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Critiques de Sigismund Krzyzanowski (44)
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Le marque-page

" Ce qui rend le destin littéraire de Krzyzanowski à ce point bouleversant ( outre que cela représente de voir ainsi surgir du néant une oeuvre complète), c'est peut-être précisément son invisibilité absolue, son inassimilation organique par son époque."

Krzyzanowski (1887-1950), écrivain russe contemporain de Zamiatine ne fut jamais publié (à part quelques rares articles parues dans les revues ) de son vivant ni dans les années qui suivirent sa mort. La toute première publication d'un ensemble conséquent de ses nouvelles datent de 1989. Comment ais-je ce livre dans ma Pal ? Aucune idée, vu qu'il y gisait depuis longtemps,....probablement à travers le livre d'un autre écrivain russe.



Comment parler de ce livre, où l'intelligence de Krzyzanowski et son mode d'expression pour coucher sur papier des idées, des réflexions toutes simples mais pourtant très riche en substance me subjuguent et me dépassent. Déjà avec la première nouvelle qui donne son titre au recueil, l'auteur me prend de court en s'amusant avec le processus de création littéraire, enfilant les histoires les unes après les autres avec une verve et un humour corrosif,

« Curieux livre n'est-ce-pas?....Vous ne l'avez pas lu ...Non ? Voici de quoi il s'agit. En deux mots: débarrasser de l'absurde le tas d'absurdités dont est faite la vie. L'intrigue : un écrivain qui travaille sur un roman s'aperçoit de la disparition d'un de ses personnages. Il a échappé à sa plume et pris le large. le travaille piétine..... ». Écrit en 1927, "Le marque page" n'épargne ni éditeurs, ni censeurs , ni écrivains de l'époque.......

Ce n'était que l'apéro qui donne le ton au recueil. Cinq autres histoires y suivent et quelles histoires ! Et Là je m'incline devant l'extraordinaire puissance de son imaginaire,



Soutouline et son Superficine, produit miraculeux qui agrandit votre espace vitale, sauf que....

Les mystères de la séduction féminine à travers le témoignage des victimes cachées dans les pupilles de leur "Logeuse" , "Et c'est à ce moment-là qu'est apparue une troisième personne : il s'agissait d'un bonhomme minuscule qui me fixait depuis sa pupille, de mon double miniaturisé qui s'était glissé là-bas. le petit homme a répondu poliment mais les yeux se sont détournées".......

La treizième catégorie de la raison Kantienne qui vous ouvre toutes les portes de votre imaginaire, même celle inexistante 😊de l'au-delà....

Vous mordre le coude, l'unique but de votre Vie, voilà de quoi vous la simplifier, mais quand les philosophes s'en mêlent, ca se complique......

La haine, l'énergie biliaire comme nouvelle source d'énergie, très rentable par tous les temps , "Une dispute conjugale payait tout un repas, dessert compris"......





Écrit au début du siècle dernier, les propos qui y sont traités sont intemporels et le ton s'adapte comme un gant à l'absurdité de la situation que nous sommes en train de vivre. Une superbe rencontre littéraire que je ne peux que conseiller.



“Ce qui m'intéresse , ce n'est pas l'arithmétique, c'est l'algèbre de la vie."
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Le thème étranger

Dans la vie courante, un mendiant entre dans un restaurant pour vous quémander de l’argent par le prétexte de la vente d’une rose en bourgeon qui ne s’éclorera probablement jamais, ou d’autres colifichets d’aucune utilité. Chez Krzyzanowski, le même mendiant vous propose l’acquisition d’un système philosophique; vous avalez de travers ce que vous étiez en train de manger. Sûr de lui il vous demande : Vous hésitez ? Il est prêt à vous le laisser à crédit. Voyant que vous n’avez aucune intention de vous laisser arnaquer, il vous titille par d’autres chemins , “ Si vous n’avez pas les moyens d’acheter une conception du monde , peut-être vous contenterez-vous de deux ou trois aphorismes ; c’est comme vous voudrez.” Vous je ne sais pas si vous y succombez ou non, mais chez Krzyzanowski le crève faim réussit sa vente contre une assiette de soupe….

Voilà , cet écrivain unique que j’avais une première fois rencontré avec son «  Marque Page », me happe à nouveau avec son univers singulier, où l’absurde à l’origine de nos existences est prétexte pour transmuter son imaginaire fantastique en un réel psychologique et politique. Un réel politique qui l’aurait entraîné dans les purges staliniennes si son œuvre avait été reconnue et publiée de son vivant, « N’est-ce-pas pour cette raison que les guerres sont perdues, parfois même des deux côtés en même temps, parce que leurs premières victimes sont les mots, le droit à la vérité , à la critique, et parce que la vie se retrouve enrégimentée et sans voix ? ….Oui , malheur à celui qui ose penser à l’heure de la fauche des pensées . » L’histoire tragique de la petite gentiane qui a l’audace de fleurir à l’époque de la fenaison est l’un des nombreux bijoux qui parsèment ses textes( Conversations).

Dans ces nouvelles où il pousse à l’extrême l’art de penser, réfléchir, raisonner, on y retrouve une réflexion intense sur l’espace et le temps aussi bien philosophique que sociale. Dans “Le rassembleur de fissure”, le protagoniste se penche sur le temps qui nous paraît continue mais en faites comporte des coupures , des fissures comme celles d’une image cinématographique, des fissures en secondes, où il faut transporter les espaces dans le temps. Le protagoniste le voit comme un fantasme alors que le rassembleur de fissure lui prouve que ces fissures dans le temps existent bel et bien , «  Le fantasme est vengé », génial !

Dans « Conversations », il affirme qu’une vie cloisonnée tue en l’homme le sens de l’espace , du monde, en ajoutant qu’ «  …on peut mettre dans une tête une pensée,comme un morceau de sucre dans une tasse et, si elle ne fond pas,mélanger avec une cuillère jusqu’à parfaire dissolution ».

Dans la dernière nouvelle époustouflante , son « somnifera ultima » , un oreiller clandestin est le symbole de l’abrutissement des masses de l’époque stalinienne aujourd’hui modernisé grâce aux réseaux sociaux utilisés à gogo par les nouveaux leaders populistes voir les dictateurs.

Une imagination débordante, une érudition infinie , dont les références littéraires , philosophiques et musicales s’insèrent avec une simplicité déroutante dans ses réflexions et raisonnements. Que dire un génie cet écrivain ! Cinq nouvelles à déguster sans modération !





