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Critiques de Tatiana Tibuleac (26)
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Le jardin de verre

Savoir cultiver son jardin intime même si les fleurs, de verre, se font dangereux et douloureux tessons…Coup de coeur pour ce livre moldave à mi-chemin entre le conte fantastique et le conte gothique, entre le roman noir et le roman historique!



La petite Lastotchka, moldave, est adoptée dans un orphelinat par Tamara Pavlovna, ramasseuse de bouteilles, à Chișinău, en Moldavie. Adoption motivée davantage pour s'en servir et augmenter son butin que par charité et compassion semble-t-il de prime abord. Tamara fait en effet de la petite une ramasseuse de bouteilles comme elle, pouvant la seconder alors qu'elle vieillit. Ce n'est pas vraiment un métier mais pas rien non plus, une activité, sur l'échelle des activités « située en-dessous des postiers mais au-dessus des vendeurs de kvas ». Elles ramassent, inlassablement, les mains raides de froid, l'estomac retournée par la nausée au contact des bouteilles d'ivrognes nauséabondes, les échangeant ensuite comptant contre des sous sur un terrain vague, au fond d'une ravine. La fortune à partir de rien. Une vie en machine continue qui est source de coupures, de blessures à l'épaule tant la charge peut devenir lourde, de morsures du froid, de moqueries des autres enfants aussi, d'insultes de la part des ivrognes sur le dos desquels elles gagnent leur vie. C'est là que la petite fille a appris le russe entre les bouteilles et les ivrognes, le russe prenant le dessus sur le moldave, les langues se mêlant, bilinguisme source d'hésitations, de compromis. Par ailleurs, leur tâche ne se limite pas à faire la collecte des bouteilles, il faut aussi les laver pour qu'elles soient plus chères et ce n'est pas une mince affaire…elle a toujours les épaules pleines de pus et les mains bouillantes ou coupées…



« La première année, les bandes de savon sortaient rouges, mélangées aux morceaux de doigts. Mais avec le temps, j'ai appris à ne plus me tromper, à ne pas poser de questions, et surtout, à répondre comme il fallait.



Tiraillée entre la reconnaissance que Lastotchka doit à Tamara de l'avoir sorti de l'orphelinat, la colère qu'elle ressent aussi pour l'exploitation qu'elle fait d'elle, pour ses méthodes éducatives très sévères et uniquement guidées par l'appât du gain - « Son coeur réclamait de l'or ; le mien des étoiles » - et par ailleurs la haine vouée à ses parents biologiques à qui elle destine ce récit, la petite fille décrit sa vie, son ressenti, son monde, ainsi que l'histoire de ce territoire. C'est une vie faite de bric et de broc, une vie qui m'a fait penser par moment à la vie des enfants dans les bidonvilles où la débrouille, les vols et autres combines, les dangers que courent surtout les petites filles face aux hommes, et l'insécurité les fait grandir plus vite.



« Peut-être, en me jetant dans la fosse, comme vous l'auriez fait d'un déchet, avez-vous pu voler dans la vie, comme vous l'avez rêvé : haut, libre. Peut-être, peut-être, peut-être. Pendant toutes ces années, ce qui m'a perturbé le plus, c'est de penser que vous avez bien fait de m'abandonner. Que cela valait le coup. Même le mensonge, vous n'avez pas su le choisir comme des humains. Vous avez été des chiens, du début à la fin. Et vous avez voulu que je sois une chienne, moi aussi. A Bucarest, il neige sans discontinuer, et dans ma tête les langues s'embrouillent et m'engourdissent le cerveau. Dans quelle langue dois-je vous chercher ? Dans quelle langue puis-je vous pardonner ? ».



Elles habitent un immeuble vétuste disposant d'une cour défoncée dans lequel vivent des personnages haut en couleur, marginaux, pauvres, qui marqueront son enfance. La description qu'elle fait, soit à hauteur d'enfant, soit une fois adulte lorsqu'elle ressasse ses souvenirs, de cette communauté cosmopolite est emplie d'humanité. C'est par moment très touchant.



« Nous nous sommes demandé plus d'une fois, à la suite de quel naufrage nous nous étions retrouvés, au petit bonheur, ici. Moldave, Ukrainiens, Juifs, Russes. Militaires démobilisés. Braves femmes seules. Hommes en pleine force mais dont personne ne voulait. Et il y avait moi. Gosse effrayée et seule qui, à l'instar des oiseaux, a entrepris de construire son nid avec des saletés et des restes. Ils m'appelaient tous Lastotchka (« hirondelle ») et il n'y avait aucun couteau au monde qui puisse décoller ce nom de moi ».



Leur activité de ramasseuses de bouteilles va un peu diminuer pour Lastchocka lorsqu'elle va rentrer à l'école puis s'arrêter pour toutes deux, suite à la « période sèche » mise en place par Gorbatchev durant la Pérestroïka, réglementant strictement la consommation d'alcool. Intéressante la manière d'aborder l'histoire de ce territoire et de voir comment la grande Histoire a des conséquences directes sur les petites histoires de ces pauvres hères. Il faut dire que la Moldavie a été quelque peu tiraillée, héritière de deux histoires, celle de l'ancienne Principauté de Moldavie fondée au 13ème siècle et dont le passé local est aussi celui de la Roumanie et celle de la République socialiste soviétique moldave dont le passé est soviétique. Chacune de ces histoires a laissé dans le pays des populations et des identités, dont les aspirations et les cultures n'ont pas encore trouvé de compromis pleinement satisfaisant pour toutes les parties et ce tiraillement se sent vraiment dans le récit, cette petite fille se considère moldave par les racines mais elle tombe totalement peu à peu sous le charme de l'âme russe, de sa langue notamment, tiraillement joliment mis en valeur. On vit dans ce récit l'arrivée de Gorbatchev alors que la Moldavie fait encore partie des Etats membres de l'Urss puis son indépendance, on entrevoit la catastrophe de Tchernobyl, le tremblement de terre venant de Roumanie…



La poésie est omniprésente, renforcée par le fait d'avoir un récit à hauteur d'enfant. de ces bouteilles qui envahissent leur logement, leur bras, leur esprit sans relâche, l'enfant en fait un jardin : lorsqu'elle est seule, ce qui est rare, elle ouvre largement la porte afin de faire entrer la lumière. Alors les bouteilles se mettent à vivre. Leurs couleurs simples se mêlent et en produisent d'autres, plus surprenantes :



« un rang couleur cerise, un rang blanc : rose

Un rang couleur brique, un rang marron : couleur miel

Un rang vert, un rang blanc : couleur turquoise.

