)
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Si nos seules patries sont l’enfance et la langue, l’amour et l’amitié sont nos seules nations : ce sont les seules contrées où notre errance sur terre trouve un sol ferme où poser les pieds. Un sol ferme et mouvant : vivant – comme le sable, comme l’océan.
(page 270)
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Lorsqu’on perd quelqu’un par surprise, la blessure qu’il laisse demeure irrémédiablement ouverte : aujourd’hui, cinquante ans après la mort de l’abuelo Vicente, ma mère en souffre encore comme elle en souffrait alors.
(page 242)
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La torture peut être terriblement efficace : non seulement elle sert à obtenir des renseignements, mais tout autour elle répand une douleur glacée qui avilit les hommes, qui, en brisant leurs rêves, les diminue, les dégrade.
(page 198)
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L’idée des États-Unis et de la France était simple : exercer leur influence sans envoyer des soldats se battre sur place, poursuivre les vieux desseins impérialistes qui ont toujours nourri la folie des grandeurs des démocraties sans plus risquer les vies, si précieuses, de leur propres combattants.
(page 196)
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La crainte de voir la gauche arriver au pouvoir à travers des élections, comme ç’avait été le cas l’année précédente au Chili, avait poussé Nixon et son sombre conseiller à la sécurité nationale, Henry Kissinger, futur prix Nobel de la paix, à « renforcer la collaboration » avec les militaires uruguayens – en d’autres termes, à envoyer des conseillers comme Dan Mitrione dont la mission consistait, entre autres, à enseigner l’utilisation de la gégène sur les parties génitales des détenus. Dans les cours qu’il prodiguait dans le sous-sol de sa maison, ce charmant fonctionnaire nord-américain se servait comme cobayes de clochards cueillis dans les quartiers pauvres ; des cobayes qui, après utilisation, étaient assassinés.
(page 167)
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Comme dans la plupart des écoles d’Uruguay et d’Argentine aujourd’hui encore, l’uniforme permettait de nous inculquer une certaine idée de la discipline – de l’égalité. Nous portions tous l’uniforme et nous avions tous les cheveux courts, et le souvenir de cette uniformité est profondément heureux.
(pages 149-150)
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La mère de Guille n’était guère plus coupable que toute cette classe moyenne qui, en Uruguay comme en Argentine, en Argentine comme au Chili, allait fermer les yeux à chaque fois que les militaires feraient un pas supplémentaire pour s’approprier le pouvoir et, une fois au pouvoir, un pas supplémentaire vers la barbarie.
(page 132)
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Cuando se cierra la ventana se apaga el cielo.
(Quand on ferme la fenêtre le ciel s’éteint.)
(page 131)
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D’abord, il n’existe qu’une seule personne : la propriétaire de ce sein qui nous nourrit ; puis apparaît un autre être, dangereux, étranger : notre père ; puis un frère ou une sœur, un chat ou un chien, et presque en même temps une peluche, un doudou qui n’est ni sujet ni objet, ni animé ni inanimé – et qui débute cette mystérieuse relation que nous entretiendrons pendant des années avec les jouets.
(pages 119-120)
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