« Ce qui m’intéresse, ce n’est pas l’arithmétique, c’est l’algèbre de la vie »

« L’existence n’admet pas qu’on emménage chez elle «  sans intentions sérieuses. » 

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Rue Involontaire

Voilà, j'ai enfin réuni la totalité (?) de l'oeuvre de cet écrivain, annoncé comme l'un des génies oubliés du XXème siècle… et pour cause : quasiment rien n'a été publié de son vivant, provenance et époque oblige… dans l'ombre de la grande moustache…



J'ai patienté le temps qu'il fallait à la poussière pour que chaque livre en émerge, avant d'en entamer la moindre page, comme un série-toxico : attendant qu'une saison de son spectacle adoré soit disponible en entier, afin de l'avaler d'un seul coup, les yeux croutés au carré, la journée foutu par une nuit... ce que la langue anglaise, dans son génie adaptatif, appelle « binge watching », se référant à la manière de boire des étudiants de Bristol, Brighton, ou d'ailleurs, la nuit à peine tombée que déjà dans le caniveau…



On pourrait s'essouffler, sans même avoir commencé, à réfléchir à sa nationalité…

Né à Kiev (alors dans l'Empire Russe) d'une famille de la petite noblesse polonaise — déportée à la suite des terribles et incessants malaxages de cette nation au 19ème siècle, inrésumable en quelques lignes (le Prussien ne parlant pas forcément l'autrichien…) — brillant étudiant et intellectuel actif dans les mouvements de sa ville, jusqu'à son déménagement en 1922 à Moscou, de manière définitive. Sa langue littéraire a toujours été le russe, parmi les sept langues qu'il maitrise couramment.

Je n'aurais pris la peine d'écrire cela si, de ses huit ouvrages en face de moi, trois sont bleu ciel, quand les autres sont jaune poussin…



Ce petit livre est constitué de ses derniers écrits retrouvés. Sa présentation — l'histoire extraordinaire de l'exhumation, quasiment du néant, de ces textes par le poète Vadim Perelmouter — prendrait quasiment plus d'espace que son noyau de matière si elle était rédigée avec davantage d'emphase... mais l'ineffable s'impose de lui-même.

Sa traductrice Catherine Perrel nous ouvre délicatement le chemin…



Commencer une oeuvre par sa dernière partie éditée, tout en confiance, permet de l'aborder par ces petits fragments diablement autobiographiques, jeux de piste dénudant sans attendre cet auteur que l'on va découvrir avec ardeur.



Ces lettres écrites à personne sont en premier lieu adressées à lui-même, dans le huis-clos de sa chambre de 8 mètres carré, partagée uniquement avec une carafe de vodka, chaque jour vidée afin de bien marquer le temps qui passe.



On y touche à l'intime du créateur d'histoires : ce petit passage secret entre nos mains, feuilleté tel un trésor, nous rapproche plus qu'on y pensait de ce génie retrouvé, dont la tombe n'a jamais été localisée, alors qu'il nous demandait d'y laisser pousser les orties — « et qu'elles piquent ! » — clôturant ses carnets.

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Le marque-page

Maintenant qu'on a fait un peu plus connaissance, partons à la découverte de son premier recueil, formé de six nouvelles, supposément les plus représentatives de son art romanesque et fantastique.



Passée la sobre et indispensable introduction de la regrettée Hélène Châtelain, tant un tel livre nécessite éclairage sur son histoire chaotique, vont suivre :

-Le marque-page (1927) - 44 pages

-La Superficine (1926) - 13 pages

-Dans la pupille (1927) - 38 pages

-La treizième catégorie de la raison (1927) - 9 pages

-La métaphysique articulaire (1935) - 14 pages

-La houille jaune (1939) - 19 pages



Le caractère très personnel, voire autobiographique, de ces textes s'affirme dès la première nouvelle, prétexte à la rencontre du narrateur avec l'attrapeur de thèmes, personnage créant sans cesse des fragments d'histoires à partir du plus petit rien capté sur l'instant, comme un dialogue intérieur entre l'écrivain et son lecteur, démontrant son très haut niveau de conscience : sans vouloir trop s'avancer, il illustre sa volonté — au contraire de ces auteurs composant sans trop se soucier de la réception de leurs écrits — de sortir de l'éther la bonne histoire ; complice du spectateur, il fouille le monde avec son filet à papillons, donnant une existence propre, hors du regard, à chaque chose.



Marcher, le nez au vent, dans sa ville, semble pour lui la meilleure manière d'écrire ; rapportant de ses balades ces instants capturés, afin de leur donner vie sur papier, il commence par les baptiser : « Et si le titre tient, alors on en décroche le texte comme un manteau de son clou. le titre est pour moi le mot qui entraîne tous les autres, jusqu'au dernier. »



Vu qu'il reste relativement inconnu, il n'est pas inutile de faire des comparaisons; des plus évidentes, d'Alexeï Remizov à Nicolaï Gogol, prolongeant cette manière si confiante de s'adresser au lecteur, en plus d'en partager l'usage du fantastique afin de démontrer l'absurdité du monde.

Généreux, il en donne même la recette :

« D'abord, tirer un trait sur la vérité, personne n'en a besoin. Puis, exalter la douleur jusqu'à en faire un récit. Oui, c'est ça. Rajouter un peu de quotidien et par dessus, comme une couche de vernis, un soupçon de vulgarité — impossible de faire autrement. Enfin, deux ou trois réflexions philosophiques et… »



Mais c'est une parenté beaucoup plus hardie qui m'est venue à l'esprit. Une évidence, pour qui l'oeuvre coule littéralement dans ses veines. Cette prose, faite de petites choses, c'est aussi celle de Richard Brautigan. Ils y partagent le même goût pour la personnification des objets ; cette même manière de donner vie à l'inanimé ; déroulant le fil ténu qui les relient encore à l'enfance de l'imagination ; émus, parachevant les points de suspension de la citation :

« …lecteur, tu te détournes, tu veux chasser ces lignes de tes yeux. Non, ne fais pas ça, ne m'abandonne pas sur ce long banc vide : glisse ta main dans la mienne, oui, comme ça, serre encore, je suis resté seul trop longtemps. Je vais te dire quelque chose que je ne dirai à personne d'autre qu'à toi : pourquoi, en fin de compte, donner aux enfants la peur du noir, alors que l'obscurité peut les calmer et les faire rêver ? »



Ces nouvelles ne peuvent occulter le sentiment du lecteur affamé, voyant tant de bonnes idées à peine développées, les considérant comme des graines que la solitude, la censure ou la pauvreté n'auraient pas laissé germer.

