Ils se sont rencontrés à New-York. Lui acoustémologue, enregistrant les bruits, les sons, les silences, elle journaliste et documentariste, ils travaillaient sur le même projet, visant à collecter des extraits des multiples langues parlées dans la grande ville.
Ils se sont mariés et avec leurs enfants respectifs (lui, un fils de 10 ans, elle une fille de 5), ils ont recomposé une famille. Lorsque leur projet commun est arrivé à son terme, chacun s'est cherché un nouvel objectif professionnel.
Il a entrepris un travail sur les Apaches, les derniers Indiens à s'être soumis à l'Homme Blanc, et veut maintenant tailler la route vers l'Arizona sur les traces de ces guerriers.
Elle, elle a senti que leur vie commune touchait elle aussi à sa fin, et ne sait pas trop dans quoi se lancer. D'origine mexicaine, elle est préoccupée depuis longtemps par le sort des enfants migrants en provenance du Mexique et du triangle Guatemala-Honduras-Salvador. Subissant l'ultra-violence des gangs, la misère et les abus en tous genres, ces enfants sont confiés, parfois très jeunes, avec un numéro de téléphone cousu sur leur t-shirt, à des passeurs pour tenter de gagner clandestinement les États-Unis et d'y rejoindre un parent déjà immigré. A supposer qu'ils arrivent vivants à la frontière, qu'ils arrivent à sauter le mur, à ne pas mourir dans le désert du Nouveau-Mexique, ces enfants tombent souvent sur les Border Patrols puis dans les filets des services de l'immigration avant d'être expulsés sans grande forme de procès vers leur pays d'origine.
Elle décide d'aller sur place pour (se) rendre compte de cette réalité et la documenter.
La petite famille s'embarque donc pour un long road-trip vers le sud-ouest des Etats-Unis, dans une atmosphère de fin d'époque et de "faisons-comme-si-tout-allait-bien", d'incompréhensions et de désamour. Les enfants à l'arrière, des boîtes de documents et de livres dans le coffre, le père au volant, la mère en copilote le nez dans les cartes routières, et dans les hauts-parleurs, les radios locales, des play-lists ou des livres audio. Et tout au long du parcours, des réflexions et des interrogations. Celles de la mère, surtout, narratrice de la première partie : "Inquiétude éthique : et qu'est-ce qui me fait dire que je peux ou devrais faire de l'art avec la souffrance d'autrui ?" Elle n'a pas de réponse, moi non plus, et sur cet aspect cette lecture me laisse un peu perplexe. Quel est l'objet de ce roman, quelle(s) histoire(s) raconte-t-il ? Je m'attendais à quelque chose de plus concret sur ces "enfants perdus" et la politique migratoire des Etats-Unis*. Mais je ne suis pas sûre que cela soit le thème principal du livre, tant il est question d'autres pertes, d'autres séparations : celle du couple semble inéluctable, et entraînera celle des enfants, la perte de l'amour, de l'innocence, des repères, des souvenirs, presque celle de la vie. Et le père, la mère et le garçon (narrateur des 2è et 4è parties) s'acharnent tous trois, d'une façon ou d'une autre, à documenter, archiver le présent pour en garder des traces, sonores, écrites ou photographiques, à tenter de capter les échos du passé.
La construction de ce roman est un tour de force : la 2ème partie répond magistralement à la 1ère en complétant la narration de la mère par celle du garçon, le chapitre "Echo Canyon" est une performance stylistique d'une seule longue phrase de 25 pages en mode flux de conscience, la façon dont la rencontre des enfants est amenée m'a épatée, le dernier chapitre est très touchant, l'écriture est une merveille de concision. Ce livre est remarquable par sa forme, mais j'ai eu un peu trop souvent l'impression que celle-ci prenait le pas sur le fond. Mais malgré quelques longueurs, "Archives des enfants perdus", qui fourmille de références littéraires, est un roman subtil et puissant qu'on n'oublie pas de sitôt.
Et, une fois de plus, merci Bookycooky pour cette idée de lecture!
*je devrais lire "Raconte moi la fin", un essai de la même auteure sur cette question.
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