Citations de Stéphane Carlier (286)
Voilà une chose que le docteur Maître n'a toujours pas intégré. Il lui a dit récemment "C'est sûr que, votre métier, c'est pas l'idéal quand on a un fond dépressif". Alors que c'est tout le contraire. La profession de croque-mort est à recommander aux personnes déprimées parce qu'être confronté chaque jour au malheur d'autrui est un moyen efficace d'échapper au sien.
Elle m’a fait comprendre que j’avais de la chance et a continué :
- Les règles ont complètement changé. Aujourd’hui, une nana qui ne sait pas qui est Colette, qui est Gide, qui est Gnest, peut écrire un livre dans sa cuisine, le publier sur Internet et en vendre 100 000. Avant, on respectait la grande intelligence. Même ceux qui ne lisaient pas Hugo ou Balzac les admiraient. Aujourd’hui, on ne se donne même plus cette peine. On a pas d’autres aspiration que de prendre des selfies en faisant des duck faces et on le revendique. L’époque valide l'ignorance, légitime la stupidité. Le monde n’a jamais autant ressemblé un tableau de Jérôme Bosch.
J’aurais pu intenter un procès à mon enfance, porter plainte contre les années 80. Pour m’avoir induit en erreur, m’avoir fait croire que tout ne basculerait pas, qu’on se méfierait de la technologie, qu’on lirait toujours Aragon, Bukowski, Carson McCullers, que quelqu’un comme Richard Russo serait un peu connu, que l’humanité ne deviendrait pas complètement débile, obsédée par le foot, que nos pires cauchemars reste-raient de l’ordre du phantasme. J’aurais dû, je suis sûr que j’aurais touché des dommages et intérêts.
— Mais je n’ai pas mis Dacca dans mes vœux !
— Personne ne demande Dacca spontanément, mon ami. Les gens ne me supplient pas non plus de les envoyer à Karachi, mais j’ai des cases à remplir, vous comprenez ? Je ne les ai plus en tête, vos vœux, mais je crois me souvenir qu’ils ressemblaient à tous les autres : New York, Londres, Genève...
— Pas Genève.
— Pas Genève. Mais, bon, vous aviez demandé les villes que tout le monde demande, avec, en dernier, pour faire bonne mesure, un ou deux endroits moins rigolos mais pas horribles non plus, je me trompe ? Qu’est- ce que vous aviez mis en dernier ?
— Athènes. Et Malte.
— Le Club Med, quoi. Qu’est-ce que vous voulez que je fasse avec ça ? Franchement ?
Qu’est-ce que vous êtes beau, c’est ahurissant. En général, les gens très beaux le sont moins au bout de dix minutes. Chez vous, l’effet est permanent.
Elle fumait tellement qu'en l'écoutant on se raclait la gorge. Elle fumait tellement qu'en l'écoutant même ceux qui ne fumaient pas avaient envie d'arrêter.
Leur premier contact, de chaque côté d'un bureau derrière lequel le vieil homme établissait le dossier de l'animal, fut d'ailleurs un désastre :
"Il a un nom votre cochon ?
- Oui, Foufou.
- Foufou ?
- Oui. F.O.U...
- Pas la peine d'épeler. Si je peux me permettre, j'ai rarement entendu un nom aussi débile, même pour un cochon.
- Je sais, mais...
- Ils sont jeunes, ils sautent partout, alors on les appelle Foufou ! Franchement, vous auriez pu trouver autre chose !
- Je ne suis pas à l'origine de ce nom.
- Il n'est pas à vous ?
- Euh, non, si ! Si, bien sûr. On me l'a donné. Offert.
- Ah. On vous l'a offert déjà baptisé.
- Voilà.
- Très bonne idée de cadeau, vous pourrez complimenter vos amis.
- Oui... Pour tout dire, je pense le rebaptiser.
- Ah, très bien. Essayez de lui donner un nom plus classe. Un de mes clients a une chèvre, une très belle angora qu'il a baptisée Véronique, parce que c'est un fan de la chanteuse, là, Bon, bah, c'est très beau Véronique, pour une chèvre.
- Les noms humains, tout de suite ça...
- C'est ce qui se pratiquait autrefois dans les campagnes. Le cochon avait un nom. Un vrai nom. Pas Foufou, Pépette ou je ne sais quelle connerie du même genre. On l'appelait même monsieur ou madame, vous imaginez ?
- Effectivement, ça parait inc...
- Bon, c'est une autre époque. Le cochon vivait dans la maison, il arrivait même qu'on dorme avec lui. C'est un autre monde.
- C'est drôle que vous disiez ça, parc que...
