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Critiques de Sergueï Dovlatov (40)
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L'Etrangère

Je passe de la Russie a l'Amerique. En fait non, je reste dans la litterature russe, c'est plutot Dovlatov qui est passe en Amerique. Physiquement. Et il saisit l'occasion pour decrire son nouvel entourage. Sans surprise, ce sera une communaute d'exiles russes comme lui.



Et il les croque, ces exiles, avec une ironie ou le sarcasme se teinte de tendresse, que ce soient Zaretski ou Drucker les intellectuels, Drucker s'essayant a son grand dam a l'edition; Lerner qui a reussi et qui agit pour tout et pour tous en maitre de ceremonie; Karavajev le dissident a vie, peu importe contre quoi il affirme sa dissidence; ou ceux qui s'adaptent un peu mieux, comme Roubintchik le commercant ou le trio de chauffeurs de taxis Baranov, Yesselevski et Pertsovitch. Et j'en passe… Tout ce petit monde va s'amouracher platoniquement d'une nouvelle venue, Maroussia Tatarovitch, fille d'un apparatchik haut place, qui a quitte la Russie sur un coup de tete. Mais a leur grand etonnement et sous les critiques acerees des dames de la communaute, elle s'abouche a un latino mythomane, pas du tout doue pour maintenir une famille, mais enchanteur par son abracadabrante facon d'afficher ses effusions d'amour et de tendresse.





Tout ca est decrit, par petites phrases courtes, en une prose sobre qui en accentue l'humour. Une piquante comedie, presque une musique, composee pour soliste (Maroussia) et choeur (la troisieme vague de l'emigration russe en Amerique). Et c'est par le comique que Dovlatov donne toute sa mesure, sa capacite, autour de petites intrigues ridicules et de bagatelles du quotidien, a transmettre les inquietudes, les peurs et les failles d'exiles qui ont quitte un pays sans que ce pays les quitte, qui souvent ne peuvent arriver a aucun ailleurs, habitants de limbes.



Et Dovlatov se mele a ce choeur, se met en scene comme confident de l'heroine. Mais, attention! Ce n'est pas de cette autofiction ou se complaisent de nos jours nombre d'ecrivains. C'est de la pure fiction, appuyee par l'introduction des pensees de l'auteur au fur et a mesure de l'ecriture: “Tu es un personnage, moi, l'auteur. Tu es ma velleite. [...] Je suis l'auteur. Vengeur, humilie, inutile, cruel, ce qu'on voudra, mais l'auteur. Ceux que j'ai connus vivent en moi. Ils sont ma neurasthenie, ma rage, mon aplomb, ma temerite. Car la guerre la plus sanguinaire est celle que livrent les fantomes. Je suis l'auteur, vous mes personnages. Vivants, je ne vous aurais pas aime autant”.





Je vois en Dovlatov un des plus grands exposants des destinées russes de son temps. Un grand auteur russe. Peut-etre un des plus grands. Indispensable pour moi.

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L'Etrangère

L’étrangère, c’est Maroussia Tatarovitch. Maroussia ou Moussia, a la belle vie dans sa Russie natale. Elle-même est fort belle, fille d’apparatchik, elle ne manque de rien et profite de la vie à sa guise.

Mais du jour au lendemain, elle décide de quitter son pays pour rejoindre les États-Unis. Songe-t-elle au rêve américain ? Sait-elle véritablement dans quel périple elle s’embarque ?



Son arrivée à New-York est des plus déstabilisant. Elle détonne dans ce quartier russe américain où toutes les femmes se doivent d’être mariées et de travailler, ou au moins de savoir se faire discrète si ce n’est point le cas. Mais Moussia, elle, ne rentre pas du tout dans les cases. Ses déboires amoureux passés, son incapacité à trouver un emploi, sa méconnaissance de l’anglais… Sans parler de son nouveau compagnon espagnol dont on ignore s’il s’agit d’un voyou ou d’un bon à rien, au gré de ses va et vient, sans savoir exactement quand il rentrera ni avec quelle somme d’argent à dépenser pour Moussia et son petit garçon né d’un premier mariage.



Au cœur de ce New-York des années soixante-dix, c’est tout un nouveau monde qui s’ouvre devant Moussia. De nouvelles mœurs, le bruit incessant, les vagues de gens, la circulation, la vie ininterrompue des new-yorkais qui ne semblent jamais dormir, la situation des noirs, des étrangers, des femmes… Tout doit être assimilé si elle veut un jour appartenir à cet univers américain.



Moussia parvient à se créer quelques habitudes, à se trouver des repères qui la rassurent, même si elle prend conscience des ragots et des commentaires qui circulent à son sujet. Mais elle ne sait que faire de toute cette liberté, de toute cette absence de censure, de toute cette richesse culturelle à portée de main… Au fond, avait-elle une bonne raison de quitter la Russie ?



Sergueï Dovlatov dépeint à merveille la solitude de l’étranger, les affres de la différence, les tourments du déracinement. Mais tout au long du livre, on retrouve toujours une pointe d’humour, de sarcasme inoffensif qui illumine l’élégance de son écriture.



Les personnages sont tout simplement irrésistibles ! Certaines scènes sont tellement cocasses… L’étrangère est une lecture drôle, grave, engagée, attendrissante, qui ne peut que faire mouche ! Peu importe votre genre favori, votre niveau de lecture, votre sensibilité, ce livre est un vrai petit chef-d’œuvre d’humanité ! Vous ne pouvez pas passer à côté sans vous l’offrir…
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Le Compromis

Sergueï Dovlatov est un auteur dissident soviétique qui a quitté l’URSS en 1978 pour émigrer aux Etats-Unis avec la « bénédiction » du régime soviétique de l’époque. Je ne le connaissais pas, mais apparemment il jouissait d’une certaine notoriété parmi les exilés russes et aux États-Unis en général.

Le Compromis (qui aurait pu s'intituler Les Compromis, puisque l’ouvrage contient 12 nouvelles, voire Les Compromissions, quand on découvre ce que sont parfois obligés de faire les journalistes pour ne pas froisser le Parti) relate les dessous de certains articles écrits alors qu’il était journaliste en Estonie.

Ces histoires, dans lesquelles les hommes boivent et parlent beaucoup, s’éloignent allégrement de l’article, pour mieux y revenir et donner toutes les explications nécessaires à sa bonne compréhension.