Il n'est bien-sûr pas exclu qu'on se trompe, la brièveté étant un art à part entière, que certains ne savent réellement apprécier. Il faudrait pour cela bien méditer les enseignements de la Vitesse des Choses (livre-mutant, que l'on attribue à Rodrigo Fresan), et ne pas courir trop vite, au risque du claquage…



Pourtant, cette dernière nouvelle au nom évocateur, post-exotique, « La Houille Jaune », échafaude en quelques pages un scénario d'après la fin de l'histoire, où l'énergie tarie précipite l'humanité dans les crises et les guerres, jusqu'à ce qu'un savant parvienne à extraire la puissance contenue dans la haine, principale force motrice de ces Hommes.

« C'est ainsi que le célèbre ethnologue Kranz publia une ”Classification des haines interethniques” en deux volumes. le thèse centrale de cet ouvrage affirmait la nécessité de diviser l'humanité en unités nationales aussi petites que possible, afin de produire un maximum de « haine cinétique » (le terme est de Kranz) ; »

Si ce n'est pas ce qu'on qualifie de visionnaire…

...

Voilà, n'allons pas trop vite, il en reste encore...
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Rue Involontaire

Encourage par Bobfutur et Booky je suis parti a la recherche de Krzyzanowski et ce petit livre est le premier que j'ai reussi a degotter.

Trois recits ou coule la Volga. Comment ca, la Volga? Mais pas du tout, il y a erreur, cela se passe a Moscou, et a Moscou, c'est bien connu, le seul fleuve qui coule c'est la Vodka. Un fleuve impetieux et turbulent qui possede le don inespere de calmer les ames desesperees.



Dans le premier recit, Rue Involontaire, le narrateur boit. “Je bois. À cause de quoi ? me demanderez-vous. Un regard trop sobre sur la réalité. Je suis vieux – j’ai les cheveux filasse et les dents jaunasses – et la vie est jeune, donc il faut me laver, comme une tache, m’effacer avec de la vodka. C’est tout.” Le narrateur est peut-etre l'auteur lui-meme, car il ecrit. Il ecrit et il boit. ”Car au fur et à mesure que le niveau d’encre baisse – goutte après goutte – dans l’encrier, dans l’écrivant – verre après verre – le niveau de vodka monte.” Boit-il parce qu'il est esseule? “Je me suis éloigné des hommes et rapproché de la bouteille. Je bois. Maintenant, même les enfants du quartier s’écrient quand ils me voient : « Voilà le pépé au nez rouge qui va de travers ! » Eh bien, mieux vaut avoir le nez rouge et aller de travers que le nez creux et aller dans le sens du vent.” Houla! Aller contre le vent est dangereux a Moscou! Boit-il pour oublier les menaces, noyer son inquietude? Mais non, c'est plus simple et plus complique que ca. “Je bois parce que l’ivresse est un modèle réduit de la vie (l’eau-de-vie) : d’abord, l’attente de la vie – puis l’excitation adolescente – puis l’impression juvénile à la fois d’ivresse et de lucidité, l’apparition d’images érotiques – puis le sentiment d’inertie, verre après verre, la confusion mentale, l’envie de dormir, l’indifférence de la vieillesse – et enfin la décrépitude, la désintégration des pensées, le verre pas terminé, la saturation – et, pour finir, le sommeil sans rêves, la mort… et tout ça en vingt minutes.” Une addiction assumee, donc. “Je bois— à m’en rendre malade –à votre santé. […] Ce ne sont pas des larmes que je verse, mais de la vodka.”



Mais voila, quand il achete sa vodka on lui rend la monnaie en timbres-poste. Alors il les utilise pour ecrire des lettres a des inconnus, qu'il jette par sa fenetre ou met devant des portes fermees. Il ecrit au sous-locataire d'un appartement communautaire, qu'il faut appeler par six coups de sonnete, donc le moins important des locataires, celui qui risque d'avoir le temps et la patience de le lire. Un qui n'a rien d'autre a faire, comme lui. Il ecrit a quelqu'un dont la fenetre est allumee la nuit, donc qui ne dort pas, comme lui. “Et donc, vous et moi, nous sommes frères de cierge. Compagnons de la pensée qui ne s’éteint pas.” Il recidive avec une deuxieme lettre, et une troisieme, ou il lui propose des themes d'ecriture, supposant que c'est un ecrivain. Qui d'autre resterait eveille la nuit? Il ecrit au facteur, celui qui a l’habitude – ou la mission, le devoir - d'ouvrir les lettres. Il ecrit a l'habitant d'une maison qui n'est pas encore construite, rue Involontaire. Il ecrit a l'homme du timbre, l'homme dont le portrait est sur le timbre. Ce doit etre quelqu'un d'important, tellement important qu'il serait oiseux de s'attendre a une reponse. Et de toutes facons il ecrit pour ecrire, pour se defouler ou tout simplement pour continuer a vivre avec la vodka, exactement comme l'auteur dont la majorite – la tres grande majorite – de ses ecrits n'ont ete publies qu'apres sa mort.



Dans le deuxieme recit, La Clepsydre, un homme achete une clepsydre, mais au lieu d'eau il y met de la vodka. Buvant les gouttes seconde par seconde il devient homme-orloge pour une usine: on sait que la journee de travail est finie quand il s'effondre. Jusqu'a ce qu'il essaye d'accelerer le debit. Renvoye! Et la fin? On s'y attendait: un suicide.



Dans Le Feutre Gris un chapeau qui passe de mains en mains, de tetes en tetes, y inocule une pensee la ou il n'y en avait pas ou peu: “a quoi bon?” Et cette pensee pousse les porteurs vers le suicide. Vers quoi d'autre?



Voila. C'est tout. Trois courts recits pour exprimer peut-etre l'inaptitude, l'incapacite de l'homme pensant a vivre dans un pays ou le pouvoir ne lui repond pas, ne l'entend pas, ne le voit pas. A quoi bon s'efforcer? Il vaut mieux se perdre dans la vodka, le seul fleuve ou on puisse se noyer a Moscou. La Volga est tellement loin…

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Le Club des tueurs de lettres

Voici un livre aussi étrange que fantasque. Au sortir, je ne sais pas si j'ai aimé ou non. Plutôt oui, pour le côté inventif. Plutôt non, pour le côté recherche intellectuelle qui ne m'attire pas forcément. Il n'en reste pas moins que le propos est intéressant : pourquoi ne pas détruire tous ces écrits, n'y en a-t-il pas déjà trop, si bien que certains écrivains décident de la fin des lettres.