Les blanches seules : couleur argent.

Mon jardin de verre »





Roman sur les traumatismes de l'enfance, sur la douleur de l'abandon, sur l'absence de douceur maternelle, sur la quête d'identité dans un environnement, qui plus est, multiculturel, « le jardin de verre » de Tatiana Tibuleac, auteure moldave mais qui a écrit ce livre en roumain, m'a marquée par sa poésie, sa dureté, sa cruauté par moment, étant narré tantôt par une enfant, tantôt par l'enfant devenue adulte, une coriace fleur de bunker, une fleur toute fissurée cependant, qui semble certes aller bien, réussir même (elle va devenir gynécologue) mais brisée à l'intérieur à l'image de ce jouet rêvé, ce kaléidoscope, ramassé – à quel prix - sous les roues d'une voiture…des tessons provoquant des cicatrices qui ne se referment jamais.





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Le jardin de verre



Dans nos bibliothèques et librairies les oeuvres d'auteur-e-s de la lointaine Moldavie sont rarissimes et devraient donc susciter notre curiosité. Ce livre répond à ce souci avec succès, puisqu'il a obtenu l'année dernière le prix de l'Union européenne de littérature. Ce prix a le considérable avantage de stimuler des traductions de livres qui autrement, à cause de la langue dans laquelle ils ont été écrits et publiés, resteraient probablement inconnus en dehors de leur pays d'origine, comme "Le jardin de verre" publié en Moldavie et rédigé en Roumain.



Pour cette dernière langue, nous avons sur Babelio le grand privilège de bénéficier parmi nous de la grande expertise de "Tandarica" ou de Gabrielle Danoux, de son vrai nom et qui très souvent nous offre des critiques, toujours intéressantes, de livres qui nous auraient autrement échappé.



Tatiana Tibuleac est née en 1978 à Chisinau, la capitale de la Moldavie, où à l'université d'État elle a été diplômée en journalisme et communications. Elle a démarré sa carrière littéraire en 2014 avec un recueil de nouvelles "Fabule moderne" qui n'a pas encore été traduit en Français (mais dont le titre ne nécessite pour nous guère de traduction). Trois ans plus tard a suivi "L'été où maman a eu les yeux verts" qui a été traduit dans de nombreuses langues et en 2019 donc ce roman-ci.



Un bref mot sur le pays : la Moldavie a une superficie comparable à la Belgique, mais nettement moins d'habitants 3,5 millions. Jusqu'en 1991 la Moldavie a été une république soviétique que de nombreux Moldaves ont fui pour chercher leur bonheur plus à l'ouest. C'est un des pays les plus pauvres d'Europe, ce qui explique peut-être l'influence importante actuellement des slavophiles. Au musée national à Chisinau, la louve romaine a été dérobée en tant que symbole latin. Les voisins ukrainiens y vont faire leurs courses à cause du niveau très bas des prix. Le sinistre président Igor Dodon veut dénoncer l'accord avec l'UE pour le remplacer par une union douanière avec la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan ! Dodon est bien sûr une marionnette de Poutine, qui pratique son jeu habituel avec ses voisins !



Le début du roman surprend le lecteur non averti, à cause de l'environnement, Chisinau ne ressemble en rien à Paris, Marseille, Lyon ou Bruxelles et à cause de l'héroïne qui n'a que 7 ans et voit cet environnement avec des yeux de gosse de là-bas, ce qui pour le lecteur occidental ne simplifie nullement les données.



En plus, il y a plein de mots et d'expressions russes, qui bien que très soigneusement expliqués en notes de bas de pages ne contribue pas exactement à faciliter non plus la compréhension.



L'imagination, le style et le langage de Tatiana Tibuleac sont cependant tellement riches et poétiques que l'on prend volontiers ces petits inconvénients en patience,



La petite gamine de 7 ans, surnommée Lastotchka, Russe pour hirondelle, se trouve, tout au début du recit, adoptée dans un orphelinat par Tamara Pavlovna, qui gagne sa vie comme ramasseuse de bouteilles de verres. Cette occupation plutôt insolite ne l'empêche aucunement de prendre soin de notre Lastotchka.



Pavlovna veux que notre petite hirondelle apprenne pour son avenir le Russe, mais la môme préfère son Moldave. Le Modave et le Roumain est en fait la même langue, mais était jusqu'en 1989 écrit en lettres cyrilliques. J'ignore si Tamara Pavlovna est slavophile comme son triste président ou si elle estime que ses possibilités professionnelles seront beaucoup plus larges si la gosse maîtrise la langue de Pouchkine et Dostoïevski.



D'où elles habitent, en haut de leur immeuble, elles ont à travers la fenêtre une vue panoramique de la grande cour où vivent les autres locataires. C'est cette réalité qui explique le titre du roman : "Le jardin de verre".

Et dans ce jardin habite une communauté colorée : il y a Zakhar Antonovitch avec sa seule main toujours appuyée sur sa médaille de guerre, mais c'est un amour de vieillard qui a toujours des bonbons dans ses poches. Il y a Chourotchka que tout le monde aime et qui aime tout le monde. Et l'auteure de conclure : "La cour de tout immeuble a besoin de quelqu'un pour aimer le cheptel qui l'habite."



Après ce long confinement, Tatiana Tibuleac vous invite à un dépaysement peut-être pas excessivement exotique, mais ... spécial et littéraire !

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Le jardin de verre

L’invasion de l’Ukraine a sorti de l’ombre sa voisine la Moldavie, ainsi que la Transnistrie sa région séparatiste pro-russe.

Qu’ont été ici les années Gorbatchev, la perestroïka et la glasnost, puis l’éclatement de l’URSS et l’heure de l’indépendance ?

Nous sommes à Chișinău pendant ces années-là.

Tamara Pavlovna, ramasseuse de bouteilles, "achète" pour l’aider une enfant à l’orphelinat : Lastotchka, l’hirondelle. Tamara est avare d’affection, mais veut du bien à cette enfant, elle a de l’ambition pour elle.

