Un couturier raconte à une jeune bibliothécaire les débuts de la météorologie. Une histoire insolite, très bien écrite qui incite à admirer le ciel .
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La ville de Rome parle, alors qu'un jeu vidéo surgit apocalyptiquement dans le réel... Savoureux même si la maîtrise du codage SF reste incertaine.
Paru en cette "rentrée littéraire" 2011, le quatrième roman de Stéphane Audeguy nous entraîne aux côtés d'un narrateur surprenant, la ville de Rome elle-même, qui nous confesse en 200 pages ses hauts, ses bas, ses doutes, ses nostalgies et sa souffrance de moribonde étouffée par un mercantilisme débridé aux accents finaux.
Pour dépasser le brillant exercice de style, Audéguy recourt à trois artifices astucieux, savoureux, mais non totalement maîtrisés : un jeu vidéo mondial en réseau, de type réalité virtuelle, prenant précisément pour décor et objet la Rome du IIème siècle après Jésus-Christ ; deux adeptes de ce jeu, au talent exceptionnel, l'un Italien "de souche", cultivant son corps aux anabolisants et son fascisme aux ressentiments, l'autre Indien émigré aux Émirats Arabes Unis, à la recherche plus ou moins consciente d'une "porte de sortie" de cet univers en folie ; et enfin, un véritable "glissement de temps" dickien dans lequel des vortex temporels vont projeter, en accélérant progressivement, des pans entiers de passé romain, bizarrement mélangés, dans une actualité qui se dérobe, pour aboutir à une fin apocalyptique néanmoins localisée, sur fond de "gestion de crise", de quadrillages militaires guère efficaces et de vains secours d'urgence.
"Hélas, ils déchantaient beaucoup : pas plus qu'avant leur mort ils ne savaient trouver l'emploi d'un temps toujours trop long maintenant que, fantômes, ils se voyaient privés des divertissements vains que la société des hommes prodigue à tous ses membres : heurs et malheurs, chasses, amours, guerres, emplois, croyances. Alors ils traînaient dans mes rues, ombres aux mains molles et trop propres, n'osant pas se l'avouer d'abord, finissant par courber la tête sous l'affreuse évidence : à revivre, ils s'ennuyaient beaucoup."
"Une poignée de touristes échappent au cordon des policiers et se précipitent vers la princesse évanescente. Le plus rapide est un lycéen estonien prénommé Jaan. Il tombe malencontreusement dans le tourbillon du temps qui l'avale. Sans un cri il s'étale rudement sur une plaine gelée, à la fin du pléistocène inférieur, l'arête déchiquetée d'une congère gelée lui fracasse le crâne. Un mammouth déchiré de toux rauques, qui perd à larges touffes son poil roux et sale, l'effleure de sa trompe, et s'en va à pas lourds vers sa fin très prochaine, et l'on trouve, en creusant au hasard les flancs du Capitole pour y faire un parking, la tête de l'animal, parfaitement fossilisée, dont les yeux restent clos, pour toujours, sur les merveilles qu'ils ont vues. Dans les oreilles mortes du pauvre Jaan de vieux standards de death metal résonnent jusqu'à ce que le froid enraye son i-pod, le gaine pour l'éternité d'une couche de givre, froide et splendide comme un acier poli. De retour à Tallinn, les camarades de classe du jeune mort baptisent de son nom la salle d'informatique de leur lycée et, à cette occasion, récitent en pleurant les poèmes affreux et sincères qu'ils ont écrit la veille, sur le conseil d'un psychologue. C'est tout."
Si l'auteur excelle à créer, à partir de ses échappées historiques, une ambiance pasolinienne de fin de règne et de sexualité omniprésente, il est sans doute moins à l'aise pour manier efficacement et rapidement les "codes science-fiction" qu'il utilise... Dans ce travail de banalisation d'un genre par récupération et transformation littéraire de ses acquis, on préfèrera sans doute, par exemple, un Tommaso Pincio ou un Rodrigo Fresan, autrement ambitieux, et autrement connaisseurs des outils ici à l'œuvre... Ce qui n'empêche en rien de saluer la belle tentative, même relativement inaboutie, de Stéphane Audéguy.
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Aucun intérêt, même si on s'accroche un peu pour voir. Dommage, le livre précédent d'Audeguy m'avait beaucoup plu.