Sans doute un peu hermétique, mais vivifiant quand même.
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Le Retour de Münchhausen

Chacun a son Münchhausen. Gottfried August Bürger en a transmis à la postérité l'image d'un grand menteur passionné par la chasse, les voyages et les exploits guerriers. Karlel Zeman lui a fait superviser l'union entre les rêves de conquête spatiale et les légendes lunaires d'autrefois. Terry Gilliam l'a changé en être lunatique et inconstant, dialoguant avec l'enfance sur le mode du mentir-vrai, pour mieux tromper la mort.



Sigismund Krzyzanowski était donc destiné à nous présenter un Münchhausen à son image. Un Münchhausen poétique et facétieux convertissant le sens propre au sens figuré et inversement ; vivant à la fois dans les livres et dans le monde réel, dans le passé et dans le présent ; circulant où bon lui semble sans que l'on ne soit jamais sûr qu'il ait quitté le petit espace cloisonné qui l'abritait, image de livre ou appartement. Un Münchhausen friand d'abstraction, du moment que celles-ci ne constituent pas une prison mais au contraire un strapontin pour la liberté d'une imagination qui ne dit pas son nom. Et finalement, un Münchhausen dont l'illogisme et l'irrationalité trouvent en la Russie soviétique une rivale implacable, une « reine rouge » plus terrible encore que la reine de coeur de Lewis Carroll.



La vie imite l'art, et le fait très bien. Trop bien pour le bien-être de notre cher baron, qui trouvera que tout ne tourne décidément pas rond dans l'âme slave. Et tout tourne trop rond chez les protocolaires britanniques, autre extrême indésirable. Notre sommité du mensonge gratuit se cherche donc un État, une patrie pour fructifier sur Terre, foisonner en toute innocence comme des haricots magiques. Il cherche peut-être encore, quand le lecteur ouvre ce livre et pense à lui, à la lumière de la Lune.
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Souvenirs du futur

Je n'avais jamais entendu parler de Sigismund Krzyzanowski avant de lire l'essai de Sophie Divry "Rouvrir le roman" :



"Les années qui ont suivi la révolution de 1917 ont engendré chez un écrivain comme Sigismund Krzyzanowski un imaginaire particulier. Ses fables fantastiques n'ont rien de ces grandes fresques historiques naturalistes qui s'écriront un siècle plus tard sur cette époque où les idées soudain devenaient des personnages réels."



J'ai choisi ce titre parce qu'il était estampillé "science-fiction" et que le titre me plaisait beaucoup. L'histoire démarre assez bien et avec impatience on attend de découvrir la fameuse machine "coupe-temps" qui va permettre à Sterer de voyager dans le temps.



Il va y mettre du temps! Ses projets vont être chamboulés par la Première Guerre Mondiale. Il sera d'abord soldat avant de se retrouver dans un camp de concentration. C'est là qu'il va apprendre la mort de son père et l'existence d'un héritage qui pourra lui permettre de financer sa machine. Il va donc faire des pieds et des mains pour être dans le programme d'échange de prisonniers.



"- Je n'ai encore jamais rencontré un jeune homme, mein Kerl, qui soit amoureux de sa fiancée autant que vous de votre héritage."



Il va y parvenir mais non sans mal (il va attraper le typhus). Finalement l'héritage lui échappe et il va devoir trouver un mécène.



Ensuite je n'ai plus rien compris à l'histoire. L'auteur fait des analogies (certaines très bien tournées je dois l'avouer) à tour de bras ce qui rend la lecture ardue. J'avais l'impression de lire les délires d'un schizophrène. Franchement je n'ai pas eu l'impression de lire un livre de science-fiction.



Quand on lit que pour voyager dans sa machine il suffit : Ouaich... je n'ai pas du tout été convaincue.



Bref... je reste un peu sur ma faim.



Challenge multi-défis 2017 (27)
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Le marque-page

Un composant chimique qui aurait le « pouvoir » de repousser les murs, voilà qui arrange bien Soutouline et sa minuscule chambre de la taille d’une boite d’allumettes (8 m2 au plus). Mais lorsque les murs commencent à s’éloigner, que le processus ne permet plus de faire marche arrière, que la commission de contrôle des surfaces arrive et que les distances entre la porte et son lit deviennent si éloignées que...



Sigismund Krzyzanowski est né à Kiev le 11 février 1887 et mort à Moscou le 28 décembre 1950. C’est à peu près toutes les informations connues concernant cet auteur. Jamais publié de son vivant, son talent ne sera reconnu que bien plus tard, découvert un peu par hasard. Inclassables, les Éditions Verdier se chargent d’exhumer de l’oubli les quelques écrits jusque là oubliés d’un génie ignoré de la littérature russe de ce siècle.



Un type qui n’a que pour suprême ambition dans la vie d’arriver à mordre son coude. Je vous vois déjà prêt à initier le geste pour tenter l’exploit. Mais attention, cela demande et requiert une vraie préparation, un étirement des muscles du cou, une condition physique irréprochable, et une mentalité d’acier pour répéter de façon incessante ce mouvement aberrant. Absurde ? Pas pour la population qui idolâtre ce nouvel héros de la nation russe, pas pour les intellectuels et les philosophes qui se réunissent en mouvements « pro-coudisme » (ou anti), pas pour les mercantiles qui organisent une loterie pour parier sur la réussite ou non de cet exploit.



Ce recueil de nouvelles, écrites entre 1927 et 1939, apportent un étonnant et détonnant lot d’anticipation, d’étrangéité et de surprises humaines. Entre espièglerie et subversion, aux lendemains de la Révolution Russe, cette écriture de l’absurde nourrit le lecteur d’une imagination hallucinante et débridante.



Un attrapeur de thèmes capable d’inventer une histoire loufoque et rocambolesque, de s’approprier les éléments extérieurs pour élaborer une chronique fantaisiste et fantastique...



Un inventeur qui trouve une nouvelle source d’énergie (car la fin du charbon sur Terre hantait déjà les préoccupations de notre auteur visionnaire) en élaborant une houille jaune à partir de la bile créée par la haine des hommes...



