Sang chaud et sueurs froides
Nouvelle maison arrivée dans le grand monde du polar, Matin Calme se concentre sur le polar coréen. « Sang chaud » est leur premier titre. Pour un coup d’essai, c’est un coup de maître !
A Busan, Huisu travaille pour Père Sohn et ses petits business de contrebande à trois francs six sous. Il manage le Mallijang, hôtel qui sert aussi de base arrière à toutes les opérations organisées par Huisu pour Père Sohn. Les affaires de Père Sohn font figure de petites magouilles sans envergure. Cela titille Huisu de voir plus grand ailleurs sans toutefois perdre de vue que le fait de ne pas avoir les yeux plus gros que le ventre permet aussi de ne pas attirer trop l’attention sur soi : pour vivre heureux, vivons cachés…
Huisu navigue donc à vue, dans une petite vie morne, sans femme, sans sous, sans rien en fait, entre petits trafics, petites corruptions, petites trahisons, petites bagarres, petites frayeurs. Mais Père Sohn commence à se faire vieux et les clans ennemis à se montrer gourmands. Huisu est à la croisée des chemins : rester dans le giron de Père Sohn, le quitter pour monter sa propre affaire… La guerre des clans qui semble se dessiner va le forcer à prendre des décisions primordiales pour son futur.
Kim Un-Su livre un récit aux mille détails : sur Busan elle-même, sur la complexe organisation des clans autour de familles mafieuses, de liens sanguins ou non, de respect et de trahison, sur les us et coutumes particulières de ce milieu, sur la vie de tous les jours des petits malfrats locaux. Kim Un-Su prend le temps de planter son décor. Pour autant, le rythme ne souffre aucun répit : Kim Un-Su fait preuve d’une maîtrise indéniable de la narration, soutenue notamment par des dialogues directs et sans fioritures. Les personnages disent ce qu’ils pensent, font ce qu’ils disent.
Malgré tout, une certaine torpeur entoure l’histoire racontée par Kim Un-Su. Elle provient essentiellement de l’inévitabilité des situations dans lesquelles les personnages se retrouvent tour à tour et le fatalisme avec lequel ces situations sont acceptées par les personnages, que les conséquences de ces situations se révèlent positives ou négatives.
Le seul à sembler vouloir changer quelque chose à sa petite vie étriquée est Huisu. Il rêve plus grand, il rêve surtout différent. Il n’a jamais perdu de vue son amour de jeunesse dont le fils est devenu son vrai fils adoptif. Il entrevoit la possibilité d’autre chose. Mais fatalement, « truand un jour, truand toujours ! ». La vie de Huisu va devoir forcément changer, mais il ne peut réellement envisager de le faire en dehors du monde qui l’a vu naître, grandir, devenir un homme.
Si le récit est parsemé de quelques scènes de torture, de meurtre, de bagarres, c’est dans le final explosif que Kim Un-Su emballe son histoire dans un déchaînement de violence qui n’est finalement que le résultat de tout ce qui a précédé, comme une cocotte minute dans laquelle la pression grimpe petit à petit mais qu’on a oublié sur le feu : elle finit par exploser.
L’équilibre du livre est parfait. En partant d’une situation à la routine indolente, Kim Un-Su fait grossir son récit jusqu’à l’implosion finale qui ne laissera que peu de personnages indemnes, sans parler des équilibres entre gangs profondément remaniés entre la première et la dernière page. Et pourtant, si tout est bouleversé, l’histoire semble se refermer sur une situation très similaire au début du récit. La routine va irrémédiablement se réinstaller à Busan. Elle sera simplement gérée par d’autres personnes.
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