C’est la voix de Lastotchka qui raconte.

C’est l’écriture délicate d’une petite fille qui observe, qui s’interroge ("Pourquoi tu m’as choisie moi ?")

C’est le petit monde de cette cour de Chișinău, les voisins et voisines qui ont leur propre histoire, illustrant toutes les facettes des violences sexistes, des horreurs de la guerre, des espoirs d’avenir.

C’est l’affirmation d’une culture nationale, avec la langue moldave que parle Lastotchka, et son apprentissage difficile du russe qu’elle aime, mais qui devient le symbole de l’oppression.

C’est également un tour de force du traducteur Philippe Loubière, qui a fait des choix judicieux et a réduit au minimum les notes en bas de page, indispensables toutefois pour bien saisir le conflit entre les langues.



Challenge ABC 2023-2024

Challenge Globe-trotter (Moldavie)
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Le jardin de verre

J'ai eu envie de faire connaissance avec Tatiana Tibuleac, attirée par la magnifique peinture de Lulia Schiopu mais aussi pour découvrir un peu la littérature moldave. Je ne le regrette pas car c'est un très beau livre mais dont je suis certaine de n'avoir pas été capable de tout percevoir. Le style d'écriture m'a parfois déroutée car il n'y a pas de linéarité, la narratrice parle parfois en tant qu'enfant,puis adulte. S'adresse à ses parents inconnus ou est dans l'introspection. Mais j'ai aussi parfois été émerveillée par sa poésie. L'histoire nous raconte la quête identitaire de cette petite fille abandonnée par ses parents et recueillie par Pavlona,une femme dure qui va l'entraîner avec elle au ramassage de bouteilles de verre afin d'amasser " des sous" pour plus tard. Ce besoin d'accumuler en vivant chichement est une obsession. Le bonheur n'est pas permis au présent,il doit d'amasser pour un jour être vu, étalé et englouti avec ostentation. La folie finit par habiter entièrement cette femme. Le parcours de Lastotchka est constitué de souffrance. Le récit n'en délivre que des indices,des morceaux dans le désordre, comme des éclats de verre. La quête identitaire de cette enfant est en miroir de celle du pays et je n'ai pas tout saisi du contexte géo politique de cette époque qui imprègne profondément l'histoire. J'ai porté la lourdeur,la honte,la culpabilité de Lastotchka tout au long de ma lecture comme un poid mort,car il n'y a pas de tendresse,pas d'amour,pas de lumière,juste de la solitude et de la souffrance. Tous les conflits intérieurs de Lastotchka se traduisent par sa lutte perpétuelle avec la langue qui lui est permise d'utiliser au gré des mutations sociales et politiques,sa langue maternelle,le russe, le roumain....un livre qui marque par sa profondeur . Je pense que la traduction a dû être un exercice très complexe !
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L'été où maman a eu les yeux verts

J'ai lu ce roman l'été dernier, peu après l'excellent Lumière. Alors, forcément j'ai été tentée de comparer. Le thème de la maladie (cancer) est largement mieux traité dans le roman de Christelle Saïani, dont je conseille vivement la lecture. Ici, je retiens surtout que la maladie sublime la beauté (cf. aussi le titre).

C'est un roman qui se laisse lire comme on dit, mais qui ne laisse pas de souvenir impérissable.
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Le jardin de verre

Des bouteilles de verre de couleurs différentes forment un arc-en-ciel.

Mais il faut bien les récurer les bouteilles parce que la ramasseuse les ramasse dans la rue ou dans les poubelles mais les bouteilles des poubelles sont plus belles une fois lavées et on peut les revendre et convertir les déchets de verre en argent ... le jardin de verre de l'orpheline se forme dans ce quartier sordide de Moldavie à partir de ces bouteilles accumulées, stockées au fur et à mesure ... Et le verre se brise, parfois, et la blesse ... Mais des tessons de bouteille, elle en fait des composants pour son kaléidoscope ... Et les éclats de verre attirent sur elle la lumière ... Et l'orpheline en a besoin de lumière pour s'épanouir, elle qui moisit dans l'humidité, le froid, dans la nuit ... Car elle voit le monde à travers un hublot, à travers une fenêtre, l'orpheline, car la souffrance, la honte, l'ont comme retranchée du monde ... Et elle se retrouve comme la peinture de la couverture de ce livre, elle se retrouve comme une bouteille vide ... comme une fillette maladive, chétive, fragile, comme une enfant qui serait atteinte de la maladie des os de verre ... Oui, c'est un récit de misères et de petits bonheurs, aussi, de malheurs qui se convertissent par le miracle de l'écriture fragmentée, par cette écriture si particulière en éclats de verre.

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Le jardin de verre

Lastotchka est seule, seule dans un monde réduit aux grilles de l’orphelinat de Moldavie qui est son foyer, si l’on peut appeler ce lieu ainsi. Maltraitance, pénurie, la vie est une épreuve quotidienne.



Sa vie change lorsqu’elle est adoptée par Tamara Pavlovna, une ramasseuse de bouteille.



Pour autant pas d’effusion de tendresse au programme. Une vie toute aussi rude l’attend, à récupérer des bouteilles vides, les récurer à l’eau bouillante. Apprendre le russe. À la dure. Tamara souhaite que sa Lastotchka ait une belle vie, sans soucis d’argent et si pour y arriver elle doit la cogner, elle le fera.



Autour d’elles deux, c’est tout un microcosme qui s’organise autour de la cour de leur immeuble. Ancien soldat, femme « légère », famille… les saisons s’égrènent et notre petite héroïne grandit.



Les années défilent, pourtant le vide intérieur de Lastotchka ne se comble pas.



Comment grandir avec un vide de parents, sans savoir si l’on a été abandonné par choix ou par nécessité.



Comment devenir mère lorsque l’on se sent seule et méchante ? Lorsqu’en prime le père de l’enfant est parti – ne supportant pas la maladie incurable du nouveau-né ?



Autant de questions qui tourmentent la jeune puis la moins jeune Lastotchka…



Ce roman est un immense coup de cœur pour moi, par son histoire mais aussi par le style, si magnifique de Tatiana Tibuleac.