Un homme qui pénètre dans la pupille de sa nouvelle amoureuse et qui y retrouve une société à l’intérieur composée de tous ses ex, oubliés de la belle et restés captifs dans la prunelle de ses yeux...



Et vous,

Avez-vous déjà essayé de croquer votre coude,

Avez-vous déjà réussi à vous échapper de la prunelle de votre ancienne bien-aimée,

Avez-vous déjà imaginé la Tour Eiffel s’enfuir pour rejoindre la fière patrie communiste...

Qu’avez-vous fait de votre marque-page ?
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Le thème étranger

Les failles abondent dans l'oeuvre de Sigismund Krzyzanowski. Écrites en Russie stalinenne, ses nouvelles interrogent sur la rupture créée par les révolutions, qu'elles soient le fruit des hommes ou de forces incompréhensibles.



Face à la faillite des anciens systèmes, même les anciennes façon de raconter des histoires ne fonctionnent plus. Il faut en trouver de nouvelles. Les narrations se cherchent, sinuantes, s'emboîtent les unes dans les autres, se font écho, se renforcent ou se vampirisent. Ainsi « le rassembleur de fissures » vient-il écouter un conte ressemblant à sa propre histoire. Et ce conte met lui-même en scène un conteur. Et le public de ce conteur ? Des fissures. Oui les fissures, toutes les fissures, rien que les fissures, une assemblée de fissures rassemblées artificiellement par une fiction délirante, puis relâchées n'importe comment dans un monde qui s'en retrouve bouleversé, où l'ombre, l'obscurité, peuvent désintégrer notre être du jour au lendemain. Cette métaphore glaçante du régime stalinien recèle aussi une vérité ontologique : nous pensons, donc nous sommes… mais combien de temps somme-nous vraiment égaux à nous-mêmes ? Une révolution est si vite arrivée. Et parfois elle refuse de se produire, le soleil n'accomplit plus sa révolution quotidienne.



La nuit devient alors cauchemardesque dans « La voie latérale », où même le monde des rêves ne semble plus un asile sûr. Au contraire, le danger vient des rêves. Ils composent une vision apocalyptique de la ville soviétique, éclairée d'une lumière noire et changée en une gigantesque usine à cauchemars où Thomas More devient le complice de toutes les utopies dévoyées, menant une offensive sans précédent contre le monde diurne.



Que peut faire l'artiste pour se défendre ? Déclarer son indépendance et proclamer son droit à rêver éveillé :



« J'exige que les soixante-quatre modes du syllogisme qui m'ont été confisqués et nationalisés me soient restitués. Jusqu'au dernier. Vous m'objecterez que seuls dix-neuf d'entre eux peuvent être logiquement réalisés, tant pis, rendez-moi aussi les autres, puisque sans eux ne pourra se réaliser l'art, qui est entièrement fait de syllogismes irréalisables. »



Allégorique et philosophique, la prose de Krzyzanowski exalte la faculté de l'artiste à nourrir le monde (à « donner », dirait Zarathoustra), plutôt qu'à s'en nourrir passivement comme le fait le reste de ses congénères. La nouvelle éponyme met ainsi en scène un pseudo-Nietzsche, qui propose de combattre la « sympathie » grégaire à coups de marteau, moquant le lien artificiel que le communisme cherche à établir entre les masses, et cherchant donc à créer des fissures salutaires, dans une démarche inverse de celle du rassembleur du fissure, mais tout aussi hasardeuse et incertaine.



Ce thème pourrait être un partage. Non pas avec un troupeau abêti mais avec une autre personne singulière. C'est sans doute pour cela que trois nouvelles sur cinq mettent en scène des conversations entre deux personnages, dont l'un semble représenter le lecteur tandis que l'autre représenterait l'auteur exposant ses théories, tentant de défendre sa liberté individuelle, sa liberté de créer, face aux thuriféraires d'un égalitarisme borné où l'individu est méprisé.



Ainsi l'auteur du « thème étranger » distribue-t-il des idées à qui veut bien y prêter une oreille. Une oreille attentive qui devient hypertrophiée chez le petit peuple imaginaire des Itanésiens. Leur ouïe hypersensible, martyrisée par le bruit du temps, les pousse à chercher un terrain, un thème où ils pourraient vivre.



Des lors, la seule sympathie digne de ce nom est celle qui permet, au-delà de la mort, d'accueillir le thème auquel a pensé un étranger et de le faire sien, un je-thème, voire un je t'aime.
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Le marque-page

Comme nombre de ses contemporains soviétiques, Sigismund Krzyzanowski eut à subir la censure stalinienne. Et s'il échappa à toute autre persécution, c'est pour la simple raison qu'il ne put strictement rien publier de ses fictions durant son vivant, condamné à vivre dans un minuscule appartement qui lui fournit l'argument d'une de ses nouvelles, intitulée « La superficine » : et si une substance inconnue permettait d'agrandir les dimensions d'un espace ? Acquise à la suite de ce qui ressemble fortement à un pacte avec le diable, cette substance transforme l'appartement en espace fantastique, un gouffre horizontal où résonne une profonde solitude. L'impossibilité matérielle de ce lieu n'est pas sans évoquer le repaire de Woland dans le Maître et Margueritte de Boulgakov, écrit à la même période et également indésirable pour la publication. Plus pessimiste que Boulgakov, Krzyzanowski se révèle tout aussi fantaisiste.



Et si… ? Et si… ? Les hypothèses s'élancent dans de nombreuses directions, à partir du moindre détail. le personnage principal de la nouvelle éponyme se montre capable de broder une histoire à partir d'une corniche, d'un copeau de bois abandonné... ou d'un marque-page. Tout cela en ruminant ironiquement le manque d'adéquation de ses récits avec les cadres fixés par la société. Aux côtés d'auditeurs plus ou moins attentifs, sa parole menace de se perdre comme le copeau, comme le chat tombant de la corniche, comme un marque-page emporté par le vent...



Fasciné par les images, Krzyzanowski est capable de donner vie aux plus infimes d'entre elles, de les enrichir de réseaux sémantiques touchant parfois à la philosophie. Voire à la psychanalyse avec « Dans la pupille », qui prend la pulsion scopique au premier degré : le reflet de l'amant acquiert une existence propre au sein de l'oeil de la dulcinée derrière lequel il est emprisonné. le double du regardé, émotion changée en image, cherche à revenir à sa source en tant qu'image faisant renaître l'émotion par son histoire : mise en abîme de l'écriture comme acte amoureux d'une mémoire mélancolique ? En tout cas, Krzyzanowski nous résume sa recette :



« D'abord, tirer un trait sur la vérité, personne n'en a besoin. Puis, exalter la douleur jusqu'à en faire un récit.