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Le photographe Pierre quitte la France pour Nairobi où il doit s'occuper de démarches funéraires. Il connaissait à peine son père, Michel, et il suit le parcours de cet homme fuyant l'occident. Le narrateur étrange est l'humanité depuis la nuit des temps, ce qui donne un charme fou à ce livre.
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Critique de Jean-Baptiste Harang pour le Magazine Littéraire
À force de fréquenter la belle collection de J.-B. Pontalis, « L’Un et l’Autre », on croit tenir pour acquis que l’un est forcément l’auteur du livre, et l’autre l’objet choisi pour sujet ou pour miroir. Ou l’inverse. Stéphane Audeguy, à qui l’on doit plusieurs livres épatants (le titre du dernier mariait déjà malicieusement l’ego et l’alter : Nous autres), tente de délivrer de l’oubli un certain Pigault-Lebrun, que la plupart d’entre nous autres n’avions pas oublié faute d’avoir jamais eu connaissance de son existence. Audeguy ne manque pas d’indulgence envers notre ignorance ni de modestie quant à la vanité de son entreprise, il ouvre son texte par cet aveu : « Pigault-Lebrun est désormais un fantôme. » Le nom pourtant vous dit bien quelque chose, non ? Un faux nom fabriqué à partir d’un vrai, Charles Antoine Pigault de l’Espinoy, dit Pigault-Lebrun (1753-1835). Ah oui, Flaubert ! Flaubert le lisait à Luchon et ne s’en plaignait pas, il l’écrivit dans une lettre que rapporte Audeguy pour présenter son héros. Pour le reste du livre, il va falloir croire l’auteur sur parole. Croire à la gloire de Pigault, au succès de L’Enfant du carnaval, dont il sauve le titre en l’empruntant, aux salles que ses pièces de théâtre remplissaient à Paris, à tout ce qu’il sut faire et même à ce qu’il ne fit pas : « Il y a bien un récit pornographique intitulé L’Enfant du bordel. Hélas ! Il se trouve que cette oeuvre, la plus célèbre de Pigault-Lebrun, n’est certainement pas de lui. » Et Audeguy d’ajouter : « C’est dommage sans doute, car ce récit pornographique ne commençait pas si mal [il cite ici ce que vous lirez page 11]... cette attribution fantaisiste ne prouve qu’une chose : le nom de Pigault-Lebrun, jadis, fit vendre. En un sens, nous pourrions en rester là : non seulement Pigault-Lebrun ne manque à personne ; mais encore on ne remarque pas l’absence d’un inconnu. »
À ce moment du livre (on est au tout début), un vertige nous prend : non, bien sûr, ce Pigault-Lebrun ne nous dit rien, il est inventé de toutes pièces et de belle vraisemblance, Audeguy nous refait le coup de Michon qui, avec ses Onze, envoya au Louvre des milliers de lecteurs se ridiculiser en demandant à voir un magnifique tableau qui n’a jamais existé. On rit sous cape, on ne sera pas dupe deux fois. On poursuit la lecture avec au coin des yeux la connivence de ceux à qui on ne la fait pas. On se régale de phrases telles que (à propos de la pièce de Pigault, Charles et Caroline) : « Le succès de cette oeuvre fut plus grand que son mérite. » Pigault-Lebrun était acteur, il était de la création de ses pièces et se vantait d’être mauvais comédien. Comme Michon en appela à Michelet, Audeguy, dès qu’il sent notre crédulité faiblir, rappelle Flaubert, cite Stendhal (« Quant aux hommes que j’honore, je suis fâché de les voir nier le mérite de Pigault-Lebrun »), Hugo qui le fait lire dans Les Misérables, ou Remy de Gourmont qui en fit un maître de Balzac (au point qu’on le surnomma le Pigault-Lebrun des duchesses). Verlaine le traita de fumier.
Stéphane Audeguy est le plus fort, il réussit à nous faire croire à ce Pigault-Lebrun, au prétexte qu’il a réellement existé, comme si la vérité était un argument recevable. À la toute fin l’auteur se demande : « Qu’a-t-il donc manqué à Charles Pigault-Lebrun pour être encore lu ? » Peut-être qu’un Stéphane Audeguy s’empare de son fantôme, le secoue un peu de sa poussière et lui redonne vie. C’est chose faite.
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