J’ai bien envie de vous dire que c’est un roman qui frappe mais ce serait carrément redondant. Tout comme les termes « coups de poing », « coup magistral », « une claque renversante » et autre « gifle littéraire ». Quoique tout ceci serait parfaitement juste et acceptable. Alors avant de placer des grands mots et des grands adjectifs, je vais vous livrer mon ressenti, à fleur de peau, comme vous en avez à peu près tous l’habitude (si ce n’est que là il y a eu larmes – quatre fois – et rires – trois fois – sans compter les multiples sourires et arrachages de petits bouts de lèvres).
Le roman s’ouvre sur Sarah. Une femme, 42 ans, qui commence par nous dire que non, elle ne sait rien de la mort, qu’elle est un peu comme une méduse, là, tout de suite, et qu’elle peut voyager à travers la conscience des gens qui l’ont aimée, à commencer par ses propres souvenirs et ceux de Théo, l’amour de sa vie. Ou de sa mort. Voilà. En un seul chapitre, Thibault Bérard nous pousse la commissure des lèvres et on sait : oui ce roman sera dramatique, touchant, escamotant, mais il sera aussi drôle, cynique et plein d’amour. Surtout d’amour. Parce que cette maîtrise du texte, de la virgule, de la touche d’humour dans la « force noire », des blagues lancées à la mort, cet auteur-éditeur-papa poule (si si je suis sûre) en essaime à toutes les pages. Et ça fait du bien. Ça soulage. Ça défait un peu la boule qui commence petit à petit à se former dans mon ventre.
Alors voilà. On suit son aventure à travers son regard, lumineux, tendre, sur ce que fut son couple, sa famille, son histoire. On la voit, jeune, « punkette », courant après une liberté ou un je ne sais quoi qui la ferait se sentir vivante. On la voit femme, remuant ses cheveux, tombant dans une baignoire rempli d’eau pour un poisson rouge (mais où est passé ce foutu poisson ?), posant ses yeux dans ceux de Théo, encore si adolescent dans son corps d’adulte. Et c’est ce regard là, plus que les larmes, plus que la peur, plus que la douleur, qui m’ont souvent arraché des larmes. Cette tendresse presque palpable qui vient d’une femme si forte, si grande. En voilà un personnage si parfaitement bien incarné. Puis on la voit mère.
Je m’attendais à ce que ce soit là. Le moment de bascule. Mais non, la bulle de bonheur pur, un peu épuisante, continue son bonhomme de chemin. Jusqu’à la seconde grossesse. Jusqu’à un mot, attaché à son cœur-poitrine : cancer. Alors commence le combat. A grands coups de grenades, de larmes refoulées pour l’un, de sourires hésitants pour l’autre, mais toujours entre les deux, leur force invincible. A deux, ils sont lumineux, fougueux, si plein de vie. Et ça rend le roman presque magique. Ça a des allures « d’aventure extra-ordinaire ». Au delà du pathos que l’on ressent indubitablement, (allez parler de la mort sans verser un peu dans le dramatique, je demande à voir), il y a ce côté un peu fou de Théo qui porte, qui pousse, qui se tient droit et fort devant Sarah. Ce qu’il y a de tendre dans ce roman, c’est qu’il pardonne aussi. Même s’il n’y a rien à pardonner. Il y a une forme de rédemption.
Et puis il montre tout. Les radios, les biopsies, le corps qui change, le désir de garder le sourire, les amis autour dans la chambre d’hôpital pour le 31, le « bonne santé » au bord des lèvres, la joie, l’espoir, la douleur, les jambes qui ploient, et la fatigue qui s’accumule jusqu’à l’épuisement, la rage, et les poings dans les murs. Il montre la vie. Et ça c’est quelque chose d’extraordinaire. Qu’un roman dicté par une morte soit aussi plein de vie.
Et cela tient surtout au ton du récit. A celui que Thibault a su insuffler, partout. Ces petites bulles de paillettes, de bonheur, de moments arrachés et ces rires d’enfants aussi, qui sauvent tout et tout le monde. Je ne connais pas l’histoire de l’auteur, après tout je ne le connais qu’en tant qu’éditeur des merveilleuses pépites exprim’ de Sarbacane mais il y a dans ce roman quelque chose de lui. Peut-être tout. Il y a de sa fatigue, il y a de sa peur, il y a de sa douleur. Et puis il y a aussi de ses sourires, de ses enfants, de ses amis. De sa vie en somme. Le tour de force est d’y mettre assez de distance pour que son roman soit universel. Et c’est parfaitement bien réussi.
En résumé
Oui, Il est juste que les forts soient frappés est un roman. Mais il va aussi au delà de cela. Quand une histoire te touche autant, te force à fermer les yeux, t’oblige à les rouvrir, te tord le ventre, t’arrache des rires, t’escamote le cœur pour mieux te donner envie d’aimer, de sourire, de croquer la vie, peut-on seulement encore parler de roman ? Un coup de cœur, obviously.
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