Oui c'est ça. Rajoute un peu de quotidien et par-dessus, comme une couche de vernis, un soupçon de vulgarité - impossible de faire autrement. Enfin, deux ou trois réflexions philosophiques (…) »



Les spéculations peuvent aussi s'élancer à partir de simples proverbes, comme celui qui dit en Russie que « ton coude est tout près, mais le mordre tu ne pourras jamais ». Chiche, se dit un déséquilibré dans son petit appartement solitaire (remarquez l'image récurrente…). Et la société de s'emparer du phénomène pour le structurer en système révolutionnaire, s'étendant du journalisme à l'économie, en passant par la politique, la mode et surtout la métaphysique. L'Histoire et la fable marchent ensemble le temps que cette révolution s'accomplisse. Mais que restera-t-il de la fable quand l'Histoire l'aura laissée derrière elle pour « revenir à zéro », comme aurait dit Evgueni Zamiatine, autre grand observateur des cycles révolutionnaires ?



La satire d'Octobre rouge baigne dans un humour noir qui me rappelle les mécanismes d'emballement théoriques singés par Will Self dans La théorie quantitative de la démence. de même, Krzyzanowski s'intéresse à ce qui se cache au-delà des limites des douze catégories kantiennes de la raison ; c'est pourquoi il en postule une treizième, où même la mort n'existe plus : un cadavre réfrigéré, « sans feu ni lieu » se met à ressembler au citoyen soviétique lambda, car il est lui aussi soumis à des problèmes de logements (oui, encore).



Et quand Krzyzanowski se lance dans la science-fiction, c'est sur l'argument suivant : et si la révolution n'était pas politique et rouge mais énergétique et jaune ? La philosophie de cette satire s'avère rien moins que féroce : la bonne littérature a besoin de haine pour exister (on pense à un autre de ses contemporains, le poète Ossip Mandelstam qui se revendiquait de la « hargne littéraire », pour lutter contre le reniement du passé par la révolution). Afin de moquer cette humanité qui l'empêche d'être lu et logé confortablement, Krzyzanowski répand narquoisement sa bile dans ce petit livre jaune. Et le rire qui s'en dégage est de la même couleur.



Merci beaucoup à Bookycooky pour avoir attiré mon attention sur ce recueil ! le jaune n'étant pas ma couleur favorite, j'aurais pu passer à côté, et c'eût été dommage.
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Le Club des tueurs de lettres

Sigismund Krzyzanowski est un auteur dont il est agréable de découvrir l'œuvre. On a l'impression de participer à une exploration. Encore ici, hors du temps, on pénètre dans l'antre d'une mystérieuse secte, ce club des tueurs de lettres qui réunit dans un jardin des idées des auteurs qui ont renoncé à l'écriture, mais pas à la création d'histoires et de récits. Chaque semaine l'un des leurs récite qui une pièce de théâtre, qui un conte, qui un chapitre d'un roman qui ne sera pas écrit, qui demeurera une idée émise dans un endroit clos un certain samedi. Le cadre et les contes témoignent de l'univers fascinant de cet auteur russe des années vingt, période fertile qui a aussi livré le roman Nous d'Evguéni Zamiatine duquel certains des récits des participants du Club des tueurs de lettres peuvent se rapprocher.




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Le marque-page

Des comparses lecteurs m'avaient signalé ce Sigismund Krzyzanowski comme un auteur à découvrir en constatant que j'appréciais les livres de Gonçalo M. Tavares. C'est tout autre chose, dans un autre espace et dans un autre temps, mais je comprends qu'on puisse faire le rapprochement. Krzyzanowski est encore très peu connu. Certains disent que le secret de cet écrivain fantastique est une pépite de libraire. Cet auteur russe décédé en 1950 à l'âge de 64 ans n'a jamais été publié de son vivant et ce n'est que depuis les années 1990 qu'on trouve des traductions françaises de quelques-unes de ses œuvres. J'ai décidé d'amorcer ce périple de découverte par le premier recueil de nouvelles qui fut traduit du russe par Catherine Perrel et Elena Rolland-Maïski, Le marque-page. Voilà donc un auteur surprenant de modernité dont certains ont signalé la parenté avec Kafka ou avec Borges. Ses thèmes sont variés, philosophiques, et portent un regard satirique sur la société. En ouverture du Marque-page, il se dote d'ailleurs d'un chasseur de thèmes très efficace. La touche fantastique va à la rencontre du scientifique et nous propulse dans un monde où un produit novateur comme la superficine permet de faire grandir les pièces dans une société où les célibataires n'avaient droit qu'à 8 mètres carrés. Dans une autre nouvelle, La houille jaune, la planète est en manque de combustible et une commission pour la recherche de nouvelles énergies lance un concours. Un ingénieur propose d'utiliser l'énergie de la haine partagée dans la société, une source presque inépuisable. L'intrigant parallèle qu'on peut faire avec la société d'aujourd'hui fait sourire, mais c'est un sourire inquiet.






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Souvenirs du futur

Je ne connaissais pas Sigismund Krzyzanowski, je l’ai découvert à travers ce court roman d’une centaine de pages. A mon étonnement, Krzyzanowski n’est pas un auteur russe contemporain (mort en 1950) mais du début du XXe siècle. Ici, on découvre Maximilien Sterrer, enfant puis homme acharné dans son projet de construire une machine à remonter le temps.

Si l’idée de départ était séduisante, j’ai trouvé que la narration l’était un peu moins. Les pensées de Sterrer sont ne sont pas simples de compréhension. Les explications de la machine, de son fonctionnement sont denses, et demandent quelques minutes de réflexion. Le plus intéressant est sans aucun doute le contexte de l’histoire, l’entrée de la Russie dans la Première Guerre Mondiale ainsi que le cynisme désabusé avec lequel le personnage principal échoue à son objectif, dans un premier temps. L’expérience en elle-même m’a un peu déçue…

Heureusement que le livre est court car l’exercice est éprouvant, mélangeant quelques concepts philosophiques, scientifiques (de l’époque) qui ne m’ont pas complètement passionnées.

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Rue Involontaire

La langue ivre de Sigismund Krzyzanowski.