Sa plume demande des efforts, les chapitres se succèdent, plutôt brefs, sans forcément de contexte, parfois avec des sauts dans le temps, sans forcément d’explications et portant il ressort une beauté âpre de ces pages.



Moi qui dévore les romans, je me suis obligée à une autre temporalité avec celui-ci, pour en savourer les pages et prendre le temps de comprendre ce que voulait nous dire l’autrice.



Ce roman interroge la maternité, l’amour, deux thèmes si chers à la littérature, mais pas seulement. Tatiana Tibuleac interroge la langue, la langue maternelle et celle que l’on doit adopter, les liens qui nous unissent à elles, qui retranscrivent également, dans le cadre de la Moldavie, une réalité politique complexe.



En bref, un coup de cœur pour ce roman magnifique et son héroïne si touchante dans ses doutes et ses échecs, vous l’aurez compris, je vous le conseille !
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L'été où maman a eu les yeux verts

J’ai acheté ce roman parce que j’en avais lu le plus grand bien sur des blogs amis, comme celui d’Ingannmic ou de Luocine, mais j’avais bien sûr oublié tout ce qui avait été dit de l’histoire. Et tant mieux ! Comme c’était agréable (une fois de plus) de découvrir peu à peu de quoi il s’agissait. Je vais donc en dire deux mots, mais de grâce, si vous ne l’avez pas encore lu, oubliez très vite ce que j’ai écrit…



Vous l’aurez aisément compris avec cet incipit pour le moins abrupt, c’est l’histoire d’un adolescent que tout oppose à sa mère. Mère, qui de surcroit, va emmener son fils dans le nord de la France (ils vivent en Grande-Bretagne) pour passer un été qui deviendra inoubliable puisque le narrateur nous le raconte bien des années plus tard.



C’est un livre sur la maladie qui ronge et pourrit l’intérieur, sur la résilience qui ouvre les yeux malgré une forte résistance, sur la manière de passer à côté des êtres qu’on aime, sur la mort qui détruit les vivants.



Ce texte m’a remué de telle manière que j’ai dû faire de nombreuses pauses dans ma lecture et ce, malgré la brièveté de ce roman. Raconté par un esprit torturé, psychologiquement atteint, il est autant de fragments de vies détruites par la mort et la violence, éparpillés au gré des tribulations du narrateur et qu’on ne cherche même pas à rassembler tellement ces morceaux d’obus nous brisent et nous broient.



« La littérature est l’art du comment » nous dit Cristina Hermeziu dans l’avant-propos, ce que Tatiana Tibuleac illustre parfaitement. Elle nous prend par la main et nous emmène sur des sentiers escarpés, là où nous ne sommes jamais allés, loin, très loin, en nous.



La totalité de l'article sur mon blog.
Lien : https://krolfranca.wordpress..
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Le jardin de verre

Roman recommandé par une de mes bibliothécaires, j'ai de suite été séduite par la première de couverture.



Cette image reflète assez bien ce qu'est Lastotchka, la partie supérieure du corps qui "fonctionne", et la partie inférieure qu'elle tente d'oublier, salie à plus d'une reprise.



Il m'a été parfois difficile de suivre le cheminement de l'auteure, qui passe d'un présent à un passé, mais souvent ceci explique cela.



Lastotchka, partagée entre deux langues, si pas trois, qui cherche son identité, qui oscille entre toutes.

Ce roman inclut beaucoup de phrases en russe, et étant russe à l'origine, je me suis plue à retrouver certaines expressions !

La recherche d'identité est pour ma part la trame de ce livre. Comment intégrer une culture différente de la nôtre, comment survivre ou vivre ?



Bref, un livre empreint de beaucoup de poésie, d'âme slave et qui m'a laissé "scotchée" du début à la fin.
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Le jardin de verre

Après la lecture de "L’été où maman a eu les yeux verts", relire Tatiana Ţîbuleac était une évidence. "Le jardin de verre" est aussi une histoire d’enfance fracassée, douloureuse.

Lastochka, la narratrice, revient sur les années vécues aux côtés de Tamara Pavlova qui en l’adoptant l’a sortie de l’orphelinat. Elle a alors sept ans, est éblouie par sa nouvelle vie, éperdue de reconnaissance envers sa sauveuse. Mais elle déchante vite, ou du moins relativise (il n’y a sans doute pas pire que l’orphelinat). Si Tamara l’a "achetée", comme elle l’apprendra par la suite, c’est parce que prenant de l’âge elle a besoin de main-d’œuvre pour l’assister dans sa dure besogne de "bouteilleuse". Lastochka passe ainsi une grande partie de son enfance à ramasser des bouteilles dans une ravine, à vaincre la nausée provoquée par les odeurs de vomi, à supporter les ampoules aux pieds, les plaies à l’épaule, les brûlures aux mains provoquées par le nettoyage à l’eau bouillante de leurs collectes. Une enfance à compter sa petite monnaie sous la houlette d’une tutrice obsédée par l’argent. Car Tamara a des ambitions pour sa protégée, construisant avec le moindre kopeck l’empire qui un jour deviendra le sien. Il faut s’élever, même si c’est au prix d’un labeur dégradant, usant.



Cela passe d’abord par l’apprentissage du russe, qu’elle s’efforce de faire rentrer dans la tête d’une Lastochka rétive, dont les oreilles et la bouche sont en lutte perpétuelle, la bouche gagnant rarement. La petite se raccroche au moldave, par un inconscient besoin de révolte, traquant sans doute dans sa langue maternelle les traces d’une identité morcelée, à l’image de ce petit pays parmi les plus pauvres d’Europe, culturellement très proche de la Roumanie mais dont l’identité a été profondément malmenée, et constituant au début du roman l’une des quinze Républiques Soviétiques.



Les épisodes se succèdent, convoquant les souvenirs au fil d’une narration spontanée, faisant surgir tout un univers, celui d’un immeuble où, comme dans une cour des miracles, se sont retrouvés là au petit bonheur, à la suite d’on ne sait quel naufrage, Moldaves, Ukrainiens, Juifs, Russes, militaires démobilisés, braves femmes seules, jeunes et vieux, partageant un destin de misère et de débrouille entre entraide et conflits, formant une communauté animée et haute en couleurs. On retiendra notamment les figures de Zakhar Antonovitch, le vieil invalide de guerre veillant à toujours avoir des bonbons dans sa poche pour les enfants du quartier, Chourotchka et ses jambes éléphantesques, se faisant l’écho du monde sans quasiment mettre les pieds hors de chez elle, Pavlik l’enfant borgne, dont l’œil droit a été arraché par d’autres enfants avec une pique, Marina, qui malgré la violence des coups maternels n’en fait jamais qu’à sa tête... et tant d’autres.