On pourrait penser que ce ne sont que des anecdotes, au demeurant fort drôles, destinées à distraire le lecteur, mais ces nouvelles trace un portrait de la société soviétique des plus instructifs, qui montre bien l’absurdité du régime soviétique.
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Le Compromis

A grands caractères d'imprimerie se lisent les grands progrès de la nation socialiste. L'altruisme, le dévouement, l'unique intérêt collectif primant sur l'individualisme honni s'inscrivent dans les pages de l'Estonie soviétique ou de Tallinn soir, glorieux journaux où publie Sergueï Dovlatov. Mais la presse, il faut croire, est parfois trompeuse, et Dovlatov en fait la chronique dans Le compromis, publié en 1981 à New York, aux États-Unis. Récit dont la forme étonne et interroge, Le compromis narre l'absurdité d'un régime politique qui a réduit à néant et perverti l'idéologie originelle. Le livre raconte aussi les résistances individuelles à un monde qui semble bien être une prison, sinon pour les corps, du moins pour les esprits. L'expérience, toutefois, est marquante pour l'auteur, qui choisit comme titre ce par quoi l'on pourrait définir toute situation présentant un danger, le danger étant ici l'acceptation tacite de ces faux-semblants qui définissent le monde soviétique. Le compromis pourrait tout aussi bien désigner Dovlatov lui-même, lui qui, malgré son regard critique sur le régime politique en place, travailla, d'une certaine manière, à la préservation de celui-ci à travers la presse.



Le compromis est un recueil de douze récits, dont le point de départ est la transcription d'un article de presse que Dovlatov a écrit. Ce dernier développe ensuite, sur quelques dizaines de pages tout au plus, le contexte dans lequel l'article a été écrit : ce qu'il s'est passé avant ou pendant l'épisode relaté, la destinée des personnages qui y sont décrits ... Sergueï Dovlatov se met lui-même en scène dans ces relations, et pas nécessairement sous un jour favorable, interdisant donc le rapprochement entre son texte et une fiction, et posant donc la question de la définition de la nature dudit texte. Témoignage semble être le mot le plus approprié, qui n'empêche ni le cynisme, ni l'humour, et donne le caractère authentique aux histoires racontées. On ne saurait qualifier Le compromis d'auto-fiction, dans la mesure où l'auteur n'indique jamais l'intention de fictionnaliser son vécu. D'où vient alors le caractère littéraire de ce texte, qui partage bien des points communs avec d'autres, plus documentaires ? Sans doute dans la manière d'écrire de Sergueï Dovlatov, de prendre justement du recul sur la situation qu'il vécut durant ces quelques années à Tallinn, et qui représentent probablement très bien son vécu d'homo sovieticus. Car les récits, bien que parfois pesants par leur prétexte, font toujours jaillir, à un paragraphe ou à un autre, quelque saillie humoristique souvent féroce. L'art du dialogue de Dovlatov, précis, rythmé, vivant, fait aussi probablement basculer son Compromis dans la catégorie des œuvres littéraires.



Le compromis semble s'articuler autour de deux pôles antinomiques dans la société soviétique : le collectif et l'individu. Le collectif, évidemment, est ce régime politique qui en appelle à l'idéologie socialiste pour exercer son contrôle sur les individus. Evidemment, derrière la vitrine idéologique se cache la réserve suintante de négation de l'individu (a contrario, Dovlatov fit l'expérience du revers de la brillante médaille libérale américaine), et les douze compromis ne cesse de montrer la compromission du régime. Qu'on songe seulement à ce quatre cents millièmes habitant de Tallinn, innocent nouveau-né auquel un prénom absurde mais plein de signification pour le régime est donné, et dont ce titre honorifique ne correspond à aucune donnée démographique sérieuse. Qu'il évoque les règles de citation des pays participant à une conférence, la déclinaison estonienne d'un stakhanovisme paysan et féminin ou bien les célébrations tant tristes que hargneuses des anciens prisonniers de guerre - des nazis ou des soviétiques, on ne sait de qui il fut préférable d'être le prisonnier -, Dovlatov pointe partout cet Etat - et les hommes qui relaient son pouvoir - qui cherche à tout prix à maintenir une illusion qui n'a jamais eu de réalité. On s'étonne de ce que, jamais, l'auteur ne montre quelles menaces pèsent sur lui, sinon les quelques remontrances de ce Touronok, ce rédacteur en chef ridicule qui perd son pantalon en public et se laisse bien souvent convaincre quand Dovlatov indique emmener le photographe Jbankov avec lui. C'est, probablement, signe que cette autorité de l'Etat était ancrée dans les esprits ; signe terrifiant, à dire vrai, de la victoire d'un appareil d'Etat impitoyable sur sa population.



Cependant, le livre de Dovlatov n'est pas seulement une complainte quant à un Etat par trop puissant. C'est aussi la preuve qu'hommes et femmes, du temps de l'Union soviétique, vivaient comme des individus, lesquels s'adaptaient à ce contexte politique et social et trouvaient, malgré tout, les moyens de vivre à leur façon. Ainsi cette étudiante sportive qui, pour plaire à nouveau à son mari, demande à Dovlatov de lui donner des cours pratiques d'éducation sexuelle ; ainsi chacun de ces hommes qu'une journaliste s'apprête à interviewer pour une nouvelle émission radiophonique, hommes qui, invariablement, ont tous fait montre, dans leurs vies, de déviances sociales dont il ne convient pas de faire la publicité ; ou encore de ces jokeys qui, pour quelques roubles, peuvent freiner leurs montures sur l'herbe de l'hippodrome afin que leur associé du jour empoche la mise et leur en redonne une partie. A côté des bons élèves du régime, de ces grandes âmes à qui l'ensemble des camarades rendent unanimement hommage lors de célébrations publiques, on trouve ceux qui, tout en étant en marge, parviennent à faire bonne figure. La consommation assidue de vodka n'est point un crime dans l'antique patrie des tsars, et elle permet tout de même de régulières fuites en avant vers les paysages éthérés de l'inconscience ou de l'insouciance. Il en est enfin qui, au sein de leur entourage, tel ce Bush, font figure de fou du village et parviennent, tant bien que mal, à vivre aux marges de la société, en attendant que l'un de leur faux-pas leur vaille les rigueurs du camp. De grandeur, il n'y a pas, dit Dovlatov, ni gravée dans le marbre des plus nobles institutions, ni personnifiée sous la chapka de quelque grand dirigeant, ni même dans le cynisme des esprits les plus lucides, bien que parfois les plus imbibés d'alcool. L'homme est petit, mais au moins est-il drôle. Là-dessus, Le compromis n'en fait aucun.
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Le Compromis

Sergueï Dovlatov (1941-1990) est un nouvelliste hors-pair et un des meilleurs écrivains russes de la période Brejnévienne. Ses nouvelles étaient connues sous samizdat en URSS. Il émigra en 1978 aux États Unis où paraîtront ses premiers livres. Il faudra attendre la chute de l’URSS pour voir ses textes publiés en Russie où il connaît depuis une gloire posthume méritée. Dans le Compromis, Sergueï Dovlatov se sert de son séjour à Tallin et de son expérience de journaliste au «Sovetskaïa Estonia » [ Estonie soviétique] de 1973 à 1976. Les histoires satiriques racontées à la première personne sont néanmoins toutes inventées, à mi-chemin entre le réalisme et l’absurde.



