Citations de Thomas Edward Lawrence (72)
Notre guerre à nous serait une guerre de décrochage. Il nous faudrait contenir les Turcs par la silencieuse menace d'un désert vaste et inconnu et ne nous découvrir qu'au moment de l'attaque.
Pourtant les façons de penser des Arabes sont claires ; leur cerveau fonctionne suivant la même logique que le nôtre, sans rien de radicalement incompréhensible. Toutes les différences sont dans les prémisses. Quand nous traitons les Orientaux d'impénétrables, nous n'avons pas de raison ni d'excuse : notre paresse et notre ignorance sont la seule cause des malentendus.
En vérité, il en était ainsi depuis longtemps; les hommes très fatigués et chagrins tombent souvent amoureux de la mort, cette faiblesse triomphale s'installant au plus profond d'eux-mêmes quand la force a été vaincue dans une dernière bataille.
Nous ne nous soucions que rarement de ce que faisaient nos hommes mais accordions beaucoup d'attention à ce qu'ils pensaient. Pour nous, la diathétique comptait pour plus de la moitié dans l'art du commandement. Cet aspect était quelque peu négligé en Europe et confié à des étrangers à l’État-Major. En Orient, nous étions physiquement si faibles que nous ne pouvions laisser rouiller, inutilisée, l'armée métaphysique. Une province ne nous était acquise que lorsque nous avions appris aux civils qui y vivaient à mourir pour notre idéal de liberté. La présence ou l’absence de l'ennemi était finalement peu importante.
L'infirmité redoutable et permanente que l'on prend à servir longtemps sous les drapeaux, c'est que, même en civil, les victimes portent l'empreinte de l'ancien soldat.
"Pourquoi les Occidentaux veulent-ils toujours tout ?" demanda Aouda de façon provocante. "Derrière nos étoiles, nous sommes capables de voir Dieu, qui n'est pas derrière les millions des vôtres." "Nous cherchons la limite du monde, Aouda"
Autour de la Méditerranée, l'influence de la femme et la signification qu'on lui prête tirent leur force irrésistible d'une entente où on lui accord, sans conteste, le monde physique, comme au pauvre d'esprit. Cet accord, cependant, en niant l'égalité des sexes, rend l'amour, la camaraderie et l'amitié impossibles entre homme et femme. La femme devient une machine pour exercices musculaires et l'homme ne peut apaiser ses désirs psychiques que dans un commerce avec ses pairs. De là naissent ces appariages d'homme à homme, pour fournir à la nature humaine plus qu'un contact de chair à chair.
Nos opérations de développement avant le coup final auraient les caractères de manœuvre navales - mobilité, ubiquité, indépendances des bases et des communications, dédains des accidents du terrain, des aires stratégiques, des directions fixes et des points fixes. Qui est maître de la mer est le plus libre : il peut accepter ou refuser la guerre à sa guise. Nous étions maîtres du désert.
J'arrivais au bout de mon "topo". Le facteur algébrique, traduit en arabe, cadrait à la perfection ; il nous promettait la victoire. Le facteur biologique à son tour avait exigé de nous un développement tactique en accord avec le génie de nos tribus. Restait l'élément psychologique auquel nous devions donner une forme adéquate. Pour le désigner j'allais voler à Xenophon son mot de diathétique, qui avait été l'art de Cyrus avant son attaque.
Pourquoi n'aime-t-on pas les choses dés qu'il y a des gens autour de soi ? Pourquoi ne peut-on prêter la vie à ses livres que la nuit, une fois passées les heures de tensions ?
[...] car le gouvernement oriental repose non pas tant sur le consentement ou la force, mais sur l'indolence, l'hébétude et la langueur collectives qui donnent à une minorité une efficacité indue.
Et aussi, pourquoi étais-je dans le R.A.F.? Je lui expliquai que j'avais abusé de la vie imaginative, telle qu'elle se manifeste par l'étude, et que j'avais besoin de rester en fiche un moment, au grand air.
A Oxford, le prédicateur distingué (...) à propos de maladies vénériennes déclarait: "Et laissez-moi vous implorer, de ne pas mettre en danger votre âme immortelle pour un plaisir qui, selon mes informations, (...) dure une moins d'une minute trois-quarts." Je ne saurais parler d'expérience plus directe, n'ayant jamais été tenté d'exposer mon âme mortelle; et six des dix types engagés partagent mon ignorance (...) Mais, si le parfait compagnonnage, l'assouvissement avec un corps vivant est aussi bref qu'un acte solitaire, alors le spasme n'est en vérité rien de plus qu'une convulsion, un fil de rasoir temporel, qui s'émousse tellement par la récidive que la tentation vacille et se mue en apathie, en lassitude dégoûtée, une fois tous les trente-six du mois, quand la nature nous y contraint.
"Qu'est-ce que c'est que ça demanda-t-il à propos de Nils Lyhne. Ah! vous lisez le danois. Pourquoi vous êtes-vous engagé dans l'aviation?
- J'ai eu comme une sorte de dépression nerveuse, mon Commandant.
Sur cent hommes de troupe, vous n'en trouverez pas un qui soit intact et heureux. Chacun porte une blessure, une plaie ouverte ou cachée, dans son récent passé.
Quand un avion dont on a perdu le contrôle se précipite vers le sol, les membres de l'équipage, terrorisés, se cramponnent à leurs sièges pendant des minutes pareilles à des années? dans l'attente de l'écrasement; mais la douleur de cette plongée se prolonge jusqu'à leurs tombes. Les seuls survivants connaissent après coup la souffrance.
Les rebelles, surtout les rebelles victorieux, font nécessairement de mauvais sujets et de pires gouverneurs.
La Syrie restait une mosaïque raciale et religieuse violemment colorée. Toute ample tentative d'unification aurait un résultat parcellaire et rapiécé, désagréable à un peuple que ses instincts ramenaient toujours à une règle paroissiale et domestique.
Nos privations et nos dangers attisaient cette chaleur virile, dans un climat aussi torturant qu'on puisse concevoir. Nous n'avions aucun endroit clos où être seuls, pas de vêtements épais pour cacher notre nature. L'homme vivait exposé à l'homme en toutes choses.
La Révolte Arabe avait été jusqu'ici une sorte de coup de tête, une entreprise vivant à la diable, avec des moyens aussi petits que ses devoirs et ses perspectives.
Désormais Allenby comptait sur elle, lui donnait une part raisonnée dans ses plans. Cela nous imposait de faire mieux encore qu'il n'attendait, puisque nos échecs devaient être en partie payés par la vie de ses soldats. Cette responsabilité nous emmenait loin, terriblement loin des joyeuses aventures.