Et parmi eux Lastochka, "l’hirondelle", gosse effrayée et seule, portée à la fois par une profonde mésestime d’elle-même et un puissant instinct de survie, qui entreprend de construire son nid avec des saletés et des restes, fait le rude apprentissage du monde, et s’y adapte finalement, troquant l’innocence contre le pragmatisme, les rêves contre la dureté, s’interrogeant sur la difficulté en tant que fille, à acquérir son intégrité. En quête inconsciente d’une improbable beauté dans ce sordide environnement, elle parvient toutefois à débusquer quelque lumière, quelque joie, au cours des longs étés qui jette les habitants dans la cour de l’immeuble, dans le spectacle du châtaignier en fleurs, les jets d’eau, les cornets de glace, le jus de bouleau… A l’école -moldave, la fillette a obtenu au moins sur ce point gain de cause-, elle est la première de sa classe, et souscrit aux espoirs d’élévation sociale de Tamara Pavlova : elle sera docteur sinon rien…



L’ensemble reste pourtant baigné d’une profonde désespérance, alimentée par la détresse fondamentale de l’abandon et l’horreur d’actes de violence -abus sur les stigmates desquels les adultes détournent les yeux-, souvent évoqués de manière allusive, laissant l’imagination et la sensibilité du lecteur se dépêtrer avec les images ainsi convoquées. Et le présent, dont nous sont parcimonieusement livrées quelques bribes, n’apporte ni salut ni réparation. Bien que devenue chef de service dans un hôpital de Bucarest, Lastockha est poursuivie par le malheur, mère d’une fillette atteinte -tragique ironie du sort- de la maladie des os de verre. Le besoin même qu’a la narratrice de dérouler son passé à l’attention de ces parents (désignés par un "vous" rhétorique) auxquels elle n’a jamais pardonné leur défection, révèle son incapacité à faire le deuil de son enfance brisée, de son innocence.



Cette fois encore, l’écriture de Tatiana Ţîbuleac donne à son texte une intensité et une singularité qui frappent le lecteur, en même temps que les sinuosités qu’emprunte la narration maintiennent sa curiosité en éveil.
Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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Le jardin de verre

Lastotchka a sept ans lorsque Tamara, une femme russe ambitieuse, décide d'adopter la fillette moldave. D'un orphelinat où elle connait la violence et la misère, l'enfant devient alors ramasseuse de bouteilles vides pour quelques sous. Davantage exploitée qu'aimée, les épaules lacérées par le poids de sa tâche, Lastotchka tente de se construire entre deux langues, deux cultures et sans parents.



Une enfance rude, sans une once de tendresse,  mais entourée par les habitants de son quartier que l'on découvre tour à tour au gré de ces bribes éparses que nous conte Lastotchka.



«Je me serais collée à une lame de rasoir, si elle m'avait fait des caresses et jeté du pain. Derrière cette porte étroite et sale, un monde s'est ouvert devant moi. Je l'ai franchie sans y penser, avec la peur d'un enfant qui n'a vécu, jusqu'à présent, que de restes.»



J'ai été décontenancée au départ par les premières pages de ce récit, par ces multiples fragments aux temporalités difficiles à démêler. Mais, très vite, le flot des mots de la romancière moldave m'a transportée dans les rues de Chisinau et je me suis retrouvée happée par l'histoire douloureuse de cette enfant qui grandit seule, sans amour, par cette existence jonchée de questions, d'épreuves et de souffrances.



La plume se démarque par son authenticité, sa poésie, sa richesse.  Un roman noir, âpre, difficile à lâcher, avec une toile de fond politique et historique passionnante alors que la Moldavie est encore sous le joug soviétique.



C'est terriblement sombre, triste mais incroyablement beau. Une lecture forte, envoûtante, cruelle et troublante.
Lien : https://mesechappeeslivresqu..
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Le jardin de verre

Un roman sur l’identité, prise dans un sens très large. Le contexte moldave y ajoute une dimension supplémentaire très forte : la langue, si importante pour se penser et s’exprimer, et en même temps si déstabilisante quand, comme pour l'héroïne Lastotchka, il faut en changer et vivre entre deux étiquettes linguistiques.



Chronique entière à retrouver sur mon blog...
Lien : https://passagealest.wordpre..
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L'été où maman a eu les yeux verts

Je laisse un message sur le Whatsapp de mon amie Catherine.



– Dis donc, tu aurais un autre livre à me recommander s'il te plaît ? Pas un gnangnan comme la dernière fois…



Elle me conseille souvent des ouvrages en espagnol. Je lis dans cette langue pour maintenir mon niveau.



– Tu n'as qu'à lire Don Quijote de la Mancha, de Cervantes, me répond-elle, avec un accent castillan forcé.



Elle me suggère aussi L'Été où maman a eu les yeux verts de Tatiana Tibuleac. Moins cher en français qu'en espagnol, j'opte pour ce livre dans ma langue maternelle.





C'est l'histoire d'un jeune homme avec de gros problèmes psychologiques, dont la mère lui impose un dernier été avec elle. Ce qui est déjà un fardeau pour tout adolescent serait pour lui un chemin de croix tant il déteste sa mère. Un roman pour adolescents ? Non, il entre au bout de quelques pages dans la vie d'adulte.



C'est un roman court, ce qui me sied. Je n'aime guère les longs récits qui se perdent dans des descriptions superflues. Je suis assez grand pour percevoir des décors moi-même et je n'ai rien lu de mieux en la matière depuis Maupassant. D'ailleurs, l'auteure s'y prend à merveille avec peu de mots. Les tournesols, les escargots, les coquelicots, les robes blanches ont chatouillé mon imagination.