- Laurent, par exemple. Je le verrais bien s'appeler Laurent, votre cochon. Ça fait chic, on pense tout de suite à Laurent de Médicis. C'est respectueux, vous voyez ? Il faut respecter l'animal... Adresse ?
- Adresse ?
- Il habite où, votre cochon ?
- Ah, 116, rue de Vaugirard.
- D'accord... Commune ?
- Paris.
- Paris... Paris ?
- Oui, dans le 6e.
- C'est une plaisanterie ?
p. 104-105
C’est très compliqué, son histoire. Je crois que c’est un homme qui a quitté sa femme pour un autre homme avant de s’apercevoir qu’il aimait bien les femmes et voulait devenir lesbienne. Mais c’est peut-être le contraire.
Là-dessus, Biscotte tapa dans ses mains et, hilare, se mit à danser avec les bras. Pendant pratiquement une minute, la voiture fut secouée au rythme de ses mouvements. Il était clairement défoncé.
Nando observa Gaby qui, sur le siège passager, avait l’air aussi affligé que lui. Il avait constitué la pire équipe qui soit. Aucun de ces deux hommes n’avait pris la mesure de ce qui l’attendait. L’un était trop vieux, l’autre trop embrumé. Et, le pire, c’est qu’il était impossible de revenir en arrière. (…)
« Tu ne devrais pas te laisser abattre, murmura-t-elle, en posant la main sur son dos.
– T’as vu les tocards qu’on a récupérés ! Et cons comme leurs pieds, en plus de ça. Ça va foirer, c’est évident. »
Gaby jeta un œil à l’intérieur de la Camry dans laquelle, au même instant, Pickwick et Biscotte recommençaient à se chamailler.
« C’est souvent quand les choses semblent désespérées qu’elles réussissent. »
Un ouvrage qui sur une histoire original nous renvoie à la question de l'animal.Ce lit très vite.On rentre rapidement dans l'histoire.
C'était loin d'être une intellectuelle. On lui disait "Homère" et elle pensait "Simpson" (...)
« Proust, ce n'est pas difficile, c'est différent.
Mais bon, il pourrait quand même aller à la ligne plus souvent. »
Ces deux phrases m’ont vraiment fait rire !
-- Vous lisez Proust ?
-- Oui, je lisais Du côté de chez Swann. Maintenant, je suis dans À l'ombre des jeunes filles en fleurs.
-- Mais pourquoi ?
-- Pourquoi ?
-- Vous préparez un examen ?
-- Non, c'est comme ça, pour le plaisir. Vous l'avez lu ?
-- Oui, enfin non mais c'est tout comme. ( p 90 / 91 )
L'affaire est de se libérer soi-même : trouver ses vraies dimensions, ne pas se laisser gêner.
Virginia Woolf
Proust. Avant, ce nom mythique était pour elle comme celui de certaines villes – Capri, Saint-Pétersbourg... – où il était entendu qu’elle ne mettrait jamais les pieds.
Mme Habib dans son salon à neuf heures du matin ressemble à une femme jouant au casino le samedi soir. Chemisier de soie havane ou léopard, bracelet faisant cliqueter ses moindres gestes et Shalimar, beaucoup de Shalimar, tellement de Shalimar que le parfum, imprégnant l’endroit, en est devenu la marque autant que son carrelage blanc à effet marbré ou les deux notes de son carillon à l’entrée. Son maquillage excessif accentue l’expression de fatigue de ses yeux sortant légèrement de leurs orbites. Sa voix est enrouée, cassée par la cigarette comme à la fin d’une journée passée à attendre. Son teint est bistré par la poudre autant que les séances sous les lampes, Madame Habib est accro au bronzage ( aux beaux jours, à la pause déjeuner, il n’est pas rare de la voir, place de la Libération, assise à un bout de banc pas encore à l’ombre, déguster sa salade de riz, le visage offert au soleil).
A la lecture de ces pages, quelque chose d'un peu magique s'est passé qui, pour la première fois, lui a laissé penser que les livres pouvaient être meilleurs que la vie.
aujourd'hui, elle a commencé la lecture d'un livre écrit il y a plus de cent ans par un homme qui ne quittait pas son lit, un livre avec des phrases interminables et dont elle a le sentiment, pour une raison qui lui échappe encore, qu'il va la rendre plus forte.
Ce qui lui procure ce malaise, ce sont des questions. Est-ce ainsi que tout culmine ? Est-ce qu'on ne sera jamais plus heureux que ça ?
Ils ne sont pas nombreux, ceux qui se réinventent. On prend généralement pour argent comptant la version de la réalité qu'on nous présente en premier, on s'abstient de la questionner par manque d'audace, parce que c'est plus facile, plus confortable et, ce faisant, on vit la vie imparfaite et frustrante de quelqu'un qui ne nous ressemble que de loin.