Quand il arrive à Tallin, Le narrateur « Dovlatov » a vingt-sept ans, des dettes, une pension alimentaire à payer et un désespoir certain qu’il noie dans la vodka. Il est sans travail. On lui a proposé un emploi à « La Sentinelle de la Patrie ». Il sait qu’il va devoir supporter les petits chefs, la médiocrité ambiante, les normes absurdes, la censure, avaler des couleuvres.

Le livre est constitué de douze nouvelles satiriques intitulées ironiquement « Compromis ». Chacune d’entre elles débute par l’article conformiste publié dans un journal estonien russophone. Et il est suivi par le récit de l’envers du décor. Le premier Compromis donne le ton avec un dialogue savoureux.Touronok, le rédacteur en chef du journal, fait remarquer au narrateur qu’il a commis une grossière erreur idéologique dans un entrefilet sur une conférence scientifique internationale. Dovlatov a en effet classé les pays étrangers par ordre alphabétique. Or il faut placer en tête les pays frères, puis les pays neutres et enfin les membres du bloc... Dovlatov s’exécute. Mais cela ne va pas non plus. Il faut, sachez-le, commencer par ceux qui ont le plus de loyauté envers le grand-frère. Les récits commencent souvent par de petites saynètes au journal et se poursuivent en reportages épiques. Dans le Compromis numéro cinq, Dovlatov est chargé de préparer un article constructif pour l’anniversaire de la libération de Tallin. Il doit aller à la maternité la veille et faire un reportage sur ce qui est sensé être le 400 000è résident de la ville : « Un homme condamné au bonheur ». Encore faut-il que le bébé soit « publiable » c’est-à -dire être « un garçon parfait » sans handicap ni mère célibataire et puis de « bonne » nationalité, évidemment. Et ce n’est pas facile. Dans le compromis numéro six, il faut trouver une personne intéressante à interviewer. Or les candidats présélectionnés ne sont pas irréprochables, loin s’en faut. Qu’à cela ne tienne, on maquillera la vérité avec des pots de vin et des subterfuges bricolés. A côté des citoyens ordinaires plus ou moins compromis, on trouve des exceptions, des survivants revenus de tout, des perdants misérables et puis d’impayables rebelles à moitié fous dont l’inoubliable E. L. Bush et son épouse Galina.

Et on rit comme on boit pour oublier vainement la douleur.



L’ouvrage se termine par des notes et un entretien de l’auteur avec John Glad (1988) très intéressant.



Je remercie l’équipe Masse critique et les éditions La Baconnière pour l’envoi de ce très bon livre.
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Le Compromis

Dans ce recueil de nouvelles le narrateur, journaliste reporter pour différents journaux estoniens dont le journal l’Estonie soviétique revient sur une série d’articles qu’il a rédigé dans le milieu des années 70. Chaque article a son histoire qui compose une nouvelle et s’il affiche un discours parfaitement conforme à la ligne du parti, les coulisses nous montrent une autre réalité que l’hypocrisie du système tient à masquer… Mais les journalistes doivent gagner leur vie, s’abreuver de beaucoup de vodka pour supporter l’absurdité d’une société fondée sur le mensonge…



Donc peu importe que les héros glorifiés soient un ramassis d’ivrognes, que le 400 000 bébé (à quelques dizaines près) né à Tallinn ait été choisi soigneusement et le père soudoyé pour le choix du prénom, que l’étudiante en architecture gothique ne soit qu’une charmante écervelée, ou que Tiina, athlète et chimiste, la citoyenne modèle soit à la recherche d’expériences sexuelles inédites, la parole du journaliste est au service de la propagande qui ne se soucie ni de style ni de vraisemblance…du moment que l’alcool coule à flots. On maquille, on se trompe de cercueil mais c’est filmé à la télé, on va interroger une pauvre fermière qui a tiré un record de lait, on a du mal à trouver des personnalités intéressantes… au passé irréprochable. Quelques personnages sortent du lot, comme Bush, pas loin de la schizophrénie mais fidèle à lui-même…un poète égaré.



Bref, le compromis c’est la vie quotidienne au sein d’une dictature alors que le métier de journaliste devrait être au service de la vérité. Le moindre faux pas et c’est le renvoi, donc le spectre de la misère mais heureusement l’humour et la dérision sont là pour compenser les conséquences dramatiques de cette censure omniprésente dans un univers figé. Sergueï Dovlatov nous offre de savoureuses anecdotes tirées de la vie dans l’univers soviétique de l’époque, ce souci de faire coller la réalité à l’idéologie ambiante, qui n’est pas sans rappeler certaines tendances de notre société démocratique moderne…Merci à Babelio et aux éditions La Baconnière pour cette intéressante découverte !

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La valise

Lorsqu'il décide d'émigrer hors de Russie en 1979, Sergei Dovlatov n'emporte avec lui qu'une valise. Dans les chapitres autobiographiques au ton léger et humoristique qui composent La valise, l'auteur décide de nous raconter les anecdotes et histoires qui entourent, huit objets amenés avec lui en Amérique, allant de chaussettes finlandaises importées en contrebande à des gants d'automobiliste qui lui servirent d'accessoires pour incarner le tsar Pierre le grand dans un film expérimental amateur. Le livre est initialement publié en langue russe aux États-Unis en 1986.





Il s'agit ici d'un petit livre dans lequel on plonge avec un certain plaisir. Dovlatov fait preuve de beaucoup d'autodérision, d'un style agréable et truculent et de nombreux traits d'humour et nous offre des fragments de vie de l'auteur comme autant de pièces d'un puzzle en désordre pour comprendre sa vie, son pays et son époque. On parcourt avec lui les différentes scènes qui se déroulent aussi bien pendant le service militaire de l’auteur, qu’à une réception officielle ou au sein de la rédaction du journal où il travailla et l’on sourit de l’absurdité des situations dans lesquelles l’auteur se retrouve plus ou moins malgré lui.





Dovlatov se fait incisif, souvent moqueur à l’égard de ses compatriotes de Russie soviétique. Dans le même temps, à la manière d’un auteur comme Marcel Aymé, la causticité dont il fait preuve ne se départi pas d’une certaine tendresse à l’égard des personnages secondaires dont l’auteur nous narre les faiblesses, les petites bassesses et les péripéties au sein d’un monde soviétique souvent absurde.