Malgré la considération dont il jouissait auprès des intellectuels, aucun livre de Sigismund Krzyzanowski ne fut publié de son vivant, jusqu'à la découverte extraordinaire de ses écrits dans les archives soviétiques et le début des publications près de quarante ans après sa disparition. Né en 1887 en Ukraine de parents polonais, il s’installa en 1922 à Moscou, dans une petite chambre du quartier de l’Arbat, d’où il ne bougera quasiment plus jusqu'à la fin de sa vie en 1950.



C’est d’une chambre minuscule comme celle-ci que le narrateur insomniaque de Rue Involontaire expédie, par le vasistas, des lettres à sept destinataires anonymes et hasardeux, lettres écrites avec leur coauteur la vodka pour écluser un trop-plein de timbres, reçus comme monnaie pour l’achat de bouteilles de ladite vodka.



«Voilà comment j’ai contracté cette étrange maladie qu’on pourrait appeler épistolomanie. C’était il y a deux ans, quand la vodka suscitait de longues et soudaines files d’attente, et qu’on nous rendait la monnaie en timbres-poste. Je bois. À cause de quoi ? me demanderez-vous. Un regard trop sobre sur la réalité. Je suis vieux – j’ai les cheveux filasse et les dents jaunasses – et la vie est jeune, donc il faut me laver, comme une tache, m’effacer avec de la vodka. C’est tout.

Comment je commence mes matinées ? Levé de bonne heure, je vais au croisement et j’attends. Comme un chasseur à l’affût. Assez vite, ou parfois pas vite du tout, d’un côté ou de l’autre du carrefour apparaît une carriole remplie de caisses en bois. Dedans, bien fermé sous du verre et des bouchons, il y a de l’alcool. Je sors de mon immobilité et je suis la carriole, où qu’elle aille, jusqu'à l’arrêt et le déchargement. Voilà qui vous donne l’impression de marcher d’un pas solennel derrière un catafalque portant vos propres cendres.»



Plongeant le lecteur dans le Moscou du début des années 1930, ces lettres frappent surtout par leur écriture, déstabilisante comme l’abus de vodka, progressant en zigzags inventifs et fulgurances, sur le langage, le temps, et la possibilité de dompter par l'ivresse des mots l’avancée vers la mort.



«Le temps m’apparaît tantôt comme un tourbillon d’instants, tantôt comme une chute d’eau tombant vers l’avenir».



«Je bois parce que l’ivresse est un modèle réduit de la vie (l’eau-de-vie) : d’abord l’attente de la vie – puis l’excitation adolescente – puis l’impression juvénile à la fois d’ivresse et de lucidité, l’apparition d’images érotiques – puis le sentiment d’inertie, verre après verre, la confusion mentale, l’envie de dormir, l’indifférence de la vieillesse – et enfin la décrépitude, la désintégration des pensées, le verre pas terminé, la saturation – et, pour finir, le sommeil sans rêves, la mort… et tout ça en vingt minutes»



Ce recueil traduit du russe et présenté par Catherine Perrel pour les éditions Verdier comporte aussi deux nouvelles fantastiques et très gogoliennes, «La clepsydre», la légende d’un ivrogne moscovite, et «Le feutre gris», les pérégrinations d’un chapeau et les pensées noires qu’il inspire aux crânes qu’il recouvre successivement.



«Quand je mourrai, laissez les orties pousser sur ma tombe - et qu'elles piquent !»



Retrouvez cette note de lecture, et toutes celles de Charybde 2 et 7 sur leur blog ici :

https://charybde2.wordpress.com/2015/04/03/note-de-lecture-rue-involontaire-sigismund-krzyzanowski/

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Estampillé Moscou

Lecture particulière, fascinante. J'ai découvert Sigismund Krzyzanowski ( 1887-1950 ) par un heureux papillonnage en librairie devant les rayonnages consacrés à la littérature russe. Tiens, du bleu Verdier parmi le jaune de l'éditeur. Curieuse. Et charmée par cette couverture cartonnée, ces pages épaisses, ce titre et une quatrième qui me raconte qu'il s'agit d'un ouvrage de non-fiction d'un auteur négligé et inclassable, moscovite d'adoption, arpenteur infatigable, [ qui ] déchiffre pour nous la ville-livre, ce condensé du monde qui est un des fondements de sa prose. Alors oui, et pourquoi pas ? J'adore les rencontres impromptues. C'est même exactement ce que j'espère. Ainsi donc, la rencontre se déroule hors fiction, elle se confirme littéraire, parfois exigeante, prenante.



Ce livre se compose de trois parties, trois regards sur Moscou, trois temps. Les deux premières, complémentaires, furent publiées du vivant de l'auteur en 1925.



La première partie est celle du titre, celle qui l'explique : Treize lettres à un ami de province, une correspondance dont nous ne lisons que les envois du rédacteur moscovite d'adoption qui tente de décrire la ville à cet ami. Plus que décrire, cet homme, ce drôle de type qui cherche à comprendre où il est, l'explore durant deux années, essaie de la saisir dans tous les sens du terme. Ce sont ces errances à travers les significations de Moscou [...] jeu de l'esprit avec l'espace. Ces pas suivent les traces, les liens entre passé et présent de la ville amalgame, croisent les auteurs, les poètes russes, cherche des directions, du sens. Sa ( belle ) prose, à la fois précise et imaginative sur laquelle brille parfois une touche de fantaisie et/ou de provocation, confronte les visions de St-Pétersbourg, ville des idées, à Moscou, ville du regard. C'est singulièrement un univers, presque à la frontière d'une évocation fantastique, que ce narrateur s'essaie à interpréter dans l'entrelacs des ruelles moscovites.



Le seconde partie, d'une quinzaine de pages, revient sur cette évolution passé-présent en s'attachant à " l'étude " des enseignes commerciales qui habillent les rues de Moscou. L'auteur s'y livre à une véritable analyse aussi bien historique qu'artistique, s'attardant sur la notion de symboles de ces différents signes du quotidien, passant par les slogans des banderoles lors des manifestations et les croix plus que centenaires des clochers et des cimetières. C'est Moscou d'après la Révolution bolchevique, Moscou des années 20, celles de l'offensive entre ancien et nouvel ordre, l'enseigne devenue l'anachronisme de cette ville-musée. C'est ainsi une analyse de l'écriture dans la rue, des annonces à travers ces enseignes ouvragées de métal remplacées par les affiches, une radioscopie sociale et politique. Encore une fois, interpréter, donner du sens, chercher à comprendre l'histoire russe par le regard sur la ville du regard.