J'ai beaucoup apprécié ce livre, d'autant plus que des verres de vin et Jaipur mon chat m'ont accompagné. J'aime son émotion partagée comme des gouttes de pluie dans un jour avec peu de nuages. L'auteure, par sa connaissance de la psychologie humaine, nous offre des personnages à la fois simples et complexes et ne répond pas à toutes nos questions. La narration n'est pas toujours limpide et c'est voulu. le choix du vocabulaire oscille entre plusieurs registres, sans jamais s'éloigner des convenances.



Je lirai le prochain livre de Tatiana Tibuleac pour vérifier si elle confirme son talent.
Lien : https://benjaminaudoye.com/2..
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L'été où maman a eu les yeux verts

L’entrée dans le récit est abrupte : le narrateur nous prend à froid, en exprimant avec force sa haine pour une mère "petite et grosse, bête et laide", qu’il rêve de tuer. Une mère qui bouleverse le projet qu’il devait concrétiser à la fin de sa scolarité dans un établissement spécialisé -un séjour à Amsterdam avec deux de ses camarades-, en l’emmenant passer les mois de juillet et août dans une maison du sud de la France. Ce seront ses dernières vacances, puisque, ainsi qu’elle le lui annonce, elle est malade, et sur le point de mourir.



C’est avec un recul de plusieurs années qu’il évoque cet été, comme on le comprend au fil du récit, écrit dans le cadre d'une psychothérapie. Devenu peintre, et célèbre, il reste hanté par le traumatisme d’une enfance marquée par la perte et la culpabilité, placée sous le signe de l’indifférence maternelle, qui avait fait de lui un garçon haineux, sujet à des crises de violence au cours desquelles il agressait les autres ou se blessait lui-même, entrant dans des rages folles au moindre grain de sable enrayant le fragile équilibre sur lequel reposait son esprit écorché et instable.



A la dureté avec laquelle il relate cet épisode, se mêle une dimension obscure, due à la construction chronologiquement fragmentée du texte, qui s’apparente ainsi à un puzzle dont les pièces se mettent peu à peu en place, autour de cet été qui en est le pilier, et qui marquera le héros à jamais.



Un été pour recoller avec la maladie une relation brisée par la mort d’une petite sœur, qui avait sonné le glas de la cohésion familiale, sa mère l’ayant alors repoussé comme un chien, le plongeant dans une souffrance destructrice...

Un été pour cohabiter avec une mère métamorphosée, fantasque, patiente, généreuse…

Un été pour se ré-apprivoiser et se re-connaître, se re-paître de la science maternelle des plantes, des insectes, des planètes...

Un été pour se réapproprier une intimité perdue, s’imprégner de la peau blanche de sa mère, de son odeur, et surtout de ses yeux, dont il avait oublié la beauté et l’insondable lumière...

Un été pour dé-haïr sa mère, redécouvrir son amour pour elle et surtout l'admettre, pour troquer sa méchanceté amère et acérée contre tendresse et apaisement...



Une mère qui s’étiole et en redevient belle, qui lutte pour ne pas flancher, pour vivre pleinement jusqu’au bout, et offrir à son fils, en guise de rattrapage et d’excuse, cette ultime parenthèse. Et elle y est parvenue. Car cet été constitue dorénavant, avec le recul des années, "la part la plus précieuse de son être", la lumière qui empêche le désespoir et la mésestime de soi d'être absolus. Grâce à lui, "les bons souvenirs occupent plus de place, quoique rares et pâles, que tous les fichiers purulents".



« L’été où maman a eu les yeux verts » est un texte bref et pourtant dense, porté par une narration énergique. C’est surtout un texte fort, à la fois violent et poétique, émaillé d'images âpres, percutantes, et pourtant bouleversantes, dont la spontanéité crue par moments vous écorche.



Une lecture dont on ne sort pas indemne...
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L'été où maman a eu les yeux verts

Un roman court : à peine 160 pages. Néanmoins, il n'en fallait pas plus à l'autrice pour nous toucher. Son langage est précis, condensé. Pas de fioritures sur les décors, elle ne parle que du ressenti de son héros.

Ce roman retrace l'histoire, en pointillés, d'Aleksy. Un enfant malmené depuis l'enfance par des traumatismes familiaux. Cette histoire raconte ces malheurs et la résilience. Il raconte comment une mère peut passer, malgré elle, à côté de son enfant et comment celui-ci, après l'avoir haïe de tout son être, peut lui pardonner.

Les émotions sont violentes et l'écriture précise ne permet pas de s'en dégager. Il m'a fallu faire des pauses régulièrement entre les premiers chapitres. En effet, l'autrice, dans sa manière de décrire les sentiments touche juste et il m'a été difficile de le lire. Comment un enfant peut haïr à ce point sa mère ? Puis les sentiments glissent, presque insidieusement, se transforment. Le travail d'acceptation, de pardon a commencé.
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Le jardin de verre

L’écrivaine roumaine Tatiana Țîbuleac vit actuellement à Paris. Le jardin de verre est son deuxième roman traduit en français par Philippe Loubière et paru aux éditions des Syrtes. La collaboration de ce trio de succès connait la même réussite qu’en 2018 lorsque paraissait la version française de son premier roman L’été où maman a eu les yeux verts.



Mais, à nouveau défi, nouvelle énergie pour réussir à offrir aux lecteurs francophones une nouvelle histoire d’une pureté diamantine. Il faut rappeler que Le jardin de verre a obtenu en 2019 le Prix de l’Union européenne de littérature.



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Le jardin de verre

Encore un roman de la rentrée qui m’avait tapé dans l’œil, illustré par une belle couverture de l’artiste Iulia Schiopu. Mais enfin avec les éditions des Syrtes, il y a toujours peu de chance de faire fausse route dans ses choix de lecture. Le Jardin de verre a obtenu le prix de l’Union européenne de littérature 2019. Organisé tous les ans, ce prix récompense les meilleurs écrivains émergents en Europe. Il a été lancé par la Commission Européenne. L’auteure, Tatiana Tibuleac a la double nationalité roumaine-moldave et vit à Paris aujourd’hui.



