Télé-réalité ? L'absurdité même de l'humanité condensée en un peu plus de trois quarts d'heure. Emissions de décoration ? Le refuge des femmes condamnées à considérer leur maison comme le reflet d'un quelconque succès. Sport en direct et analyses ? Il suffirait de prendre l'enthousiasme de ces milliards de fanatiques de sports et de le transformer en intérêt écologique pour que la planète redevienne propre en une saison. Séries humoristiques ou dramatiques ? Il suffisait de sortir dehors, de voir le monde comme il était pour rire de notre stupidité ou de pleurer notre déchéance. Si la religion pouvait être autrefois considérée comme l'opium des peuples, la télévision était son digne successeur depuis le milieu de XXème siècle.
Pour lui, la pitié n’était qu’un moyen politiquement correct de se satisfaire de notre situation actuelle face aux difficultés d’autrui.
Quelque chose attire son attention sur la table de chevet, à droite du lit. Une fleur. Une rose.
Elle relève la tête, veut s'assurer qu'elle n'est pas victime d'une hallucination.
Une horloge surdimensionnée est accrochée au mur. Une horloge comme Izabelle n'en a jamais vu. Une horloge au cadran humain.
Un homme, ou plutôt le cadavre d'un homme, est fixé en son centre.
Rien ne peut s'opposer à son joug. L'entité est une véritable reine dans cette nature sauvage et stérile, dominée par le froid et la désolation.
Comme je l’ai écrit plus haut, la sensation de « toucher » le temps m’emplit d’une impression de puissance inouïe.
Dévorer la chair d’un autre homme multiplie par cent ce sentiment.
Dévorer la chair d’un autre homme encore en vie, un homme conscient que je suis en train de le dévorer, le multiplie par mille.
La jeunesse en soi, dans son ensemble. Sa naïveté, son insouciance, son ingratitude, sa stupidité, sa cruauté, son matérialisme, sa joie éphémère… et ses représentants, des semi-hommes et des semi-femmes inutiles, toujours « en développement », jamais prêts à temps. On attend à la fois tout et rien de leur part. Ils croient que le monde leur appartient, s’illusionnent sur leur avenir. Oui, Jacques détestait les jeunes pour tout cela à la fois.
En fait, l'ancien sergent-détective ne manquait pas seulement d'empathie ; il avait même du dédain pour la pitié. Selon lui, ce sentiment construit de toutes pièces par la civilisation et la culture judéo-chrétienne n'était que le reflet de l'égoïsme sans bornes de l'homme occidental. Pour lui, la pitié n'était qu'un moyen politiquement correct de se satisfaire de notre situation actuelle face aux difficultés d'autrui. Faire preuve de pitié et de charité, c'était donner au prochain pour en fin de compte se sentir bien, se donner à soi-même. C'était pour ne pas feeler cheap si on ne donnait rien aux miséreux. Si nous étions véritablement capables de pitié et de charité, si ces sentiments étaient vraiment innés chez l'être humain, alors notre monde ne serait pas ravagé par la pauvreté et la famine, problèmes qui pourraient être réglés en un claquement de doigts grâce aux fortunes des puissants du 1%. Les robineux, quant à eux, profitaient de ces faux sentiments pour acquérir de l'aide qu'ils pourraient eux-mêmes s'offrir en se bougeant un peu le cul.
C'était du moins l'avis définitif de Jacques, et c'était la raison pour laquelle il ne donnait jamais rien aux plus démunis, le mépris le gagnant chaque fois qu'il croisait un clochard qui lui tendait une main creuse en quête de monnaie. Il ne tomberait pas dans le piège, il n'encouragerait pas ce suicide social latent.
En couple avec le même homme depuis son bal du secondaire, elle s’est récemment séparée et a découvert le célibat du 21e siècle : trop de choix, de grands espoirs et d’énormes déceptions parsemées de plaisirs éphémères.
...
Alexandra, l’enfant du milieu, collectionne ces plaisirs éphémères ; ils font partie de son quotidien hors normes. Accro à la sérotonine, elle carbure aux likes, aux commentaires flatteurs et au filtrage de messages privés de pervers. Ce sont ses drogues.
Pour passer le temps, Samuel sortit son paquet de cigarettes de sa poche et s’apprêtait à s’en allumer une lorsque la trop volubile dame l’avertit, tout en coupant des tomates : — S’cusez-moi, mon beau monsieur, mais on a plus le droit de fumer en-dedans, asteure… Je le sais, c’est ben triste, mais je voudrais pas pogner d’amende !