" Il est peu probable que l'on puisse aujourd'hui revenir à l'ancien style de l'enseigne, lapidaire et monumental, statique voire lourd. La conception même de l'enseigne dans une ville dont le commerce est en voie d'étatisation change profondément : il ne s'agit plus d'inciter, mais seulement de signifier, de désigner. Rien de plus. [...] tout cela est fort loin et bien étranger aux vieux procédés de l'étourdissement par la réclame et de la concurrence propres au capitalisme privé. L'ancienne enseigne de Moscou, qui peu à peu sombre dans le passé, conserve avec plus de fidélité et d'exactitude que les autres éléments de l'inventaire complexe de la rue les traditions mourantes de la vie quotidienne et de l'art de la ville. " ( 1924 )



Quant à la troisième partie, elle relève du témoignage : Moscou durant la première année de guerre. Il s'agit d'un recueil de textes écrits en 1941, dix-neuf émouvantes chroniques mêlant les personnes, les lieux, les moments, tous vivant ce temps, dans ce temps, de la ville assiégée par la guerre.
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Le marque-page

C'est clairement ma découverte marquante du mois d'août qui s'en va direct rejoindre ma liste

https://www.babelio.com/liste/27935/Litterature-russe--les-annees-20

Le marque-page est un jeu littéraire et sur la littérature qui vaut vraiment le détour mais ce sont surtout dans La Superficine, Dans la pupille, La métaphysique articulaire et La Houille jaune que j'ai été le plus marqué par l'imagination et le sens de l'absurde de cet auteur.

Dans la pupille est un truc qui réussit à convier le surréel, l'humour absurde et un je ne sais quoi d'oppressant dans une nouvelle extrêmement bien structurée et pleine d'une sorte de logique implacable dans le rassemblement du fond de pupille d'une jeune femme.

Un auteur dont j'ai hâte de lire la suite de la production (merci aux éditions Verdier d'une telle découverte un siècle après)
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Rue Involontaire

Recueil de 7 lettres plus 2 textes que l'on pensait perdus à jamais et découverts par hasard dans les archives de Moscou restituées par le KGB. La vie de l'auteur elle aussi est pleine de mystère.

Rien qu'avec cette introduction digne d'un film d'espionnage, cela m'a donné envie de le lire.

Soyons honnête, l'auteur a bien raison de préciser que le coauteur est la vodka. Il flotte dans ces lettres une brume alcoolisée mais pas une ivresse totale, c'est à dire que l'auteur est bien conscient qu'il écrit alors qu'il est sous l'emprise de la vodka, qui, pour lui, est son état normal maintenant.

Disposant de timbres rendus comme monnaie pour tout achat de vodka, et ne sachant pas quoi en faire, l'auteur décide d'écrire et d'envoyer des lettres au facteur, à ses voisins d'immeuble ou de rue.

J'ai trouvé ces lettres pleines d'humour noir, de réflexions faites à base de vapeurs d'alcool mais avec une certaine conscience de cette réalité , du coup son auteur, en pleine solitude, en devient plus touchant,

J'ai bien aimé le style de l'auteur et ce côté autobiographique. Les nouvelles, quant à elles sont un plus alambiquées mais restent sympathiques.
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Souvenirs du futur

Nous suivons le personnage principal, Maximilien Sterrer, dans sa découverte et sa lutte avec le temps. Fasciné dès l’enfance par ce concept, il va tenter de le maîtriser, en construisant une machine qui lui permettrait de l’utiliser à sa guise, mais d’une certaine façon d’une manière plus conceptuelle que vraiment utilitariste. Mais le temps a plus d’un tour dans sa manche, et semble s’ingénier à déjouer les efforts de Max, aussi bien en faisant intervenir l’histoire (guerre, révolution…) que des moyens plus subtiles. Max arrive à faire un voyage grâce à sa machine, mais ne gagne pas pour autant.



Etrange livre à la mesure de cet étrange écrivain (j’avais déjà lu il y a fort longtemps Le marque-page, un recueil de nouvelles). Les références pleuvent, que ce soit sur la quatrième de couverture ou ailleurs. Wells et La machine à explorer le temps, certes, mais Krzyzanowski est infiniment plus complexe, ce n’est pas un exploit technique qui l’intéresse, ni la connaissance du futur en tant que tel, rien d’utilitariste ni de pragmatique, mais plutôt l’aspect métaphysique de la démarche, le questionnement sur ce qu’est le temps et quel est notre rapport avec lui. Ce qui n’empêche pas par moments le livre d’être une grande précision factuelle, de décrire l’enfant Max, ses rapports avec le monde, et aussi la société post-révolutionnaire. Pas grand-chose en apparence, juste un petit détail, mais qui sonne tellement juste, qui est une sorte de quintessence, et qui rend compte avec une économie de moyens extraordinaire. C’est une prose au millimètre près, rien de trop, mais tout a un sens, chaque mot signifie, c’est profondément pensé et senti. Un étrange voyage, aux confins du temps, des limites de notre compréhension, mais aussi de notre capacité à rêver le monde, à le vouloir autre que ce que les apparences laissent supposer au prime abord. Une façon aussi de voir le monde tangible devenir moins tangible, mais d’une certaine façon plus réel en même temps.



Un auteur d’une très grande originalité, qui a un univers dense et très personnel servi par une magnifique écriture, et une conception du monde d’une infinie complexité.

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Le thème étranger

Dur, dur, j'ai mis 5 * à Le marque-page et je trouve celui-ci encore plus époustouflant. Le thème étranger, la nouvelle qui donne son titre au recueil, est délirante et en même temps très réaliste puisqu'en partie autobiographique, peut-on supposer : le clochard céleste, prêt à vous fournir une théorie existentielle pour un bol de soupe, ou un simple aphorisme, mais avec exclusivité, attention ! Ou alors de croquer des sandwiches à la métaphysique ! J'ai toujours pensé que la caractéristique des grands (auteurs, chanteurs, cinéastes,...) est de pouvoir tout se permettre sans auto-censure et, à ce titre, l'imaginaire délirant de Krzyzanowski conjugué à une écriture de haute volée sans être hermétique le place pour moi dans les grands. Et j'attaque le Club des tueurs de lettres, dans lequel (extrait de la jaquette) des écrivains se réunissent dans une chambre/bibliothèque aux rayonnages vides pour, chacun, dérouler son récit dont aucune trace ne doit subsister... aie aie aie, et dire qu'il faut bosser de temps en temps...
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