Citations de Serge Bouchard (243)
J'ai déjà passé une journée entière à fixer le mouvement des vagues et des marées sur les roches rondes et lisses, à Sainte-Luce-sur-Mer . L'eau, rien que l'eau, du ruisseau jusqu'à la mer, nous entraîne au plus profond de notre monde intérieur, jusqu'au tréfonds de notre âme. L'humain a un double avec lequel il parle toute sa vie.
En ce monde de tout ou rien, dans l'univers de la précision et des angles froids, il est malaisé d'être oblique et de traiter des choses sur le régime de l'à-peu-près. Or, c'est l'immensité de l'à-peu-près qui justement m'attire, c'est la richesse du quasiment qui retient mon attention, ce qui n'est pas sans me mettre au ban de la plus part des assemblées.
Que feront-elles, ma fille et mes petites-filles, de tout ce pouvoir?Que feront nos petits, de tous ces plaisirs? La terre est Google, vont-ils gougouliser leur vie? Dans les archives de leur time machine, qui leur expliquera le Temps? Qui leur parlera du doute, de l'angoisse, de la douleur, de la force et de l'élan de vivre?
Car la nostalgie est la mémoire de l’intervalle, la mémoire de tout ce dont on ne se souvient plus. Elle ne se rappelle rien en particulier, mais elle vous restitue des pans entiers de votre passé. C’est une odeur, une lumière, un arbre mort, un vieux camion, une photographie, l’odeur de l’eau, de l’asphalte mouillé, un orage, un chien. La nostalgie a tout filtré, elle nous renvoie les émotions floues d’un état essentiel qui n’est plus, mais qui a été.
Du respect, mes amis, du respect. Vous qui aimez tant les girafes, les tigres et les lions, vous qui aimez le cirque, les éléphants de cirque, sachez que vous négligez le plus important. Moi Castor, je suis l’histoire de l’Amérique du Nord, je suis le Canada, une bonne partie des États-Unis, et sous mes airs balourds, reconnaissez la bibliothèque idéale, la mémoire intégrale, l’archive nationale.
Carcajou, fourrure magique, terreur de la nature, l’empatté qui ne recule devant rien, ni devant l’ours, ni devant le loup, rien hormis l’insignifiance notoire de l’homme. Si Carcajou s’en va, ce n’est pas parce qu’il a peur. C’est parce que le cœur du lointain n’y est plus.
Sa vie est toujours aussi exigeante, trépidante, faite de hauts et de bas. On l’encense, on la mitraille.
Confrontée à des responsabilités masculines, la femme devient vite hystérique. Toutes ses tares et limites lui viennent de son bas-ventre, région mystérieuse qui est la source de tous les dérèglements. Développer un cerveau féminin entraîne l’atrophie de l’utérus. Entre la tête et le ventre, il faut choisir, et le choix s’impose: la femme est d’abord une génitrice et une épouse; elle n’a pas de compte à la banque, elle ne signe pas de chèques, elle n’est pas propriétaire. C’est une créature soumise au bon vouloir de l’homme.
Au Québec, on ne signe pas: il y a bien quelques femmes journalistes, confinées bien sûr aux pages féminines, mais elles se cachent sous un pseudonyme – quand ce ne sont pas carrément des hommes qui, sous un pseudonyme féminin, s’adressent aux lectrices. Et surtout, ces femmes journalistes ne retirent de leur travail aucun revenu. D’ailleurs, qu’écrivent-elles? Des mièvreries à propos des convenances, de la mode, de la cuisine, rien d’édifiant pour les femmes nouvelles d’un XXe siècle à venir, à bâtir.
Elle avait une expérience de vie extraordinaire et de précieuses compétences en matière de politique. Or, en ces temps-là, la politique faisait l’histoire. Les grands enjeux de l’Amérique telle que nous la connaissons aujourd’hui se dessinaient au fil des chocs, des drames et des misères qui faisaient s’affronter des peuples et des cultures.
Il est des drames qui façonnent, qui marquent à jamais la trajectoire d’une vie.
Il est difficile à Montréal de se procurer des esclaves noirs sur les marchés. Aussi a-t-on recours à un procédé «naturel» pour en obtenir: comme on fait avec les bêtes, on accouple ceux qu’on possède déjà, on manigance même des ententes avec d’autres propriétaires.
Le vrai bonheur... c’est une bonne épouse et un foyer chaleureux!
C’était une femme d’expérience qui avait toute une vie derrière elle, mais elle était encore belle, bien faite, et avait toujours la vigueur et la force du temps de sa jeunesse. Par son allure, sa présence, elle forçait le respect: Madame était une combattante, cela se voyait au premier coup d’œil. Tout le monde la connaissait en ville, elle était la protestante militante qui scandait haut et fort, sur les quais, sur les toits, la mauvaise foi des catholiques, les droits des huguenots, la nécessité de se battre et de ne rien concéder aux ennemis.
Il est des distances que nous ne pouvons plus combler. Ce sont celles de la nostalgie.
Nous avions peur de devenir des numéros, nous sommes devenus carrément numériques.
Il n'y a rien comme le sourire du fusillé pour laisser un doute profond dans l'esprit du peloton d'exécution.
Heureusement, l'humanité est une mauvaise herbe qui repousse partout où on l'arrache.
Ne pas suivre la parade a ses avantages. On voit mieux le défilé lorsqu'on n'est pas dedans.
Le mot "vivant" est synonyme de "vieillissant".