Outre l’envie que j’avais de lire ce roman, ce fut aussi l’occasion d’avoir une première approche de ce petit et mystérieux pays qu’est la Moldavie, imbriquée entre ses deux grands voisins, l’Ukraine et la Roumanie, et qui est l’un des pays le plus pauvre d’Europe. En revanche, au point de vue culturel, c’est un pays riche et complexe, composé notamment de la Transnitrie une région peuplée par des russophones s’est proclamée indépendante en 1992 mais qui reste non reconnue par la communauté internationale. C’est donc un pays géopolitiquement scindé entre identité roumaine, ukrainienne et russe, et gagaouze, bulgare et tsigane, dont même le nom pose problème : on l’appelle République de Moldavie en français alors que les Nations Unies ont choisi de l’appeler République de Moldova (le Moldavie faisant référence au pays historique, amputé depuis de territoires récupérés par la Roumanie et l’Ukraine). Avant d’avoir pris connaissance de cela, l’une des premières choses qui m’ait intriguée, c’est que la langue de rédaction est le roumain alors même que l’auteure est moldave. Mais une note du traducteur, Philippe Loubière, nous révèle qu’il s’agit de la même langue à quelques éléments près, dont l’alphabet car le moldave s’écrit en cyrillique. L’épigraphe du roman, incisif, brute, percutant, donne un bon aperçu du texte que l’on s’apprête à lire « Vous m’avez dit que j’étais une chienne sentimentale / Je vous mords jusqu’au lait« . Le ton est donné, Un récit à la première personne, contre le reste du monde, contre sa violence, la brutalité froide de son inimité, c’est un combat qui s’annonce, ou les coups seront rendus comme ils ont été donnés, avec ses blessures, dans la capitale moldave, Chisinau. La défiance et l’animosité comme art de vivre quand on est l’enfant abandonnée, adoptée, puis maltraitée.





Née de rien, ni de personne, l’orphelinat reste une première expérience douloureusement acérée comme préparation à la vie de Lastotchka. Une vie douloureuse qu’elle va mener cahin-caha. Comme sa vie, qui n’est pas un long fleuve tranquille, ce texte est découpé en de multiples partie, le phrasé est haché, rendu au minimum, parce que dans cette existence-là on ne s’embarrasse pas de faux-paraître et de fioritures ; Il faut travailler, apprendre, grandir et surtout survivre. Avec ces phrases la plupart du temps concises, il semble que les coups qu’encaisse la toute jeune fille qu’elle est au début prennent ainsi corps et âmes dans l’esprit du lecteur.





Récit âcre et acerbe d’une vie brisée en mille morceaux dès le départ, guidée par un instinct de survie plutôt bien ancré, au beau milieu d’un petit monde qui forme cette microsociété dans cette cour, Chourotchka où elle réussit à se creuser sa place. Pavlik, Bella Isssakovna, Roza, Zahkar Antonovitch, cette petite compagnie, un ersatz de famille qui se réunit tantôt autour du châtaignier. Récit d’une jeune orpheline qui trouve à force’ d’années passées et qui tisse les liens avec les gens du quartier. En dépit de cette langue froidement aiguisée, il y a quelques épisodes de bonheur fugace, quelques moments de beauté pure, pendant lesquels Lastotchka exprime la beauté qu’elle est parvenue à trouver dans sa situation, à travers ce cercle de femmes qui l’ont entourée, chacune à leur manière, qui l’ont élevée finalement à leur manière, qui l’ont entourée tant bien que mal dans ce jardin inhospitalier, cette nouvelle forme de famille qui l’a finalement adoptée.





L’un des nombreux points de ce roman dont j’ai envie de parler, c’est cette volonté farouche d’imposer le russe comme langue nationale, d’une minorité ethnique à s’imposer dans un pays ou se côtoient différentes cultures, à rabaisser cette langue moldave, du roumain adapté en cyrillique. Le russe la langue de l’intelligentsia, le moldave, la langue du peuple. À travers ce texte adapté du roumain, et mâtiné de nombreux termes qui sont restés en russe dans la traduction française, s’observe l’identité d’un pays tiraillé entre deux identités culturelles. Un peu comme la narratrice finalement qui ne sait pas vraiment d’où elle vient et qui elle est.



Une vie décidément aussi tranchante que du verre, une écriture sur le fil du rasoir, la narratrice apprend à ses dépens, au prix de nombreuses entailles, à manier les bouteilles et le verre. Dans ce jardin de verre qu’est la vie de Lastotchka, tout est une question d’équilibre et au moindre faux pas, c’est la coupure assurée, parce verre qui règne sous toutes ses formes : pille, brisé, morcelé. Même la langue russe s’apparente littéralement à un tesson redoutablement affuté. Au milieu de tout cela la reine des glaces fait sa place, doucement. La métaphore soigneusement filée du verre et de la glace qui est là pour souligner toute la rudesse de la vie de Lastotchka, et celle de ses collègues, est parfois interrompu par des moments de pur bonheur, où elle ressent la chaleur de l’affection presque maternelle, amicale. Il est difficile de s’affranchir de la rigueur de ce monde de verre, où la narratrice devient à forcer de farfouiller, ramasser, nettoyer, manipuler, laver ces bouteilles, elle-même la véritable reine de ce monde de glace. Avec une narration elle-même brisée par les changements de chapitre, comme l’est notre jeune orpheline, une vie ébréchée issue d’un d’un monde qui l’est au moins autant.





On ne peut qu’être troublé par le destin de ces laissés-pour-compte qui ont échoué, on ne sait comment, dans un quartier lui-même abandonné par les autorités, et forment cette famille des esseulés de tous, parents, famille, institutions, patries. Dur mais beau, très puissant roman d’orphelin, de l’abandon mais du recueillement, de l’apprentissage à la famille, de la possession de rien, de la perte de tout Lastotchka ; notre héroïne est l’une de jeunes filles à la Oliver Twist de la Moldavie de fin de XXe siècle, sauf qu’elle n’est pas seule. Et c’est bien ce qui se la sauvera. Entre les tessons de verres, plantés, gisant, Lastotchka et ses compagnons de vie, parviennent à zigzaguer entre gravats, débris et tant bien que mal échafaudent leur propre existence ensemble.