Toujours goguenard, jamais tragique, souvent complice avec le lecteur, au travers de ce court ouvrage, Dovaltov réussit à nous raconter par le petit bout de la lorgnette son histoire et celle de son pays. Un livre savoureux.

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La filiale



Le Dovlatov de l’histoire (il est difficile de déterminer dans quelle mesure ce récit est autobiographique), âgé de 45 ans, vit à New York et travaille comme journaliste à la radio "Troisième vague" pour l’émission "Faits et gens". Une cinquantaine d’émigrés russes y travaillent pour suivre attentivement, d’un œil évidemment fort critique, ce qui se passe au paradis de leur naissance. Parmi eux, il y a le petit-neveu de Kerenski, un lointain descendant des tsars, des anciens combattants de l’armée de Vlassov et Rudi, un intellectuel noir américain amateur de la poésie d’Anna Akhmatova.



Or, probablement parce qu’en URSS c’est la période de la perestroïka, où la lecture de Vladimir Nabokov n’est plus taboue et où les premiers cafés privés s’ouvrent, de l’autre côté des États-Unis, à Los Angeles, un grand symposium est organisé sur "La nouvelle Russie".



Vu l’importance de l’événement, le chef de la Troisième vague Tarassevitch décide d’y expédier notre Dovlatov en mission, ce qui ne l’arrange pas du tout, parce qu’il préfère rester près de sa femme et fille à Manhattan et y écrire de la littérature.



Signalons que le vrai Sergueï Dovlatov, né à Oufa en Bachkirie en 1941 et d’ascendance juive par son père et arménienne par sa mère, est effectivement parti pour New York en 1979 avec sa mère, sa femme Elena et sa fille Katarina.



Je me permets de renvoyer à ce propos à mon billet du 20 octobre dernier relatif à son ouvrage fort instructif de l’eldorado communiste "Le compromis".



Le symposium, organisé par l’institut californien des droits de l’homme et qui réunit 90 participants venant d’un peu partout, y compris d’Europe et d’Australie, est axé sur 3 thématiques : politique, religieux et culturel.

Il s’agit en fait "d’une tentative de modélisation futurologique de l’image civile, culturelle et spirituelle de la Russie future.

À ce moment, il n’y avait bien sûr pas encore de Poutine, à l’horizon.



À ce symposium assistent plusieurs célébrités, tel le poète Abrikossov (de son vrai nom Katsenellebogen - coude de chat en Français), l’artiste Boris Pinkhoussovitch (avant Pétrovitch)... et la séduisante Tassia (diminutif d’Anastasia), un ex-premier grand amour de notre héros et femme fatale par ambition.



À partir de ce moment le lecteur a droit à des retours en arrière sur la liaison problématique et franchement impossible, à Kronstadt et Leningrad, entre le jeune futur écrivain et la capricieuse beauté.



Roman ou plutôt une longue nouvelle de 135 pages, l’ouvrage est surtout intéressant pour les vues de l’auteur sur la vie en l’Union soviétique des "Dinosaures" (Brejnev, Kossyguine, ...) et sur la communauté new-yorkaise de réfugiés russes.



J’aime beaucoup le style précis de Sergueï Dovlatov et son excellent sens d’humour. C’est pourtant avec une bonne dose de mélancolie que j’ai lu "La Filiale" à cause du décès de l’auteur peu après la parution de son œuvre en 1990, à seulement 48 ans (d’insuffisance cardiaque) et l’évolution que la Russie a prise sous la direction du criminel Poutine et son gang de mafieux et qui va donc exactement à l’encontre des espoirs du symposium de Los Angeles sur la "nouvelle" Russie.



Pour ne pas terminer mon billet sur une note négative en cette période de fêtes de fin d’année, quelques considérations dovlatoviennes amusantes. "Des Nezov, on en trouve autant qu’on veut, mais Bouchov, par exemple, c’est moins courant. Il y a des Tulipov, mais je ne connais aucun Dahliaov."

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Le Compromis



Un recueil de "compromis" ou situations humoristiques inspiré par les contradictions multiples de la réalité soviétique. L’auteur, avec une bonne dose d’humour caustique, confronte le contenu d’articles de la presse soviétique avec la souvent triste réalité derrière ces infos glorieuses.



Les 12 chapitres du recueil sont situés dans l’Estonie soviétique de novembre 1973 à octobre 1976, période pendant laquelle Sergueï Dovlatov (1941-1990) travaillait comme journaliste au journal estonien national, avant d’émigrer définitivement aux États-Unis, où il mourut à l’âge de 48 ans d’une insuffisance cardiaque.



L’auteur d’origine bachkire, qui selon la jeune admiratrice Evi du recueil ressemble physiquement à Omar Sharif, a écrit une douzaine d’œuvres très critiques, voire même sarcastiques du paradis soviétique sous Brejnev, telles "Le domaine Pouchkine", "La valise", "La zone", etc.



Déjà le tout premier "compromis" marque le ton. Le protagoniste principal, Serzj, un journaliste sans boulot fixe mais qui doit bien vivre, propose un article au rédacteur en chef relatif à la 7ème journée d’étude sur la Scandinavie et la Finlande, en novembre 1973 à Tallinn, capitale de la république soviétique d’Estonie.

À la lecture de l’épreuve, le rédacteur en chef Henrich Franzovich Touronok, devient fou furieux lorsqu’il constate que notre héros a mis les pays participant à cet événement en simple ordre alphabétique au lieu de l’ordre soviétique souverain, soit : Russie, Pologne, Hongrie, République démocratique allemande, Finlande, Suède, Danemark et Allemagne fédérale.



Autre exemple, le 5ème compromis. Pour célébrer noblement en 1975 la naissance du 400.000ème Estonien, Touronok envoie Serzj Dovlatov à la maternité de Tallinn avec la mission de lui trouver un nouveau-né mâle digne de cet honneur. Finalement, ce sera le petit Lembit Kouzine, fils de Maja, Estonienne et de Grigori, Russe, tous 2 travailleurs au chantier naval et membre du Parti communiste, après que la candidature du fils couleur chocolat d’un père éthiopien et celui du Juif Borja Stein ont été scandaleusement rejeté par Touronok.



Le style plein de trouvailles drôles et cocasses rend la lecture des autres compromis de cet ouvrage une vraie partie de plaisir.



Ainsi, 2 babouchkas se rencontrent dans la rue et l’une s’étonne que l’autre ait laissé partir sa fille à la grande ville. Réponse de la mère : pourquoi est-ce que je m’inquiéterais ? Elle est sous surveillance policière depuis ses 9 ans !



