Citations de Sigismund Krzyzanowski (43)
Je pense que si les gens ont autant de plaisir à échanger leurs vues , c’est justement parce qu’ils n’en ont pas. Mais oui : quand on possède quelque chose, on ne s’en sépare pas si facilement .
Les philosophes qui parlent du monde aux hommes voient le monde, mais ne voient pas que, dans ce même monde et à trois pas d’eux, leur auditeur meurt simplement d’ennui.
Le titre est pour moi le mot qui entraîne tous les autres, jusqu’au dernier
p.28
....le cristal, avant de se déformer, de perdre ses facettes et de devenir un corps informé et amorphe, passe par un stade appelé la métastabilité- intermédiaire entre la forme et l'informe. Cette analogie me parut convaincante; des foules de gens ont justement des relations métastables, quelque part entre la fonte de la glace et le point d'ébullition ; il est d'ailleurs curieux que la métastabilité ait le coefficient de viscosité le plus élevé.
p.96
Tenez par exemple, cette assommante ritournelle d’illusions, ce traité de non-séparation qu’est le mariage …Si l’on prend l’histoire de l’idiot qui, à la vue d’une noce, s’écrie : « Oh , mon Dieu… », je ne vois pas….l’idiot est- il vraiment ce que l’on croit ? Je n’en suis pas sûr…. Vies unies ne signifie pas forcément mains unies ,et la cloche d’une gare peut tout à fait remplacer celle de l’église. Sinon, on se retrouve dans une tombe à deux places. La seigneurie de Florence qui chassa D’ante hors les murs, l’arrachant à la praediletta donna , rendit un grand service à l’amour. Ce n’est qu’après avoir connu l’Enfer de l’adieu, le Purgatoire des séparations et retrouvé le pays du retour que le grand maître composa les trois cantiques de sa divine sonate, ou comédie, si vous voulez.
Le temps, ce n'est pas une chaîne de secondes qu'entraîneraient, dent à dent, le poids d'un mécanisme d'horlogerie; le temps, dirais-je, c'est un ouragan de secondes qui vient frapper les choses, les soulève et les emporte, l'une après l'autre, dans le néant.
L’annulation de l’existence des critiques ne conduit-elle pas à une valorisation excessive des écrivains , a une sorte de démiurgisation d’hommes semblables aux autres ? Bref, y aurait-il un je-ne-sais-quoi mystique qui distinguerait le créateur de culture et ses consommateurs ?
La réponse de Sbuth fut triste et laconiques:
-L’honnêteté .Seule.
Le bonheur, expliquai-je, n’aime pas entrer au service des hommes, car ceux-ci ne lui accordent jamais de jours de congé. S’ils savaient vivre comme une sonate, en trois mouvements, glisser des séparations entre les rencontres, permettre au bonheur de s’éloigner un tant soit peu, ne serait-ce que pour quelques mesures, peut-être seraient-ils moins malheureux.
Dans la neige jusqu'aux genoux, il en retira un bout de bois qui traînait là et traça sa formule sur le sol. Le lendemain, le dégel commença et le document qui révélait le secret de sa machine fut biffé par les rayons du soleil.
Le talent, c’est l’honnêteté élémentaire du « moi » envers le « non-moi », le règlement de la note présentée par le soleil : avec la peinture de sa palette, le peintre paie les couleurs des choses ; avec des harmonies, le musicien rembourse le chaos de sons offerts aux arcades de Corti ; le philosophe, lui, s’acquitte du monde en le contemplant. En effet, le mot to talanton signifie : la balance. Et un talent accompli, c’est un équilibre permanent entre ce que donne l’extérieur et ce qui est rendu par l’intérieur, une oscillation constante des plateaux soupesant ce qui vient du dehors et ce qui y retourne, le « à moi » et le « moi ». Et pour cette raison (…), ce n’est ni un privilège, ni un don du ciel, mais le devoir de toute personne chauffée et éclairée par le soleil, et ceux qui se dérobent à l’obligation d’avoir du talent sont des gens métaphysiquement malhonnêtes, espèce dont la terre pullule, soit dit en passant.
Je me suis éloigné des hommes et rapproché de la bouteille. Je bois.
Maintenant, même les enfants du quartier s'ecrient quand ils me voient : " Voilà le pépé au nez rouge qui va de travers ! " Eh bien, mieux vaut avoir le nez rouge et aller de travers que le nez creux et aller dans le sens du vent.
Sterer, prudent mais déterminé, ne permit pas aux balles de siffler son idée : ce qui était caché sous sa boîte crânienne avait assez de poids pour qu'on n'y ajoute pas vingt-huit grammes de plomb.
Alors le futur maître des durées, s'essuyant les yeux de ses petits poings, demanda :
- Et si le temps tombe en panne, on le réparera aussi?
Le père, à l'exemple de la vieille horloge, fut réduit au silence. Il se redressa et regarda sa progéniture avec une certaine inquiétude.
La mort de celle qui vous a donné la vie est un évènement grave, très grave. C'est toujours, et pour chacun, un coin noir enfoncé dans la vie. (p. 9)
Chez l’homme, l’amour est timoré et papillote des yeux : il se réfugie dans le crépuscule, court les recoins obscurs, chuchote, se cache derrière les rideaux et coupe la lumière.
Le mot "guerre", d'abord petites lettres dans les journaux, augmenta progressivement de taille et s'étala partout en gros titres. Ce mot retint le regard de Sterer pendant deux ou trois secondes, uniquement parce qu'en russe les mots "guerre" et "temps" commencent par la même lettre et ont la même longueur. Les cinq signes glissèrent sur sa rétine et disparurent comme ils étaient venus, et le constructeur continua quelques jours encore à matérialiser le piège infiniment subtil qu'il avait inventé pour capturer le temps.
Aussitôt, je me mis à imaginer, face au jour naissant, comment tout dire sans rien dire. D'abord tirer un trait sur la vérité, personne n'en a besoin. Puis exalter la douleur jusqu'à en faire un récit. Rajouter un peu de quotidien et, par dessus, comme une couche de vernis, un soupçon de vulgarité - impossible de faire autrement. Enfin, deux ou trois réflexions philosophiques et... lecteur, tu te détournes, tu veux chasser ces lignes de tes yeux. Non, ne fais pas ça, ne m'abandonne pas sur ce long banc vide : glisse ta main dans la mienne, oui, comme ça, serre, serre encore, je suis resté seul trop longtemps.
Je vais te dire quelque chose que je ne dirai à personne d'autre qu'à toi : pourquoi donner aux enfants la peur du noir alors que l'obscurité peut les calmer et les faire rêver?
Au facteur
Camarade facteur, cette lettre n'ajoutera rapport aucun pas à votre travail déambulatoire et n'alourdira pas d'un gramme votre besace. Je crains seulement que l'habitude de porter des lettres ne vous entraîne à emporter ces lignes jusque dans votre appartement. Mais je vous conseillerais plutôt de l'ouvrir sur-le-champ, de la lire et de la jeter - dans la poubelle la plus proche,.
Les hommes ont désappris le commerce des idées; au lieu de regarder une idée dans les yeux, ils s'escriment à l'explorer sous la queue.
Des écrivains de valeur ! (...) Il faudrait diviser votre premier mot en deux : écri-vains. De vains écrits sans valeur. Effectivement ce n'est pas ce qui manque.(p.29)