Une vie signifiée par le verre qu’elle ramasse incessamment, ce matériau étrangement dur et coupant, froid, mais si lisse et plein de valeur. L’auteure a magnifiquement réussie à cristalliser cette vie hachurée dans ce matériau polychrome, polymorphe qui surgit à tous les coins du roman, Plus qu’un roman, c’est aussi une œuvre qu’on voit, on touche, les mots de l’auteur deviennent lames de glaces, glacée, coupante, blessante et brulante, dont je suis ressortie l’esprit quelque peu ébréché.
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L'été où maman a eu les yeux verts

Un roman étrange, où l'on ne sait dire si on l'aime ou pas. L'auteur nous conte une histoire dont on connaît la fin dès le début, mais nous en explique les raisons.



Je ne peux pas dire si j'ai apprécié Alesky ou pas. Par moment, je le détestais, puis le plaignais et l'aimais… on passe comme lui par plusieurs états.

Le livre est surprenant de part son style d'écritures, poème, romance, journal intime, on ne peut qualifier le style. De plus les chapitres sont comme des pensées, posaient ici et là, sans ordre ni liens entre eux.



Oui on peut dire que l'on est dans le cerveau d'Alesky, le cerveau d'un homme brisé, privé d'amour, mais qui l'a rencontré ce fameux été. Le cerveau d'un fou, qui cherche à guérir.



On a pas d'ordre dans ce roman, tout y passe, le passé, présent, futur, on ne sait plus à quelle époque on se situe, ni l'intérêt du passage sur le moment.



Il faut suivre et s'accrocher tout au long du roman. Des passages sont dures voir cruels, mais voir se cheminement dans son esprit torturé, cette étincelle de vie et d'amour se rallumer, puis s'éteindre, c'est beau, et on veut continuer se cheminement, même si notre compagnon nous fait peur.



L'auteur nous emmène dans une histoire difficile, où un été à éclairé la vie du personnage, où une simple maison avec des moments simples on réussit à guérir des plaies suintantes, même si la mort l'a emporté, cette été lui aura donné un moment de guérison.


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L'été où maman a eu les yeux verts

L’univers narratif que Tatiana Țîbuleac nous propose dans son roman « L’été où maman a eu les yeux verts » est d’une cruelle beauté. Sa force incontestable réside dans sa capacité de manier les contrastes, usant avec aisance des oxymores et des antithèses, dans un langage qui combine avec désinvolture la ruine et la splendeur, le sourire et la grimace, et de plonger dans un monde teint de douleur et d’éclats comme celui de la couleur d’émeraude des yeux de la mère que le fils ne cesse de contempler à la recherche d’un amour enfui. Cette incroyable et naturelle facilité de jouer avec les mots provient, selon les propres déclarations de l’auteure, de la tradition familiale, surtout du langage maternel qui aime ce type de tournures et « ces mots durs qui l’obsèdent des journées entières ».



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Le jardin de verre

Le jardin de verre, c’est le titre du roman de Tatiana Tibuleac, écrivaine moldave.

Ce sont les rayons du soleil jouant avec les verres des bouteilles qu’elle a ramassées et lavées qui transportent la fillette, par la magie de la lumière et du verre, dans un monde coloré, loin de son univers habituel. C’est ce qu’elle appelle son jardin de verre et celui-ci apporte dans la grisaille de sa vie un peu de couleurs. Pas étonnant que, la jeune fille, plus âgée, risque un jour sa vie pour ramasser un kaléidoscope tombé dans la rue, au milieu de la circulation.

Le roman se situe à Chisinau, capitale de la Moldavie soviétique, et court sur une dizaine d’années. On y voit le bouleversement (qui divise les habitants) apporté par Gorbachev à partir de 1985, la déclaration de l’indépendance moldave en 1991 et la narration se poursuit environ jusqu’en 1995.


Le récit est celui d'une enfant mais la voix de l’adulte qu’elle est devenue intervient aussi. Se mêlent alors le présent et le passé, sans aucun ordre chronologique, qui nous font entrer peu à peu dans la vie du personnage.

 
 Lastochka, surnom que lui a donné sa mère adoptive (hirondelle en russe) n’est pas née sous une bonne étoile. Elle a été adoptée ou plutôt « achetée » à l’orphelinat de Chisinau, capitale de la Moldavie, par Tamara Pavlovna, une vieille dame russe qui exerce le métier de « ramasseuse de bouteilles ». Cette adoption n’est pas une marque d’amour. Tamara veut une aide pour collecter les bouteilles afin de gagner plus d’argent. Son bonheur, c’est compter ses sous, non pour les dépenser, mais pour être riche. La fillette de sept ans travaille comme une adulte, de longues journées. Elle apprend le russe qui est la langue de Tamara et reçoit des coups si elle commet des erreurs. Plus tard quand elle est scolarisée, elle préfère suivre les cours à l'école moldave plutôt que russe. Elle apprend à se méfier des hommes, prédateurs sexuels, et peu à peu, par bribes, tout ce qu’elle a eu à subir depuis son enfance nous est révélé.

Nous partageons avec elle le quotidien des classes populaires, moldaves, russes, roumains, qui vivent dans des logements organisés autour d’une cour, lieu de rencontres, de jeux, de disputes ou vivent la fillette et sa mère adoptive.


J’ai beaucoup appris dans ce roman sur la Moldavie et j’ai eu même des surprises tant mon ignorance est grande. Je ne savais pas que la langue moldave était la même que la langue roumaine. Mais dans la période russe, la Moldavie soviétique a été contrainte d’employer l’alphabet cyrillique russe, puis après l’indépendance, les moldaves ont choisi de revenir à l’alphabet latin. D’où les difficultés de Lastochka pour apprendre sa langue maternelle.




La grande Histoire n’est pourtant pas le sujet du roman. Ce qui intéresse l’écrivaine c’est la petite histoire, au niveau des gens. Et en cela, le roman est réussi. Les portraits qu’elle brosse sont complexes : Tamara, par exemple n’est pas entièrement mauvaise d’où les sentiments ambivalents de rejet, d’amour et de pitié que peut éprouver Lastochka pour elle. Mais cette dernière est aussi très dure, cruelle, pleine de haine, façonnée par une enfance sans amour. Parfois, pourtant, le regard et les relations qu’elle noue avec les habitants de la cour qui sont des personnages riches, parfois émouvants, avec leurs faiblesses mais aussi leur générosité,  lui redonnent son humanité.
 Un roman bien écrit, dense et intéressant.


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