Et en guise de conclusion : En URSS on tolérait bien une erreur, mais on ne pouvait pas être en même temps Juif, alcoolique, débauché et sans parti politique.

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Le domaine Pouchkine

Si la première partie du récit se penche plus sur l'adaptation de Boris à son nouveau cadre de vie et à son nouveau métier, la seconde partie du roman s'attarde un peu plus sur les problèmes familiaux qu'il rencontre et sur la véritable crise existentielle qu'ils déclenchent.



La première partie du roman est par conséquent beaucoup plus émaillée d'anecdotes et de personnages truculents dont Dovlatov se plaît à nous brosser le tableau avec malice.



On pouffe souvent en lisant Dovlatov et lorsqu'une blague repose sur une référence culturelle purement russe, les éditions de la Baconnière on prit soin de recontextualiser les éléments difficilement compréhensibles pour des non-spécialistes de la littérature et de l'histoire russe. L'humour est tout de même moins présent que dans l'autre ouvrage de l'auteur que nous avions lu et le résultat final est par conséquent, plus sombre.



Le domaine Pouchkine n'est donc pas un coup de cœur au même niveau que l'avait été La Valise. Il n'en reste pas moins que cela a été pour nous une excellente lecture, qui nous donne envie, encore et toujours de lire plus des ouvrages de cet auteur russe encore assez méconnu en France.
Lien : https://albertebly.wordpress..
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Le domaine Pouchkine

Cette première Masse Critique, organisée par Babelio, de la saison, m'a accordé le titre de cet auteur soviétique dissident publié aux Éditions La Baconnière, maison d'édition neuchâteloise qui publie de la littérature européenne, et quelques titres d'auteurs russes et de l'Europe de l'Est. J'avais déjà repéré le roman précédemment publié de Sergueï Dovlatov, La valise, mais l'allusion éponyme au célèbre poète russe a été l'argument ultime. Frère de dissidence et d'exil d'Alexandre Soljenitsyne et de Joseph Brodsky, Sergueï Dovlatov - Сергей Донатович Довлатов - a trouvé l'exil aux Etats-Unis, qui a eu l'honneur de publier ses textes dans le célèbre The New-Yorker. Le vent a tourné depuis, les vestes aussi, son oeuvre aujourd'hui est reconnue par l'intelligentsia de son pays natal.



On retrouve donc Boris Alikhanov, un auteur soviétique au placard, un mariage pas loin de l'être également, qui vient tenter de gagner quelques sous l'égide de celui qui apparaît comme le plus grand poète russe. De quoi se sentir relativement modeste tout écrivain qu'il soit, dans cet ensemble de bâtiments tous liés d'une façon ou d'une autre à l'auteur idolâtré. On ne peut pas dire que notre homme sache véritablement où il va ainsi et ce qu'il compte faire de sa vie. En-tout-cas, ce qu'il sait, c'est qu'il ne sera jamais un auteur en URSS, et si sa femme a bien compris qu'elle n'aurait pas d'avenir sur place, son exil étant décidé et planifié, Boris reste lui ancré sur un sol qui lui refuse pourtant tout avenir en littérature. 



On rigole bien aux côtés de Boris : Sergueï Dovlatov en a fait un homme qui ne prend pas grand chose au sérieux, encore moins son rôle de guide au sein de l'institution Pouchkinienne, au fond les touristes ne sont-ils pas tous des ignares. Parce qu'après tout, il n'a plus rien à gagner, plus rien à perdre - on lui a déjà tout pris, Leningrad ne veut pas de ses livres, l'URSS n'en veut pas - autant se noyer dans les grammes de Vodka. Est-ce que l'auteur a voulu représenter l'écrivain qu'il se serait imaginé être si d'aventure, il ne s'était jamais exilé et n'avait jamais pu publier, il y a de quoi se poser la question. D'autant qu'en se penchant un peu sur sa biographie, que l'on retrouve en fin d'ouvrage, on s'aperçoit que comme son héros, il a également travaillé comme guide dans ce domaine Pouchkine, sauf que quelques années plus tard, à la différence de son Boris, il prend la décision de s'exiler.



Une vie sans saveur, sans aucun sens ou espoir, un homme éteint, sans plus aucune volonté. Un pantin désarticulé. Le ton est drôle, facétieux, rempli de blagues, mais au fond ce texte exsude un désespoir fataliste de ceux qui ont laissé leur instinct de survie s'éteindre peu à peu. On ne saura pas ce qui dans les textes de Boris ont provoqué leur censure, car après tout le principe même de la censure soviétique est dévoyée, ne comporte aucune logique, et fondamentalement aucun sens. À l'inverse, Pouchkine est l'étendard même de la fierté russe, même s'il faut pour ça s'arranger un peu avec la vérité, en rajouter, embellir, Pouchkine est la façade de ces censeurs soviétiques. L'illégitimité de Boris de ne pas ou ne plus sentir écrivain est ce qu'il combat depuis son arrivée, et bien plus depuis l'interdiction qui lui est tombée dessus, est insidieusement toxique et empoisonne peu à peu son esprit, déjà ravagé par l'alcool. Et ce n'est pas le triomphe de ces écrivains, qui n'écrivent que du vide, de l'esseulé, du pré mâche, justement ce qui ne risque pas d'effrayer le pouvoir ambiant, qui vont lui rendre espoir. Il n'hésite d'ailleurs pas à étriller ses contemporains et leur style, Violine, Likhonossov, adepte de la littérature paysanne, rayonnant le collectivisme soviétique, embourbé dans ce sentiment d'injustice face à cette reconnaissance, aussi factice fût-elle, inscrite noir sur blanc sur cette carte qui les reconnaît comme auteurs. 





Première découverte d'un auteur que j'aimerais découvrir plus avant, comme tous les écrivains dissidents, il possède cette aura, qui lui vient sans doute du courage qui a été le sien de laisser derrière lui un pays qui obstruait ses desseins littéraires. Son premier livre a été, en effet, détruit par le KGB. Et ce n'est que vers la fin des années quatre-vingt-dix, que ses textes commenceront à être publiés en URSS, à l'aube de sa dissolution. Ce roman atteste à quel point l'exil est un exhausteur des sentiments patriotiques, des rancoeurs comme des liens indissolubles qui rattache un auteur déchu de sa patrie, comme s'il n'avait jamais quitté cette dernière. Certes, il a débuté l'écriture de son roman en 1977, mais celui-ci a été publié en 1983, près de quatre ans après son exil.




















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Le domaine Pouchkine

Boris Alikhanov est un écrivain sans éditeur et imbibé. Un été pour tromper son ennui, il laisse femme et enfant à Leningrad pour Pskov, où il est embauché comme guide au musée Pouchkine. Sur place si sa culture et son bagout ne tardent pas à séduire les touristes, intellectuels comme incultes, en plus de ses questions existentielles, Boris est confronté à un musée pour le moins factice, animé par un personnel féminin en manque criant d'hommes… Et comme si cela ne suffisait pas, sa femme vient le rejoindre pour lui dire sa volonté d'émigrer avec leur fille aux États-Unis, ce qu'il ne veut à aucun prix.



Largement inspiré par sa propre vie, Sergueï Dovlatov signe un roman irrésistible de drôlerie et d'ironie où l'alcool coule flot, ingurgité par des intellectuels russes qui dans la déprimante époque soviétique se demandent s'il vaut mieux rester ou partir, au risque d'y perdre son âme. Dovlatov a tranché, qui a émigré aux États-Unis en 1979 pour y connaître enfin le succès, mais mourir prématurément à l'âge de 48 ans. Merci Idil pour la découverte de ce conteur hors pair dont il me tarde maintenant de lire d'autres oeuvres (merci aussi à Babelio et aux Éditions La Baconnière 😊)

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Le domaine Pouchkine

Sergueï Dovlatov (1941-1990) est un conteur génial et l'un des meilleurs écrivains russes de la période Brejnévienne. Il a émigré en 1978 aux Etats-Unis.

Boris Alikhanov, un jeune auteur de Leningrad alcoolique et impubliable prend le car pour Pskov, où se trouve le vaste domaine Pouchkine. Il laisse derrière lui femme et enfant pour se faire engager comme guide touristique.

Le récit fortement inspiré de l'expérience de l'auteur au domaine est tissé de dialogues cocasses, de mots d'esprit, de portraits hauts en couleur et de pessimisme imbibé. Dovlatov nous parle de la Russie, de la littérature et de l'exil. le style travaillé imite le ton de la conversation.

Le domaine Pouchkine, sanctuaire voué au culte du poète est une vaste fumisterie, un théâtre en carton-pâte et un zoo peuplé de cinglés attachants. Tout est toc, factice : on a remplacé par exemple le portrait d'Abraham Hannibal, le grand-père noir de Pouchkine, par celui d'un général soviétique bronzé au soleil du sud. On raconte des bobards aux touristes qui dans l'ensemble n'y trouvent rien à redire. Cependant on rencontre aussi quelquefois de fins amateurs du poète et aussi des pédants qui posent des colles, il faut s'y préparer soigneusement. Les guides sont croquignolets : plus ou moins incultes, soumis au pouvoir ou déjantés ou les deux mais tous fondus de Pouchkine. C'est l'intelligentsia. Les femmes ont la cuisse légère et les hommes picolent. Les villageois désœuvrés et alcoolisés sont des personnages grotesques et touchants, plus vrais que nature. L'agent du K.G.B est un personnage original aussi. La vodka permet d'oublier l'ennui, l'enlisement et la désespérance. On est en 76-77 en pleine « stagnation ». Voilà La Russie. Boris est un anti-héros, un homme de trop. Il boit et il a une pauvre estime de lui-même. Mais il écrit en russe sur les Russes et n'a pas renoncé au chef d'oeuvre. Aussi, lorsque Tania sa femme lui annonce qu'elle émigre en Amérique avec leur fille et lui propose de partir avec elles, il hésite…

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La zone

Sergueï Dovlatov (1941-1990) est un écrivain remarquable injustement méconnu en France. Il était un journaliste très turbulent en URSS. Il a émigré aux États-Unis en 1978. Il écrit alors de courts récits autobiographiques notamment La Valise recueil de nouvelles très drôles que je vous recommande. Et puis il fait des pieds et des mains pour faire publier la Zone, Souvenirs d'un gardien de camp, tiré de son expérience durant son service militaire en 1962. Dovlatov était alors surveillant dans un camp de prisonniers récidivistes de droit commun dans la République autonome de Koumis, au Kazakhstan aujourd'hui. le récit a été composé avant son exil puis microfilmé. le film arrivera par petits bouts mais Dovlatov ne parviendra jamais à reconstituer la totalité du puzzle. Alors il imagine une lettre fictive à son éditeur, Igor Efimov, elle aussi fragmentée, qu'il insère au récit en lieu et place des morceaux perdus. C'est cette alternance entre épisodes et commentaires qui fait l'originalité du livre.

Dans les lettres à l'éditeur, Dovlatov veut tordre le cou à notre vision manichéenne de la littérature carcérale. Les gardiens ressemblent comme deux gouttes d'eau de vie aux détenus. Ils sont substituables. « J'ai découvert une ressemblance frappante entre l'univers carcéral et la vie ordinaire. Entre les détenus et leurs surveillants […] Même physiquement nous nous ressemblions. Crânes rasés à la tondeuse […]. La plupart des détenus auraient pu s'acquitter du rôle de gardien. Et la plupart des gardiens auraient mérité la prison […]. le reste est secondaire. C'est le sujet central de toutes mes histoires. » Ce lieu intermédiaire entre le bien et le mal matérialisé par un couloir, c'est la zone. C'est un lieu sauvage qui lui fait peur au départ et qu'il parvient peu à peu à apprivoiser, avec l'aide de la vodka. Pour lui ce sont les circonstances qui vont jeter un individu d'un côté ou de l'autre. En plus, il esquisse l'idée que la vie dans les camps ressemble à la vie libre dans cette URSS post -stalinienne. « le camp reproduit l'État en modèle réduit. Plus précisément l'État soviétique. Avec la dictature du prolétariat (le règlement intérieur), son peuple (les détenus), sa milice (les gardiens). Son appareil du Parti, sa culture, son industrie. Et tout le reste. »

Boris Alikhanov, le narrateur, est le double de Dovlatov. Il a échoué là après avoir été viré de l'université de Leningrad et avoir divorcé. Dovlatov est un maître conteur, ces saynètes sont saisissantes. En deux trois phrases il plante le décor et développe des dialogues hallucinants de vérité. Terribles, extraordinaires, extravagants pour nous et tout à fait banals et normaux là-bas. le commentaire épistolaire est un nouveau dédoublement qui lui permet de mettre de l'ordre dans ce vécu terrible et absurde. A la fin, dans la dernière lettre à Igor l'éditeur, Alikhanov-Dovlatov rapporte qu'il a commencé à se dédoubler quand il a été tabassé. Sa vie s'est alors transformée par hasard en littérature.

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La valise

Quand on entreprend un petit voyage, quand on part en vacances, on prend des vetements de rechange dans sa valise. Quand on s’exile, on n’y emporte que des souvenirs. C’est ce que nous dit Dovlatov dans La valise.



Les souvenirs qu’il raconte laissent au lecteur un petit gout amer, mais ils lui fond poindre aussi beaucoup de sourires, parce qu’il y met pas mal d’humour et une fine ironie envers soi-meme.



En de courtes anecdotes, Dovlatov relate ses deboires dans l’URSS finissante, en fait ses aventures ou mesaventures. En une prose agile, operant par courts paragraphes, il arrive a rendre le portrait d’un pays, tres eloigne de la version officielle du regime. Un portrait ou pullulent les petits voleurs au jour le jour, les perdants, les survivants envers et contre tout, inonde par de la vodka frelatee.



Rien n’est vraiment tragique dans ce que raconte Dovlatov. Iossip Brodski, cet autre exile qui recut le Nobel, a dit de lui qu’il est admirable justement dans son rejet de la tradition tragique de la literature russe. Toutes les anecdotes de ce livre sont teintees d’ironie, de scepticisme, et font ressortir l’absurdite de la vie, le stoicisme dont il faut s’armer pour la traverser sans larmes, sinon sans douleur. Stoicisme et quelques bouteilles. Les russes sont passes maitres dans l’art de noyer la douleur dans la vodka.



Dovlatov se rit de tout et de lui-meme, de son experience de journaliste et d’ecrivain, notant par exemple que nul ne peut pretendre en Russie a une credibilite intellectuelle s’il n’est pas passe par une prison. Or lui, il a ete un certain temps gardien de prison. Mais par-ci par-la une certaine sentimentalite affleure, comme quand il s’emeut (pas trop, juste ce qu’il faut) decouvrant que sa femme garde precieusement une photo de lui, et en profite pour lui dedier de tres belles pages.



Dovlatov se decrit comme un grand paresseux, ou plutot un grand indolent. Ne nous y trompons pas. Il n’a pas arrete d’ecrire tant qu’il etait en URSS. Il a essaye d’exfiltrer ses ecrits et a fini, sans gaite de coeur, par s’exiler, pour pouvoir continuer a ecrire et pouvoir publier librement. Toujours en russe, meme a New-York. Il n’a jamais troque sa vodka contre du bourbon. L’exile est reste un auteur russe. Il a toujours garde la vieille valise emportee, la valise ou il a emballe ses souvenirs, son ame.



Il y a beaucoup de nostalgie dans La valise. Transcrite de manière cocasse, presque burlesque. Dovlatov est un bouffon triste. Sa nostalgie vaut la peine d’etre lue.

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La valise

36 années de vie contenues dans une valise… Une valise cartonnée aux coins arrondis de métal, dont la serrure ne ferme plus et ligotée au moyen d’une corde à linge. Ce n’est que quelques années après son immigration aux Etats-Unis que l’auteur la rouvre. Huit objets y apparaissent pêle-mêle. Ces objets ont leur histoire et c’est au travers de huit chapitres que l’auteur nous les conte.



J’adore la plume de Dovlotov.



Provocatrice, dans le sens où l’auteur étale une réalité crue, au travers de laquelle on découvre une Russie au quotidien, précisément à Saint-Pétersbourg lorsque celle-ci s’appelait Leningrad. Nulle question de la beauté des monuments ou de l’architecture. C’est l’Homme qui intéresse Dovlatov. La vie de tous les jours pour ceux qui ne sont pas des nantis.



Divertissante et spirituelle. Avec ironie et une certaine bouffonnerie, il nous dépeint certains travers du peuple Russe et des habitudes bien ancrées, comme l’alcoolisme dont il est beaucoup question dans ce livre. Mais toujours à l’échelle de l’homme de la rue, l’ouvrier ou l’employé. La dureté de la vie, la nécessité de chercher des petits boulots et d’en changer souvent au gré des opportunités mène irrémédiablement vers des petits larcins qui semblent d’usage courant.

Mais tout cela évoqué avec beaucoup d’humour.



Vous l’aurez compris, j’ai adoré !
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L'Etrangère

L'humour et la verve de la prose de Sergueï Dovlatov sont incontestables. Né en 1941 à Oufa en Russie, il sera contraint à émigrer aux États Unis en 1978, étant devenu idéologiquement « persona non grata » dans son pays. Son superbe livre « La Valise », traite d'ailleurs de cette période. Dans « L'Etrangère » on le retrouve à New York dans le quartier russe où il habite , avec l'histoire de Maroussia Tatarovitch, fille d'un apparatchik russe qui émigre à New York de son plein gré, n'ayant eu aucune raison contraignante à fuir son pays. de plus elle est seule avec un enfant. L'étrangère, c'es elle. Dovlatov nous la raconte sur fond de ce quartier et de ses personnages, qui vivent dans une bulle, se connaissent tous et ont leurs propres commerces. Il nous croque de délicieux portraits de russes immigrés, dont le fameux Lerner ex-cinéaste, qui fera fortune aux États-Unis allongé sur son canapé, comment ? Réponse dans le bouquin, ce qui pourrait éventuellement vous intéresser vu les temps qui courent 😁!

L'écrivain se met aussi lui-même en scène en tant qu'ami et confident de la Maroussia.

et dépeint tout ce petit monde avec une veine burlesque. Donc si ca vous intéresse de les rencontrer , et que vous aimeriez connaître l'histoire de la Maroussia, de Rafa son homme énigme et de leur perroquet Lolo qui parle un anglais distingué (fak, fak, fak, chit , chit, chit ) en vous tordant de rire, vite découvrez ce livre. Dovlatov est un must de la Littérature russe contemporaine, j'en suis à son troisième livre et je me délecte toujours autant !



"L'Amérique c'est le pays des hommes forts, beaux et ingrats. C'est le pays des hommes qui savent se débrouiller, et ont un but précis. Ils détestent tout les malchanceux. Ici tu ne peux qu'avoir confiance en toi, que compter sur toi-même .... "
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La valise

Enfin ! J'ai mis la main sur cette valoche ! Et je n'ai pas été déçue. Dovlatov (1941-1990) est un conteur hors-pair, un enchanteur de première catégorie. C'était un écrivain russe dissident, ce n'était pas non plus Soljenitsyne, mais plutôt le genre turbulent, indocile et gros buveur. Il a été autorisé à quitter la mère patrie en 1978 ( c'était ça ou la prison). Aux Etats-Unis, Il a choisi de réinventer ses souvenirs sous forme d'aventures dingos, absurdes et hilarantes. j'adore ses dialogues ciselés, ses digressions formidables. Il manie le sarcasme et l'humour noir avec subtilité pour nous décrire tares et misères de la société soviétique sous Brejnev. Mais il ne juge personne. il y a beaucoup de tendresse et de pudeur derrière chaque récit.



Dovlatov ( un double de l'auteur) se prépare à quitter le pays. Comme tout émigrant il n'a droit qu'à trois valises. Il commence par protester puis s'aperçoit qu'une seule petite valise lui suffit amplement. Arrivé aux Etats-Unis, il flanque sa valoche dans le fond d'un placard et l'oublie. Quatre ans plus tard, son gamin, puni par sa femme, tombe dessus. La valise contient huit objets accumulés en trente six ans de vie. Chacun de ces objets est l'occasion de se remémorer huit moments de sa vie.



1)Les chaussettes finlandaises ****

Dovlatov étudiant fauché et amoureux est endetté. Au mont de piété, il rencontre Fred, un philosophe qui trafique des tas de trucs importés fort demandés en URSS. Il lui propose de s'associer avec lui. Deux Finlandaises vont débarquer avec la marchandise...

2) Les chaussures du maire *****

Dovlatov entre dans une brigade de tailleurs de pierre haute en couleur chargée d'exécuter un bas-relief représentant Lomonossov pour une station de métro. A l'achèvement de la statue, Ils sont invités à l'inauguration puis au banquet, plein de privilégiés du régime. Dovlatov se retrouve à la même table que le maire Alexandre Sizov.

3) Un costume croisé tout à fait convenable ****

Dovlatov ne s'habille pas bien. Alors qu'il est Journaliste, son directeur se lamente. Dovlatov devra préparer pour la fin de l'année trois articles de portée sociale qui aient une large résonance politique destinée à frapper l'opinion. A titre de récompense, la rédaction lui offrira un costume....

4) le ceinturon d'officier *****

1963. Dovlatov effectue son service militaire comme surveillant dans un camp. Il vient de finir sa formation. Il est chargé d'escorter un zek au baraquement 14. Celui-ci est devenu fou, il aboie, il lance des cocoricos, il a mordu la cuisinière. Bref Dovlatov doit l'emmener à l'asile en compagnie de Tchoubiline, un tchékiste, spécialiste de l'outillage. Il est en train de souder un ceinturon d'officier en laiton et acier très à la mode chez les tchékistes...

5) La veste de Fernand Léger ****

Dovlatov se souvient que sa famille modeste était très liée à celle de Nikolaï Tcherkassov, acteur du peuple, très populaire et bénéficiant de privilèges. Il nous raconte les vacances communes au bord du golfe de Finlande, les différences de traitement entre les deux fils...

6) La chemise en popeline ***

Dovlatov nous raconte sa rencontre avec Léna, envoyée chez lui pour l'inciter à voter. Dovlatov l'emmène au cinéma...

7) La chapka ***

Avec son cousin Boria ( voir Album de famille) autre très sérieux amateur de vodka, Dovlatov ,coiffé d'un bonnet de ski, se rend dans un hôtel où les attendent trois femmes venues tourner un documentaire. Elles le méprisent totalement. Après la réception, Rita demande à Dovlatov de l'accompagner à l'aéroport en taxi. A la station éclate une bagarre...

8) Les gants d'automobiliste *****

Dovlatov est alpagué par Shilippenbach un autre journaliste médiocre qui a décidé de tourner un film amateur. Il propose à Dovlatov qui mesure 1m94 de tenir le rôle principal, celui de Pierre le Grand, de retour dans sa ville. Dovlatov devra improviser comme dans un film d'Antonioni. L'une des scènes doit être tournée près d'un stand de bière où les clients font la queue...

Dans mon édition La Baconnière (2020) le texte est suivi d'un entretien de l'auteur paru dans la revue Slovo en 1988 qui parle de sa condition d'écrivain émigré aux États-Unis et ensuite d'une courte biographie.









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La valise

Voila un témoignage drôle, attachant de ce que pouvait être la vie ( quand on la prenait du bon coté) de russes dans la période soviétique, après la deuxième guerre mondiale. Une certaine insouciance , une légèreté accentuée avantageusement par la Vodka....bue comme nous, on boit de l'eau minérale!

Belle écriture aussi!
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Album de famille

Voilà un livre formidable que j'ai lu en feuilleton sur le blog de Michel Tessier traducteur amateur remarquable. A ma connaissance, le livre n'est pas encore paru en français. Sergueï Dovlatov (1941-1990) fait partie de la troisième vague des écrivains exilés russes. Il est arrivé aux Etats-Unis à la fin des années 70, profitant des autorisations accordées par Brejnev à ceux qui pouvaient justifier d'une origine juive pour quitter l'U.R.S.S. Son oeuvre est essentiellement autobiographique avec une prédilection pour les portraits et les anecdotes révélateurs de la culture russe et de l'histoire soviétique.

L'Album de famille est composé de douze portraits "cousus" d'anecdotes et d'une courte conclusion. Dans la version anglaise, le livre fait 130 pages. On rencontre d'abord Isaac le grand-père paternel. Un colosse de deux mètres avec de longues moustaches tombantes, capable de se fourrer dans le gosier une pomme entière et de pousser seul un camion. Grand viveur, gros buveur, personnage haut en couleurs, totalement inoffensif et bougrement attachant. Il a eu trois fils. Léopold, le troisième, émigra en Belgique. Un jour, arriva chez eux, venant de sa part un certain Monia. Il apporta au grand-père un smoking et une énorme girafe gonflable, qui servait de valet porte-chapeaux. Monia dénigra le capitalisme, vanta l'industrie socialiste, puis s'en alla. On arrêta le grand-père, en tant qu'espion belge. "Il écopa de dix ans. Sans droit de correspondance. Ce qui signifiait fusillé. de toute façon, il n'aurait pas survécu. Les hommes robustes supportent mal la faim. Encore moins l'arbitraire des mufles."



Chaque portrait est ainsi composé d'anecdotes souvent loufoques qui tournent à la tragédie absurde. le cousin Boris a tous les atouts pour réussir y compris un physique d'acteur italien mais, arrivé au sommet, il se complaît dans l'auto-destruction et se retrouve en camp de travail, que Dovlatov décrit sur le mode vodka-comic. Il n'y a aucun ressentiment, aucune amertume chez Dovlatov, il aime les siens y compris l'oncle Aaron. Celui-ci, entres autres passions, fut un fondu de Staline, de Lénine et de Sakharov ( car inventeur de la bombe H). Il envoyait des lettres anonymes et tordantes à Brejnev qu'il trouvait trop mou ( "Tes sourcils épais réclament du sang frais". signé Général Netchiporenko, officier du KGB); à la fin de sa vie , il fut pris de remords et je ne vous raconterai pas la suite émouvante et déjantée. Chaque chapitre est formidable. Une écriture fluide, faussement simple qui mime l'oralité. Dovlatov est un conteur hors-pair, un maître de la concision subversive, dans la grande tradition russe.



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